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06/04/2006 | SUISSE | N°4C.421/2005

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 06 avril 2006, 4C.421/2005


{T 0/2}4C.421/2005 /ech Arrêt du 6 avril 2006Ire Cour civile MM. et Mmes les Juges Corboz, Président, Klett, Nyffeler, Favre et Kiss.Greffière: Mme Godat Zimmermann. A. ________ SA,B.________ SA,C.________ AG,D.________ SA,défenderesses et recourantes, représentées parMes Philippe Loretan et Stéphane Riand, contre Etat du Valais,demandeur et intimé, représenté par Me Nicolas Fardel. défaut de l'ouvrage; prescription; renonciation; abus de droit, recours en réforme contre le jugement de la Cour civile I du Tribunalcantonal du canton du Valais du 8 novembre 2005. Faits: A.A.a Le 7 ju

in 1995, l'Etat du Valais a adjugé au consortium formé parB...

{T 0/2}4C.421/2005 /ech Arrêt du 6 avril 2006Ire Cour civile MM. et Mmes les Juges Corboz, Président, Klett, Nyffeler, Favre et Kiss.Greffière: Mme Godat Zimmermann. A. ________ SA,B.________ SA,C.________ AG,D.________ SA,défenderesses et recourantes, représentées parMes Philippe Loretan et Stéphane Riand, contre Etat du Valais,demandeur et intimé, représenté par Me Nicolas Fardel. défaut de l'ouvrage; prescription; renonciation; abus de droit, recours en réforme contre le jugement de la Cour civile I du Tribunalcantonal du canton du Valais du 8 novembre 2005. Faits: A.A.a Le 7 juin 1995, l'Etat du Valais a adjugé au consortium formé parB.________ SA, D.________ SA, X.________, E.________ SA, la société en nomcollectif F.________ et G.________ SA, l'exécution de la superstructure et durevêtement de l'autorouteEURN9, sur le tronçon de 5,4 km allant de V.________à W.________ (lot n°...), pour le prix de 13'724'808EURfr.90. B.________ SAétait désignée comme entreprise pilote du consortium.Les conditions particulières du cahier d'appel d'offres définissaient laqualité des matériaux à utiliser, par référence aux normes SN, édictées parl'Union des professionnels suisses de la route (VSS). Pour la qualitéantidérapante du revêtement, notamment des granulats, il fallait respecterles réquisits de diverses normesSN, notamment un degré de résistance aupolissage accéléré (coefficient de polissage accéléré [CPA]), de 50 auminimum selon la norme SN670710d. Le consortium a acheté les matériauxnécessaires à la Gravière H.________, qui a sous-traité la commande à laCarrière I.________ SA. Dans un rapport du 21 mai 1996, le Laboratoire decontrôle bétons, enrobés et solsSA (LCBE) a jugé que les granulats analysésétaient utilisables pour tous les types de bétons bitumeux et que larésistance au polissage accéléré correspondait au minimum exigé pour toutesles catégories de trafic. L'entreprise X.________ s'est retirée du consortium avant le début destravaux.Ceux-ci ont eu lieu pendant l'été 1996; les parties ont procédé à laréception de l'ouvrage le 19 novembre 1996. Le consortium a étendu unrevêtement SMA11 (Splittmastixasphalt) sur le premier et le troisièmetronçons du lot n°... et un enrobé drainant DRA11 sur le deuxième tronçon. L'Etat du Valais a versé au total 13'677'702fr.05 au consortium. A.b En septembre 1998, l'Eidgenössische Technische Hochschule de Zurich (ETH)a réalisé un contrôle qui a révélé que les 800derniers mètres du lot n°...,revêtus de SMA11, présentaient une qualité antidérapante mauvaise,nécessitant d'installer des panneaux de mise en garde ou de réduire lavitesse maximale autorisée, ainsi que des réfections aux endroits les pluscritiques.Le 20 novembre 1998, l'Etat du Valais, par son Service des routes nationaleset des cours d'eau (ci-après: le Service des routes) a mandaté l'EPFL pourdéterminer la résistance au polissage des gravillons utilisés. Les analysesont permis de constater un degré de résistance de 41, donc inférieur au seuilminimum requis de 50, selon la normeSN applicable. Il est apparu que lesgranulats fournis par la Carrière I________SA satisfaisaient le CPA de50,mais seulement pour certains bancs.Le 18 février 1999, le Service des routes a dénoncé les défauts auconsortium, en relevant que le délai de garantie courait jusqu'au 18novembre2001. Par réponse du 25 février 1999, le consortium a assuré l'Etat du Valaisde sa volonté de présenter, dans les plus brefs délais, ses conclusions etpropositions. Il a avisé des défauts la Gravière H.________, qui s'estretournée contre la Carrière I________SA, dont l'assureur responsabilitécivile a refusé de couvrir le cas, au motif que le délai de garantie d'un anétait échu.En juin 1999, les représentants des parties, des deux gravières, du LCBE etdu Service des routes ont décidé de confier l'expertise de la qualitéantidérapante du revêtement au Laboratoire des voies de circulation de l'EPFL(LAVOC). En septembre 1999, les intéressés ont limité le mandat de celaboratoire pour maîtriser les frais d'expertise. A réception des conclusionsdu LAVOC, les parties ont tenu une séance, le 2 février 2000, au cours delaquelle elles ont toutes reconnu que les agrégats utilisés ne répondaientpas aux exigences des normes régissant le type de revêtement en cause. Leconsortium s'est engagé à proposer des solutions de réfection. Pour sa part,l'Etat du Valais a accepté de prendre à sa charge un pourcentage du coût desréparations, correspondant à l'amortissement du revêtement, voire au gain devie que ces travaux apporteraient. Les résultats du LAVOC étant contestés surcertains points, le Service des routes a procédé à divers carottages en datedu 21 mars 2000.Le 1er mai 2000, B.________ SA, pour le consortium, a présenté à l'Etat duValais différentes propositions de réfection, devisées.Par ailleurs, le Service des routes n'a constaté aucune augmentation desaccidents de la route en 1998 et 1999, qui serait due à la mauvaise qualitéantidérapante du revêtement.Dans son rapport de juillet 2000, le LAVOC a relevé que les exigencesd'adhérence, selon la norme SN640511b, n'étaient pas remplies, et que leCPA était insuffisant, avec des différences de qualité imputables auxvariations de la roche exploitée dans une même carrière. Le LAVOC a invitél'Etat du Valais à demander à l'ETH d'analyser l'évolution de l'usure durevêtement. D'après le rapport de l'ETH du 12décembre 2000, plusieurstronçons, dans les deux sens, étaient «d'une qualité très mauvaise».Le 5 juillet 2001, le Service des routes a adressé une copie de ce rapport auconsortium; par la même occasion, il a étendu l'avis du défaut de glissance àl'ensemble du revêtementSMA du lot n°... et exigé l'élimination du défautjusqu'à fin juin 2002; il attendait par ailleurs des propositions concrètesde réfection pour fin août 2001. Sans réponse du consortium, l'Etat du Valaisl'a relancé; le représentant de B.________ SA a alors affirmé n'avoir reçuque la copie du rapport, sans la lettre d'accompagnement du 5 juilllet 2001.Le Service des routes a remis une copie de cette dernière au consortium le21septembre2001. Le 11 octobre 2001, il l'a invité à prendre position surle délai de réparation avant la fin du mois. Le 17 octobre 2001, lereprésentant du consortium a indiqué qu'il avait requis l'opinion d'un expertavant de se déterminer.Les parties se sont réunies le 26 novembre 2001. Il ressort notamment duprocès-verbal de cette séance daté du 3 décembre 2001 que l'entrepreneuraccepte un délai à fin juin 2002 pour l'exécution des travaux de garantie etqu'un délai au 15 janvier 2002 est fixé au consortium pour proposer lesmodalités des réparations, en précisant le déroulement des travaux et lesmesures prises pour assurer la circulation routière.Le 9 janvier 2002, le consortium a accusé réception du procès-verbal etrejeté toute responsabilité pour le défaut de glissance duSMA. Aucuneobservation n'a été formulée quant au contenu du procès-verbal. Une offre deréfection du 6 décembre 2001 était jointe, devisée à 1'651'365fr.Du 26 février au 30 avril 2002, les parties ont poursuivi leur échange decorrespondance.Par courrier du 14 juin 2002, le consortium a contesté touteresponsaEURbilité. Le 23 juillet 2002, il a fait valoir que la prescriptionétait largement acquise; il acceptait de renoncer à s'en prévaloir «sousréEURserve qu'elle ne soit déjà acquise». Le même jour, l'Etat du Valais amis en demeure le consortium de s'exécuter, sur la base des proposiEURtionsacceptées par chaque partie; le 24 octobre 2002, il lui a soumisl'alternative suivante : - le consortium reconnaît sa responsabilité, exécute à ses frais lesréEURparations avec une participation de l'Etat du Valais de 552'000EURfr.;ou- les parties soumettent la question de la prescription aux autoritésjudiciaires, les réfections sont exécutées par une entreprise tierce et lecoût des travaux, arrêté à 1'101'000fr., est supporté par la partiedéboutée.En novembre 2003, soit en cours de procédure, les analyses réalisées parl'ETH ont confirmé que le revêtement SMA 11 du lot n°... présentait desdéfauts de glissance sur de très nombreux tronçons. B.Le 27 mars 2003, l'Etat du Valais a ouvert action à l'encontre deB.________SA, de D.________SA, de C.________ AG et de A.________ SA. Ilconcluait à ce que les défenderesses soient condamnées solidairement à luipayer le montant de 1'101'000fr. avec intérêt à 5% dès le 1erjanvier Par jugement du 8 novembre 2005, la Cour civile I du Tribunal cantonal ducanton du Valais a condamné B.________ SA et D.________ SA, solidairemententre elles, à verser à l'Etat du Valais 908'250fr.75 avec intérêt à 5%l'an dès le 1er janvier 2003. Les frais de la procédure étaient mis à lacharge de B.________ SA et de D.________ SA, qui devaient en outre payer àl'Etat du Valais une indemnité de dépens de 29'360 fr. Dans le jugement, ilétait précisé que l'action introduite contre A.________ SA et C.________ AGdevait être rejetée, faute de légitimation passive. En conséquence, l'Etat duValais était condamné à verser à chacune de ces deux parties une indemnité de3'550fr. à titre de dépens. C.A.________ SA, B.________ SA, C.________ AG et D.________ SA interjettent unrecours en réforme, par lequel elles concluent à l'annulation de l'arrêtattaqué et au rejet de la demande de l'Etat du Valais. Le demandeur propose le rejet du recours. Par arrêt de ce jour, le recours de droit public formé parallèlement par lesdéfenderesses a été rejeté dans la mesure de sa recevabilité. Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.1.1 Comme toute voie de droit, le recours en réforme suppose que celui qui ledépose ait un intérêt à recourir (ATF 130 III 102 consid. 1.3 p. 105 etl'arrêt cité). Le recourant doit être lésé par la décision attaquée. Il y alésion formelle (formelle Beschwer) lorsque la partie n'a pas obtenu le pleinde ses conclusions. Mais il faut en plus une lésion matérielle (materielleBeschwer): le jugement attaqué doit atteindre les droits de la partie et luiêtre défavorable quant à ses effets juridiques; en principe, un tel intérêtexiste en cas de lésion formelle (ATF 120 II 5 consid. 2a p. 7/8 et lesréférences). 1.2 En l'espèce, la demande de l'Etat du Valais contre A.________ SA etC.________ AG a été rejetée pour défaut de légitimation passive. Ces deuxentreprises ont obtenu entièrement gain de cause et ne sont donc lésées niformellement, ni matériellement par le jugement attaqué. Dans ces conditions,le recours est irrecevable en tant qu'il est formé par A.________ SA etC.________ AG. 2.2.1En tant qu'il est interjeté par les défenderesses B.________ SA etD.________ SA (ci-après: les défenderesses), qui ont été déboutées de leursconclusions libératoires, et qu'il est dirigé contre un jugement final renduen dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ),sur une contestation civile dont la valeur litigieuse atteint le seuil de8'000 fr. (art. 46 OJ), le recours est recevable, puisqu'il a été déposé entemps utile compte tenu des féries (art. 34 al. 1 let. b et 54 al. 1 OJ) etdans les formes requises (art. 55 OJ). 2.2 Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral (art. 43al. 1 OJ). En revanche, il ne permet pas de se plaindre de la violationdirecte d'un droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 2ephrase OJ), nide la violation du droit cantonal (art. 55 al. 1 let.cOJ; ATF 127 III 248consid. 2c p. 252). Saisi d'un tel recours, le Tribunal fédéral conduit sonraisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décisionattaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aientété violées, qu'il faille rectifier des constatations reposant sur uneinadvertance manifeste (art. 63 al.2 OJ) ou compléter les constatations del'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faitspertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64 OJ).Dans la mesure où une partie recourante présente un état de fait qui s'écartede celui contenu dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précisionde l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possibled'en tenir compte (ATF 130 III 102 consid. 2.2 p.106, 136 consid. 1.4). Ilne peut être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faitsou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours enréforme n'est pas ouvert pour remettre en cause l'appréciation des preuves etles constatations de fait qui en découlent (ATF 130 III 136 consid. 1.4;129III 618 consid.3). 2.3 Au surplus, la juridiction de réforme ne peut aller au-delà desconclusions des parties; en revanche, elle n'est liée ni par les motifsdéveloppés par celles-ci (art. 63 al. 1 OJ; ATF 130 III 136 consid. 1.4; 128III 411 consid. 3.2.2 p. 415), ni par l'argumentation juridique adoptée parla cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 130 III 136 consid.1.4; 128 III 22consid. 2e/cc p. 29). 3.Le demandeur a fondé son action sur la garantie de l'entrepreneur pour lesdéfauts de l'ouvrage. Les défenderesses ont soulevé l'exception deprescription. Il n'est pas contesté que le délai de prescription de cinq ansa commencé de courir le 19 novembre 1996 pour arriver à échéance le 18novembre 2001. Pour rejeter l'exception de prescription, la cour cantonale a tenu deuxraisonnements. Tout d'abord, elle a considéré que, dans les circonstances del'espèce, les défenderesses commettaient un abus de droit en se prévalant dela prescription. Au surplus, elle a jugé que, par son attitude lors de laséance du 26 novembre 2001, la représentante du consortium avait renoncé à seprévaloir de la prescription de sorte que celle-ci n'était pas acquise lorsde l'introduction d'instance du 27 mars 2003. Dans leur recours, les défenderesses s'en prennent à ces deux motivations. 4.Il convient d'examiner en premier lieu les critiques que les défenderessesadressent à la seconde argumentation développée dans le jugement attaqué. Alire le recours, il ressort de l'interprétation de l'ensemble descirconstances que le consortium n'a pas accepté de renoncer à la prescriptionlors de la séance du 26 novembre 2001, fût-ce de manière implicite. Si telavait été le cas, le rédacteur du procès-verbal n'aurait pas manqué dementionner le mot «prescription»; or, ce dernier ne figure nulle part. 4.1 L'art. 141 al. 1 CO prescrit qu'est nulle toute renonciation anticipée àla prescription. Selon un arrêt récent, qui consacre une modification de lajurisprudence, cette disposition ne prohibe que la renonciation à laprescription qui intervient au moment précis de la conclusion du contrat,l'interdiction étant valable pour tous les délais de prescription, et nonseulement pour ceux du titre troisième du CO. Après que le contrat a étéconclu, le débiteur peut sans autre renoncer à se prévaloir de laprescription tant que le délai court; cette faculté vaut quel que soit ledélai de prescription en cause (ATF 132 III 226 consid. 3.3.7 p. 239). Il estégalement possible de renoncer à invoquer l'exception de prescription unefois que le délai est écoulé (même
arrêt, consid. 3.3.7 p. 240; déjà ATF 99II 185 consid. 2b; 113 II 264 consid. 2e p. 269; 122 III 10 consid. 7 p. 20).La durée pour laquelle la renonciation dépend de la volonté des parties,déterminée, le cas échéant, par voie d'interprétation; elle ne sauraittoutefois dépasser dix ans (ATF 132 III 226 consid. 3.3.8 p. 240). La renonciation à la prescription peut se faire sans forme; des actesconcluants suffisent s'ils constituent des indices clairs de la volontéunivoque du débiteur (Pascal Pichonnaz, Commentaire romand, n. 7 ad art. 141CO; Berti, Basler Kommentar, 3e éd., n. 5 ad art. 141 CO). Le comportement oula déclaration en cause s'interprète selon le principe de la confiance (cf.ATF 112 II 231 consid. 3e/bb p. 233). 4.2 En l'espèce, contrairement à l'avis de la cour cantonale, on ne saurait,selon les règles de la bonne foi, interpréter l'acceptation, le 26novembre2001, d'un délai à fin juin 2002 pour l'exécution des travaux de garantiecomme un indice clair de la volonté univoque des entrepreneurs de renoncer àl'exception de prescription. En effet, celle-ci était acquise depuis le 18novembre 2001, mais aucun élément du jugement attaqué ne permet d'affirmerque la représentante des défenderesses était consciente de ce fait lors de laséance du 26novembre 2001 et qu'elle ait donc accepté le délai à fin juin2002 en toute connaissance de cause. La question de la prescription n'est pasévoquée dans le procès-verbal de ladite réunion; dès lors, l'on ne peut pasnon plus admettre que le demandeur pouvait déduire clairement de l'attitudedu représentant de B.________ SA que les membres du consortium renonçaient àl'exception de prescription. Le jugement attaqué consacre ainsi une violationdu droit fédéral en admettant une telle renonciation implicite de la part desdéfenderesses. Il y a dès lors lieu d'examiner si l'autre raisonnement desjuges précédents est conforme au droit fédéral. 5.D'après les défenderesses, la cour cantonale a également violé le droitfédéral en admettant qu'elles commettaient un abus de droit en excipant de laprescription. 5.1 Selon l'art. 2 al. 2 CC, l'abus manifeste d'un droit n'est pas protégépar la loi. L'existence d'un tel abus se détermine selon les circonstancesconcrètes du cas, en s'inspirant des diverses catégories mises en évidencepar la jurisprudence et la doctrine (ATF 129 III 493 consid. 5.1 p. 497 etles arrêts cités). L'adjectif «manifeste» indique qu'il convient de semontrer restrictif dans l'admission de l'abus de droit (consid. 5b non publiéde l'ATF 128 III 284 et l'arrêt cité).La règle prohibant l'abus de droit autorise le juge à corriger les effets dela loi dans certains cas où l'exercice d'un droit allégué créerait uneinjustice manifeste. Cependant, son application doit demeurer restrictive etse concilier avec la finalité, telle que l'a voulue le législateur, de lanorme matérielle applicable au cas concret (ATF 107 Ia 206 consid. 3b p. 211et les références), en l'espèce la prescription quinquennale de l'art. 371al. 2 CO (François Chaix, Commentaire romand, n. 24 à 34ad art. 371 CO;Gauch, Der Werkvertrag, 4e éd., n. 2215-2217, p.582/583).Selon la jurisprudence, le débiteur commet un abus de droit en se prévalantde la prescription, non seulement lorsqu'il amène astucieusement le créancierà ne pas agir en temps utile, mais également lorsque, sans mauvaiseintention, il a un comportement qui incite le créancier à renoncer àentreprendre des démarches juridiques pendant le délai de prescription etque, selon une appréciation raisonnable, fondée sur des critères objectifs,ce retard apparaît compréEURhenEURsible. Le comportement du débiteur doitêtre en relation de causalité avec le retard à agir du créancier (ATF 131 III430 consid. 2 p. 437; 128 V 236 consid.EUR4a p. 241 et les arrêts cités;arrêt 4C.296/2003 du 12 mai 2004, consid. 3.6, in SJ 2004 I p. 589,notamEURment p. 594/595).En revanche, si, une fois la prescription acquise, le débiteur a adopté uneattitude propre à dissuader le créancier, ce dernier ne saurait invoquerl'abus de droit (Pichonnaz, op. cit., n. 13 ad art. 142 CO). En effet, lecomportement du débiteur ne joue plus aucun rôle après l'écoulement du délaide prescription (ATF 113 II 264 consid. 2e p.269). 5.2 En l'espèce, il convient de reprendre la chronologie des faits et desattitudes des parties après la réception de l'ouvrage, le 19 novemEURbre1996. En septembre et novembre 1998, divers contrôles ont été opérés parl'ETH et l'EPFL; sur cette base, le Service des routes a, par lettre du 18février 1999, dénoncé les défauts constatés, soit une résistance insuffisanteau polissage entraînant une «glissance» sur les 700 ou 800 derniers mètres dulot n°.... Dans ce courrier, le demanEURdeur a expressément rappelé que ledélai de garantie courait jusqu'au 18 novembre 2001, sans préciser toutefoisqu'il coïncidait avec le délai de prescription, ce qui ne pouvait paséchapper au maître de l'ouEURvrage. Le consortium a réagi déjà le 25 février1999, en assurant le demandeur de son intention de présenter rapidement sesconclusions et propositions. Le groupe d'entrepreneurs a ainsi manifesté sabonne volonté, sans reconnaître expressément sa responsabilité. Dans lamesure où le défaut provenait principalement de la qualité du matériauutilisé, le consortium s'est alors retourné contre les fournisseurs, soit laGravière H.________ et sa sous-traitante, la Carrière I________ SA. Par lasuite, en juin 1999, deux séances ont réuni tous les intéressés, à l'issuedesquelles une expertise commune des parties a été confiée au LAVOC, dont lemandat a encore été précisé à fin septembre 1999. Cette collaboration s'estpoursuivie jusqu'à l'examen des conclusions du LAVOC, qui ont étépartiellement contestées en février 2000. Le demandeur a alors été amené àrequéEURrir une expertise complémentaire à l'ETH, sans prise de position, niopposition de la part des entrepreneurs. En mai 2000, l'entreprise pilote duconsortium a présenté des propositions de réfection, mais devisées. Le 12décembre 2000, l'ETH a rendu son rapport, qui attestait de la très mauvaisequalité du revêtement sur de nombreux tronçons. Ce n'est que le 5 juillet2001 que le demandeur a étendu l'avis des défauts de «glissance» à l'ensembledu revêtement SMAEUR11 du lot n°..., en mettant en demeure le consortium deprocéder à l'élimination du défaut d'ici à fin juin 2002.Il découle de ce rappel des faits que les parties ont tout d'abord cherEURchéà trouver un règlement amiable, notamment par la mise sur pied d'uneexpertise commune, mais dont les résultats ont été en partie contestés. Deleur côté, les membres du consortium ont d'emblée imEURpliqué leursfournisseurs, qui ont d'ailleurs participé à l'élaboration de la premièreexpertise, dont le LAVOC a été chargé.Les démarches envers des tiers prennent certes du temps, mais leur légitimiténe permet pas de considérer qu'il y a abus de droit lorsque le débiteur lesaccomplit (cf. arrêt 5C.61/2003 du 23 octobre 2003, conEURsid. 4). Lorsque ledébiteur participe à la recherche de solutions avec le créancier et tenteparallèlement d'impliquer des tiers sans reconnaîEURtre expressément outacitement sa responsabilité, le créancier ne peut inférer de cette attitudela haute probabilité d'un arrangement à l'amiable, qui le pousserait àrenoncer à toute mesure nécessaire à l'interruption de la prescription (cf.arrêt 5C.68/2000 du 13 juillet 2000, consid. 3a et b). Il est vrai par ailleurs que, avant la survenance de la prescription, lesmembres du consortium ont soumis au maître de l'ouvrage des propoEURsitionsde réfection du défaut. Celles-ci étaient toutefois accompaEURgnées de devis,de sorte que le demandeur devait inférer de cette circonstance que lesentrepreneurs n'accepteraient pas sans autre - notamment pas sans être payés- d'assumer la responsabilité des insuffisances du revêtement. De plus, le demandeur a attendu du 12 décembre 2000 au 5 juillet 2001 pourétendre l'avis des défauts concernant la qualité du revêteEURment SMAEUR11,dont il tenait responsables les membres du consortium; il a notifié unedeuxième fois cet avis le 21 septembre 2001, avec une mise en demeure àl'intention du consortium de prendre position sur les travaux de réfectionnécessaires d'ici au 11 octobre 2001. Ce faisant, le maître de l'ouvragedevait avoir présent à l'esprit que le délai de prescription quinquennal,correspondant en l'espèce avec le délai de garantie, dont les deux échéancesintervenaient le 18EURnovembre 2001, approchait. Vu l'expérience des deuxparties et l'imporEURtance de la créance pour les membres du consortium, ilne pouvait considérer que ces derniers renonceraient à une institution aussiimportante que la prescription. Le 17 octobre 2001, le repréEURsentant duconsortium a indiqué du reste qu'il avait requis l'opinion d'un expert avantde se déterminer; une nouvelle fois, il a signalé qu'il impliquerait sasous-traitante, la Gravière H.________. Par ailleurs, l'engagement pris par les membres du consortium, lors d'uneséance du 26 novembre 2001, ne peut pas être pris en consiEURdération, dèslors qu'il est intervenu après que la prescription était acquise, en date du18 novembre 2001 (cf. consid. 5.1 in fine). Sur ce point, les précédents juges ont considéré que l'attitude des membresdu consortium, lors de ladite réunion, reflétait «l'esprit conEURciliant quianimait les pourparlers entre les parties» dans la période précédant lasurvenance de la prescription. Or, comme déjà relevé, il n'est pas contestéque les entrepreneurs aient cherché des solutions avec le maître del'ouvrage; ils n'ont toutefois jamais reconnu, expressément ou par actesconcluants, leur responsabilité de façon claire, puisqu'ils ont contesté unepartie des résultats de l'expertise mise en oeuvre communément et qu'ils onttoujours voulu se retourner contre leurs fournisseurs, le défaut dénoncé entemps utile provenant essentiellement de la qualité du matériau utilisé. Dans le cadre de négociations entre un maître de l'ouvrage, chargé de faireconstruire des équipements routiers et disposant d'un personnel technique etjuridique qualifié, et un groupe d'entrepreneurs déployant son activité dansce genre d'ouvrage, il n'y a guère de place pour un comportement douteux dudébiteur, amenant astucieusement, même sans mauvaise intention, à endormir lavigilance du maître de l'ouvrage et à le dissuader d'interrompre laprescription avant l'échéanEURce du délai en cause. Dans les circonstances del'espèce, le maître de l'ouvrage ne pouvait pas s'abstenir de réagir, soit enobtenant formellement des membres du consortium une renonciation à laprescription, soit en l'interrompant lui-même par la notification d'unepoursuite ou par l'introduction d'une demande.En conclusion, les entrepreneurs n'ont pas abusé de leur droit en rejeEURtanttoute responsabilité le 9 janvier 2002, avant d'invoquer la presEURcription,successivement les 14 juin et 23 juillet 2002. L'attitude parfois peutranchée des membres du consortium et une certaine ambivalence de leur partn'étaient de loin pas suffisantes à faire croire au maître de l'ouvragequ'ils renonceraient à l'institution de la prescription dans une affaireaussi importante. Selon une appréciation raisonnable des cirEURconstances,fondée sur des critères objectifs, elles n'étaient pas de nature à inciter ledemandeur à renoncer à toutes démarches juridiEURques avant l'échéance dudélai de prescription, survenue le 18EURnoEURvembre 2001. La qualitérespective des parties, leur coopération dans la réalisation de travauxpublics d'envergure et la constance des membres du consortium, qui n'ontjamais admis leur responsabilité, démontrent que l'invocation de laprescription, dans le cas particulier, ne peut pas être abusive en l'espèce.En rejetant l'exception de presEURcription pour cause d'abus de droit, lacour cantonale a dès lors violé le droit fédéral. 6.Ces considérations commandent l'admission du recours et la réforme dujugement du 8 novembre 2005, en ce sens que la demande de l'Etat du Valaisest rejetée pour cause de prescription. 7.A.________ SA et C.________ AG, qui ont déposé un recours irrecevable,supporteront une part réduite des frais judiciaires. Comme il n'a pas soulevéla question de l'absence d'intérêt au recours des deux sociétés précitées, ledemandeur ne peut prétendre à des dépens à cet égard. Pour le reste et vu l'issue du litige, les frais judiciaires seront mis à lacharge du demandeur, qui a agi en tant que maître de l'ouvrage et non en tantqu'autorité (art. 156 al. 1 et 2 OJ). Ce dernier versera en outre des dépensaux défenderesses B.________ SA et D.________ SA, créancières solidaires(art. 159 al. 1 et 5 OJ).Le dossier sera renvoyé à la cour cantonale pour nouvelle décision sur lesfrais et dépens exposés devant cette juridiction, sauf sur les dépensaccordés à A.________ SA et C.________ AG. Sur ce dernier point, il n'y a eneffet pas lieu de revenir sur les montants qui ont été alloués en instancecantonale à deux parties dont le recours en réforme est irrecevable et quiont été fixés d'une manière non arbitraire selon l'arrêt sur recours de droitpublic parallèle. Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours est irrecevable en tant qu'il est formé par A.________ SA et parC.________ AG. 2.Le recours est admis en tant qu'il est formé par B.________ SA et D.________SA. Le jugement attaqué est annulé en tant qu'il condamne B.________ SA etD.________ SA, solidairement entre elles, à verser à l'Etat du Valais 908'250fr.75 avec intérêt à 5% dès le 1er janvier 2003. La demande de l'Etat du Valais est rejetée. 3.Un émolument judiciaire de 800 fr. est mis à la charge de A.________ SA. Un émolument judiciaire de 800 fr. est mis à la charge de C.________ AG. 4.Un émolument judiciaire de 12'000 fr. est mis à la charge de l'Etat duValais. 5.L'Etat du Valais versera à B.________ SA et D.________ SA, créancièressolidaires, une indemnité de 13'000 fr. à titre de dépens. 6.La cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision sur lesfrais et dépens de la procédure cantonale (chiffres 2 et 3 du dispositif dujugement attaqué à l'exclusion du chiffre 4). 7.Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à laCour civile I du Tribunal cantonal du canton du Valais. Lausanne, le 6 avril 2006 Au nom de la Ire Cour civiledu Tribunal fédéral suisse Le Président: La Greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.421/2005
Date de la décision : 06/04/2006
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-04-06;4c.421.2005 ?
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