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18/04/2006 | SUISSE | N°2P.89/2005

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 18 avril 2006, 2P.89/2005


{T 0/2}
2P.89/2005

Arrêt du 18 avril 2006
IIe Cour de droit public

MM. et Mme les Juges Merkli, Président,
Hungerbühler, Wurzburger, Müller et Yersin.
Greffière: Mme Dupraz.

X. ________,
représenté par Me Cédric Schweingruber, avocat,

contre

Commune de Fleurier, 2114 Fleurier,
représentée par Me Chantal Brunner-Augsburger, avocate,
Conseil d'Etat du canton de Neuchâtel,
Château, 2001 Neuchâtel 1.

Art. 8, 27 et 49 Cst.: constitutionnalité d'un règlement communal,

recours de droit public contre l'arrê

té d'approbation rendu le 25 janvier
2005 par le Conseil d'Etat du canton de Neuchâtel et le règlement de l'Abbaye
de la commune ...

{T 0/2}
2P.89/2005

Arrêt du 18 avril 2006
IIe Cour de droit public

MM. et Mme les Juges Merkli, Président,
Hungerbühler, Wurzburger, Müller et Yersin.
Greffière: Mme Dupraz.

X. ________,
représenté par Me Cédric Schweingruber, avocat,

contre

Commune de Fleurier, 2114 Fleurier,
représentée par Me Chantal Brunner-Augsburger, avocate,
Conseil d'Etat du canton de Neuchâtel,
Château, 2001 Neuchâtel 1.

Art. 8, 27 et 49 Cst.: constitutionnalité d'un règlement communal,

recours de droit public contre l'arrêté d'approbation rendu le 25 janvier
2005 par le Conseil d'Etat du canton de Neuchâtel et le règlement de l'Abbaye
de la commune de Fleurier du 14 décembre 2004.

Faits:

A.
X. ________ est un commerçant itinérant, établi à Y.________, dans le canton
de Fribourg. Il déclare avoir participé durant quinze ans à l'Abbaye de
Fleurier pour y vendre ses produits (caramels à la crème, amandes grillées,
bibers, biberlis, pains aux poires, crêpes, gaufres, hot-dogs, sandwichs,
sucettes, pop-corn, barbes à papa et nougats). Sa participation a été remise
en cause en 2004; dans un premier temps, le Conseil communal de Fleurier
(ci-après: le Conseil communal) a refusé de lui octroyer un emplacement puis,
le 24 juin 2004, il lui a accordé une place à certaines conditions;
toutefois, cette décision serait intervenue si tard que l'intéressé n'aurait
pas pu en faire usage. X.________ est cependant resté en contact avec le
Conseil communal; il a présenté, le 16 novembre 2004, une demande de place
pour l'Abbaye de Fleurier de 2005; il a encore écrit au Conseil communal le 8
décembre 2004, en se référant notamment à son inscription à l'Abbaye de
Fleurier de 2005 et en évoquant la possibilité d'une procédure judiciaire.

B.
Le 14 décembre 2004, le Conseil général de Fleurier a adopté le règlement de
l'Abbaye de la commune de Fleurier (ci-après: le Règlement). Le Conseil
d'Etat du canton de Neuchâtel (ci-après: le Conseil d'Etat) a approuvé le
Règlement par un arrêté du 25 janvier 2005 (ci-après: l'Arrêté).

L'Abbaye de Fleurier est une foire organisée une fois par année, le week-end
précédant la fin de l'année scolaire (du samedi à 14h00 au mardi à 02h00);
elle a lieu à la place de Longereuse et à la rue de la Place d'Armes. L'art.
2 du Règlement, ayant pour note marginale "Ordre de Réservation", dispose:

"1 Les emplacements pour les marchés forains (carrousels) sont attribués sur
la base de contrats spécifiques signés d'une part par les forains et d'autre
part par le Conseil communal.

2 L'attribution des places pour les stands et guinguettes se fait dans
l'ordre suivant:
- les sociétés et marchands du village,
- du district du Val-de-Travers,
- du canton de Neuchâtel,
- de Suisse romande,
- les marchands des autres cantons suisses, pour autant qu'il y ait encore de
la place.

3 L'attribution des places pour les stands et guinguettes n'est pas un droit
acquis. La demande doit se faire chaque année."
Le 2 février 2005, le Conseil communal a répondu à la lettre de X.________ du
8 décembre 2004, en disant que son inscription serait examinée au regard de
la nouvelle réglementation communale, et il lui a envoyé une copie du
Règlement ainsi que de l'Arrêté.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, X.________ demande au
Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d'annuler l'Arrêté et le
Règlement. Il fait essentiellement valoir que l'art. 2 al. 2 du Règlement
viole la liberté économique (cf. art. 27 Cst.), l'égalité de traitement (cf.
art. 8 Cst.) et la primauté du droit fédéral (cf. art. 49 Cst.) dans la
mesure où il enfreint la loi fédérale du 6 octobre 1995 sur le marché
intérieur (LMI; RS 943.02), en particulier l'art. 3 LMI. Il allègue aussi
l'absence de voie de recours dans le Règlement.

La commune de Fleurier et le Conseil d'Etat concluent, sous suite de frais,
principalement, à l'irrecevabilité du recours et, subsidiairement, à son
rejet. La commune de Fleurier conclut en outre à l'allocation de dépens.

Un deuxième échange d'écritures ayant été ordonné, le recourant et la commune
de Fleurier ont confirmé leurs conclusions, alors que le Conseil d'Etat a
renoncé à s'exprimer.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 131 I 153 consid. 1 p. 156).

1.1 Selon l'art. 84 al. 1 lettre a OJ, le recours de droit public est
recevable lorsqu'il est formé contre un arrêté cantonal de portée générale
pour violation de droits constitutionnels des citoyens. La notion d'"arrêté
cantonal" figurant dans cette disposition comprend les actes normatifs
communaux (ATF 131 I 333 consid. 1 non publié; Walter Kälin, Das Verfahren
der staatsrechtlichen Beschwerde, 2e éd., Berne 1994, p. 109) pour autant
qu'ils soient définitifs au regard du droit cantonal. Ainsi, lorsque leur
entrée en vigueur exige l'approbation d'une autorité cantonale, ils ne
deviennent "arrêtés cantonaux", au sens de l'art. 84 al. 1 OJ, qu'à l'octroi
de cette approbation et ce n'est qu'à ce moment qu'on peut les contester, en
même temps que leur approbation (ATF 77 I 148 consid. 2 p. 149; Pierre Moor,
Droit administratif, vol. I, 2e éd., Berne 1994, n. 2.2.2.2, p. 88). Ainsi,
le Règlement est un arrêté cantonal au regard de l'art. 84 al. 1 OJ.

1.2
Le droit cantonal neuchâtelois ne connaît pas le contrôle direct de la
constitutionnalité des "arrêtés cantonaux" de portée générale; en revanche,
l'art. 8 al. 1 de la loi du 21 décembre 1964 sur les communes du canton de
Neuchâtel prévoit que les règlements communaux ne deviennent exécutoires
qu'après avoir été sanctionnés par le Conseil d'Etat (approbation
constitutive). Or, d'après l'art. 89 al. 1 OJ, l'acte de recours doit être
déposé devant le Tribunal fédéral dans les trente jours dès la communication,
selon le droit cantonal, de l'arrêté ou de la décision attaqués. Comme un
règlement d'une commune neuchâteloise constitue un "arrêté cantonal" au sens
de l'art. 84 al. 1 OJ seulement dès son approbation, le délai pour déposer un
recours de droit public contre un tel règlement part de la publication de
ladite approbation (Pierre Moor, op. cit., n. 2.2.2.2, p. 89; Walter Kälin,
op. cit., p. 348/349; cf. aussi ATF 119 Ia 123 consid. 1a p. 126/127 et la
jurisprudence citée).

En l'espèce, l'intitulé du Règlement a fait l'objet d'une publication dans la
Feuille officielle du canton de Neuchâtel du 17 décembre 2004, où ilétait
précisé que les différents arrêtés publiés, conformément à l'art.129 al. 2
de la loi du 17 octobre 1984 sur les droits politiques du canton de
Neuchâtel, pouvaient être consultés au bureau communal des communes
concernées. Quant à l'Arrêté, il n'a pas été publié, de sorte que le délai de
recours a commencé à courir dès le moment où le recourant en a eu
connaissance (cf. ATF 121 I 187 consid. 1c p.189/190), sous réserve du
respect du principe de la bonne foi (ATF 114 Ia 452 consid. 1b p. 455/456:
l'intéressé, s'il connaît l'existence de l'acte à attaquer, ne peut rester
passif). Ce moment est, en l'occurrence, le 4 février 2005, date à laquelle
le recourant a reçu le courrier du Conseil communal du 2 février 2005
contenant une copie de l'Arrêté et du Règlement. Dès lors, le présent
recours, interjeté le 7 mars 2005, a été déposé en temps utile.

1.3 Lorsque le recours est dirigé contre un arrêté cantonal de portée
générale, la qualité pour recourir, au sens de l'art. 88 OJ, appartient à
toute personne dont les intérêts juridiquement protégés sont effectivement
touchés par l'acte attaqué ou pourront l'être un jour; une simple atteinte
virtuelle suffit, pourvu qu'il y ait un minimum de vraisemblance que le
recourant puisse un jour se voir appliquer les dispositions prétendument
inconstitutionnelles (ATF 130 I 26 consid.1.2.1 p. 29/30; 125 I 474 consid.
1d p. 477/478).

En tant que commerçant itinérant, le recourant participe à des foires dans
toute la Suisse romande; c'est ainsi qu'il indique s'être rendu une quinzaine
de fois à l'Abbaye de Fleurier et compte encore y aller à l'avenir. Il se
plaint notamment d'une atteinte à sa liberté économique garantie par l'art.
27 Cst. Il y a donc lieu de lui reconnaître la qualité pour recourir (cf. ATF
102 Ia 201 consid. 3 p. 205/206).

1.4 Selon l'art. 90 al. 1 lettre b OJ, l'acte de recours doit - sous peine
d'irrecevabilité - contenir un exposé des faits essentiels et un exposé
succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés,
précisant en quoi consiste la violation. Lorsqu'il est saisi d'un recours de
droit public, le Tribunal fédéral n'a donc pas à vérifier, de lui-même, si
l'acte attaqué est en tout point conforme au droit et à l'équité; il
n'examine que les moyens de nature constitutionnelle, invoqués et
suffisamment motivés dans l'acte de recours (ATF 130 I 26 consid. 2.1 p. 31,
258 consid. 1.3 p. 261/262). En outre, lorsqu'un recourant demande
l'annulation d'un arrêté cantonal de portée générale, il doit invoquer des
moyens visant chacun des articles de cet acte et chacune des dispositions
desdits articles, sans quoi seuls les passages véritablement attaqués
pourront, le cas échéant, être annulés. Le Tribunal fédéral n'annulera
intégralement l'arrêté cantonal de portée générale que si la suppression des
passages inconstitutionnels le dénature dans son ensemble (ATF 123 I 112
consid. 2b p.117 et la jurisprudence citée).

2.
Le présent recours pose essentiellement le problème du respect de la liberté
économique et de l'égalité, en particulier entre concurrents, par la
réglementation de l'usage accru du domaine public lors de l'Abbaye de
Fleurier. Il soulève aussi la question de la conformité de ladite
réglementation à la primauté du droit fédéral, en relation avec la loi
fédérale sur le marché intérieur.

2.1 Selon l'art. 27 al. 1 Cst., la liberté économique est garantie. Elle
comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une
activité économique lucrative privée et son libre exercice (art. 27 al. 2
Cst.). Cette liberté protège toute activité économique privée, exercée à
titre professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu (cf.
le message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle
Constitution fédérale, in FF 1997 I 1 ss, p. 176).

Aux termes de l'art. 36 al. 1 Cst., toute restriction d'un droit fondamental
doit être fondée sur une base légale; les restrictions graves doivent être
prévues par une loi; les cas de danger sérieux, direct et imminent sont
réservés. Toute restriction d'un droit fondamental doit être justifiée par un
intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui (art. 36
al. 2 Cst.) et proportionnée au but visé (art. 36 al. 3 Cst.). L'essence des
droits fondamentaux est inviolable (art. 36 al. 4 Cst.).

La jurisprudence a encore établi que l'égalité de traitement entre
concurrents directs, c'est-à-dire entre personnes appartenant à une même
branche économique qui s'adressent au même public avec des offres identiques
pour satisfaire le même besoin (ATF 125 II 129 consid. 10b p. 149 et la
jurisprudence citée), découlant de l'art. 27 Cst. n'était pas absolue et
autorisait des différences à condition que celles-ci répondent à des critères
objectifs et résultent du système lui-même; il est seulement exigé que les
inégalités ansi instaurées soient réduites au minimum nécessaire pour
atteindre le but d'intérêt public poursuivi (arrêts 2P.83/2005 du 26 janvier
2006, consid. 2.3, et 2A.26/2005 du 14 juin 2005, consid. 4.2; cf. aussi ATF
125 I 431 consid. 4b/aa p.435/436 appliquant l'art. 31 aCst.).

Sont enfin prohibées les mesures de politique économique ou de protection
d'une profession qui entravent la libre concurrence en vue de favoriser
certaines branches professionnelles ou certaines formes d'exploitation (ATF
125 I 209 consid. 10a p. 221 et la jurisprudence citée).

2.2 Selon l'art. 664 al. 1 CC, les biens du domaine public sont soumis à la
haute police de l'Etat sur le territoire duquel ils se trouvent. Par
conséquent, les cantons ou les communes peuvent réglementer l'usage qui en
est fait par les privés. Ainsi, ils sont en principe libres de décider par
qui et à quelles conditions le domaine public peut être utilisé. Cependant,
la jurisprudence a reconnu aux administrés un droit conditionnel à l'usage
accru du domaine public à des fins notamment commerciales (ATF 128 I 295
consid. 3c/aa p. 300 et la jurisprudence citée), comme l'installation d'un
stand dans une foire. Une autorisation ne peut être refusée que dans le
respect des droits fondamentaux, en particulier de l'égalité (art. 8 Cst.)
ainsi que de la liberté économique (art. 27 Cst.) notamment sous l'angle de
l'égalité entre concurrents (ATF 129 II 497 consid. 5.4.7 p. 527; 128 I 136
consid. 4.1 p. 145; 119 Ia 445 consid. 3c p. 451; SJ 2001 I p. 557,
2P.96/2000, consid. 5b p.562; François Bellanger, Commerce et domaine
public, in Le domaine public - Journée de droit administratif 2002, éd. par
François Bellanger et Thierry Tanquerel, Genève 2004, p. 43 ss, 50/51).
Lorsque la place à disposition est limitée, la collectivité publique doit
opérer un choix selon des critères objectifs. Elle peut retenir les demandes
les plus aptes à satisfaire les besoins de toute nature du public, du point
de vue de la qualité et de la diversité (ATF 128 I 136 consid. 4.2 p. 148;
arrêts 2P.145/2003 du 30 juillet 2003, consid. 4.1, et 2P.327/1998 du 3 mars
1999, consid. 2b). Finalement, il y a lieu de procéder à une pesée des
intérêts en présence (Blaise Knapp, Précis de droit administratif, 4e éd.,
Bâle 1991, nos 3027 et 3039, p. 620/621; David Hofmann, La liberté économique
suisse face au droit européen, thèse Genève 2005, p. 77; cf. aussi ATF 105 Ia
91 consid. 3 p. 94). Dans ce cadre, il est possible de tenir compte de
l'intérêt culturel. Sous l'empire de l'art. 4 aCst. (cf. art. 8 Cst.), le
Tribunal fédéral a admis qu'il était compatible, dans une certaine mesure,
avec le principe de l'égalité de traitement de favoriser les personnes
établies dans la commune concernée, sans toutefois se prononcer au regard de
l'égalité entre concurrents (ATF 121 I 279 consid. 5c p. 286). En revanche,
il n'existe pas de droit acquis au maintien d'une autorisation
(ATF 108 Ia
135 consid. 5a p. 139; SJ 1996 p. 533, 2P.58/1996, consid. 3b p.540; arrêt
2P.78/1997 du 16 janvier 1998, consid. 5). On peut concevoir l'établissement
d'une liste d'attente, pour autant qu'un tel système ne comporte pas un temps
d'attente excessif et qu'il assure une certaine rotation, sans quoi les
nouveaux arrivants n'auraient aucune chance d'obtenir une fois l'autorisation
sollicitée, ce qui violerait l'égalité entre concurrents (cf. ATF 121 I 279
consid. 4 et 5 p. 284 ss; 102 Ia 438 consid. 4 p. 442/443; François
Bellanger, op. cit., p. 60/61). Le mode de sélection mis en place doit avoir
les effets les plus neutres possible du point de vue de la concurrence (ATF
129 II 497 consid.5.4.7 p. 527; David Hofmann, op. cit., p. 77). On ne peut,
à qualité égale, favoriser systématiquement les mêmes candidats ou groupes de
candidats (ATF 128 I 136 consid. 4 p. 145 ss; arrêt 2P.145/2003 du 30 juillet
2003, consid. 4.1).

Il convient également de prendre en considération la loi fédérale sur le
marché intérieur. En fait, cette loi ne résout pas le problème particulier
des choix à opérer lorsque la place disponible est insuffisante. Elle règle
avant tout la liberté d'accès au marché lorsque le problème de
l'impossibilité de donner à tous, simultanément, une autorisation d'usage
accru du domaine public ne se pose pas. Il n'en reste pas moins qu'il faut
tenir compte, autant que faire se peut, du principe de non-discrimination,
tel qu'il est énoncé notamment à l'art. 3 LMI.

3.
La commune de Fleurier met à disposition la place de Longereuse et la rue de
la Place d'Armes pour sa foire annuelle, l'Abbaye de Fleurier. Ladite commune
invoque des motifs pertinents de sécurité et de tranquillité publiques pour
ne pas étendre davantage le périmètre de cette fête. Il n'en reste pas moins
qu'une telle délimitation ne permet pas forcément de satisfaire toutes les
demandes de places pour dresser un stand ou une guinguette, ce qui oblige
alors à opérer des choix entre les différents intéressés. L'art. 2 al. 2 du
Règlement établit l'ordre dans lequel ces demandes doivent être satisfaites,
en favorisant surtout les sociétés locales. En effet, cette disposition
permet d'attribuer des emplacements pour des stands d'abord aux sociétés et
marchands du village, puis elle élargit le cercle à ceux (1) du district du
Val-de-Travers, (2) du canton de Neuchâtel, (3) de Suisse romande et enfin
(4) des autres cantons suisses. Lors de l'Abbaye de Fleurier, l'activité des
sociétés locales consiste à tenir des stands où est vendue de la marchandise;
en effet, la commune de Fleurier n'allègue pas que ces sociétés dresseraient
des stands pour présenter leur activité et ne vendraient que très
accessoirement des marchandises. En tant que les produits vendus à ces stands
sont analogues à ceux du recourant, on peut dire que ces sociétés sont des
"concurrents directs" du recourant; tel ne serait pas le cas, en revanche,
dans la mesure où ces sociétés locales vendraient des produits différents de
ceux du recourant. L'ordre établi par l'art. 2 al. 2 du Règlement permet
d'attribuer les emplacements pour des stands où l'on vend des produits
semblables à ceux du recourant, lorsqu'il n'y a pas suffisamment de places
pour tous les marchands et sociétés qui désirent en vendre. L'art. 2 al. 2 du
Règlement prévoit ainsi une intervention contraire à la liberté économique et
aux principes consacrés par la loi fédérale sur le marché intérieur, car il
instaure un mécanisme privilégiant systématiquement les mêmes groupes de
candidats; n'étant pas neutre sur le plan économique, il fausse la
concurrence. Cette appréciation est en tout cas valable pour la préférence
donnée dans l'ordre aux sociétés et marchands du district du Val-de-Travers,
du canton de Neuchâtel, de Suisse romande et, enfin, des autres cantons
suisses. On peut cependant se demander s'il n'est pas possible d'accorder une
certaine préférence aux "sociétés et marchands du village", en dépit de la
liberté économique et des principes sous-tendant la loi fédérale sur le
marché intérieur (question non entièrement résolue par l'ATF 121 I 279
consid. 6c p. 287 ss). Une telle préférence paraît admissible, dans une
certaine mesure, pour une manifestation locale du type de l'Abbaye de
Fleurier. En effet, il peut y avoir un intérêt public à la présence de
"sociétés et marchands du village", afin d'assurer le succès et la
fréquentation de la foire. On peut également tenir compte du fait que les
sociétés locales pourront difficilement participer à d'autres manifestations
analogues. Il convient toutefois de mettre en place un système dont les
commerçants "non locaux" ne soient pas systématiquement écartés, sans avoir
aucune chance d'obtenir un jour un emplacement à l'Abbaye de Fleurier.

Dans ces conditions, l'art. 2 al. 2 du Règlement n'est pas constitutionnel.
Au demeurant, il n'appartient pas à l'autorité de céans, qui a rappelé
ci-dessus les principes généraux, de prescrire à la commune de Fleurier
comment régler la question qui se pose.

4.
Le recourant se plaint que le Règlement ne prévoie pas de voie de recours en
ce qui concerne l'attribution des emplacements lors de l'Abbaye de Fleurier.

Selon l'art. 9 de la loi du 25 mars 1996 sur l'utilisation du domaine public
du canton de Neuchâtel (ci-après: LUDP/NE), les décisions du "Conseil
communal" relatives à l'utilisation temporaire du domaine public, notamment
pour l'aménagement de bancs de marché, peuvent faire l'objet d'un recours
auprès du Département de la gestion du territoire du canton de Neuchâtel,
puis les décisions dudit département d'un recours auprès du Tribunal
administratif du canton de Neuchâtel (ci-après: le Tribunal administratif).
Au demeurant, le Tribunal administratif est autorité de recours ordinaire
contre les décisions des autorités communales si aucune autre autorité
cantonale inférieure n'est désignée comme telle par le droit fédéral ou
cantonal (art. 30 de la loi du 27 juin 1979 sur la procédure et la
juridiction administrative du canton de Neuchâtel). Il serait donc compétent
pour trancher tout recours contre une décision du Conseil communal prise en
application du Règlement, qui n'entrerait pas formellement dans le cadre de
l'art. 9 LUDP/NE. Ainsi, il n'était pas nécessaire que le Règlement contienne
une disposition relative aux voies de recours. Le grief du recourant doit
donc être rejeté.
Au surplus, on ne peut pas comparer le présent cas avec celui auquel se
réfère le recourant (SJ 2001 I 557, 2P.96/2000); en effet, une
caractéristique de cette autre affaire tenait à ce que les factures
litigieuses, fixant le prix d'emplacements sur le domaine public lors d'une
fête, n'émanaient précisément pas d'une autorité locale.

5.
Le recourant a conclu à l'annulation du Règlement dans son entier. Toutefois,
il soulève des griefs uniquement à l'encontre de l'art. 2 al. 2 du Règlement
ainsi que de l'absence de voie de recours. Son recours ne remplit donc pas
les conditions de l'art. 90 al. 1 lettre b OJ en tant qu'il conclut à
l'annulation des autres dispositions du Règlement. Il est donc irrecevable
dans cette mesure pour défaut de motivation.

6.
Vu ce qui précède, le recours doit être partiellement admis, en tant qu'il
est recevable. L'art. 2 al. 2 du Règlement doit être annulé. L'Arrêté doit
être annulé dans la mesure où il approuve cette disposition.

Bien que succombant, la commune de Fleurier et le Conseil d'Etat, dont
l'intérêt pécuniaire n'est pas en cause, n'ont pas à supporter de frais
judiciaires (art. 156 al. 2 OJ). La commune de Fleurier n'a pas droit à des
dépens (art. 159 al. 1 OJ).

Gagnant pour l'essentiel, le recourant a droit à des dépens très légèrement
réduits (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est partiellement admis, dans la mesure où il est recevable.

2.
L'art. 2 al. 2 du règlement de l'Abbaye de la commune de Fleurier du 14
décembre 2004 est annulé et l'arrêté d'approbation rendu le 25 janvier 2005
par le Conseil d'Etat du canton de Neuchâtel est annulé dans la mesure où il
se rapporte à cette disposition.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
La commune de Fleurier et le canton de Neuchâtel verseront au recourant une
indemnité de 2'500 fr., par moitié (1'250 fr.) chacun, à titre de dépens.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et au
Conseil d'Etat du canton de Neuchâtel.

Lausanne, le 18 avril 2006

Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2P.89/2005
Date de la décision : 18/04/2006
2e cour de droit public

Analyses

Art. 27 et 36 Cst., art. 3 LMI; constitutionnalité d'une réglementationcommunale relative à une foire, plus particulièrement de la dispositionconcernant l'usage accru du domaine public. Critères permettant d'opérer un choix entre les candidats à uneautorisation d'usage accru du domaine public à des fins commerciales,lorsque la place à disposition est insuffisante pour satisfaire toutes lesdemandes (consid. 2). L'art. 2 al. 2 du Règlement, qui établit un ordre de priorité en fonctionde la provenance géographique des intéressés contrevient à la libertééconomique et à la loi fédérale sur le marché intérieur, car il instaure unmécanisme privilégiant systématiquement les mêmes groupes de candidats etfausse par conséquent la concurrence (consid. 3).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-04-18;2p.89.2005 ?
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