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12/05/2006 | SUISSE | N°6S.496/2005

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 12 mai 2006, 6S.496/2005


{T 0/2}
6S.496/2005 /viz

Arrêt du 12 mai 2006
Cour de cassation pénale

MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger, Kolly, Karlen et Zünd.
Greffière: Mme Kistler.

A. ________, recourant,
représenté par Me Yaël Hayat, avocate,

contre

Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3.

Actes préparatoires délictueux (art. 260bis CP),

pourvoi en nullité contre l'arrêt de la Cour de
justice du canton de Genève, Chambre pénale,
du 21 novembre 2005.

Faits:

A.r>A fin mars et début avril 2002, A.________ s'est rendu à Genève avec deux
comparses en vue de commettre des braquages à main armée. Lors de leur
...

{T 0/2}
6S.496/2005 /viz

Arrêt du 12 mai 2006
Cour de cassation pénale

MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger, Kolly, Karlen et Zünd.
Greffière: Mme Kistler.

A. ________, recourant,
représenté par Me Yaël Hayat, avocate,

contre

Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3.

Actes préparatoires délictueux (art. 260bis CP),

pourvoi en nullité contre l'arrêt de la Cour de
justice du canton de Genève, Chambre pénale,
du 21 novembre 2005.

Faits:

A.
A fin mars et début avril 2002, A.________ s'est rendu à Genève avec deux
comparses en vue de commettre des braquages à main armée. Lors de leur
déplacement, ils ont emporté le matériel nécessaire à ces hold-up, dont une
arme à feu, des cagoules et des liens pour les mains. A.________ a ensuite
fourni des cartes SIM et utilisé ses relations genevoises pour obtenir des
logements gratuits pour tous et pour choisir trois cibles à proximité du
logement de ses partenaires.
Comme une connaissance leur a déconseillé le hold-up de la station d'essence,
qui était étroitement surveillée par des caméras, et qu'elle a refusé de
participer à tout brigandage, les trois comparses ont abandonné leur projet
délictueux au profit d'un trafic de drogues, réalisable plus facilement.

B.
Par jugement du 15 avril 2005, le Tribunal de police du canton de Genève a
condamné A.________ à une peine de trois ans de réclusion, sous déduction de
la détention préventive, pour complicité d'infraction grave à la loi fédérale
sur les stupéfiants (art. 25 CP et 19 LStup), rupture de ban (art. 291 CP) et
actes préparatoires délictueux (art. 260bis al. 1 CP). Il a cependant déclaré
non punissables les actes préparatoires délictueux, au motif que A.________
s'était désisté, conformément à l'art. 260bis al. 2 CP. Il a expliqué que, si
A.________ avait poussé les projets avec ses acolytes jusqu'à déterminer
trois cibles potentielles, les trois comparses n'avaient cependant pas
effectué tous les actes préparatoires lors de l'abandon de leurs projets,
puisqu'ils n'avaient pas encore procédé à des repérages ou autres
observations précises.

C.
Statuant le 21 novembre 2005 sur appels de A.________ et du Ministère public
genevois, la Cour de justice genevoise a libéré A.________ des fins de la
poursuite pénale pour rupture de ban, mais n'a pas admis qu'il s'était
désisté des actes préparatoires délictueux selon l'art. 260bis al. 2 CP. Elle
a maintenu la peine à trois ans de réclusion et ordonné l'expulsion de
A.________ du territoire suisse pour une durée de quatre ans.
En ce qui concerne les actes préparatoires délictueux, elle a retenu ce qui
suit:
"Certes, les trois partenaires ont décidé de renoncer au brigandage pour
consacrer leurs efforts à un autre but, à savoir un trafic de drogues.
Toutefois, rien n'indique que de nombreux actes préparatoires supplémentaires
devaient précéder le hold-up envisagé, selon le plan criminel initial.
LeMinistère public relève d'ailleurs à juste titre qu'au moins l'une des
cibles se trouvait à proximité immédiate du logement mis à disposition des
comparses: ils pouvaient donc facilement passer à l'attaque, puis se réfugier
dans ledit appartement.

(...) Il y a lieu d'admettre que l'appelant, déjà condamné à plusieurs
reprises notamment pour des vols, a commis des actes délictueux punissables
(...), avant de renoncer, de concert avec ses comparses, non pas à une
activité préparatoire supplémentaire d'une certaine importance, mais
seulement à l'exécution du brigandage lui-même. Faute de désistement de son
activité préparatoire punissable, il ne mérite pas l'exemption de toute peine
prévue par l'art. 260bis alinéa 2 CP".

D.
Contre l'arrêt cantonal, A.________ dépose un pourvoi en nullité devant le
Tribunal fédéral. Il conclut à l'annulation de la décision attaquée. En
premier lieu, il soutient que la Cour de justice genevoise a violé le droit
fédéral en ne retenant pas qu'il s'était désisté des actes préparatoires
délictueux (art. 260bis al. 2 CP). En outre, il critique l'application des
art. 41, 55 et 63 CP. Enfin, il sollicite l'assistance judiciaire.
Le Ministère public genevois conclut au rejet du pourvoi.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Sous le titre marginal "actes préparatoires délictueux", l'art. 260bis CP
punit de la réclusion pour cinq ans au plus ou de l'emprisonnement celui qui
aura pris, conformément à un plan, des dispositions concrètes d'ordre
technique ou organisationnel, dont la nature et l'ampleur indiquent qu'il
s'apprêtait à passer à l'exécution d'un meurtre, d'un assassinat, de lésions
corporelles graves, d'un brigandage, d'une séquestration et d'un enlèvement,
d'une prise d'otage, d'un incendie intentionnel ou d'un génocide.
L'art. 260bis CP réprime ainsi, de manière autonome, des actes qui
constituent une étape vers la réalisation de l'infraction projetée. Les actes
préparatoires délictueux interviennent avant que ne commence la tentative au
sens de l'art. 21 CP. Lorsque le crime projeté est commis ou tenté, les actes
préparatoires sont absorbés dans la sanction du crime ou de sa tentative et
ne doivent plus être retenus (ATF 115 IV 121 consid. 2b p. 124).

1.2 Il ressort des constatations cantonales que le recourant et ses deux
comparses se sont procurés le matériel nécessaire pour se livrer à des
hold-up, à savoir une arme à feu, des cagoules et des liens pour les mains,
et qu'ils ont envisagé trois cibles. Ces circonstances ne suffisent pas pour
conclure que le recourant a franchi le pas décisif du commencement de
l'exécution et admettre la tentative (sur le commencement d'exécution, cf.
ATF 119 IV 224 consid. 2 p. 227; 117 IV 369 consid. 9 p. 384, 395 consid. 3
p. 396; 114 IV 112 consid. 2c/bb p.114). De l'avis unanime de la doctrine,
le fait de se procurer des instruments ou de réunir les moyens pratiques de
l'exécution constituent cependant des dispositions d'ordre technique au sens
de l'art. 260bis al. 1 CP (cf. notamment Corboz, Les infractions en droit
suisse, vol. II, Berne 2002, art. 260bis, n. 14; Stratenwerth,
Schweizerisches Strafrecht, Besonderer Teil II, 4e éd., Berne 1995, § 40, n.
8). Lerecourant s'est ainsi rendu coupable d'actes préparatoires délictueux
au sens de l'art. 260bis al. 1 CP. Il ne le conteste du reste pas, mais
soutient qu'il s'est désisté des actes préparatoires au sens de l'art. 260bis
al. 2 CP, dès lors que lui et ses comparses ont renoncé à leurs projets de
brigandages, au profit d'un autre projet, portant sur un trafic de
stupéfiants.

2.
L'art. 260bis al. 2 CP prévoit que sera exempté de toute peine le délinquant
qui, de son propre mouvement, aura renoncé à poursuivre jusqu'au bout son
activité préparatoire.

2.1 Pour la Cour cantonale, cette disposition n'est pas applicable, car les
trois comparses ont exécuté l'ensemble des actes préparatoires planifiés et
n'auraient ainsi pas renoncé à une activité préparatoire d'une certaine
importance, mais seulement à l'exécution du brigandage lui-même. D'après le
recourant, les trois comparses auraient en revanche abandonné leur projet
délictueux au stade des actes préparatoires, car il leur appartenait encore
de procéder aux repérages des lieux.

2.2 Selon la jurisprudence, le désistement porte sur les actes préparatoires
et non sur l'exécution du délit projeté (ATF 118 IV 366 consid. 3a p. 369;
115 IV 121 consid. 2b p.124). Lorsque le délinquant n'a pas encore mené à
chef tous les actes préparatoires planifiés (mais qu'il a accompli à tout le
moins l'un des actes préparatoires prévus par l'art. 260bis al. 1 CP), la
jurisprudence applique par analogie l'art. 21 al.2 CP. Il suffit alors, pour
que l'on puisse admettre le désistement du délinquant, que de son propre
mouvement il ait renoncé à exécuter une partie importante des actes
préparatoires (ATF 118 IV 366 consid. 3a p. 369; 115 IV 121 consid. 2f p.
127). En revanche, si le délinquant a entièrement exécuté les actes
préparatoires planifiés, il ne suffit pas qu'il se limite à ne pas commettre
le délit principal. De même qu'en cas de délit manqué (ou de tentative
achevée), il doit effectuer des actes de repentir actif. Il doit démontrer
qu'il n'est pas disposé à passer à l'exécution du délit principal, soit en
supprimant certains préparatifs (par exemple en jetant les armes qu'il s'est
déjà procurées), soit en accomplissant de toute autre manière des actes
desquels il résulte qu'il entend rendre impossible ou au moins
particulièrement ardue la commission du délit principal (ATF 118 IV 366
consid. 3a p. 369; 115 IV 121 consid. 2g p. 128).

2.3 La preuve du désistement peut poser des difficultés lorsque le
délinquant, arrêté par la police, affirme avoir renoncé à son projet
criminel. Le juge devra alors déterminer s'il s'agit d'une simple pause ou si
le délinquant a véritablement renoncé à son plan criminel (Corboz, op. cit.,
art. 260bis, n. 29; Jean-François Meylan, Les actes préparatoires délictueux
en droit pénal suisse (art. 260bis CP), Lausanne 1990, thèse lausannoise, p.
121 s.). En exigeant que le délinquant manifeste son intention de se désister
par des actes de repentir actif, la jurisprudence facilite, dans une certaine
mesure, le travail du juge qui pourra alors se convaincre, sur la base du
comportement du délinquant, qu'il y a eu renonciation (Grace Schild,
Strafbefreiender Rücktritt von den Strafbaren Vorbereitungshandlungen gemäss
Art. 260bis Abs. II StGB, recht 1993 p. 101 ss, spéc. p. 105). Le problème de
preuve ne sera cependant que déplacé. Le délinquant pourra en effet toujours
prétendre qu'il n'a pas exécuté tous les actes préparatoires planifiés et
que, par conséquent, sa simple renonciation devrait entraîner l'application
de l'art. 260bis al. 2 CP, affirmation que le juge aura de la peine à réfuter
(Schild, op. cit., p. 106). Le présent cas en est du reste un exemple,
puisque le recourant soutient qu'il devait aller encore repérer les lieux.
D'application difficile, la jurisprudence actuelle introduit en outre une
inégalité entre celui qui renonce alors qu'il a entièrement achevé les
préparatifs planifiés, et celui qui franchit le pas suivant et commence
l'exécution. Le premier devra agir activement pour démontrer qu'il est prêt à
ne pas passer à l'acte et prétendre à l'application de l'art. 260bis al. 2 CP
(exemption obligatoire), alors qu'il suffira au second de renoncer à son
projet pour bénéficier de l'art. 21 al. 2 CP (exemption facultative) (Corboz,
op. cit., art. 260bis, n. 32).
Pour ces raisons principalement, la doctrine critique l'application par
analogie de l'art. 22 al. 2 CP au désistement des actes préparatoires. Selon
Stratenwerth, l'art. 260bis al. 2 CP devrait s'appliquer dès que le
délinquant a spontanément abandonné son plan criminel, quel que soit son
stade d'avancement, mais avant le commencement de l'exécution de l'infraction
planifiée. Cet auteur désapprouve les conditions posées par la jurisprudence,
selon lesquelles le délinquant devrait supprimer certains préparatifs ou
manifester de manière particulière qu'il n'est plus prêt à commettre
l'infraction projetée (Stratenwerth, op. cit., § 40, n. 13). L'avis de
Stratenwerth est partagé par Corboz, Schubarth, Schild et Baumgartner, qui
proposent d'appliquer l'art. 260bis al. 2 CP au délinquant qui renonce à son
projet, avant le commencement de l'exécution, sans distinguer selon qu'il a
accompli ou non tous les actes préparatoires planifiés (Corboz, op. cit.,
art. 260bis, n. 32; Schubarth, Kommentar zum schweizerischen Strafrecht,
Schweizerisches Strafgesetzbuch, Besonderer Teil, vol. 2, Berne 1990, art.
139, n. 72 ss; Schild, op. cit., p. 101 ss; Baumgartner, Basler Kommentar,
Strafgesetzbuch II, 2002, art. 260bis, n. 14).
Les objections émises par la doctrine sont convaincantes. Il convient donc
d'abandonner la jurisprudence, qui distingue selon que le délinquant a ou non
accompli l'entier des actes préparatoires qui lui incombaient et exige dans
le premier cas des actes de repentir actif. Avec la doctrine, il faut
admettre que l'art. 260bis al. 2 CP sera applicable au délinquant qui aura
renoncé spontanément à son projet délictueux, quel que soit le stade des
préparatifs, mais avant le commencement de l'exécution de l'infraction
préparée. La phase préparatoire ne sera ainsi terminée qu'au moment du
commencement de la tentative. Ils'ensuit que, si le délinquant renonce alors
que les actes préparatoires ne sont pas terminés, il faudra appliquer l'art.
260bis al. 2 CP (exemption obligatoire). S'il abandonne son projet après
avoir franchi le pas décisif, c'est l'art. 21 al. 2 CP qui sera applicable
(exemption facultative). Le but de la punissabilité des actes préparatoires
ne devient pas pour autant illusoire, car les autres conditions du
désistement, notamment celle d'agir de son propre mouvement, doivent être
encore réalisées.

2.4 En l'espèce, le recourant qui a renoncé à son projet de hold-up avant de
franchir le seuil décisif s'est donc désisté des actes préparatoires. Encore
faut-il déterminer s'il a agi de "son propre mouvement". Pour que cette
condition soit remplie, le délinquant doit abandonner l'exécution de son plan
librement, c'est-à-dire de lui-même, sans pressions extérieures, et ce quelle
que soit la valeur morale de cette motivation (ATF 118 IV 366 consid. 3a p.
369 s.). C'est notamment le cas lorsqu'il renonce à son projet par peur des
risques pénaux, ou parce qu'il a honte ou pitié de sa victime. L'existence du
désistement spontané n'exclut pas que le délinquant prenne conseil auprès
d'un tiers (ATF 115 IV 121 consid. 2h p. 129).
Selon les constatations cantonales, le recourant et ses comparses ont renoncé
à leur projet après qu'une connaissance leur a déconseillé le hold-up de la
station d'essence, qui était étroitement surveillée par des caméras, et
qu'elle a refusé de participer à tout brigandage. C'est donc bien de lui-même
que le recourant a abandonné son idée de brigandage. Peu importe qu'il ait
suivi les conseils d'un tiers et que des considérations morales n'aient pas
joué de rôle. Il n'en reste pas moins que le recourant a renoncé de son
propre mouvement à des préparatifs. En ne faisant pas application de l'art.
260bis al. 2 CP, la Cour cantonale a donc violé le droit fédéral. Le pourvoi
doit ainsi être admis, l'arrêt attaqué doit être
annulé et renvoyé à la Cour
cantonale pour qu'elle statue à nouveau dans le sens des considérants et fixe
en conséquence une nouvelle peine.

3.
Comme le recourant obtient gain de cause, il ne sera pas perçu de frais et
une indemnité lui sera allouée. La requête d'assistance judiciaire devient
ainsi sans objet.
Vu l'issue du pourvoi, la requête d'effet suspensif est sans objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le pourvoi est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à
la cour cantonale pour nouvelle décision.

2.
Il n'est pas perçu de frais.

3.
La Caisse du Tribunal fédéral versera au recourant une indemnité de 3'000
francs à titre de dépens.

4.
La requête d'assistance judiciaire est sans objet.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Procureur général du canton de Genève et à la Cour de justice genevoise,
Chambre pénale.

Lausanne, le 12 mai 2006

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6S.496/2005
Date de la décision : 12/05/2006
Cour de cassation pénale

Analyses

Actes préparatoires délictueux; désistement (art. 260bis al. 2 CP). L'art. 260bis al. 2 CP s'applique dès que le délinquant a, de son propremouvement, abandonné son plan criminel, quel que soit le stade despréparatifs, mais avant le commencement de l'exécution de l'infractionpréparée (changement de jurisprudence; consid. 2).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-05-12;6s.496.2005 ?
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