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04/05/2006 | SUISSE | N°4C.32/2006

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 04 mai 2006, 4C.32/2006


{T 0/2}4C.32/2006/ech Arrêt du 4 mai 2006Ire Cour civile MM. et Mme les Juges Corboz, président, Favre et Kiss.Greffier: M. Carruzzo. A. ________,B.________,défendeurs et recourants,tous deux représentés par Me Marco Crisante, contre X.________ SA,demanderesse et intimée, représentée par Me Malika Salem Thévenoz. contrat d'entreprise; prescription, recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justicedu canton de Genève du 16 décembre 2005. Faits: A.A.a X.________ SA est une société anonyme, inscrite au registre du commercede Genève. Entre autres activitÃ

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{T 0/2}4C.32/2006/ech Arrêt du 4 mai 2006Ire Cour civile MM. et Mme les Juges Corboz, président, Favre et Kiss.Greffier: M. Carruzzo. A. ________,B.________,défendeurs et recourants,tous deux représentés par Me Marco Crisante, contre X.________ SA,demanderesse et intimée, représentée par Me Malika Salem Thévenoz. contrat d'entreprise; prescription, recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justicedu canton de Genève du 16 décembre 2005. Faits: A.A.a X.________ SA est une société anonyme, inscrite au registre du commercede Genève. Entre autres activités, elle exploite une entreprise généralechargée de gros travaux dans le secteur de la construction. C.________ estl'un de ses trois administrateurs. A. ________, avocat à Genève, comptait X.________ au nombre de ses clients.Il entretenait de bonnes relations avec C.________. B. ________ est le fils de l'avocat prénommé. A.b Le 30 août 1996, X.________ a adressé à l'"Etude d'avocat, A.________"une facture n° 306/96 de 2'289 fr. 75 pour des travaux de nettoyage et deremise en état d'un appartement qu'avait occupé B.________ à Genève. Cettefacture a été payée. A.c Le 30 août 1996 toujours, X.________ a envoyé à la même adresse unefacture n° 307/96 de 25'000 fr. relative à des travaux exécutés dans unappartement nouvellement loué par B.________ à Genève. La partie la plus importante des travaux facturés était ainsi libellée: "Masticage des plafonds, arrachage des papiers peints, masticage murs etlissage. Piquage de l'ancien crépi à la cuisine. Fourniture et pose d'unepaille d'avoine, application d'une peinture, soit couche de fond et 2 couchesde peinture. Ponçage et application d'une peinture aux boiseries, soitarmoires, plinthes, portes et cadres de portes. Création d'une douche en dur,avec plaques Alba, ainsi que fourniture de faïences intérieur et extérieur.Evacuation du contenu à la décharge. Réaménagement de l'appartement..." La facture mentionnait encore des interventions touchant les sanitaires, destravaux de menuiserie et parquets, tels que l'ajustage et le réglage desportes et des fenêtres, la pose de contre-plinthes, la réparation du parquetdu salon et de deux chambres, ainsi que la pose de lino à l'entrée et dans unréduit. S'y ajoutaient divers travaux d'électricité pour un montant de 2'035fr.L'ensemble de ces postes représentait 320 heures de main-d'oeuvre. Aucune suite n'a été donnée à ladite facture. Le 28 octobre 1996, A.________, en sa qualité d'avocat de X.________, aadressé à cette société un décompte concernant dix affaires pendantes. Aucunemention de compensation avec d'éventuels travaux en cours n'y figurait. A.d Par courriers des 2 mai et 1er décembre 2001, restés sans suite,X.________ a rappelé à A.________ l'existence de la facture en souffrance,soulignant que, de ce fait, C.________, étant donné leurs bonnes relations,se voyait placé dans une situation désagréable, contraint qu'il était par sadirection de recouvrer le montant impayé. En réponse à une ultime mise en demeure de X.________ du 14 janvier 2002,A.________ a prié celle-ci de lui faire parvenir une copie de la facturelitigieuse, ainsi que de deux autres factures antérieures, "tous droitsréservés". A cette occasion, il a admis avoir envisagé d'aider financièrementson fils. Le 22 octobre 2003, un commandement de payer la somme de 25'000 fr., selonfacture du 30 août 1996, a été notifié à A.________ à la requête deX.________. Il a été frappé d'opposition. B.________ a, lui aussi, forméopposition au commandement de payer qui lui a été notifié ultérieurement pourla même créance. Dans un courrier du 18 février 2004, A.________ a contesté être débiteur dela facture litigieuse, affirmant s'être limité à mettre X.________ en contactavec son fils. Il a qualifié d'exorbitant le montant réclamé pour un ouvragedéfectueux, tout en précisant qu'il avait renoncé à s'en plaindre, àl'époque, par souci de ne pas mettre en péril ses relations avec sa clienteX.________. L'avocat a en outre excipé de la prescription. B.Le 30 août 2004, X.________ a assigné solidairement A.________ et B.________en paiement de 25'000 fr., intérêts en sus. La demanderesse a encore requisla levée définitive des oppositions aux commandements de payer précités. Les défendeurs, agissant conjointement, ont conclu au rejet de la demande,notamment pour cause de prescription. A.________ a contesté, quant à lui, salégitimation passive.Statuant le 23 juin 2005, le Tribunal de première instance du canton deGenève a débouté la demanderesse de toutes ses conclusions. Pour ce faire,après avoir admis la légitimation passive des deux défendeurs, il a considéréque la créance litigieuse tombait sous le coup de l'art. 128 ch. 3 CO, sibien qu'elle était prescrite, le premier acte interruptif de prescriptionétant intervenu plus de cinq ans après l'achèvement des travaux. Saisie d'un appel de la demanderesse, la Chambre civile de la Cour dejustice, par arrêt du 16 décembre 2005, a annulé le jugement de premièreinstance, condamné solidairement les défendeurs à verser à la demanderesse lasomme de 25'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 22 octobre 2003 et prononcé lamainlevée définitive des oppositions aux commandements de payersusmentionnés. L'autorité d'appel a estimé, à l'inverse du premier juge, quela créance contestée se prescrivait par dix ans, conformément à la règlegénérale de l'art. 127 CO. C.Les défendeurs interjettent un recours en réforme au terme duquel ilsinvitent le Tribunal fédéral à constater que la créance en cause estprescrite, vu l'art. 128 ch. 3 CO, et, partant, à débouter la demanderesse detoutes ses conclusions. Dans sa réponse, la demanderesse conclut principalement à l'irrecevabilité durecours et, subsidiairement, au rejet de celui-ci. Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.Interjeté par les défendeurs, qui se sont opposés sans succès à l'admissiondes conclusions de la demanderesse, le présent recours est en principerecevable puisqu'il vise une décision finale rendue en dernière instancecantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ), dans une contestationcivile dont la valeur litigieuse dépasse le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ),qu'il a été déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ en liaison avec l'art. 34al. 1 let. c OJ) et qu'il a été établi dans les formes requises (art. 55 OJ). 2.2.1Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral, mais nonpour violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 OJ)ou pour violation du droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c p. 252). Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire sonraisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décisionattaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aientété violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant sur uneinadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter lesconstatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu comptede faits pertinents et régulièrement allégués (art. 64 OJ). Dans la mesure oùune partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de celui contenudans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une de cesexceptions, il n'est pas possible d'en tenir compte (ATF 130 III 102 consid.2.2 p. 106, 136 consid. 1.4). Il ne peut être présenté de griefs contre lesconstatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est pas ouvert pour remettre encause l'appréciation des preuves et les constatations de fait qui endécoulent (ATF 130 III 136 consid. 1.4; 129 III 618 consid. 3). 2.2 Sur deux points essentiels, les défendeurs s'écartent indûment de l'étatde fait de l'arrêt attaqué. Il en va ainsi, en premier lieu, lorsqu'ils contestent que les travauxlitigieux aient impliqué des tâches de planification, d'organisation etd'administration allant au-delà de celles qu'un artisan assumetraditionnellement. La constatation contraire, faite par les juges cantonaux,lie la juridiction fédérale de réforme. Sous le couvert de la violation de l'art. 8 CC, les défendeurs s'en prennent,en second lieu, à la constatation selon laquelle les travaux en cause ontconsisté, notamment, en "la création d'une salle d'eau". Leur critiquetouchant cette constatation ne relève pas de l'application de la dispositioncitée, mais bien de l'appréciation des preuves. Ils utilisent, du reste,l'adverbe "arbitrairement" dans l'énoncé de leur grief. Comme telle, cettecritique n'a pas sa place dans un recours en réforme. 3.La question de la légitimation passive de A.________, celle d'éventuelsdéfauts dont serait entaché l'ouvrage exécuté par la demanderesse, de mêmeque celle ayant trait à l'ampleur de la créance de cette dernière ne sontplus litigieuses à ce stade de la procédure. De fait, les défendeurs nesoulèvent aucun grief sur ces trois points. Il n'y a donc pas lieu de s'yarrêter (cf. art. 55 al. 1 let c OJ). Seule reste, dès lors, à résoudre la question du délai de prescriptionapplicable à la créance invoquée en justice. Il n'est pas contesté que, aumoment où la demanderesse a fait valoir ses droits par des poursuites,interrompant ainsi la prescription si elle n'était pas déjà acquise (cf. art.135 ch. 2 CO), le délai de prescription décennal (art. 127 CO) n'était pasencore échu, au contraire du délai de prescription quinquennal (art. 128 ch.3 CO). 4.4.1En vertu de l'art. 128 ch. 3 CO, les actions des artisans, pour leurtravail, se prescrivent par cinq ans. Selon la jurisprudence, la notion de travail artisanal doit être réservée auxtravaux qui non seulement ne nécessitent pas l'emploi de technologiesspéciales, mais aussi qui n'impliquent pas le recours à des mesuresd'organisation particulières (ATF 123 III 120 consid. 2). Comme le souligne àjuste titre un auteur, cette jurisprudence est plus restrictive que lajurisprudence antérieure, en ce sens qu'elle ne se contente plus de la naturedu travail exécuté, pour définir le travail artisanal au sens de l'art. 128ch. 3 CO, mais y ajoute une seconde condition, cumulative, à savoir l'absencede la nécessité de mesures de planification et de coordination avec d'autrescorps de métier, que ces mesures aient trait au personnel ou aux délais(Pascal Pichonnaz, Commentaire romand, n. 16 et 18 ad art. 128 CO, p. 751). La question de savoir si un travail déterminé est un travail artisanal ou nonpeut soulever des difficultés, car la frontière est fluctuante (pour unecasuistique, cf. Peter Gauch, Le contrat d'entreprise, n. 1291 et s.; voiraussi: Pichonnaz, op, cit., n. 18 ad art. 128 CO, p. 752). Il en va ainsi, enparticulier, lorsque la prestation effectuée comprend diverses prestationspartielles de différente nature. En pareille hypothèse, la réponse à cettequestion suppose que l'on porte un jugement de valeur sur la prestationd'ensemble plutôt que de se fonder simplement sur la prestation partielledont le montant, selon le contrat ou la facture, est le plus élevé (arrêt4C.416/1995 du 20 mai 1996, consid. 2a). Contrairement à ce que la lettre du texte français de l'art. 128 ch. 3 COpourrait laisser penser, c'est la nature du travail (Handwerksarbeit, selonla terminologie allemande), et non la qualité de celui qui l'effectue (petitartisan ou gros entrepreneur), qui est déterminante pour l'application decette disposition (Gauch, op. cit., n. 1294; Pierre Tercier, Les contratsspéciaux, 3e éd., n. 4375). Peu importe donc, à cet égard, que l'artisantravaille seul ou avec des employés, voire qu'il recoure à des auxiliaires ouà des sous-traitants (Gauch, ibid.; Pichonnaz, op. cit., n. 17 ad art. 128CO). Comme l'art. 128 ch. 3 CO consacre une exception à la règle généraleconcernant la prescription des créances, il doit être interprétérestrictivement. Dans le doute, on appliquera le délai de prescription del'art. 127 CO, en particulier lorsque le travail considéré représente plusqu'un simple travail courant ou de routine (ATF 123 III 120 consid. 2a, p.122 in fine et les auteurs cités). 4.2 Appliquant ces principes au cas particulier, la Cour de justice enconclut que la créance litigieuse ne revêt assurément pas le caractère d'unecréance d'artisan. Selon les juges d'appel, la demanderesse n'est pas une entreprise artisanale,mais une entreprise générale chargée de gros travaux. En l'occurrence, ellen'a pas ou peu mis en oeuvre ses ouvriers, détachant sur place uncontremaître chargé du contrôle de l'activité du personnel temporaire affectéà des tâches variées de maçonnerie, de carrelage, de plomberie, de gypserie,de pose de papiers peints, de menuiserie et de déblaiement. Cela nécessitaitune activité de coordination, de nature administrative. La diversité destâches accomplies, à mettre en relation avec la taille modeste del'appartement litigieux, de même que le nombre important d'heures effectuées,attestant de l'ampleur des travaux, démontrent qu'il s'est agi de réaménagercomplètement cet appartement. De surcroît, toujours selon la cour cantonale, la création d'une salle d'eaudans un appartement qui n'en comporte pas et l'exécution de travaux danstoutes les pièces, du sol au plafond, militent en faveur d'une activité nonartisanale.L'ensemble de ces activités impliquait des tâches de planification,d'organisation et d'administration allant au-delà de celles qu'un artisanassume traditionnellement et qui doivent être assimilées à cellesqu'accomplit un entrepreneur, au sens où on l'entend généralement. En d'autres termes, conclut la Cour de justice, on n'est pas en présenced'une affaire courante (Alltagsgeschäft) justifiant une liquidationparticulièrement rapide. Dans ces conditions, le travail accompli n'étant pasartisanal, il convient de s'en tenir au délai usuel de prescription de dixans. 4.3 L'argumentation ainsi développée par les juges cantonaux n'apparaît pascontraire au droit fédéral, sinon dans tous ses éléments, du moins dans sonensemble. Certes, la Cour de justice met à tort l'accent sur la nature de l'entrepriseexploitée par la demanderesse et sur le fait que celle-ci a eu recours à dupersonnel temporaire, ces deux critères n'étant pas déterminants selon lajurisprudence et la doctrine susmentionnées. En revanche, c'est à bon droitqu'elle tire argument de la diversité et de l'ampleur des travaux dontl'exécution a été confiée à la demanderesse, ainsi que des mesures deplanification et de coordination que cette circonstance impliquait, pour endéduire que l'on est pas en présence de travaux artisanaux au sens de l'art.128 ch. 3 CO et de la jurisprudence y relative. Un doute subsisterait-ild'ailleurs à ce propos qu'il devrait entraîner l'application de l'art. 127CO. Pour tenter de réfuter cette argumentation, les défendeurs se bornent àremettre en question la nécessité des mesures de planification,d'organisation et d'administration, au motif que le dossier ne contient aucunélément de preuve à ce sujet. Ce faisant, ils s'en prennent de manièreirrecevable à une constatation souveraine des juges d'appel,
comme on l'adéjà relevé par ailleurs (cf. consid. 2.2). Enfin, lorsque les défendeurs comparent les travaux effectués par lademanderesse avec ceux qui sont indiqués, dans la jurisprudence précitée,comme exemples de travaux artisanaux (ATF 123 III 120 consid. 2a, p. 122 inmedio), ils méconnaissent que la cour cantonale avait à émettre un jugementde valeur sur les travaux dans leur ensemble, et non pas à qualifier telle outelle prestation partielle de la demanderesse.Il suit de là que les juges précédents n'ont pas violé l'art. 128 ch. 3 CO enadmettant que la créance litigieuse n'était pas prescrite. 5.Dans ces conditions, les défendeurs, qui succombent, seront condamnéssolidairement à payer l'émolument judiciaire (art. 156 al. 1 et 7 OJ) et àverser des dépens à la demanderesse (art. 159 al. 1 et 5 OJ). Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 2.Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge des recourants,solidairement entre eux. 3.Les recourants sont condamnés solidairement à verser à l'intimée uneindemnité de 2'500 fr. à titre de dépens. 4.Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à laChambre civile de la Cour de justice du canton de Genève. Lausanne, le 4 mai 2006 Au nom de la Ire Cour civiledu Tribunal fédéral suisse Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.32/2006
Date de la décision : 04/05/2006
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-05-04;4c.32.2006 ?
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