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15/05/2006 | SUISSE | N°1A.6/2006

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 15 mai 2006, 1A.6/2006


{T 0/2}1A.6/2006 /col Arrêt du 15 mai 2006Ire Cour de droit public MM. les Juges Aemisegger, Juge présidant,Reeb et Eusebio.Greffier: M. Kurz. la société A.________,recourante, représentée par Me Marc Henzelin,avocat, contre Ministère public de la Confédération,Taubenstrasse 16, 3003 Berne. Entraide judiciaire à la Fédération de Russie, recours de droit administratif contre les décisionsdu Ministère public de la Confédération des 9 et25 novembre 2005. Faits: A.Le 9 décembre 2004, le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie(ci-après: le FSB) a adressé à l

'Office fédéral de la justice (OFJ) unedemande d'entraide judiciaire dans...

{T 0/2}1A.6/2006 /col Arrêt du 15 mai 2006Ire Cour de droit public MM. les Juges Aemisegger, Juge présidant,Reeb et Eusebio.Greffier: M. Kurz. la société A.________,recourante, représentée par Me Marc Henzelin,avocat, contre Ministère public de la Confédération,Taubenstrasse 16, 3003 Berne. Entraide judiciaire à la Fédération de Russie, recours de droit administratif contre les décisionsdu Ministère public de la Confédération des 9 et25 novembre 2005. Faits: A.Le 9 décembre 2004, le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie(ci-après: le FSB) a adressé à l'Office fédéral de la justice (OFJ) unedemande d'entraide judiciaire dans le cadre d'une instruction pénale ouvertepour des infractions de blanchiment d'argent et de financement du terrorisme.En octobre 2002, B.________, détenteur de la société C.________ avait prévude racheter à D.________ la société holding E.________, propriétairenotamment de la société F.________. Des montants de 5, puis de 10 millionsd'USD avaient été versés, dans cette perspective, à la société A.________.G.________ était intervenu pour aider au financement de l'opération, enversant à C.________ 10, puis 43 et 47 millions d'USD; il avait reçu enéchange 45% des actions de E.________. Les deux derniers versementsprovenaient de la société H.________; selon B.________, G.________ lui auraitaffirmé que cet argent était celui de I.________, patron du crime organisérusse; il aurait aussi déclaré que des versements pour plus de 1,5 milliond'USD auraient été effectués par F.________ Services pour financer l'achatd'armement par des rebelles Tchétchènes. L'autorité requérante désirenotamment être renseignée sur un compte ouvert par A.________ auprès de labanque J.________ à Genève (ci-après: la banque), sur les versementseffectués par C.________ et sur la destination de ces sommes. B.Par ordonnance du 9 novembre 2005, le Ministère public de la Confédération(MPC), chargé d'exécuter la demande, est entré en matière et a ordonné à labanque de produire la documentation relative aux avoirs de A.________, pourla période du 1er décembre 2002 au 30 avril 2003, et notamment aux deuxversements, de 50 et 45 millions d'USD, effectués en décembre 2002 parC.________. Le MPC a considéré que les faits décrits dans la demandecorrespondaient, en droit suisse, à des infractions de blanchiment d'argentet de financement du terrorisme.Par ordonnance de clôture partielle du 25 novembre 2005, le MPC a notammentdécidé de transmettre à l'autorité requérante les documents d'ouverture ducompte xxx détenu par A.________ auprès de la banque J.________, ainsi queles extraits et justificatifs pour la période précitée. Les deux versementsdes 11 et 12 décembre 2002 avaient pu être identifiés, ainsi que différentessorties du compte. Ces renseignements correspondaient à la demande etparaissaient utiles à la procédure. C.A.________ forme un recours de droit administratif contre les décisions declôture et d'entrée en matière, dont elle demande l'annulation.Le MPC et l'OFJ concluent au rejet du recours. Un second échange d'écrituresa eu lieu, au cours duquel la recourante a présenté de nouvelles conclusionset demandé à pouvoir plaider. Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.Le recours de droit administratif est interjeté en temps utile contre unedécision prise par l'autorité fédérale d'exécution, relative à la clôturepartielle de la procédure d'entraide judiciaire, ainsi que contrel'ordonnance d'entrée en matière antérieure (art. 80g al. 1 de la loifédérale sur l'entraide internationale en matière pénale - EIMP, RS 351.1).1.1 Selon l'art. 80h let. b EIMP, a qualité pour agir quiconque est touchépersonnellement et directement par une mesure d'entraide et a un intérêtdigne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée. La recourante aqualité pour recourir dans la mesure où la décision attaquée ordonne latransmission de renseignements relatifs à un compte bancaire dont elle esttitulaire (art. 9a let. a OEIMP). En revanche, elle ne saurait s'opposer à ladécision attaquée en tant que celle-ci concerne des comptes bancaires détenuspar une autre société. 1.2 Il n'y a pas lieu d'examiner la recevabilité des allégués de fait ou dedroit nouveaux présentés par les parties lors du second échange d'écritures.En effet, le sort du recours peut être tranché sur la base du dossier, telqu'il était constitué au moment de la décision attaquée. Il ne se justifiedonc pas non plus d'autoriser la recourante à plaider en réponse auxarguments des autorités intimées. Par ailleurs, les conclusions nouvellesprésentées en réplique sont tardives et, partant, irrecevables. 1.3 La Confédération suisse et la Fédération de Russie sont toutes deuxparties à la CEEJ. Peut également s'appliquer en l'occurrence la Conventioneuropéenne relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à laconfiscation des produits du crime (CBl; RS 0.311.53), entrée en vigueur le1er septembre 1993 pour la Suisse et le 1er décembre 2001 pour la Russie. Lesdispositions de ces traités l'emportent sur le droit interne régissant lamatière, soit l'EIMP et son ordonnance d'exécution (OEIMP; RS 351.11), quirestent cependant applicables aux questions non réglées, explicitement ouimplicitement, par le droit conventionnel, et lorsque le droit interne estplus favorable à l'entraide que le traité (ATF 123 II 134 consid. 1a p. 136;122 II 140 consid. 2 p. 142; 120 Ib 120 consid. 1a p. 122/123, 189 consid. 2ap.191/192; 118 Ib 269 consid. 1a p. 271, et les arrêts cités). Comme cela estrelevé ci-dessous (consid. 4), les diverses conventions relatives à larépression du terrorisme et de son financement, mentionnées par l'OFJ, n'ontpas de pertinence directe dans le cadre du présent recours. 2.La recourante estime que la demande d'entraide ne serait ni judiciaire, nipénale: son auteur, le FSB, est un service de renseignement et non uneautorité judiciaire; on ignorerait si l'enquête est suffisamment avancée pouraboutir à un renvoi devant un tribunal. La recourante critique par ailleursla jurisprudence rendue à propos de la COB et de la SEC, et estime qu'elle nesaurait en tout cas s'appliquer à la présente espèce. Le Ministère publicrusse ne serait intervenu que comme autorité de transmission. 2.1 Selon les art. 1 et 3 CEEJ, l'entraide judiciaire est accordée pour lesbesoins d'une procédure de la compétence d'une autorité judiciairelorsqu'elle est requise par une telle autorité (cf. également l'art. 15 par.1 à 4 CEEJ). Selon l'art. 24 CEEJ, les parties contractantes peuvent, aumoyen d'une déclaration, indiquer quelles autorités elles considèrent commeautorités judiciaires aux fins de la présente convention. 2.2 Le MPC renvoie à la réserve faite par la Fédération de Russie à propos del'art. 15 par. 6 CEEJ. Certes, les services fédéraux de sécurité y figurent,mais en tant qu'autorité habilitée à recevoir les demandes d'entraidejudiciaire, dans les domaines de sa compétence et lorsque l'intervention d'unjuge n'est pas nécessaire (cf. arrêt 1A. 143/2005 du 27 octobre 2005, consid.2.2). A propos de l'art. 24 CEEJ, la Fédération de Russie a formulé unedéclaration (figurant au ch. 10 des réserves) selon laquelle seuls lesTribunaux et les organes du Bureau du Procureur sont à considérer commeautorités judiciaires, aptes à requérir l'entraide judiciaire internationale. 2.3 La demande d'entraide n'en est pas pour autant irrecevable. En effet,celle-ci n'a pas été adressée directement à la Suisse par le FSB, mais parl'entremise du Procureur général de la Fédération de Russie. Contrairement àce que soutient la recourante, ce dernier n'est pas intervenu comme simpleautorité de transmission. Dans une lettre adressée au MPC le 23 décembre2004, le Procureur russe insiste pour obtenir une exécution rapide del'entraide requise, en raison des délais fixés dans la loi russe de procédurepénale. Il précise en outre que les pièces d'exécution doivent lui êtreadressées. Il en ressort clairement qu'une procédure d'instruction pénale esten cours, que le procureur étranger est saisi de la cause et que, s'il n'enest pas l'auteur, il a en tout cas ratifié la démarche du FSB. Ce dernier n'apas agi dans le simple cadre de sa mission de renseignement, mais commeautorité d'instruction, soumise au parquet. La situation est par conséquentcomparable à celle dans laquelle le Procureur russe aurait lui-même présentéla demande d'entraide. 3.La recourante estime ensuite que la demande serait insuffisamment motivée. Apart l'évocation d'un chef de la mafia russe, la demande ne démontreraitaucun lien entre les transactions décrites - qui n'ont rien d'insolite - etles opérations criminelles préalables. La recourante se fonde sur certainsauteurs selon lesquels il conviendrait de se montrer plus sévère dansl'exigence de motivation des demandes d'entraide ayant pour objet desinfractions de blanchiment. 3.1 Selon l'art. 14 CEEJ, la demande d'entraide doit notamment indiquer sonobjet et son but (ch. 1 let. b), ainsi que l'inculpation et un exposésommaire des faits (ch. 2). Ces indications doivent permettre à l'autoritérequise de s'assurer que l'acte pour lequel l'entraide est demandée estpunissable selon le droit des parties requérante et requise (art. 5 ch. 1let. a CEEJ), qu'il ne constitue pas un délit politique ou fiscal (art. 2 al.1 let. a CEEJ), et que le principe de la proportionnalité est respecté (ATF118 Ib 111 consid. 4b et les arrêts cités). Le droit interne (art. 28 EIMP)pose des exigences équivalentes, encore précisées par l'art. 10 al. 2 OEIMPselon lequel doivent en tout cas figurer le lieu, la date et le mode decommission de l'infraction.Selon la jurisprudence, l'on ne saurait exiger de l'Etat requérant un exposécomplet et exempt de toute lacune. En effet, la procédure d'entraide aprécisément pour but d'apporter aux autorités de l'Etat requérant desrenseignements au sujet des points demeurés obscurs (ATF 117 Ib 88 consid. 5cet les arrêts cités). L'autorité suisse saisie d'une requête d'entraide enmatière pénale n'a pas à se prononcer sur la réalité des faits évoqués dansla demande; elle ne peut que déterminer si, tels qu'ils sont présentés, ilsconstituent une infraction. Cette autorité ne peut s'écarter des faitsdécrits par l'Etat requérant qu'en cas d'erreurs, lacunes ou contradictionsévidentes et immédiatement établies (ATF 126 II 495 consid. 5e/aa p. 501; 118Ib 111 consid. 5b p. 121/122). 3.2 Lorsque l'entraide judiciaire est requise, comme en l'espèce, pour larépression d'infractions de blanchiment, la demande doit comporter desindications suffisantes pour admettre l'existence d'une infraction préalable,comme l'exige l'art. 305bis CP. L'autorité requérante ne peut se contenterd'évoquer la possibilité abstraite que les mouvements de fonds aient uneorigine criminelle (arrêt 1A.188/2005 du 24 octobre 2005, consid. 2.2-2.4 etles arrêts cités). Elle ne doit pas pour autant prouver l'existence d'unetelle infraction, et peut se limiter à faire état de transactions suspectes(ATF 129 II 97); elle doit toutefois préciser pour quelles raisons elleconsidère que certaines transactions sont suspectes, et ne peut par exemplese contenter de produire une simple liste de personnes recherchées et desmontants transférés. Il lui faut joindre des éléments propres à démontrer, aumoins à première vue, que les comptes dont le séquestre est demandé onteffectivement servi au transfert des fonds dont on soupçonne l'originedélictueuse (ATF 130 II 329 consid 5.1 p. 335 et la jurisprudence citée). 3.3 Selon la demande, G.________ serait intervenu pour financer l'achatd'actions de E.________ par C.________, pour un montant d'environ 100millions d'USD. C.________ aurait ainsi reçu deux versements de 43 et 47millions d'USD, en provenance d'une banque de Riga (Lettonie). La banquegenevoise ayant requis des informations sur l'origine des fonds, il estapparu que ceux-ci provenaient d'une banque du Monténégro, dont la licenceavait été retirée en raison de problèmes de blanchiment d'argent. G.________avait alors affirmé que l'argent était celui de I.________, patron du crimeorganisé en Russie, et de ses complices. Cette mise en cause constitue uneindication suffisante quant à l'origine des soupçons de l'autoritérequérante. Elle justifie à elle seule l'intérêt des enquêteurs étrangerspour les transactions relatives à l'achat de E.________, sans qu'il y ait àexiger des précisions supplémentaires quant aux infractions qui ont pu êtrecommises par I.________. Dans ces circonstances, on ne saurait prétendre,comme le fait la recourante en citant divers auteurs de doctrine, quel'entraide serait accordée sans aucun soupçon d'acte criminel commis dansl'Etat requérant.Pour le surplus, les explications de la recourante quant à la transparence età la régularité des opérations de rachat n'ont pas leur place dans laprocédure d'entraide. 4.La recourante invoque enfin le principe de la double incrimination, mais ellele fait essentiellement en rapport avec l'infraction de financement duterrorisme, activité qui pourrait selon elle être couverte par la réserve del'art. 260quinquies al. 3 CP. Or, il apparaît que cette infraction estretenue à propos de l'intervention d'une autre société, elle aussi visée parl'ordonnance de clôture. Les investigations au sujet du compte de larecourante ont pour but de vérifier la provenance des deux versements opérésen décembre 2002, ainsi que la destination ultérieure des fonds, en raisonDES SOUPÇONS D'activité de BLANCHIMENT. Supposée avérée, une telle activitéserait punissable en droit suisse, ce que la recourante ne contested'ailleurs pas. Son argumentation tombe par conséquent à faux. 5.Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit administratif doit êtrerejeté dans la mesure de sa recevabilité, aux frais de la recourante (art.156 al. 1 OJ). Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable. 2.Un émolument judiciaire de 5000 fr. est mis à la charge de la recourante. 3.Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante et auMinistère public de la Confédération ainsi qu'à l'Office fédéral de lajustice (B 95410). Lausanne, le 15 mai 2006 Au nom de la Ire Cour de droit publicdu Tribunal fédéral suisse Le juge présidant: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.6/2006
Date de la décision : 15/05/2006
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-05-15;1a.6.2006 ?
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