La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/04/2006 | SUISSE | N°5A.3/2006

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 28 avril 2006, 5A.3/2006


{T 0/2}
5A.3/2006 /frs

Arrêt du 28 avril 2006
IIe Cour civile

MM. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Escher, Meyer, Hohl et Marazzi.
Greffière: Mme Jordan.

X. ________,
recourant, représenté par Me Raymond Didisheim, avocat,

contre

Y.________ SA,
intimée, représentée par Me Jean-Michel Henny, avocat,
Tribunal administratif du canton de Vaud, avenue Eugène-Rambert 15, 1014
Lausanne.

autorisation d'acquérir des parcelles selon la LDFR,

recours de droit administratif contre l'arrêt du Tribunal administra

tif du
canton de Vaud du 16 décembre 2005.

Faits:

A.
T. ________ SA est propriétaire de dix parcelles de vigne, d'une su...

{T 0/2}
5A.3/2006 /frs

Arrêt du 28 avril 2006
IIe Cour civile

MM. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Escher, Meyer, Hohl et Marazzi.
Greffière: Mme Jordan.

X. ________,
recourant, représenté par Me Raymond Didisheim, avocat,

contre

Y.________ SA,
intimée, représentée par Me Jean-Michel Henny, avocat,
Tribunal administratif du canton de Vaud, avenue Eugène-Rambert 15, 1014
Lausanne.

autorisation d'acquérir des parcelles selon la LDFR,

recours de droit administratif contre l'arrêt du Tribunal administratif du
canton de Vaud du 16 décembre 2005.

Faits:

A.
T. ________ SA est propriétaire de dix parcelles de vigne, d'une surface
totale de 56'903 m2, situées sur le territoire de trois communes, dont celle
de B.________. Ces terres sont affermées à la société anonyme Y.________ pour
une période de douze ans, du 1ernovembre 2001 au 31 octobre 2013.

Y. ________ SA s'est portée acquéresse desdits immeubles pour le prix de
1'422'575 fr. N'étant pas exploitante à titre personnel, elle a fait publier,
le 3 octobre 2003, un appel d'offres public pour un prix égal ou supérieur au
montant précité.

Le 16 octobre suivant, X.________, viticulteur à B.________, a déposé une
offre d'achat de 1'425'000 fr. La municipalité de B.________, qui souhaitait
voir les vignerons de la commune acquérir du terrain, l'avait sollicité pour
qu'il fasse cette offre et lui avait accordé, dans ce cadre, un prêt de
1'550'000 fr. Le 26 avril 2004, le viticulteur a fait, avec l'accord de la
municipalité, un appel de souscription pour l'achat des vignes auprès des
vignerons de B.________.

B.
Le 14 juillet 2004, la Commission foncière rurale a octroyé à Y.________ SA
l'autorisation d'acquérir, considérant que les conditions de l'art. 64 al. 1
let. f LDFR étaient remplies dès lors qu'aucun exploitant à titre personnel
n'avait formulé d'offre dans le délai imparti; elle a considéré que l'offre
de X.________ ne pouvait être prise en considération, car celui-là avait agi
comme prête-nom pour la commune de B.________, qui n'était elle-même pas
exploitante à titre personnel.

Statuant le 16 décembre 2005 sur le recours de X.________, le Tribunal
administratif du canton de Vaud a confirmé cette décision.

C.
X.________ interjette un recours de droit administratif au Tribunal fédéral.
Il conclut, principalement, à l'annulation de l'arrêt cantonal et au renvoi
de la cause pour nouvelle décision dans le sens des considérants; il demande
subsidiairement que son offre soit acceptée, le cas échéant aux conditions
fixées à dire de justice, et que l'autorisation d'acquérir de Y.________ SA
soit rejetée.

Y. ________ SA propose le rejet du recours et la confirmation de l'arrêt
attaqué.

L'Office fédéral de la justice, auquel le recours a été communiqué pour
observations (art. 5 ODFR; RS 211.412.110), conclut à l'admission du recours,
pour autant qu'il soit recevable, et au renvoi de la cause à l'autorité
cantonale pour nouvelle instruction.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la
recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 131 II 571 consid. 1 p. 573
et les arrêts cités).

1.1 Selon les art. 97 et 98 let. g OJ, en relation avec l'art. 5 PA, la voie
du recours de droit administratif est ouverte contre les décisions des
autorités cantonales de dernière instance qui sont fondées sur le droit
fédéral - ou auraient dû l'être -, pour autant qu'aucune des exceptions
prévues aux art. 99 à 102 OJ, ou dans la législation spéciale, ne soit
réalisée. Tel est le cas en l'espèce. L'art. 89 LDFR prévoit d'ailleurs
expressément cette voie de droit contre les décisions sur recours prises par
les autorités cantonales de dernière instance au sens des art. 88 al. 1 et 90
let. f LDFR. Déposé en temps utile, le présent recours est aussi recevable au
regard de l'art. 106 al. 1 OJ.

1.2 Aux termes de l'art. 83 al. 3 LDFR, les parties contractantes peuvent
interjeter un recours devant l'autorité cantonale de recours (art. 88 LDFR)
contre le refus d'autorisation, l'autorité cantonale de surveillance, le
fermier et les titulaires du droit d'emption, du droit de préemption ou du
droit à l'attribution, contre l'octroi de l'autorisation.

Selon la jurisprudence, l'art. 83 al. 3 LDFR ne contient pas, malgré sa
formulation restrictive, une énumération exhaustive des personnes ayant
qualité pour recourir contre l'octroi de l'autorisation. Il doit être
interprété conformément à l'intention du législateur, lequel voulait avant
tout assurer un droit de recours au fermier ainsi qu'aux titulaires du droit
d'emption, du droit de préemption ou du droit à l'attribution en les
mentionnant expressément, tout en excluant du cercle des personnes ayant
qualité pour recourir les voisins, les organisations de protection de la
nature et de l'environnement ainsi que les organisations professionnelles
comme les associations paysannes (ATF 126 III 274 consid. 1c p. 276).

L'exploitant à titre personnel qui a fait une offre à la suite de l'appel
d'offres public publié en application de l'art. 64 al. 1 let. f LDFR
n'appartenant pas à ce cercle restreint, sa qualité pour recourir doit être
admise.

1.3 Les conclusions subsidiaires du recourant tendant à ce que son offre soit
acceptée sont irrecevables dans la présente procédure, dont l'objet est
uniquement de décider si une autorisation peut être accordée à l'intimée. En
effet, l'exploitant à titre personnel qui a fait une offre à la suite de
l'appel d'offres public publié en application de l'art. 64 al. 1 let. f LDFR
n'a pas un droit à l'acquisition de l'entreprise ou de l'immeuble agricole
(Bandli/Stalder, Commentaire de la loi fédérale sur le droit foncier rural du
4 octobre 1991, Brugg 1998 [ci-après: Commentaire LDFR], n. 37 ad art. 64
LDFR); si les conditions de la disposition précitée ne sont pas remplies,
l'autorité compétente ne peut que refuser au tiers l'autorisation d'acquérir.

2.
Selon l'art. 104 let. a OJ, le recours de droit administratif au Tribunal
fédéral peut être formé pour violation du droit fédéral, y compris l'excès et
l'abus du pouvoir d'appréciation. Le Tribunal fédéral revoit d'office
l'application du droit fédéral, qui englobe notamment les droits
constitutionnels des citoyens. Comme il n'est pas lié par les motifs invoqués
par les parties (cf. art. 114 al. 1 in fine OJ), il peut admettre le recours
pour d'autres raisons que celles avancées par le recourant ou, au contraire,
confirmer l'arrêt attaqué pour d'autres motifs que ceux retenus par
l'autorité intimée (ATF 130 I 312 consid. 1.2 p. 318 et les références
citées). Lorsque le recours est dirigé, comme en l'espèce, contre la décision
d'une autorité judiciaire, le Tribunal fédéral est lié par les faits
constatés dans la décision, sauf s'ils sont manifestement inexacts ou
incomplets ou s'ils ont été établis au mépris de règles essentielles de
procédure (art. 105 al. 2 OJ).

3.
3.1Selon le Tribunal administratif, le recourant n'avait pas la volonté
d'exploiter personnellement au sens des art. 64 et 9 LDFR. Il ressortait en
effet des pièces du dossier que son offre résultait d'un montage économique
et juridique mis sur pied par la municipalité de B.________, initiatrice du
projet, laquelle ne pouvait pas se porter elle-même acquéresse. La commune,
qui devait gérer le prêt, supporter tous les frais, y compris ceux relatifs à
l'acquisition du domaine et à sa redistribution, et conduire les opérations
de répartition, assumait la gestion financière et administrative de toute
l'opération. Elle détiendrait en outre tous les droits et obligations liés
au contrat de bail à ferme, à savoir les devoirs et prérogatives d'un
propriétaire et non d'un simple cessionnaire de loyers. Elle était donc en
réalité l'auteure de l'offre - le recourant n'apparaissant que comme son
intermédiaire - alors qu'elle n'avait pas la qualité d'exploitant à titre
personnel. A cela s'ajoutait qu'au vu du but final de l'opération
(redistribution des terres aux vignerons de la commune), le recourant ne
travaillerait pas personnellement toutes les parcelles concernées, en sorte
qu'il n'avait pas la volonté de s'engager de manière durable et effective à
les exploiter à titre personnel.

L'autorité cantonale a enfin jugé qu'il ne lui appartenait pas d'examiner si
la commune de B.________, bien que non exploitante à titre personnel, aurait
pu être autorisée à acquérir, dès lors qu'elle envisageait, à terme, de
revendre à des exploitants à titre personnel. Elle devait se contenter de
vérifier si l'acheteuse pouvait être mise au bénéfice de l'exception de
l'art. 64 al. 1 let. f LDFR et non choisir entre deux acquéreurs non
exploitants.

3.2 Le recourant reproche à la cour cantonale de lui avoir dénié la qualité
d'exploitant à titre personnel, motif pris qu'il ne travaillera pas
personnellement toutes les parcelles, lesquelles seront en partie
redistribuées à des viticulteurs de la commune; on ne saurait exiger de lui
qu'il démontre d'emblée sa capacité à exploiter personnellement la totalité
d'un domaine qui ne sera libre de bail que dans dix ans, au terme de la durée
du fermage. Le recourant soutient par ailleurs que l'offre aurait dû prévoir
la possibilité d'acquérir séparément chacun des immeubles du domaine,
éventuellement sous la condition que la totalité de ceux-là trouvent
acquéreurs. L'offre présentée, qui portait sur dix parcelles distinctes
situées sur le territoire de trois communes différentes, était en effet de
nature à paralyser considérablement, et contrairement au but et à l'esprit de
la LDFR, une acquisition par de modestes exploitants à titre individuel.
Enfin, le délai de quinze jours imparti pour présenter une offre serait, à
son avis, trop bref vu le nombre de terres en jeu et l'importance du prix; le
temps à disposition pour trouver d'éventuels partenaires également
exploitants à titre individuel pour faire une offre commune en temps utile
serait insuffisant.

3.3
3.3.1Celui qui entend acquérir une entreprise ou un immeuble agricole doit
obtenir une autorisation (art. 61 al. 1 LDFR), sous réserve des exceptions
prévues par l'art. 62 LDFR. Le but de l'assujettissement à autorisation est
de garantir que le transfert de propriété corresponde aux objectifs du droit
foncier rural, au premier rang desquels figure la concrétisation du principe
de l'exploitation à titre personnel fondé sur la politique de la propriété
(Beat Stalder, in Commentaire LDFR, remarques préalables aux art. 61-69 LDFR,
n. 8 s.). L'autorisation doit ainsi, en principe, être refusée notamment
lorsque l'acquéreur n'est pas exploitant à titre personnel (art. 63 al. 1
let. a LDFR). Elle est néanmoins accordée si ce dernier prouve l'existence
d'un juste motif au sens de l'art. 64 al. 1 LDFR. Tel est en particulier le
cas lorsque, malgré une offre publique à un prix qui ne soit pas surfait (cf.
art. 66 LDFR), aucune demande n'a été faite par un exploitant à titre
personnel (art. 64 al. 1 let. f LDFR).

L'exception de l'art. 64 al. 1 let. f LDFR a pour but de sauvegarder, sous
l'angle de la garantie de la propriété (art. 26 Cst.), les intérêts de
l'agriculteur désireux de vendre, dont l'offre n'est suivie d'aucune demande
de la part d'un exploitant à titre personnel (Bandli/Stalder, in Commentaire
LDFR, n. 36 ad art. 64 LDFR). Si, en procédure d'autorisation, le
propriétaire qui veut vendre fournit la preuve qu'à la suite de la
publication de l'appel d'offres, aucune offre ou seulement des offres
insuffisantes ont été présentées par des exploitants à titre personnel,
l'acquéreur qui n'est pas exploitant à titre personnel obtiendra
l'autorisation d'acquérir, pour autant que le prix convenu ne soit pas
surfait (art. 63 al. 1 let. b et art. 66 LDFR; cf. Bandli/Stadler, in
Commentaire LDFR, n. 38 ad art. 64 LDFR). Dans le cas contraire,
l'autorisation devra être refusée (supra consid. 1.3).
3.3.2 La loi ne règle pas le contenu de l'appel d'offres public. Il faut
toutefois partir du principe que ce dernier doit préciser si l'aliénation
porte sur des immeubles agricoles isolés (art. 6 LDFR) ou sur des immeubles
qui font partie d'une entreprise agricole (art. 7 et 8 LDFR). Cette
distinction constitue en effet le fondement même du champ d'application du
droit foncier rural (art. 2 LDFR) et est déterminante pour la fixation du
prix. Ce n'est en effet que dans l'hypothèse où est en jeu une entreprise
agricole que l'on peut envisager une vente en bloc des parcelles à un prix
global, qui ne devra, de surcroît, pas être surfait (art. 66 LDFR).

3.3.3 En l'espèce, l'appel d'offres publié se contente d'indiquer que les
parcelles litigieuses "ont trouvé un acquéreur qui n'est pas exploitant
viticole, pour un montant de 1'422'575 fr." et que leur vente aura lieu en
bloc. Dans ces conditions, une autorisation exceptionnelle au sens de l'art.
64 al. 1 let. f LDFR ne pouvait, en l'état, être délivrée à l'intimée.

4.
Cela étant, l'intimée, qui a conclu au rejet du recours, supportera les frais
de la procédure (art. 156 al. 1 OJ) et versera des dépens au recourant, qui a
procédé avec l'assistance d'un avocat (art. 159 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu
d'allouer de dépens à l'Office fédéral de la justice.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la requête d'autorisation
d'acquérir est rejetée dans le sens des considérants.

2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge de l'intimée.

3.
L'intimée versera au recourant une indemnité de 5'000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au
Tribunal administratif du canton de Vaud et au Département fédéral de justice
et police.

Lausanne, le 28 avril 2006

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: La Greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5A.3/2006
Date de la décision : 28/04/2006
2e cour civile

Analyses

Art. 61 et 64 al. 1 let. f LDFR; procédure d'autorisation; exception auprincipe de l'exploitation à titre personnel. But de la procédure d'autorisation et de l'exception au principe del'exploitation à titre personnel (consid. 3.3.1). Contenu de l'appeld'offres public (consid. 3.3.2); application au cas d'espèce (consid. 3.3.3).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-04-28;5a.3.2006 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award