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01/03/2006 | SUISSE | N°1A.326/2005

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 01 mars 2006, 1A.326/2005


{T 0/2}
1A.326/2005 /col

Arrêt du 1er mars 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Nay, Aeschlimann, Reeb et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.

la société A.________,
recourante, représentée par Me Nicolas Piérard, avocat,

contre

Office fédéral de la justice, Office central USA, Bundesrain 20, 3003 Berne.

Entraide judiciaire internationale en matière pénale avec les USA,

recours de droit administratif contre la décision de l'Office central USA du
11 novembre 2005.

Faits:

A.>Le 19 juillet 2004, le Ministère de la Justice des Etats-Unis d'Amérique a
adressé à la Suisse une demande d'entraide judiciaire, dans...

{T 0/2}
1A.326/2005 /col

Arrêt du 1er mars 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Nay, Aeschlimann, Reeb et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.

la société A.________,
recourante, représentée par Me Nicolas Piérard, avocat,

contre

Office fédéral de la justice, Office central USA, Bundesrain 20, 3003 Berne.

Entraide judiciaire internationale en matière pénale avec les USA,

recours de droit administratif contre la décision de l'Office central USA du
11 novembre 2005.

Faits:

A.
Le 19 juillet 2004, le Ministère de la Justice des Etats-Unis d'Amérique a
adressé à la Suisse une demande d'entraide judiciaire, dans le cadre d'une
procédure ouverte par le Procureur fédéral pour l'arrondissement central de
la Californie. Les faits sont en résumé les suivants. B.________, citoyen
américain, aurait détourné plusieurs dizaines de millions de dollars au
préjudice de la société de placement C.________ (Séoul), qu'il dirigeait.
Simultanément, il aurait pris le contrôle de la société D.________, par le
biais de sociétés du Nevada. Il aurait ensuite fait intervenir des sociétés
d'investissement fictives et ouvert à leurs noms de nombreux comptes en Corée
du Sud. Ces sociétés auraient investi dans D.________ une partie des sommes
détournées. Les bénéfices de ces opérations, transférés aux Etats-Unis,
auraient permis de faire croire à des investissements étrangers pour attirer
de nouveaux investisseurs. Ainsi, 24 millions de dollars seraient parvenus
sur des comptes en Californie, investis dans des biens immobiliers et des
produits de luxe, ou répartis sur différents comptes bancaires. Parmi ceux-ci
figure un compte ouvert auprès de de la banque E.________, au nom de la
société A.________. Arrêté en décembre 2001 en Corée du Sud pour les
détournements au préjudice de C.________, B.________ avait été libéré et
s'était enfui aux Etats-Unis. Il y avait été arrêté le 27 mai 2004 à la
demande des autorités coréennes, pour les faits relatifs à D.________. La
procédure d'extradition était toujours en cours. La demande d'entraide
américaine tend à l'obtention de renseignements sur le compte précité, ainsi
que sur tout autre compte lié aux personnes impliquées.
L'autorité requérante a fourni des indications complémentaires les 4 et 18
août 2004. D.________ avait déposé une demande de dommages-intérêts en Corée
du Sud contre B.________, pour un montant de 30millions de dollars.

B.
Le 30 août 2004, l'Office central USA est entré en matière. Les faits décrits
étaient constitutifs, en droit suisse, de gestion déloyale et de blanchiment
d'argent. L'exécution de la demande était déléguée aux autorités du canton de
Genève. Le blocage du compte de A.________, ordonné le 18 mai 2004 à titre de
mesure provisoire, a été confirmé.

A. ________ a formé opposition contre les mesures provisoires et contre la
décision d'entrée en matière. Selon elle, la demande comportait de nombreuses
lacunes et inexactitudes. Il n'existait aucune procédure pénale contre
B.________ aux Etats-Unis, mais seulement une action en confiscation de
biens, de nature civile, destinée à indemniser les victimes de nationalité
coréenne. L'opposante invoquait en outre les principes de double
incrimination et de proportionnalité.
A l'invitation de l'Office central, l'autorité requérante a présenté des
informations complémentaires. L'entraide était exclusivement requise pour les
besoins de la procédure civile de confiscation (Civil Forfeiture). Prévue par
les art. 1355 du titre 28 et 981 du titre 18 du Code des Etats-Unis, cette
procédure permettait la confiscation de l'instrument ou du produit d'actes
illicites. Elle était dirigée contre le bien lui-même, indépendamment d'une
accusation ou d'une condamnation de l'auteur. En l'occurrence, trois actions
de ce genre étaient pendantes devant un tribunal du District central de
Californie, visant deux résidences ainsi que tous les avoirs de B.________ et
de son épouse, aux Etats-Unis ou en Suisse. Dans ce cadre, les titulaires des
biens disposaient de moyens de défense, le Ministère public devant pour sa
part rendre vraisemblable la provenance illicite des biens. Les victimes,
notamment en Corée du Sud, pourraient prétendre à la restitution des biens
confisqués.

C.
Par décision du 11 novembre 2005, l'Office central a rejeté les oppositions.
L'entraide requise n'entrait pas dans le cadre du TEJUS. Elle pouvait
toutefois être accordée sur la base de l'EIMP. La procédure de confiscation
était indépendante de la procédure pénale. A l'instar de cette dernière, elle
constituait toutefois un instrument de la lutte contre la criminalité et
présentait de nombreuses analogies avec la confiscation prévue aux art. 58 et
59 CP. Elle pouvait donc être assimilée à une "affaire pénale" au sens de
l'EIMP. Elle était par ailleurs a priori compatible avec l'ordre public
suisse et la CEDH: depuis la réforme de l'institution, le 23 août 2003, le
Procureur devait non seulement rendre vraisemblable le motif de confiscation,
mais fournir une "preuve prépondérante". La possibilité de confisquer en
l'absence de condamnation était également prévue en droit suisse, même si les
exigences en matière de preuve paraissaient plus élevées. La demande n'était
pas entachée d'erreurs manifestes, et la compétence de l'Etat requérant
n'était pas contestable. La condition de la double incrimination était
satisfaite, s'agissant d'actes de gestion déloyale et de blanchiment. Les
mesures d'entraide apparaissaient proportionnées.

D.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, A.________ demande
au Tribunal fédéral d'annuler les décisions de l'Office central.
Ce dernier conclut au rejet du recours dans la mesure où il est recevable.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
La décision par laquelle l'Office central suisse octroie l'entraide
judiciaire en vertu de l'art. 5 al. 2 let. b LTEJUS et rejette une opposition
selon l'art. 16 de la même loi, peut être attaquée par la voie du recours de
droit administratif prévue à l'art. 17 al. 1 LTEJUS (ATF 124 II 124 consid.
1b p. 126; 118 Ib 547 consid. 1c p. 550).
La recourante est titulaire du compte concerné par la demande d'entraide.
Elle a qualité pour agir (cf. art. 16 LTEJUS, de même teneur que l'art. 80h
let. b EIMP).

2.
Invoquant les art. 1 al. 3 et 63 in fine EIMP, la recourante conteste que la
procédure américaine de confiscation civile (Civil Forfeiture) puisse donner
lieu à l'entraide judiciaire pénale de la part de la Suisse. Le large recours
à cette procédure, de préférence à la confiscation pénale également connue du
droit américain, s'expliquerait par ses avantages procéduraux, en particulier
sous l'angle de la preuve. La confiscation civile serait totalement
indépendante de toute procédure pénale, et ne saurait être comparée à la
confiscation prévue aux art. 58 et 59 CP: la présomption d'innocence ne
s'appliquerait pas et le fardeau de la preuve serait renversé. Pour les mêmes
raisons, la mesure de blocage du compte serait disproportionnée.

2.1 L'Office central a considéré que le Traité entre la Suisse et les
Etats-Unis (TEJUS; RS 0.351.933.6) n'était pas applicable à la présente
cause. En effet, l'entraide judiciaire n'est pas requise pour les besoins
d'une procédure pénale proprement dite, mais pour une procédure de
confiscation. Or, les procédures de restitution pour lesquelles l'entraide
judiciaire peut être accordée en vertu du Traité sont limitées aux objets ou
valeurs appartenant à l'Etat requérant lui-même (art. 1 al. 1 let. b TEJUS).
L'art. 5 al. 3 let. a TEJUS prévoit certes l'utilisation des renseignements
pour une procédure en paiement de dommages-intérêts, mais cela suppose que
l'entraide judiciaire a préalablement été accordée sur la base du Traité (cf.
également l'art. 1 al. 1 let. c TEJUS).
Si le droit conventionnel ne prévoit pas expressément un certain mode de
collaboration, cela n'empêche pas la Suisse de l'accorder en vertu des
dispositions de son droit interne, soit de l'EIMP. La jurisprudence constante
permet en effet l'application du droit interne lorsque celui-ci apparaît plus
favorable à la coopération que le droit conventionnel (ATF 123 II 134 consid.
1a p. 136; 122 II 140 consid. 2 p. 142; 120 Ib 120 consid. 1a p. 122/123, 189
consid. 2a p. 191/192; 118 Ib 269 consid. 1a p. 271, et les arrêts cités).
L'Office central a ainsi estimé que la procédure de confiscation pouvait, en
elle-même, être considérée comme une "affaire pénale" au sens de l'art. 1 al.
3 EIMP, de sorte qu'il n'était pas nécessaire de rechercher s'il existait une
poursuite pénale ouverte à l'encontre de B.________ dans l'Etat requérant.
Cette question doit être examinée en premier lieu.

2.2 La coopération judiciaire internationale en matière pénale ne peut être
accordée, par définition, que pour la poursuite d'infractions pénales dont la
répression relève de la compétence des autorités judiciaires de l'Etat
requérant (art. 1 al. 3 EIMP; cf. aussi l'art. 1 al. 1 let. a TEJUS;
Zimmermann, La coopération judiciaire internationale en matière pénale, Berne
2004 p. 373). Il faut, en d'autres termes, qu'une action pénale soit ouverte
dans l'Etat requérant (arrêt 1A.32/2000 du 19 juin 2000, consid. 7 non publié
à l'ATF 126 II 258). Cela n'implique pas nécessairement une inculpation ou
une mise en accusation formelle; une enquête préliminaire suffit, pour autant
qu'elle puisse aboutir au renvoi d'accusés devant un tribunal compétent pour
réprimer les infractions à raison desquelles l'entraide est demandée (ATF 123
II 161 consid. 3a p. 165; 118 Ib 457 consid. 4b p.460; 116 Ib 452 consid. 3a
p. 460/461, et les arrêts cités).
La collaboration judiciaire de la Suisse a ainsi pu être accordée pour des
enquêtes menées par des autorités administratives, dans la mesure où
celles-ci constituaient le préalable à la saisine des autorités judiciaires
compétentes pour procéder à une mise en accusation (ATF 109 Ib 50 consid. 3
concernant la Securities and Exchange Commission) et pouvaient aboutir au
renvoi devant un juge pénal (ATF 121 II 153). L'entraide est aussi accordée
pour des procédures préliminaires, lorsque l'Etat requérant déclare d'emblée
et clairement qu'il a la volonté d'ouvrir une procédure pénale (ATF 113 Ib
257 consid. 5 p.271).
Les renseignements transmis par la Suisse peuvent également servir à des
procédures connexes à la procédure pénale, par exemple une procédure civile
destinée à indemniser la victime de l'infraction (ATF 122 II 134 consid. 7 p.
136), une enquête menée par une commission parlementaire (ATF 126 II 316
consid. 4 p. 322), voire une procédure administrative destinée à résoudre une
question préjudicielle décisive pour le procès pénal (ATF 128 II 305). Il
s'agit dans ces cas d'une exception à la règle de la spécialité, soumise à
l'approbation de l'office fédéral (art. 67 al. 2 EIMP), qui nécessite un
rapport de connexité avec la procédure pénale. Ce mode d'entraide est dit
"secondaire", puisqu'il présuppose toujours l'existence d'une entraide
"primaire" - strictement pénale - pour laquelle les renseignements ont été
transmis.
En revanche, le droit suisse de l'entraide judiciaire pénale ne saurait
servir de base à la collaboration de la Suisse pour des procédures
strictement administratives ou à des procédures civiles conduites à
l'étranger (ATF 113 Ib 257 consid. 5 p. 270). Une requête d'entraide pénale
formée aux seules fins de détourner les règles de l'entraide civile devrait
être considérée comme abusive (ATF 122 II 134 consid. 7b p. 137).

2.3 En l'occurrence, l'autorité requérante expose que les renseignements
bancaires sont destinés exclusivement à la procédure de confiscation des
biens obtenus frauduleusement, procédure fondée sur les art. 1355 du titre 28
et 981 du titre 18 du code des Etats-Unis. Il s'agit d'une procédure de
caractère civil, indépendante de toute poursuite ou de toute condamnation de
l'auteur des infractions. Bien que citoyen américain, B.________ se trouve en
détention extraditionnelle aux Etats-Unis, à la demande de la Corée du Sud.
Il semble ainsi que l'Etat requérant n'ait pas l'intention, du moins dans
l'immédiat, d'ouvrir une procédure pénale à raison des faits qui motivent sa
demande d'entraide.
A défaut d'une procédure pénale proprement dite, il y a lieu de rechercher si
la procédure de confiscation pourrait, en tant que telle, être assimilée à
une cause de nature pénale.

3.
La question de savoir si la procédure étrangère a un caractère pénal au sens
des art. 1 al. 3 et 63 EIMP, doit être résolue selon les conceptions du droit
suisse. A cet égard, la dénomination de la procédure étrangère n'est pas
déterminante, pas plus en principe que les spécificités procédurales que
peuvent présenter les systèmes juridiques anglo-américains, notamment en ce
qui concerne le tribunal appelé à statuer sur la contestation et les règles
relatives à la preuve (arrêt 1A.86/1990 du 8 octobre 1990).

3.1 Selon les explications fournies par l'autorité requérante, la procédure
de confiscation civile est dirigée non pas contre l'auteur de l'infraction,
mais contre un bien ayant servi à commettre un délit, ou constituant le
produit d'une infraction. Il s'agit d'une action "in rem", indépendante de
toute poursuite à l'encontre de l'auteur, dans laquelle le ministère public
doit apporter la preuve "prépondérante" d'un lien entre les valeurs à
confisquer et les infractions. Les dispositions applicables à cette procédure
figurent dans la section 981, chapitre 46 du titre 18 du Code des Etats-Unis,
intitulé "Crimes and Criminal Procedures".
La procédure pénale américaine connaît également une confiscation pénale,
mais celle-ci, considérée comme une sanction, nécessite la poursuite et la
condamnation de l'auteur de l'infraction (Daams, Criminal Assets Forfeiture,
Nijmegen 2003, p. 35). La confiscation civile permet ainsi de pallier cette
conception restrictive et autorise une confiscation dans les autres cas où
elle serait également ordonnée selon le droit suisse.

3.2 L'Office central a considéré que cette procédure de confiscation civile
avait un caractère pénal, notamment parce qu'elle s'apparente aux mesures
prévues aux art. 58 et 59 CP.
La recourante relève quant à elle que l'usage extensif de la procédure de
Criminal Forfeiture, facilitée par l'application
des règles de la procédure
civile, ferait l'objet de critiques aux Etats-Unis. En droit suisse, une
confiscation ne serait pas possible lorsque l'autorité pénale refuse
délibérément d'exercer une poursuite.

4.
En droit suisse, la confiscation fait partie des "autres mesures" prévues aux
art. 57 ss CP. Selon l'art. 59 CP, le juge prononcera la confiscation des
valeurs patrimoniales qui sont le résultat d'une infraction ou qui étaient
destinées à décider ou à récompenser l'auteur d'une infraction, si elles ne
doivent pas être restituées au lésé en rétablissement de ses droits (ch. 1
al. 1). A l'instar de la confiscation d'objets dangereux (art. 58 CP), la
confiscation de valeurs patrimoniales est possible "alors même qu'aucune
personne déterminée n'est punissable", c'est-à-dire lorsque l'auteur de
l'infraction ne peut être identifié, qu'il est décédé ou irresponsable ou
qu'il ne peut être poursuivi en Suisse pour d'autres raisons, par exemple
parce qu'il s'est enfui à l'étranger et qu'il n'a pas été extradé (ATF 128 IV
145 consid. 2c). Dans tous les cas, la confiscation suppose réunis les
éléments constitutifs objectifs et subjectifs d'une infraction - même si la
culpabilité de son auteur n'est pas examinée - et un lien entre celle-ci et
les objets à confisquer. La confiscation ne constitue pas une sanction in
personam, mais une mesure "in rem". Elle possède également un caractère
répressif, puisqu'elle tend à empêcher l'auteur de bénéficier du produit de
l'infraction (Vouilloz, La confiscation en droit pénal - art. 58 ss CP, PJA
2001 p. 1387, 1388). Dans le cas visé à l'art. 59 ch. 3 CP (confiscation des
avoirs d'une organisation criminelle), la confiscation a également un but
préventif (ATF 131 II 169 consid. 9).
La procédure de confiscation peut être menée de manière accessoire, dans le
cadre d'une procédure pénale ouverte en Suisse; elle fait alors partie du
jugement pénal. Lorsqu'aucune procédure pénale n'est ouverte (par exemple en
cas d'absence de plainte, pour des infractions poursuivies sur plainte - ATF
129 IV 305 -, ou en cas de renonciation à la poursuite pénale pour des motifs
d'opportunité) ou lorsqu'elle n'a pas abouti à un jugement, une procédure
indépendante peut être ouverte par l'autorité du lieu de situation de l'objet
à confisquer.

4.1 Les mesures de confiscation, tant en droit suisse qu'américain,
constituent un instrument de la lutte contre la criminalité, visant à la
suppression de l'avantage illicite, afin que "le crime ne paie pas". Il
s'agit dans les deux cas de procédures de caractère réel, dans le cadre
desquelles la culpabilité de l'auteur de l'infraction n'est pas examinée.
Contrairement à ce que soutient la recourante, les deux procédures peuvent
être menées indépendamment de la poursuite de l'infraction (cf. SJ 1997 p.
189).
La recourante estime que la présomption d'innocence ne serait pas applicable
à la confiscation civile du droit américain. Elle n'est pas non plus
directement applicable à la procédure prévue aux art. 58 et 59 CP: le juge de
la confiscation recherche uniquement si les biens ont un lien avec une
infraction, mais ne s'interroge pas sur la culpabilité de son auteur. Ainsi,
lorsque la mesure de confiscation est menée indépendamment de la procédure
pénale proprement dite, ou lorsqu'elle frappe une personne qui n'est pas
accusée, la présomption d'innocence n'est pas opposable (ATF 117 IV 233
consid. 2 p. 236; arrêts de la CourEDH Butler c/ Royaume-Uni du 27 juin 2002,
Recueil CourEDH 2002-VI p. 369; Phillips c/ Royaume-Uni du 5 juillet 2001,
Recueil CourEDH 2001-VII p. 55). Au demeurant, certains allégements du
fardeau de la preuve sont aussi prévus en droit suisse de la confiscation,
notamment s'agissant des fonds en relation avec une organisation criminelle,
présumés soumis à son pouvoir de disposition (art. 59 ch. 3 CP). Enfin,
depuis la réforme de l'institution par le "Civil Asset Forfeiture Reform
Act", la charge de la preuve incombe en premier lieu à l'autorité qui entend
confisquer. S'il y a un allégement du fardeau de la preuve, il n'y a pas en
revanche renversement de celui-ci.

4.2 La Suisse a déjà tenu compte des conceptions particulières du droit
anglo-saxon, d'une part en ratifiant la Convention relative au blanchiment,
au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime (CBl, RS
0.311.53). Dans leur rapport explicatif, les experts expliquent avoir tenu
compte des écarts considérables en ce qui concerne les différents types de
procédures suivies pour la prise des décisions de confiscation, en
particulier les procédures indépendantes de l'accusation, et les procédures
"in rem". Ils relèvent qu'un instrument efficace de coopération doit prendre
en compte ces différences entre les législations internes (rapport
explicatif, §16). A propos de l'art. 13 CBl, le rapport relève que toute
procédure pouvant déboucher sur une décision de confiscation, indépendamment
de ses liens avec les procédures pénales ou des règles de procédure
applicables, peut remplir les conditions requises pourvu qu'elle soit menée
par des autorités judiciaires et qu'elle ait un caractère pénal, autrement
dit qu'elle concerne les instruments d'une infraction pénale ou ses produits.
Ces procédures (qui englobent par exemple les procédures dites in rem) sont
désignées dans le texte de la convention, sous le nom de "procédures aux fins
de confiscation". Même si l'Etat requérant n'a pas ratifié la CBl, celle-ci
permet d'interpréter de manière large la notion de procédure pouvant donner
lieu à confiscation.
Par ailleurs, selon l'art. 2 de la loi fédérale sur le partage des valeurs
patrimoniales confisquées, du 19 mars 2004 (LVPC), la loi prévoit, en cas
d'entraide judiciaire internationale en matière pénale, le partage entre la
Suisse et les Etats étrangers des valeurs patrimoniales qui sont confisquées
en vertu du droit suisse ou qui font l'objet d'une mesure de confiscation ou
d'une mesure analogue en vertu du droit étranger. Cette dernière notion
recouvre les différentes formes que peut revêtir, selon le droit étranger, la
mainmise de l'Etat sur les valeurs délictueuses. "Ainsi, aux Etats-Unis, la
procédure de confiscation in rem, qui est dirigée contre les seules valeurs
délictueuses, est de nature civile" (FF 2002 p. 442).

4.3 La procédure étrangère présente ainsi une similitude suffisante avec les
procédures de confiscation prévues ou reconnues en droit suisse. Elle
suppose, d'une part, l'existence d'une infraction pénale et, d'autre part, un
lien entre cette infraction et les objets et valeurs à confisquer. Elle peut
par conséquent être en principe assimilée à une "cause pénale" au sens des
art. 1 al. 3 et 63 EIMP.

5.
Pour cela, il faut toutefois qu'il existe dans l'Etat requérant à tout le
moins une compétence répressive, quand bien même les autorités n'entendent
pas effectivement l'exercer. L'entraide pénale (recte: judiciaire)
internationale en matière pénale ne peut en effet être accordée qu'à un Etat
susceptible de poursuivre les agissements décrits (ATF 126 II 212 consid. 6b;
Zimmermann, La coopération judiciaire internationale en matière pénale, Berne
2004 n° 366 p. 377-378).

5.1 L'application des art. 58 et 59 CP dépend elle aussi d'une telle
compétence. La jurisprudence relative à l'art. 59 ch. 1 et 2 CP exige en
effet que l'infraction d'où proviennent les valeurs ressortisse à la
compétence de la juridiction suisse (ATF 128 IV 145): les art. 3 à 7 CP
posent les règles d'application du code pénal, dont l'art. 59 CP fait
précisément partie; la confiscation en relation avec une infraction est donc
elle aussi soumise aux conditions de lieu dont dépend la juridiction suisse.
L'exception spécialement prévue à l'art. 24 LStup (RS 812.121) démontre que
le droit suisse ne reconnaît pas de manière générale la confiscation au forum
rei sitae (ATF 128 IV 145 consid. 2d in fine p.152). L'exigence d'une
compétence pénale s'étend à la confiscation des biens d'une organisation
criminelle prévue à l'art. 59 ch. 3 CP (arrêt 6P.142/2004 du 7 janvier 2005).
La procédure de confiscation ouverte dans l'Etat requérant ne saurait ainsi
être assimilée à une affaire pénale que dans la mesure où les autorités
pénales de l'Etat requérant sont compétentes pour la répression des
infractions décrites.

5.2 Dès lors qu'elle s'examine au regard des règles de droit interne de
l'Etat requérant, la compétence des autorités répressives de cet Etat est en
général présumée. En l'occurrence toutefois, une telle compétence n'est pas
alléguée par l'autorité requérante, compte tenu de la nature de sa démarche.
Sur le vu du dossier, il n'est pas possible de résoudre cette question.
Le 19 août 2005, l'OFJ a interpellé l'autorité requérante afin de savoir,
notamment, s'il existait une procédure pénale ouverte contre B.________ ou
d'autres participants aux infractions, et le cas échéant pour quelles
infractions. Dans sa réponse du 5 août 2005, le Procureur californien
explique qu'il existe une procédure pénale au sujet de laquelle il n'est pas
actuellement "en mesure de révéler ses détails ni de répondre à ces questions
spécifiques". Il précise que les renseignements obtenus de la Suisse ne
serviront qu'à la procédure de confiscation civile. Cette réponse n'apporte
rien à propos de la compétence pénale des juridictions américaines, de sorte
que l'autorité suisse en est réduite à des suppositions.
L'autorité requérante indique que B.________ se serait rendu coupable de
fraude postale et par télécommunication, ainsi que de blanchiment d'argent.
Ces délits paraissent avoir été, en partie tout au moins, commis sur le
territoire de l'Etat requérant, notamment en raison de la création et de
l'intervention de sociétés américaines et de par le fait que les bénéfices
illicites ont été transférés aux Etats-Unis, où ils auraient été réinvestis
dans des biens de luxe. Cela pourrait permettre d'admettre, en vertu du
principe de territorialité, une compétence des autorités pénales américaines.
Les principaux inculpés sont par ailleurs de nationalité américaine et
domiciliés en Californie, ce qui peut également constituer un facteur de
rattachement. Cela étant, l'Etat requérant est saisi d'une demande
d'extradition de la Corée du Sud, et semble vouloir y donner suite. On ignore
toutefois à raison de quels faits l'extradition est demandée, et quel serait
l'effet de l'extradition sur les compétences répressives de l'Etat requérant.

5.3 Il y aura lieu, par conséquent, d'interpeller l'autorité requérante afin
qu'elle indique si les autorités répressives américaines disposent d'une
compétence pour juger pénalement les infractions décrites dans la demande. Le
cas échéant, il conviendra qu'elle précise également à raison de quelles
infractions l'extradition de B.________ est requise, et quelles conséquences
l'octroi éventuel de l'extradition aurait sur les compétences répressives des
autorités judiciaires américaines. Enfin, il y aura lieu également
d'expliquer quelle sera la destination des biens faisant l'objet de la
procédure de confiscation. L'autorité requérante évoque en effet le
remboursement des victimes en Corée du Sud, tout en précisant que ces
dernières n'ont qu'un droit d'intervention. L'autorité américaine devra
préciser les conditions d'exercice de ce droit, ainsi que le sort des biens
en cas d'absence ou de rejet des prétentions des victimes.

6.
La recourante invoque le principe de la double incrimination. Elle soutient
que les infractions de fraude et d'escroquerie ont été commises en Corée.
Quant au blanchiment d'argent, non prévu par le TEJUS, il nécessiterait
également un acte préalable punissable aux Etats-Unis, qui ferait défaut en
l'occurrence.

6.1 L'examen de la punissabilité selon le droit suisse comprend les éléments
constitutifs objectifs et subjectifs de l'infraction, après transposition
nécessaire de l'état de fait, à l'exclusion des conditions particulières
posées en matière de culpabilité et de répression (ATF 117 Ib 64 consid. 5c
p. 90). Il n'est pas nécessaire que les faits incriminés soient qualifiés
juridiquement de la même manière dans les deux Etats, ni qu'ils soient soumis
aux mêmes conditions de punissabilité ou passibles de peines équivalentes: il
suffit qu'ils soient réprimés dans les deux Etats comme des délits donnant
ordinairement lieu à la collaboration internationale (cf. art. 4 ch. 4 TEJUS;
ATF 117 Ib 337 consid. 4a p. 342), l'important étant que les infractions
décrites par l'autorité requérante soient, d'une manière ou d'une autre,
appréhendées par le droit pénal de l'Etat requis. L'autorité suisse doit
ainsi se livrer à une appréciation d'ensemble des faits décrits. Elle est par
ailleurs tenue par cette description (ATF 125 II 250 consid. 5b p. 257, 122
II 422 consid. 3c p. 431 et les arrêts cités).

6.2 Tels qu'ils sont décrits, les agissements reprochés à B.________ (fraude
au moyen de la poste et des télécommunications, blanchiment d'argent)
seraient constitutifs d'escroquerie et de blanchiment d'argent. Le grief
soulevé par la recourante ne remet pas en cause cette qualification
juridique, mais uniquement la compétence des autorités américaines pour
connaître de ces infractions. Le grief se recoupe dans cette mesure avec
l'argumentation relative à la compétence.

7.
Le recours de droit administratif doit donc être admis au sens des
considérants qui précèdent. La décision attaquée est annulée est la cause
renvoyée à l'Office central afin qu'il obtienne de l'autorité requérante les
précisions nécessaires quant à la compétence pénale des autorités
américaines. La recourante obtient gain de cause et a droit à des dépens, à
la charge de l'Office central (art. 159 al. 1 OJ). Il n'est pas perçu
d'émolument judiciaire (art. 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis, la décision attaquée est annulée et la cause est
renvoyée à l'Office central afin qu'il obtienne de l'autorité requérante les
précisions nécessaires quant à la compétence pénale des autorités
américaines.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3.
Une indemnité de dépens de 3000 fr. est allouée à la recourante, à la charge
de l'Office central.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante et à
l'Office fédéral de la justice, Office central USA (B
149486).

Lausanne, le 1er mars 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.326/2005
Date de la décision : 01/03/2006
1re cour de droit public

Analyses

Art. 1 al. 3 et art. 63 EIMP. La procédure américaine de confiscation civile du produit de l'infractionpeut être assimilée à une affaire pénale, pour autant qu'il existe unecompétence répressive dans l'Etat requérant (consid. 3-5).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-03-01;1a.326.2005 ?
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