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08/03/2006 | SUISSE | N°I.941/05

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 08 mars 2006, I.941/05


{T 7}
I 941/05

Arrêt du 8 mars 2006
Ire Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Ferrari, Ursprung, Lustenberger
et Frésard. Greffier : M. Métral

F.________, recourant, représenté par Me Jean-Marie Allimann, avocat, rue de
la Justice 1, 2800 Delémont,

contre

Office de l'assurance-invalidité du canton du Jura, rue Bel-Air 3, 2350
Saignelégier, intimé

Tribunal cantonal de la République et canton du Jura, Chambre des assurances,
Porrentruy

(Jugement du 8 décembre 2005)

Faits:

A.
Par

décision du 18 février 2005, l'Office de l'assurance-invalidité du canton
du Jura (ci-après : l'office AI) a révisé le droit à la ren...

{T 7}
I 941/05

Arrêt du 8 mars 2006
Ire Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Ferrari, Ursprung, Lustenberger
et Frésard. Greffier : M. Métral

F.________, recourant, représenté par Me Jean-Marie Allimann, avocat, rue de
la Justice 1, 2800 Delémont,

contre

Office de l'assurance-invalidité du canton du Jura, rue Bel-Air 3, 2350
Saignelégier, intimé

Tribunal cantonal de la République et canton du Jura, Chambre des assurances,
Porrentruy

(Jugement du 8 décembre 2005)

Faits:

A.
Par décision du 18 février 2005, l'Office de l'assurance-invalidité du canton
du Jura (ci-après : l'office AI) a révisé le droit à la rente dont F.________
était titulaire et mis fin aux prestations allouées, avec effet dès le 1er
avril 2005. Il a rejeté l'opposition de l'assuré par décision sur opposition
du 15 juin 2005, notifiée le 17 juin suivant. Sous le titre «moyens de
droit», l'office AI a précisé que cette décision sur opposition pouvait faire
l'objet d'un recours devant le Tribunal cantonal jurassien, dans les 30 jours
à compter de sa notification; il a également indiqué que selon la loi
fédérale sur la procédure administrative, les délais fixés en jours ne
couraient pas du 7ème jour avant Pâques au 7ème jour après Pâques inclus (a),
du 15 juillet au 15 août inclus (b) et du 18 décembre au 1er janvier inclus
(c).

B.
Le 17 août 2005, F.________ a saisi le Tribunal cantonal jurassien d'un
recours contre la décision sur opposition du 15 juin 2005.

Par jugement du 8 décembre 2005, la juridiction cantonale a déclaré le
recours irrecevable. Elle a considéré que les règles relatives à la
suspension des délais du 15 juillet au 15 août, citées par l'office AI,
n'étaient pas applicables et que le droit cantonal pertinent ne prévoyait
aucune période de suspension des délais, de sorte que le recours était
tardif.

C.
F.________ interjette un recours de droit administratif contre ce jugement.
Il en demande l'annulation et conclut au renvoi de la cause à la juridiction
cantonale pour qu'elle entre en matière sur le recours contre la décision sur
opposition du 15 juin 2005, sous suite de frais et dépens.

L'office AI conclut au rejet du recours, alors que l'Office fédéral des
assurances sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur la recevabilité du recours interjeté par F.________
contre la décision sur opposition rendue le 15 juin 2005 par l'office AI. Il
s'agit plus particulièrement de déterminer si le délai de recours contre
cette décision a été suspendu du 15 juillet au 15 août 2005, comme le
soutient le recourant, ou s'il est arrivé à échéance après 30 jours, sans
suspension, comme l'a admis la juridiction cantonale.

2.
2.1La loi fédérale du 6 octobre 2000 sur la partie générale du droit des
assurances sociales (LPGA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2003. Elle
coordonne le droit fédéral des assurances sociales, notamment en fixant les
normes d'une procédure uniforme et en réglant l'organisation judiciaire dans
ce domaine (art. 1 let. b LPGA). Les dispositions générales de procédure se
trouvent au chapitre 4. La section 2 de ce chapitre (art. 34 ss LPGA)
contient les règles de procédure en matière d'assurances sociales et règle à
l'art. 38 le calcul et la suspension des délais. Aux termes de l'alinéa 4 de
cette disposition, les délais en jours ou en mois fixés par la loi ou par
l'autorité ne courent pas :
a) du 7ème jour avant Pâques au 7ème jour après Pâques inclusivement;
b) du 15 juillet au 15 août inclusivement;
c) du 18 décembre au 1er janvier inclusivement.
Ces périodes de féries sont identiques à celles définies par l'art. 22a PA
pour les délais fixés en jours par la loi ou par l'autorité. En effet, le
législateur n'a pas voulu créer, pour la partie générale du droit des
assurances sociales, un régime de suspension des délais fondamentalement
différent de celui de la PA, dont il s'est inspiré (ATF 131 V 310 sv. consid.
4.3).
2.2 Le contentieux fait l'objet de la section 3 du chapitre 4 de la LPGA
(art. 56 ss). Les art. 56 al. 1 et 60 al. 1 LPGA disposent que les décisions
sur opposition et celles contre lesquelles la voie de l'opposition n'est pas
ouverte sont sujettes à recours, dans les trente jours suivant leur
notification. Les art. 38 à 41 sont applicables par analogie (art. 60 al. 2
LPGA).

3.
Les premiers juges ont considéré que le droit de procédure cantonal ne
comportait aucune disposition relative à la suspension des délais et qu'il
demeurait applicable, conformément à l'art. 82 al. 2 LPGA, pendant une
période transitoire courant jusqu'au 31 décembre 2007.

3.1 La LPGA impose aux cantons d'adapter leur législation dans un délai de 5
ans à partir de son entrée en vigueur. Dans l'intervalle, les dispositions
cantonales en vigueur restent applicables (art. 82 al. 2 LPGA). Cette
réglementation transitoire vise les normes cantonales de procédure et leur
adaptation aux art. 56 à 61 LPGA. Elle autorise les cantons à maintenir et à
appliquer sans changement leurs propres normes de procédure, même contraires
à la LPGA, pendant un délai de 5 ans échéant le 31 décembre 2007 (ATF 131 V
313 consid. 5.1, 323 consid. 5.2). L'art. 82 al. 2 LPGA ne revêt toutefois
aucune portée lorsque les exigences de procédure posées par la LPGA sont
l'expression d'un principe général du droit des assurances sociales ou
reprennent des règles déjà posées par des dispositions de droit fédéral
antérieures à la LPGA. En effet, il n'y a pas lieu de laisser un délai aux
cantons pour adapter leur procédure à la nouvelle loi, là où le droit fédéral
précédemment en vigueur ne laissait pas place à une réglementation cantonale
divergente (SVR 2004 EL n. 2 p. 6 consid. 2.3 [arrêt du 4 septembre 2003, P
23/03] relatif à la perception de frais de procédure en cas de recours
téméraire ou interjeté à la légère; cf. également arrêt B. du 29 juillet
2005, I 547/04, consid. 2, arrêt I. du 31 mai 2005, I 456/04, consid. 2 et
arrêt F. du 14 avril 2005, I 245/04, consid. 2 [droit aux dépens pour une
procédure de recours en matière d'assurance-invalidité]; arrêt M. et S. AG du
10 août 2004, K 121/03, consid. 2.2 [qualité pour recourir]; arrêt M. du 13
février 2004, C 259/03, consid. 2 [reformatio in pejus]; arrêt X. du 16
octobre 2003, H 110/03, consid. 2 [maxime inquisitoire]). La portée exacte de
l'art. 82 al. 2 LPGA dépend donc, notamment, de la réglementation fédérale
existant avant l'entrée en vigueur de la LPGA dans la branche du droit des
assurances sociales en cause.

3.2
3.2.1La jurisprudence a déduit de la réglementation transitoire de l'art. 82
al. 2 LPGA que les lois cantonales de procédure prévoyant d'autres périodes
de suspension des délais que celles réservées par l'art. 38 al. 4 LPGA (en
relation avec l'art. 60 al. 2 LPGA), ou ne prévoyant pas de suspension des
délais, demeuraient en principe applicables jusqu'à leur adaptation à la
LPGA, mais au plus tard jusqu'au 31 décembre 2007 (ATF 131 V 323 consid. 5.2,
auquel s'est référée la juridiction cantonale; voir également ATF 131 V 325,
consid. 4.2 non publié au Recueil officiel [arrêt du 26 août 2005, U
308/03]). Ces arrêts portaient sur des litiges relatifs à des prestations de
l'assurance-accidents obligatoire. La LAA, tout comme la LACI ou la LAMal,
dans leur teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002, ne comportaient pas de
disposition relative à la suspension des délais de recours devant les
juridictions cantonales, ni ne renvoyaient sur ce point à l'art. 22a PA. Les
cantons étaient donc libres de prévoir des périodes de suspension différentes
de celles retenues par le législateur fédéral à l'art. 22a PA, ou d'exclure
de telles périodes de suspension des délais. Depuis l'entrée en vigueur de la
LPGA, qui règle la question de manière uniforme aux art. 38 al. 4 et 60 al. 2
LPGA, ils disposent d'un délai de 5 ans pour adapter leur législation,
conformément à l'art. 82 al. 2 LPGA.

3.2.2 Contrairement au droit fédéral relatif à l'assurance-accidents,
l'assurance-chômage et l'assurance-maladie, la législation sur
l'assurance-vieillesse et survivants, l'assurance-invalidité, les prestations
complémentaires à l'assurance-vieillesse, survivants et invalidité, les
allocations pour perte de gain et les allocations familiales dans
l'agriculture, telle qu'en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002, déclarait les
art. 20 à 24 PA applicables au contentieux devant les juridictions cantonales
de recours (cf. anciens art. 96 LAVS, 81 LAI, 29 LAPG, 22 al. 3 LFA, 9a LPC;
RO 1952 p. 849 et 1055, 1972 p. 2547, 1996 p. 2497, 1997 p. 2958). Dans ces
branches du droit des assurances sociales, la législation fédérale ne
laissait donc pas de place, déjà avant l'entrée en vigueur de la LPGA, à
l'application de normes de procédure cantonales excluant la suspension des
délais fixés en jours par l'autorité ou par la loi, pour les périodes du 7ème
jour avant Pâques au 7ème jour après Pâques inclusivement, du 15 juillet au
15 août inclusivement et du 18 décembre au 1er janvier inclusivement. De ce
point de vue, l'entrée en vigueur de la LPGA n'a pas modifié la situation, de
sorte que le délai transitoire réservé par l'art. 82 al. 2 LPGA pour
l'adaptation du droit cantonal ne revêt aucune portée (cf. consid. 3.1
supra). Dans les domaines de l'assurance-vieillesse et survivants, de
l'assurance-invalidité, des prestations complémentaires à
l'assurance-vieillesse, survivants et invalidité, des allocations pour perte
de gain et des allocations familiales dans l'agriculture, l'art. 38 al. 4
LPGA est directement applicable, comme l'était précédemment l'art. 22a PA,
lorsque le droit cantonal de procédure ne comporte aucune disposition
relative à la suspension des délais ou pose une réglementation différente de
celle prévue par le droit fédéral (voir également Jean Métral, à propos des
arrêts U 268/03 et I 723/04 du 26 août 2005, in : REAS 2005 p. 353 sv.).

Il n'y a pas lieu de tirer une autre conclusion de l'ATF 131 V 313 consid. 5,
dans lequel le Tribunal fédéral des assurances mentionne, certes, la
réglementation transitoire prévue par l'art. 82 al. 2 LPGA dans un litige
relatif à la computation d'un délai de recours en matière
d'assurance-invalidité, mais constate finalement que le droit cantonal
pertinent ne diverge pas de la réglementation prévue par l'art. 38 al. 4
LPGA. Dans un tel cas de figure, l'entrée en vigueur de la LPGA ne change
rien, en effet, à l'application principale et prioritaire du droit cantonal
conforme à la LPGA pour la procédure de recours devant le tribunal cantonal
des assurances (cf. ATF 130 V 324 sv. consid. 2.1).
3.3 Vu ce qui précède, le délai de 30 jours dont disposait F.________ pour
recourir contre la décision sur opposition du 15 juin 2005 de l'office AI a
été suspendu du 15 juillet au 15 août 2005 inclusivement. Le point de savoir
si le droit cantonal jurassien renvoie au droit fédéral en ce qui concerne la
suspension des délais, comme le soutient le recourant, ou s'il s'écarte du
droit fédéral sur ce point, comme l'a retenu la juridiction cantonale, peut
être laissé ouvert. En effet, la juridiction cantonale aurait dû, le cas
échéant, laisser inappliquée une norme de procédure cantonale contraire au
droit fédéral, l'art. 82 al. 2 LPGA ne trouvant pas à s'appliquer à la
question de la suspension du délai de recours contre une décision en matière
d'assurance-invalidité.

Compte tenu de la date de notification de la décision litigieuse, le 17 juin
2005, et de la suspension du délai de recours du 15 juillet au 15 août
inclusivement, celui-ci est arrivé à échéance le 18 août 2005. Le recours
interjeté devant la juridiction cantonale a été remis à un bureau de La Poste
suisse la veille de l'échéance du délai, de sorte qu'il est recevable.

4.
Le recourant a invoqué le droit à la protection de sa bonne foi, en raison
des informations sur les périodes de suspension des délais contenues dans la
décision sur opposition litigieuse. Cette question est sans objet, puisque le
recours interjeté devant les premiers juges a été déposé dans le délai utile.

5.
Le recourant obtient gain de cause, de sorte qu'il peut prétendre des dépens
à la charge de l'intimé (art. 159 al. 1 OJ). La procédure est onéreuse (art.
134 OJ a contrario), de sorte que les frais de justice sont mis à la charge
de l'intimé, conformément à l'art. 156 al. 1 OJ.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis et le jugement du Tribunal cantonal de la République et
canton du Jura, Chambre des assurances, du 8 décembre 2005 est annulé,
l'affaire étant renvoyée à l'autorité judiciaire de première instance pour
décision sur le fond.

2.
Les frais de justice, d'un montant de 500 fr., sont mis à la charge de
l'Office de l'assurance-invalidité du canton du Jura.

3.
L'avance de frais effectuée par le recourant, d'un montant de 500 fr., lui
est restituée.

4.
L'intimé versera au recourant la somme de 2000 fr. (y compris la taxe à la
valeur ajoutée) à titre de dépens pour l'instance fédérale.

5.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal de la
République et canton du Jura, Chambre des assurances, et à l'Office fédéral
des assurances sociales.

Lucerne, le 8 mars 2006

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

La Présidente de la Ire Chambre: Le Greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : I.941/05
Date de la décision : 08/03/2006
Cour des assurances sociales

Analyses

Art. 38 al. 4, art. 60 al. 2 et art. 82 al. 2 LPGA: Suspension des délaisde recours devant la juridiction cantonale; droit transitoire. L'art. 82 al. 2 LPGA ne revêt aucune portée pour l'application des normesde procédures de la LPGA qui expriment un principe général du droit desassurances sociales ou reprennent le contenu de dispositions de droitfédéral qui s'imposaient déjà aux cantons avant le 1er janvier 2003.(consid. 3.1) Dans les domaines de l'assurance-vieillesse et survivants, del'assurance-invalidité, des prestations complémentaires àl'assurance-vieillesse, survivants et invalidité, des allocations pour pertede gain et des allocations familiales dans l'agriculture, les périodes desuspension des délais prévues par les art. 38 al. 4 et 60 al. 2 LPGA pourles contentieux devant les tribunaux cantonaux des assurances sontidentiques à celles prévues par le droit fédéral applicable précédemment. Iln'y a pas de place, même pendant le délai de cinq ans prévu par l'art. 82al. 2 LPGA, pour l'application de normes de procédures cantonales prévoyantd'autres périodes de suspension des délais ou excluant une telle suspension.(consid. 3.2.2)


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-03-08;i.941.05 ?
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