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04/05/2006 | SUISSE | N°4C.23/2006

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 04 mai 2006, 4C.23/2006


{T 0/2}4C.23/2006 /svc Arrêt du 4 mai 2006Ire Cour civile MM. les Juges Corboz, président, Nyffeler et Favre.Greffière: Mme Cornaz. X. ________,défenderesse et recourante, représentée parMe Patrick Schellenberg, avocat, contre Y.________,demandeur et intimé, représenté par Mes Jean-Charles Roguet et/ou SergeCalame. contrat de travail; licenciement immédiat, recours en réforme contre l'arrêt de la Cour d'appelde la juridiction des prud'hommes du canton de Genève du 17 novembre 2005. Faits: A.X. ________ est une organisation internationale non gouvernementale, à butnon lucratif, do

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{T 0/2}4C.23/2006 /svc Arrêt du 4 mai 2006Ire Cour civile MM. les Juges Corboz, président, Nyffeler et Favre.Greffière: Mme Cornaz. X. ________,défenderesse et recourante, représentée parMe Patrick Schellenberg, avocat, contre Y.________,demandeur et intimé, représenté par Mes Jean-Charles Roguet et/ou SergeCalame. contrat de travail; licenciement immédiat, recours en réforme contre l'arrêt de la Cour d'appelde la juridiction des prud'hommes du canton de Genève du 17 novembre 2005. Faits: A.X. ________ est une organisation internationale non gouvernementale, à butnon lucratif, dont le siège social est au Canada. Elle possède de nombreusesreprésentations dans le monde entier, dont une à Genève.Au printemps 1990, X.________ a engagé Y.________, économiste, comme managerdu département des services financiers à Genève. Comme chaque année, elle asoumis à son collaborateur, pour signature, ses directives internesdéfinissant les règles d'affaires et éthiques régissant le comportement deson personnel et dont la transgression peut entraîner des sanctionsdisciplinaires, non spécifiées. Sont notamment prohibés les conflitsd'intérêts, directs ou indirects, et la participation à des transactionsfinancières qui pourraient nuire à l'image de X.________. Une participationn'excédant pas 5% du capital-actions d'une société anonyme cotée en bourse neserait pas constitutive d'un conflit d'intérêts.En 1996, Y.________ a été nommé en poste à Singapour avant de revenir àGenève pour occuper, dès le 1er juillet 1999, le poste d'administrateur desopérations de l'A.________. En réalité, il a dirigé la branche mondialeA.________ dès le 1er janvier 1999, comptant huit cents employés, répartisdans nonante bureaux régionaux, situés dans soixante-huit pays, avec unbudget de 80 millions US$, alors que l'A.________ gérait 130 milliards US$.Y.________ avait huit subordonnés directs, directeurs de systèmes ou bureauxrégionaux.Les activités de Y.________ ont été hautement appréciées, de manièresystématiquement élogieuse, les performances financières de l'A.________produisant le plus important profit pour X.________ et se répercutantfavorablement sur les salaires.En 2003, le dernier salaire mensuel brut de Y.________ s'est élevé à 18'163fr.; sa gratification annuelle, pour l'exercice 2002, était de 40'500 fr., unmontant proche du maximum possible.En avril 2001, X.________ a mandaté un consultant, aux fins d'étendre lagamme de ses produits, et a approché une société de droit britannique,B.________ Ltd (ci-après: B.________). Pour conduire ce projet, elle aconstitué un comité de pilotage présidé par C.________, seniorvice-president, et comprenant six membres, dont D.________ et Y.________. Cedernier, en raison de sa connaissance du système "xxx" a fonctionné commerépondant de X.________ pour conduire les négociations avec B.________. Ildevait référer de leur évolution au comité de pilotage, une situation qui n'adonné lieu à aucune plainte, d'après la procédure cantonale.Le 25 mars 2002, D.________ et Y.________ sont entrés au conseild'administration de B.________, le premier comme directeur des opérations etle second en tant que président et directeur général. Ces deux personnes,rémunérées par X.________, n'étaient pas salariées de B.________. Auparavant,le 28 février 2002, le conseil d'administration de B.________ avait décidéque les directeurs de cette société devaient souscrire une part de soncapital-obligations, investissement convertible en actions B.________. Lesvingt souscripteurs ont pris des engagements à hauteur de 514'250US$.Y.________ apparaît personnellement pour 100'000US$ et une société danslaquelle D.________ avait des intérêts pour 25'000 US$. Selon Y.________,cette souscription était destinée à fournir des liquidités à B.________. Leprêt n'aurait pas été converti en actions B.________, de sorte que Y.________ne serait jamais devenu actionnaire de cette société, ce qui s'est avéréfaux. Celui-là n'a informé personne, au sein de X.________, de cetinvestissement.En mai 2002, quatre responsables de X.________, dont C.________ etY.________, ont étudié un projet de contrat entre cette dernière etB.________ qu'ils ont approuvé par la signature, le 27 mai 2002, d'un"Contract Clearance Form". Cet accord prévoyait notamment la mise àdisposition du service informatique de X.________ à B.________, contre lepaiement d'une redevance annuelle pendant dix ans, à la condition queB.________ obtienne le financement nécessaire au projet, soit au minimum7'000'000 US$, dans un délai d'un an.Le 28 mai 2002, X.________, agissant par C.________, et B.________, parY.________, ont signé le contrat dit "Operating Agreement".Le 12 septembre 2002, E.________ Inc. (ci-après: E.________), cotée auNasdaq, a acquis la totalité des actions de B.________, moyennant un échanged'actions, au taux de 300 actions E.________ contre une action B.________,dans le but d'ouvrir le capital de B.________ au public. Y.________ a alorsreçu, à titre de conversion de son prêt (100'000 US$) 315'000 titresE.________, représentant 2,1% du capital-actions de cette dernière.Le 20 mars 2003, X.________, agissant par Y.________, avec l'accord deC.________, a prolongé de trois mois le délai nécessaire à B.________ pourobtenir le financement auquel était soumise la validité de l'OperatingAgreement. Devant la carence de B.________, une société tierce a requis saliquidation, le 28 août 2003.Le 19 février 2003, les actions E.________ ont été mises sur le marchéboursier, au taux de 2,375 US$, avant d'atteindre 5,125 US$ le 4 mars 2003.Y.________ a affirmé avoir vendu ses 315'000 actions pour un prix total de122'000 US$, ce qui représentait pour lui une perte, en fonction del'évolution défavorable du cours SFR/US$.A la suite d'une crise des transports aériens, X.________ a été contrainte derevoir sa stratégie commerciale et d'envisager des suppressions de postes, en2003. C.________, après consultation du directeur général, a décidé notammentde supprimer le poste de Y.________. Il l'a convoqué à cette fin le 27 juin2003, en compagnie du directeur des ressources humaines, sans l'avertir aupréalable des motifs de cet entretien, qui a duré un peu plus d'une heure.Y.________ a été sommé de choisir sur le champ entre sa démission,accompagnée d'un "package" comportant une indemnité de départ d'environ un ande salaire, ou une procédure de licenciement avec le minimum légal. II aaccepté de démissionner, selon les termes d'une lettre du même jour, 27 juin2003, signée par le directeur général, prévoyant la libération del'obligation de travailler dès le 2 juillet 2003, le paiement du salairejusqu'au 30septembre 2003, ainsi qu'une indemnité de départ de 213'156 fr.En plus, X.________ assumait les primes d'assurance maladie de Y.________ etde sa famille jusqu'au 31décembre 2003 - à moins qu'il ne trouve un nouvelemploi dans l'intervalle - et proposait l'assistance d'un service deplacement. Dans un autre courrier du 27 juin 2003, signé par le directeur desressources humaines, X.________ confirmait prendre en charge les fraisd'écolage des deux enfants de Y.________ pour l'année académique 2003-2004,ainsi que le solde du droit aux vacances, sous réserve de la gestionprofessionnelle d'une réunion des directeurs mondiaux, tenue du 27juin au 2juillet 2003. Y.________ ayant dirigé cette réunion à la satisfaction de sonemployeur, l'écolage lui a été immédiatement versé. Il a cessé de travaillerdès le 3 juillet 2003.En juillet 2003, l'autorité américaine de contrôle des marchés et desopérations boursières a procédé à une enquête sur B.________. C.________ aégalement confié des investigations sur le projet E.________-B.________ àF.________, directeur financier, qui lui a présenté un rapport oral le 23juillet 2003, consigné par écrit le 4 août 2003. F.________ a ainsi révélé leprêt de 100'000 US$ consenti par Y.________ à B.________ en janvier ou enfévrier 2002, à l'insu de X.________, ce qu'il considérait comme un conflitd'intérêts. X.________ a eu connaissance, le 15 juillet 2003, d'un cas defraude à son bureau de K.________, en Jordanie. A la suite de l'inspectioninterne, il a été établi que le directeur régional A.________ avait détourné,seul et sans collusion, environ 60'000 US$, ce qui a entraîné sa suspensionle 29 juillet 2003 et son licenciement, par le directeur général, le 24septembre 2003.Le 7 ou le 9 septembre 2003, le directeur des ressources humaines a téléphonéà Y.________ pour convenir d'un entretien, sans lui en indiquer les motifs,mais ce dernier a fait savoir qu'il n'était pas disponible.Par courrier du 10 septembre 2003, X.________ a signifié à Y.________ soncongé avec effet immédiat ainsi que la résiliation de l'accord delicenciement du 27 juin 2003, au motif qu'il avait abusé de sa positiond'employé de X.________ pour obtenir des avantages personnels, en violationdu règlement éthique interne. L'ancien employeur lui a reproché d'avoir,intentionnellement ou par négligence, laissé se commettre les malversationsdu directeur régional du bureau de K.________, et d'avoir violé son devoir defidélité et de loyauté envers X.________ en consentant à B.________ un prêtde 100'000 US$, sans en référer à son ancien employeur.Par la suite, Y.________ a plusieurs fois mis X.________ en demeure d'honorerl'accord du 27 juin 2003, sans succès, et a donné des explications quant auprêt de 100'000 US$, effectué dans l'intérêt d'un projet régulièrementapprouvé par le comité de pilotage de X.________, et dont le montant,inférieur aux 5% du capital-actions de B.________, dispensait l'intéressé del'obligation d'informer l'employeur, d'après le règlement éthique applicable.A cette même époque, après le licenciement de Y.________, l'inspectioninterne de X.________ a procédé à des investigations sur l'ancien directeurdu bureau de L.________, responsable de l'A.________ pour l'Europe du sud. Cedernier était soupçonné d'avoir joué un rôle dans les malversations commisesentre novembre 2001 et août 2002, consistant en des détournements de fonds de2 à 3 millions d'euros, ou de plusieurs millions de dollars. Le montant exactdes détournements ne figure ni dans les allégations des parties ni dans ledossier cantonal. Aucune circonstance de cette affaire n'est mentionnée, aumotif du secret de l'instruction pénale, qui a comporté l'arrestation dudirecteur régional de L.________ et la saisie de comptes bancaires.Dans un rapport d'audit ultérieur, non daté, le directeur-chef reviseur areproché à Y.________ d'avoir accordé une trop grande confiance aux fraudeursde K.________ et de L.________, alors qu'en sa qualité de directeurinternational, il était responsable de la prévention et de la répression desfraudes. B.Par demande formée le 23 janvier 2004 devant le Tribunal des prud'hommes ducanton de Genève, Y.________ a conclu au paiement, par X.________, de 213'156fr. net à titre de paiement d'une indemnité contractuellement due, 10'052 fr.brut à titre de solde de salaire du mois de septembre 2003, 16'578 fr. 80brut à titre de solde du droit aux vacances, ces trois montants portantintérêt à 5% dès le 30 septembre 2003, et de 106'578 fr. net à titred'indemnité équitable ou de dommages-intérêts, avec intérêt à 5% dès le 10septembre 2003, ainsi qu'à une correction de son certificat de travail.Par jugement du 9 mai 2005, le Tribunal des prud'hommes a condamné X.________à payer à Y.________ 213'156 fr. net, 26'630fr.80 brut, ces deux montantsavec intérêt à 5% l'an dès le 30septembre 2003, et 60'000 fr. net, avecintérêt à 5% l'an dès le 10septembre 2003, ainsi qu'à la remise d'uncertificat de travail conforme à la réalité et complet.Saisie par X.________ et statuant par arrêt du 17 novembre 2005, la Courd'appel de la juridiction des prud'hommes a confirmé le jugementsusmentionné. Elle a considéré en substance que la transaction du 27juin2003 était valable, en raison de la survenance de la condition suspensiveréservée. De plus, elle n'était entachée ni d'erreur ni de dol. Après uncongé ordinaire, l'employeur pouvait justifier un licenciement immédiat surla base de circonstances antérieures à celui-là, mais qu'il ne connaissaitpas et ne pouvait connaître. En l'espèce, la violation invoquée du codeéthique de X.________ était controversée et, le cas échéant, nettementinsuffisante pour justifier un licenciement immédiat. Le moyen tiré du défautde contrôle du bureau régional de K.________ était tardif. Quant au problèmelié au bureau de L.________, il n'était pas documenté et les quelqueséléments figurant dans la procédure ne permettaient pas d'impliquerY.________. Enfin, au vu de l'ensemble des circonstances, et notamment duchiffre d'affaires de 130 milliards traité par le service de celui-ci, leséventuelles négligences portaient "sur des montants misérables en terme deproportion" (60'000 US$ et 2 ou 3 millions d'euros) insuffisants pour fonderun licenciement immédiat. C.Parallèlement à un recours de droit public qui a été rejeté, dans la mesurede sa recevabilité, par arrêt séparé de ce jour, X.________ (la défenderesse)interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral. Elle conclut à lamodification de l'arrêt de la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommesdans le sens du rejet de la demande, avec suite de dépens, et au déboutementde son ancien employé de toutes ses conclusions. Y. ________ (le demandeur) propose le rejet du recours, dans la mesure où ilest recevable, sous suite de frais et dépens. Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.1.1 Interjeté par la défenderesse qui a succombé dans ses conclusionslibératoires, et dirigé contre une décision finale rendue en dernièreinstance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur unecontestation civile dont la valeur litigieuse dépasse le seuil de 8'000 fr.(art. 46 OJ), le recours soumis à l'examen du Tribunal fédéral est enprincipe recevable, puisqu'il a été déposé en temps utile compte tenu desféries (art. 34 al. 1 let. c et 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises(art. 55 OJ). 1.2 Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral (art. 43al. 1 OJ). En revanche, il ne permet pas de se plaindre de la violationdirecte d'un droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 2ephrase OJ), nide la violation du droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c p. 252). Saisid'un tel recours, le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique surla base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que desdispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il faillerectifier des constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63al. 2 OJ) ou compléter les constatations de l'autorité cantonale parce quecelle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents, régulièrement allégués etclairement établis (art. 64 OJ). Dans la mesure où une partie recouranteprésente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décisionattaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des exceptions quiviennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte (ATF
130III 102 consid. 2.2 p.106, 136 consid. 1.4). Il ne peut être présenté degriefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuvenouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est pas ouvertpour remettre en cause l'appréciation des preuves et les constatations defait qui en découlent (ATF 130 III 136 consid. 1.4; 129III 618 consid.3). 1.3 Au surplus, la juridiction de réforme ne peut aller au-delà desconclusions des parties; en revanche, elle n'est liée ni par les motifsdéveloppés par celles-ci (art. 63 al. 1 OJ; ATF 130 III 136 consid.1.4; 128III 411 consid. 3.2.2 p. 415), ni par l'argumentation juridique adoptée parla cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 130 III 136 consid.1.4; 128 III 22consid. 2e/cc p. 29). 2.La défenderesse reproche tout d'abord à la cour cantonale d'avoir violé lesart. 343 al. 4 CO et 8 CC, lorsqu'elle a retenu que les indemnités de départavaient pour seul objectif de pallier l'absence d'assurance chômage etn'étaient pas octroyées en fonction d'un certain nombre de critères, rappeléspar divers témoins. 2.1 L'art. 343 al. 4 CO prévoit la maxime inquisitoire pour les litigesrésultant du contrat de travail dont la valeur litigieuse - correspondant aumontant des conclusions au moment de l'ouverture de l'action (art.343 al. 2CO; ATF 115 II 30 consid. 5b p. 41) - ne dépasse pas 30'000fr. L'art. 343 COn'empêche pas les cantons de prévoir une limite supérieure à la somme de30'000 fr. pour la valeur litigieuse, voire même de faire abstraction d'unequelconque limite (Wyler, Droit du travail, Berne 2002, p. 472), compétenceque le canton de Genève a utilisée pour introduire la maxime d'office sanségard à la valeur litigieuse des différends portés devant la juridiction desprud'hommes (art. 29 de la loi genevoise du 25 février 1999 sur lajuridiction des prud'hommes (juridiction du travail); cf. arrêt 4P.275/2005du 8 février 2006, consid. 4.6.1 et les arrêts cités).Dans le cas présent, l'art. 343 al. 4 CO ne s'applique pas, puisque la limitefixée par le droit fédéral est largement dépassée, le demandeur ayantintroduit une action pour divers montants dépassant 300'000 fr. Il importepeu que les précédents juges aient dû appliquer la maxime d'office en vertudu droit cantonal de procédure, puisque la violation de ce dernier ne peutêtre invoquée dans le cadre de la procédure de recours en réforme, et que ladéfenderesse n'a pas fait valoir la violation de l'art. 29 de la loicantonale dans le cadre du recours de droit public, qu'elle a déposéparallèlement à la présente procédure.Le moyen tiré de la violation de l'art. 343 al. 4 CO doit en conséquence êtreécarté. 2.2 L'art. 8 CC répartit le fardeau de la preuve pour toutes les prétentionsfondées sur le droit fédéral et détermine, sur cette base, laquelle desparties doit assumer les conséquences de l'échec de la preuve (ATF 130 III321 consid. 3.1 p. 323; 127 III 519 consid. 2a p.522). On déduit égalementde l'art. 8 CC un droit à la preuve et à la contre-preuve (ATF 129 III 18consid. 2.6; 126 III 315 consid. 4a). En particulier, le juge enfreint cettedisposition s'il tient pour exactes les allégations non prouvées d'unepartie, nonobstant leur contestation par la partie adverse, ou s'il refusetoute administration de preuve sur des faits pertinents en droit (ATF 130 III591 consid. 5.4 p. 601 s.; 114 II 289 consid. 2a p. 291).En revanche, l'art. 8 CC ne prescrit pas quelles sont les mesures probatoiresqui doivent être ordonnées (ATF 127 III 519 consid. 2a p.522), ni ne dicteau juge comment forger sa conviction (ATF 128 III22 consid.2d p. 25; 127III 519 consid. 2a p. 522). Il n'exclut ni l'appréciation anticipée despreuves (ATF 129 III 18 consid. 2.6 p. 25; 127 III 520 consid. 2a p. 522), nila preuve par indices (ATF 114 II 289 consid. 2a p. 291). Au demeurant,lorsque l'appréciation des preuves convainc le juge qu'un fait est établi àsatisfaction de droit ou réfuté, la question de la répartition du fardeau dela preuve ne se pose plus et le grief tiré de de la violation de l'art. 8 CCdevient sans objet. Il s'agit alors d'une question d'appréciation despreuves, qui ne peut être soumise au Tribunal fédéral que par la voie durecours de droit public pour arbitraire (cf. ATF 127 III 519 consid. 2a p.522; 122 III 219 consid. 3c p. 223). 2.3 En l'espèce, sous le couvert de l'art. 8 CC, la défenderesse cherche àremettre en cause l'appréciation des preuves à laquelle la cour cantonales'est livrée. En effet, les juges genevois ont retenu que le comportement dudemandeur n'aurait eu aucune incidence sur la convention de résiliation du 27juin 2003, qui représentait l'un des deux membres de l'alternative proposée,voire imposée, à l'employé par la défenderesse dans le cadre de lasuppression de poste qui avait été décidée. En niant la causalité naturelleentre la violation d'une clause d'éthique et l'accord de résiliation, d'unefaçon qui lie le Tribunal fédéral en instance de réforme (art. 63 al. 2 CO),la cour cantonale pouvait se dispenser d'examiner en détail en quoi laviolation du devoir d'informer l'employeur d'une prise de participation dansB.________ pourrait réduire le montant des indemnités de départ allouées. Audemeurant, la cour cantonale ne s'est pas focalisée sur l'absenced'indemnités de chômage en raison de la qualité d'étranger de l'employéconcerné, mais s'est également référée à la position élevée de celui-ci dansla hiérarchie de la défenderesse, à la durée de l'engagement (une quinzained'années), ainsi qu'à la qualité et au rendement du travailleur dansl'intérêt de son employeur ("activité (...) sans tache et profitable"). Ladéfenderesse ne peut ainsi pas, sous prétexte de l'application de l'art.8CC, revenir sur l'appréciation des preuves, notamment des témoignages, quela cour cantonale a effectuée, et que le Tribunal de céans a considérée commerésistant au grief d'arbitraire, dans l'arrêt rendu sur le recours de droitpublic parallèle.S'il est vrai que la cour cantonale a retenu par erreur que le demandeurn'était jamais devenu actionnaire de B.________, elle a implicitement corrigécette méprise en soulignant qu'au moment de l'acquisition de B.________ parE.________, celle-ci en a payé le prix par échange d'une action B.________contre trois cents des siennes. A cette occasion, le demandeur a reçu 315'000titres E.________ représentant le 2,1% du capital social de cette dernière.Devant la controverse de savoir si une prise de participation à ce niveauengendrait un conflit d'intérêts, ou au contraire restait dans une tolérancecompatible avec les règles éthiques de l'entreprise, et du fait de lanégation du rapport de causalité naturelle entre la prétendue erreur danslaquelle se serait trouvée la défenderesse et l'accord de résiliation du 27juin 2003, la méprise de la cour cantonale quant à la qualité du demandeurd'actionnaire de B.________ n'était pas décisive, soit une circonstance defait qui échappe au reproche d'arbitraire, lequel ne peut être revu dans laprésente procédure de recours en réforme. 3.La défenderesse reproche ensuite aux précédents juges une violation des art.23, 24 al. 1 ch. 4 et 28 CO. Sa critique tombe toutefois à faux, puisque lacour cantonale a nié toute relation de causalité naturelle, en fait, entreles vices du consentement invoqués et la convention de cessation des rapportsde travail du 27 juin 2003. Comme la causalité naturelle est une conditionnécessaire à la reconnaissance soit d'une erreur essentielle sur les motifs,soit d'un dol (cf. Schwenzer, Schweizerisches Obligationenrecht, AllgemeinerTeil, 3e éd., Berne 2003, n. 36.04 p.236), son défaut, établi de manièresoutenable, et confirmé par le Tribunal de céans dans l'arrêt rendu sur lerecours de droit public parallèle, rend vaine l'argumentation développée parla défenderesse au titre de la violation des dispositions susmentionnées dudroit fédéral. 4.La défenderesse se plaint enfin de ce que la cour cantonale a considéré commetardif le licenciement immédiat, survenu postérieurement à l'accord derésiliation du 27 juin 2003 et à la libération de l'employé de fournir sesprestations de travail, dès le 3juillet 2003. 4.1 Selon l'art. 337 al. 1 1e phrase CO, l'employeur et le travailleurpeuvent résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justesmotifs. Doivent notamment être considérées comme tels toutes lescirconstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pasd'exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports detravail (cf. art. 337 al. 2 CO).Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour justes motifs doit êtreadmise de manière restrictive (ATF 130 III 28 consid. 4.1 p. 31, 213 consid.3.1 p. 220; 127 III 351 consid. 4a p. 353). D'après la jurisprudence, lesfaits invoqués à l'appui d'un renvoi immédiat doivent avoir entraîné la pertedu rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail.Seul un manquement particulièrement grave du travailleur justifie sonlicenciement immédiat; si le manquement est moins grave, il ne peut entraînerune résiliation immédiate que s'il a été répété malgré un avertissement (ATF130III28 consid. 4.1 p. 31, 213 consid. 3.1 p. 221; 129 III 380consid.2.1). Par manquement du travailleur, on entend en règle générale laviolation d'une obligation découlant du contrat de travail (ATF 130 III 28consid. 4.1 p.31, 213 consid. 3.1 p. 220 s.; 127 III 351 consid. 4a p. 354),comme par exemple le devoir de fidélité (ATF 127 III 351 consid. 4a p.354;121 III 467 consid. 4d).Le juge apprécie librement s'il existe de justes motifs (art. 337 al.3CO).Il applique les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC). A cet effet, ilprendra en considération tous les éléments du cas particulier, notamment laposition et la responsabilité du travailleur, le type et la durée desrapports contractuels, ainsi que la nature et l'importance des manquements(ATF 130 III 28 consid. 4.1 p. 32; 127 III 351 consid. 4a p. 354). LeTribunal fédéral ne revoit qu'avec réserve la décision d'équité prise endernière instance cantonale. Il intervient lorsque celle-ci s'écarte sansraison des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière delibre appréciation, ou lorsqu'elle s'appuie sur des faits qui, dans le casparticulier, ne devaient jouer aucun rôle, ou à l'inverse, lorsqu'elle n'apas tenu compte d'éléments qui auraient absolument dû être pris enconsidération; il sanctionnera en outre les décisions rendues en vertu d'unpouvoir d'appréciation lorsqu'elles aboutissent à un résultat manifestementinjuste ou à une iniquité choquante (ATF 130 III 28 consid. 4.1 p. 32, 213consid. 3.1 p.220; 129 III 380 consid. 2 p. 382).C'est à l'employeur qui entend se prévaloir de justes motifs de licenciementimmédiat de démontrer leur existence (arrêt 4C.365/2005 du 8 février 2006,consid. 6.1; cf. également Brunner/Bühler/Waeber/ Bruchez, Commentaire ducontrat de travail, 3e éd., Lausanne 2004, n.13 ad art. 337 CO).Enfin, il faut rappeler que, sous certaines conditions restrictives,l'employeur peut, pour justifier un licenciement immédiat, se prévaloir descirconstances qui existaient au moment de la déclaration de licenciement,mais qu'il ne connaissait pas et ne pouvait pas connaître. Il faut sedemander, dans un tel cas, si les circonstances antérieures, non invoquées aumoment du licenciement immédiat, auraient pu conduire l'employeur, s'il lesavait connues, à admettre que le rapport de confiance était rompu et àrésilier le contrat de travail avec effet immédiat (ATF 127 III 310 consid.4a et les arrêts cités).De plus, l'employeur doit notifier le licenciement immédiat dès qu'il a connule juste motif dont il entend se prévaloir, ou, au plus tard, après un brefdélai de réflexion; s'il tarde à réagir, il est présumé avoir renoncé aulicenciement immédiat; à tout le moins, il donne à penser que la continuationdes rapports de travail est possible jusqu'à la fin du délai de congé. Lajurisprudence n'accorde ainsi qu'un court délai de réflexion à l'employeur(ATF 130 III 28 consid. 4.4 p. 34; 127 III 310 consid. 4b p. 315) pour éviterd'induire en erreur le salarié quant à la continuation des rapports detravail (cf. ATF127 III 310 consid. 4b p.315 et les arrêts cités). Ilconvient de trouver un équilibre entre l'urgence impliquée par la notion delicenciement immédiat et l'obligation de prendre une décision mûrementréfléchie. La jurisprudence est fluctuante quant à la définition du délai deréflexion, mais un délai général de deux à trois jours ouvrables est présuméapproprié; un délai supplémentaire n'est accordé à celui qui entend résilierle contrat que lorsque les circonstances particulières du cas concret exigentd'admettre une exception à la règle (ATF 130 III 28 consid. 4.4 p. 34). Undélai de six jours a été considéré comme admissible par le Tribunal de céansdans les circonstances d'un cas particulier où la décision relevait d'unconseil d'administration composé de plusieurs membres (arrêt 4C.282/1994 du21 juin 1995, reproduit in JAR 1997 p. 208, consid. 3b p. 210; cf. égalementarrêt 4C.260/1999 du 26 octobre 1999, reproduit in JAR 2000 p. 232, consid.1b p. 233; plus récemment Aubert, Commentaire romand, n. 11 ad art. 337 CO;Wyler, op. cit., p.373). En fait, la doctrine et la jurisprudence nementionnent pas d'exemple d'un délai de réflexion supérieur à une semaine. 4.2 En l'espèce, la défenderesse a considéré comme justes motifs derésiliation la violation par le demandeur du code d'éthique de l'entreprise,d'une part, et la négligence dans la surveillance de ses subordonnés,s'agissant des deux cas de détournements dans les bureaux régionaux deJordanie et de Belgique. 4.2.1 Concernant le premier moyen, la découverte de l'investissement dudemandeur dans B.________ remonte au 23 juillet 2003, avant sa confirmationdans un rapport écrit du 4 août 2003. Comme le congé avec effet immédiat aété notifié au collaborateur par lettre du 10septembre 2003, soit entre cinqet six semaines après la découverte du motif invoqué, le caractère tardif dulicenciement est manifeste (cf. supra consid. 4.1 in fine). Il n'est ainsipas nécessaire d'examiner plus avant la nature du reproche adressé audemandeur. 4.2.2 Quant au détournement de 60'000 US$ opéré par le directeur régional deJordanie, il a été découvert le 15 juillet 2003 et définitivement fixé par unrapport de deux réviseurs internes, le 28juillet 2003. A nouveau,l'observation d'un délai de cinq à six semaines avant de notifier lelicenciement immédiat s'avère manifestement tardif, et ceci même si laprocédure interne de formation de la volonté collective de l'entreprisenécessitait un peu plus de temps que le délai de réflexion admis par lajurisprudence, compte tenu de la période des vacances. Il n'est donc pasnécessaire de vérifier plus avant la consistance du juste motif invoqué etd'examiner la diligence due par le directeur financier international dans lasurveillance de ses huit subordonnés directs et, à travers eux, desresponsables de plusieurs dizaines de bureaux locaux, répartis dans le monde.Quant aux malversations
perpétrées au bureau de L.________, et portant sur 2à 3 millions d'euros, le dossier cantonal ne contient aucune informationsuffisante, de sorte que la cour cantonale était fondée à ne pas entrer enmatière sur le moyen allégué du licenciement immédiat pour juste motif. 5.Compte tenu de ce qui précède, le recours en réforme doit être rejeté, dansla mesure de sa recevabilité. 6.Comme la valeur litigieuse, selon les prétentions du demandeur à l'ouverturede l'action (ATF 115 II 30 consid. 5b p. 41), dépasse 30'000fr., laprocédure n'est pas gratuite (art. 343 al. 2 et 3 CO). Les frais et dépensseront mis à la charge de la défenderesse, qui succombe (art. 156 al. 1 et159 al. 1 OJ).A cet égard, il n'y a pas lieu de suivre le demandeur, qui "requiert (...) leTribunal fédéral de sanctionner" la défenderesse parce que cette dernièreaurait fait valoir des arguments "purement dilatoires". Sur ce point, lamotivation du demandeur est confuse; il semblerait vouloir se plaindre d'uneviolation des règles de discipline au sens de l'art.31al.2 OJ, mais sansl'exprimer de manière expresse d'une part, et en invoquant finalementl'application de l'art. 159 OJ d'autre part, ce qui laisse à entendre quel'argument tiré de la prétendue témérité de la défenderesse est totalementinfondé. Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 2.Un émolument judiciaire de 6'500 fr. est mis à la charge de la défenderesse. 3.La défenderesse versera au demandeur une indemnité de 7'500 fr. à titre dedépens. 4.Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à laCour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève. Lausanne, le 4 mai 2006 Au nom de la Ire Cour civiledu Tribunal fédéral suisse Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.23/2006
Date de la décision : 04/05/2006
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-05-04;4c.23.2006 ?
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