La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/02/2006 | SUISSE | N°I.336/04

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 08 février 2006, I.336/04


{T 7}
I 336/04

Arrêt du 8 février 2006
Ire Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Ursprung, Borella, Kernen et
Frésard. Greffière : Mme von Zwehl

Office cantonal de l'assurance-invalidité, rue de Lyon 97, 1211 Genève 13,
recourant,

contre

S.________, intimée

Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève

(Jugement du 11 mai 2004)

Faits:

A.
Après avoir arrêté de travailler quelques années pour s'occuper de sa
famille, S.________, née en 1961, a bénéficié de prestations de c

hômage dès
le 15 janvier 1998. Au mois de septembre suivant, elle a commencé à ressentir
des douleurs à la nuque, au dos, ainsi qu'aux m...

{T 7}
I 336/04

Arrêt du 8 février 2006
Ire Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Ursprung, Borella, Kernen et
Frésard. Greffière : Mme von Zwehl

Office cantonal de l'assurance-invalidité, rue de Lyon 97, 1211 Genève 13,
recourant,

contre

S.________, intimée

Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève

(Jugement du 11 mai 2004)

Faits:

A.
Après avoir arrêté de travailler quelques années pour s'occuper de sa
famille, S.________, née en 1961, a bénéficié de prestations de chômage dès
le 15 janvier 1998. Au mois de septembre suivant, elle a commencé à ressentir
des douleurs à la nuque, au dos, ainsi qu'aux membres supérieurs. Déclarée
incapable de travailler à partir du 20 août 1999, elle s'est annoncée à
l'assurance-invalidité le 21 décembre 2000, sollicitant l'octroi d'une rente.

Dans un rapport du 5 février 2001, le médecin traitant de l'assurée, la
doctoresse P.________, spécialiste en rhumatologie et médecine interne, a
posé le diagnostic de cervico-lombalgies chroniques, fibromyalgie, état
dépressif réactionnel, polyarthrite scapulo humérale (PSH) droite chronique;
à son avis, aucune activité n'était adaptée en raison des douleurs, de la
fatigue et de l'humeur dépressive de sa patiente. Quant à son confrère
J.________, spécialiste en neurologie, il a attesté, le 2 février 2000, que
l'examen neurologique était normal, et retenu la possibilité du diagnostic de
fibromyalgie.

L'Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l'office
AI) a requis l'avis du Service médical régional AI [SMR] sur le cas. A
l'issue d'un examen pluridisciplinaire de l'assurée, les docteurs L.________,
spécialiste en médecine générale, F.________, spécialiste en médecine interne
et rhumatologie et V.________, spécialiste en psychiatrie, ont posé le
diagnostic de fibromyalgie (rapport du 2 avril 2002). Au plan
ostéoarticulaire strict, ils ont considéré qu'il n'existait pas de
limitations fonctionnelles ni de cause d'incapacité de travail. Quant à
l'état dépressif qui avait été traité durant plusieurs mois, les trois
médecins du SMR ont estimé qu'«il ne constituait plus une pathologie
psychiatrique importante pouvant constituer une comorbidité au trouble
somatoforme douloureux». Dans leur appréciation finale, ils ont conclu qu'en
l'absence d'une atteinte rhumatologique et psychiatrique invalidante,
S.________ disposait d'une pleine capacité de travail aussi bien comme
serveuse (dernière activité exercée) qu'en tant qu'employée de commerce
(profession apprise).

Par décision du 13 juin 2002, l'office AI a rejeté la demande de prestations
motif pris que «le syndrome douloureux (appelé ici fibromyalgie)» ne
présentait pas de caractère invalidant au sens de la loi.

B.
L'assurée a déféré cette décision à la Commission cantonale genevoise de
recours en matière d'AVS/AI (aujourd'hui : Tribunal cantonal des assurances
sociales du canton de Genève), en concluant implicitement à l'octroi d'une
rente d'invalidité. En cours de procédure, elle a produit plusieurs pièces
médicales, dont un document (du 4 avril 2003) du docteur G.________,
spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, attestant qu'elle souffrait
d'un trouble anxieux-dépressif dans le cadre d'une fibromyalgie.

Après avoir ordonné deux comparutions personnelles des parties et demandé aux
docteurs G.________ et P.________ de répondre par écrit à un certain nombre
de questions, la juridiction cantonale a, par jugement du 11 mai 2004, admis
le recours et renvoyé la cause à l'office AI afin que celui-ci alloue une
rente d'invalidité entière à l'assurée à partir du mois d'août 2000.

C.
L'office AI interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont
il demande l'annulation, en concluant à la confirmation de sa décision du 13
juin 2002.

L'assurée intimée n'a pas répondu au recours. En revanche, elle a fait
parvenir trois rapports médicaux émanant des docteurs P.________ (du 1er
février 2005), R.________, spécialiste en cardiologie (du 15 février 2005) et
G.________ (du 8 novembre 2004). L'Office fédéral des assurances sociales a
renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
1.1 L'office AI reproche tout d'abord aux premiers juges d'avoir violé son
droit d'être entendu en lui retournant ses déterminations sur la réponse (du
6 avril 2004) de la doctoresse P.________ confirmant la présence, chez
S.________, de tous les points de contrôle de fibromyalgie. D'ordre formel,
ce grief doit être examiné en premier lieu, car son admission pourrait amener
le tribunal à renvoyer la cause sans en examiner le fond (ATF 127 V 437
consid. 3d/aa, 126 V 132 consid. 2b et les arrêts cités).

1.2 Si un office AI ne saurait se prévaloir directement des garanties de
procédure que la Constitution accorde aux particuliers, il dispose néanmoins
de la faculté de se plaindre de la violation de ses droits de partie, comme
le ferait un justiciable, dès lors que la qualité pour former recours de
droit administratif contre le jugement cantonal - et les droits de partie qui
en découlent - lui est reconnue (art. 103 let. c OJ, 201 RAVS en corrélation
avec l'art. 89 RAI). Selon la jurisprudence et la doctrine, l'autorité qui a
rendu la décision initiale conserve sa qualité de partie tout au long de la
procédure de recours et jouit de tous les droits attribués par la loi aux
parties (ATF 105 V 188 consid. 1; Rhinow/Koller/Kiss, Öffentliches
Prozessrecht und Justizverfassungsrecht des Bundes, no 784 ss, p. 151-152,
Kölz/Häner, Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege des Bundes, 2ème
éd., no 523 ss, p. 189-190).

La jurisprudence, rendue sous l'empire de l'art. 4 aCst. et qui s'applique
également à l'art. 29 al. 2 Cst. (ATF 129 II 504 consid. 2.2, 127 I 56
consid. 2b, 127 III 578 consid. 2c, 126 V 130 consid. 2a), a déduit du droit
d'être entendu, en particulier, le droit pour le justiciable de s'expliquer
avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, celui de fournir des
preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision, celui
d'avoir accès au dossier, celui de participer à l'administration des preuves,
d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 126 I 16
consid. 2a/aa, 124 V 181 consid. 1a, 375 consid. 3b et les références).

Selon la jurisprudence, la violation du droit d'être entendu - pour autant
qu'elle ne soit pas d'une gravité particulière - est réparée lorsque la
partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours
jouissant d'un plein pouvoir d'examen. Au demeurant, la réparation d'un vice
éventuel ne doit avoir lieu qu'exceptionnellement (ATF 127 V 437 consid.
3d/aa, 126 I 72, 126 V 132 consid. 2b et les références).

1.3 En l'espèce, l'office AI avait le droit de se déterminer sur le résultat
de la mesure d'instruction ordonnée par le tribunal cantonal. En ce sens, il
y a lieu de reconnaître une violation de son droit d'être entendu. La gravité
de cette violation doit toutefois être relativisée dans le cas particulier.
D'une part, l'office AI a pu s'exprimer sur la réponse de la rhumatologue
devant le Tribunal fédéral des assurances, lequel jouit en l'espèce d'un
plein pouvoir d'examen (ATF 125 V 371 consid. 4c/bb; voir aussi RAMA 2000 n°
KV 134 p. 337 consid. 3a). D'autre part, ce médecin n'a fait qu'apporter une
précision aux observations qu'il avait consignées dans ses précédents
rapports médicaux, précision qui, par ailleurs, ne revêt pas, comme on le
verra ci-après, une importance décisive pour la solution du litige. Il
convient dès lors d'admettre que la violation du droit d'être entendu du
recourant a été réparée en instance fédérale.

2.
Le litige porte sur le droit éventuel de l'intimée à une rente de
l'assurance-invalidité. A cet égard, le jugement entrepris expose
correctement les dispositions légales (dans leur teneur en vigueur à la date
déterminante de la décision litigieuse du 13 juin 2002) et les principes
jurisprudentiels en matière d'invalidité et de son évaluation chez les
assurés actifs, de sorte qu'il suffit d'y renvoyer.

3.
3.1Des rapports médicaux versés au dossier, il ressort que S.________ souffre
principalement de douleurs (sont notamment concernées chez elle les régions
de la nuque, du dos et des membres supérieurs), d'une asthénie importante, de
troubles du sommeil et de l'humeur. Les investigations pratiquées n'ont
révélé aucune atteinte somatique pouvant expliquer son état (en particulier,
le status neurologique a été qualifié de normal, de même que les résultats
des tests sanguins). Ces symptômes douloureux sans substrat clairement
objectivable ont amené tant la doctoresse P.________ que les médecins du SMR
à poser le diagnostic de «fibromyalgie». Pourtant, à la lecture de leurs
considérations médicales, on peut constater que la même symptomatologie est
parfois aussi assimilée à un «trouble somatoforme douloureux». Ainsi, la
rhumatologue a-t-elle mentionné, dans un rapport du 30 janvier 2004 établi à
l'intention de la juridiction cantonale, que «S.________ souffre
effectivement d'un trouble somatoforme douloureux diffus et chronique [...]».
Les médecins du SMR l'ont également évoqué dans leurs conclusions (p. 6 de
leur rapport). On peut dès lors se demander si le diagnostic de
«fibromyalgie» peut ou doit être traité de manière analogue au «trouble
somatoforme douloureux», qui entre dans la catégorie des atteintes à la santé
d'ordre psychique (cf. ATF 130 V 353 consid. 2.2.2).
3.2 La «fibromyalgie» est une affection rhumatismale reconnue par
l'Organisation mondiale de la santé [OMS] (CIM-10 : M79.0). Elle est
caractérisée par une douleur généralisée et chronique du système
ostéo-articulaire et s'accompagne généralement d'une constellation de
perturbations essentiellement subjectives (tels que fatigue, troubles du
sommeil, sentiment de détresse, céphalées, manifestations digestives et
urinaires d'allure fonctionnelle); les critères diagnostiques, établis pour
la première fois par l'American Rheumatism Association, sont la combinaison
d'une douleur généralisée intéressant l'axe du corps, les hémicorps droit et
gauche, à la fois au-dessus et en dessous de la taille, durant au moins trois
mois, ainsi que des douleurs à la palpation d'au moins 11 points douloureux
(«tender points») sur 18 (Pierre-Alain Buchard, Peut-on encore poser le
diagnostic de fibromyalgie ?, in : Revue médicale de la suisse romande, 2001,
p. 444). Il existe deux formes de fibromyalgie [voir Pschyrembel, Klinisches
Wörterbuch, éd. Walter de Gruyter, 2004; aussi, Springer Lexikon Medizin, éd.
2004]. Si les symptômes fibromyalgiques se manifestent de la même manière
sous les deux formes, celle secondaire - qui est trois fois plus répandue
dans la population - se distingue de celle primaire par le fait qu'elle se
trouve associée à d'autres maladies (par exemple des maladies dégénératives
rhumatismales). Aucune étiologie n'a pu être clairement établie pour la forme
primaire de la fibromyalgie, dont le diagnostic est posé par exclusion
(tender points douloureux en l'absence de tout autre maladie, en particulier
inflammatoire).

3.3 Depuis plusieurs années, le diagnostic de «fibromyalgie» fait l'objet
d'une controverse dans la communauté médicale. Parce qu'un tel diagnostic ne
fait que définir un état douloureux et qu'à ce jour, les recherches
entreprises n'ont révélé aucune explication pathogénique satisfaisante à
cette situation clinique (absence d'anomalies tissulaires ou biochimiques
évidentes), certains médecins en contestent l'existence même. Selon eux, la
fibromyalgie n'est pas une maladie mais une étiquette pour décrire des maux
inexplicables qui relèveraient davantage d'une problématique
bio-psycho-sociale que d'une véritable pathologie médicale. D'autres, en
revanche, y attachent une valeur de maladie. Il est à noter que la
fibromyalgie est très souvent mise en relation avec d'autres phénomènes
douloureux dont le trouble somatoforme douloureux et le syndrome de fatigue
chronique, en raison notamment d'une importante similitude dans leur
symptomatologie respective. Comme la fibromyalgie ne peut guère, étant donné
son étiologie incertaine, être rangée dans la catégorie des atteintes à la
santé psychiques ou psychosomatiques, ou encore dans celle des atteintes à la
santé organiques, il se dégage une tendance générale parmi les auteurs
d'admettre une combinaison de ces deux éléments, avec cependant une
prépondérance des facteurs psychosomatiques (voir sur cette controverse
médicale, par exemple : Pierre-Alain Buchard, op. cit., p. 443 ss;
Jacques-Antoine Pfister, Fibromyalgie, trouble somotoforme douloureux,
syndrome de fatique chronique - quels repères médicaux, humains et
assécurologiques ?, in : Revue médicale de la Suisse romande, 2003, p. 650
ss; Wolfgang Hausotter, Begutachtung somatoformer und funktionneller
Störungen, 2ème éd. Urban et Fischer, Munich 2004, p. 105 ss; Herbert Csef,
Was sind CFS, MCS und FM ? Stellenwert und Gemeinsamkeiten dreier
«Modekrankheiten» in : Grenzwertige psychische Störungen, Diagnostik und
Therapie in Schwellenbereichen, éd. Thieme 2004, p. 63 ss, plus spécialement
p. 73; N.M. Hadler, Die Semiotik der Fibromyalgie und verwandter somatoformer
Störungen, in : Praxis 94/2005, éd. Hans Huber, Berne, p. 1999 ss; Karl C.
Mayer, Fibromyalgie - Stichworte zu einer Kontroverse, sous
http://www.neuro24.de/fibromyalgie.htm).

3.4 Il n'est pas nécessaire de prendre position sur cette controverse
médicale. D'une part, il n'appartient pas à l'administration ou au juge de
remettre en cause le diagnostic posé par un médecin, quel que soit le courant
médical dont il se réclame; est seul décisif que le diagnostic s'appuie lege
artis sur les critères d'un système de classification reconnu. D'autre part,
ce qui importe pour juger du droit aux prestations d'un assuré, c'est la
répercussion de l'atteinte à la santé diagnostiquée sur la capacité de
travail (art. 4 al. 1 LAI, art. 16 LPGA). Seule la réponse à cette question
intéresse finalement le juriste dans une procédure portant sur l'incapacité
de travail ou l'invalidité; le débat médical relatif à la dénomination
diagnostique la mieux appropriée pour décrire l'état de souffrance du patient
se révèle dans ce contexte plutôt secondaire (cf. Meyer-Blaser, Der
Rechtsbegriff der
Arbeitsunfähigkeit und seine Bedeutung in der
Sozialversicherung, in : Schmerz und Arbeitsunfähigkeit, St. Gall 2003, p.
64, note 93). On rappellera qu'un diagnostic est une condition juridique
nécessaire, mais non suffisante pour conclure à une atteinte à la santé
invalidante (cf. ATF 131 V 50 consid. 1.2, 130 V 353 consid. 2.2.3).
3.5 Aussi bien, ne voit-on pas de motif de mettre en doute le diagnostic de
fibromyalgie posé chez S.________. Il convient maintenant d'examiner si et
dans quelle mesure cette atteinte à la santé a des conséquences sur sa
capacité de travail.

4.
4.1En ce qui concerne la question de l'appréciation de la capacité de travail
d'une personne atteinte de fibromyalgie, il faut admettre que l'on se trouve
dans une situation comparable à celle de l'assuré souffrant d'un trouble
somatoforme douloureux. Ces deux atteintes à la santé présentent en effet des
points communs. Tout d'abord, on peut constater que leurs manifestations
cliniques sont pour l'essentiel similaires (plaintes douloureuses diffuses;
voir pour la définition du trouble somatoforme douloureux CIM-10 : F45.4).
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il n'est pas rare de voir certains
médecins poser indistinctement l'un ou l'autre diagnostic ou assimiler la
fibromyalgie au trouble somatoforme douloureux. Ensuite, dans l'un comme dans
l'autre cas, il n'existe pas de pathogènese claire et fiable pouvant
expliquer l'origine des douleurs exprimées. Cela rend la limitation de la
capacité de travail difficilement mesurable car l'on ne peut pas déduire
l'existence d'une incapacité de travail du simple diagnostic posé. En
particulier, un diagnostic de fibromyalgie ou de trouble somatoforme
douloureux ne renseigne pas encore sur l'intensité des douleurs ressenties
par la personne concernée, ni sur leur évolution ou sur le pronostic qu'on
peut poser dans un cas concret. Certains auteurs déclarent du reste que la
plupart des patients atteints de fibromyalgie ne se trouvent pas notablement
limités dans leurs activités (voir Hausotter, op. cit., p. 119; Karl C.
Mayer, op. cit.). Eu égard à ces caractéristiques communes et en l'état
actuel des connaissances, il se justifie donc, sous l'angle juridique,
d'appliquer par analogie les principes développés par la jurisprudence en
matière de troubles somatoformes douloureux lorsqu'il s'agit d'apprécier le
caractère invalidant d'une fibromyalgie. La question récemment laissée
ouverte au consid. 4.2 de l'arrêt L. du 17 juin 2005, I 3/05, doit ainsi être
résolue dans ce sens.

4.2
4.2.1Selon la jurisprudence, les troubles somatoformes douloureux
n'entraînent pas, en règle générale, une limitation de longue durée de la
capacité de travail pouvant conduire à une invalidité (ATF 130 V 354 consid.
2.2.3). Il existe une présomption que les troubles somatoformes douloureux ou
leurs effets peuvent être surmontés par un effort de volonté raisonnablement
exigible (ATF 131 V 50). Pour les raisons qui viennent être exposées
ci-dessus, il y a lieu de poser la même présomption en présence d'une
fibromyalgie.

4.2.2 Le Tribunal fédéral des assurances a toutefois reconnu qu'il existe des
facteurs déterminés qui, par leur intensité et leur constance, rendent la
personne incapable de fournir cet effort de volonté, et établi des critères
permettant d'apprécier le caractère invalidant de troubles somatoformes
douloureux (cf. ATF 130 V 354 et 131 V 50). Il est légitime d'admettre que
ces circonstances sont également suscepti-bles de fonder exceptionnellement
un pronostic défavorable dans les cas de fibromyalgie. A cet égard, on
retiendra, au premier plan, la présence d'une comorbidité psychiatrique
importante par sa gravité, son acuité et sa durée. Peut constituer une telle
comorbidité un état dépressif majeur (voir en matière de troubles
somatoformes douloureux ATF 130 V 358 consid. 3.3.1 et la référence). Parmi
les autres critères déterminants, doivent être considérés comme pertinents et
transposables au contexte de la fibromyalgie, un processus maladif s'étendant
sur plusieurs années sans rémission durable (symptomatologie inchangée ou
progressive), des affections corporelles chroniques, une perte d'intégration
sociale dans toutes les manifestations de la vie et l'échec de traitements
ambulatoires ou stationnaires conformes aux règles de l'art (même avec
différents types de traitement), cela en dépit de l'attitude coopérative de
la personne assurée. En présence d'une comorbidité psychiatrique, il sera
également tenu compte de l'existence d'un état psychique cristallisé
résultant d'un processus défectueux de résolution du conflit, mais apportant
un soulagement du point de vue psychique (profit primaire tiré de la maladie,
fuite dans la maladie). Enfin, comme dans les cas de troubles somatoformes
douloureux, on conclura à l'absence d'une atteinte à la santé ouvrant le
droit aux prestations d'assurance, si les limitations liées à l'exercice
d'une activité résultent d'une exagération des symptômes ou d'une
constellation semblable (par exemple une discordance entre les douleurs
décrites et le comportement observé, l'allégation d'intenses douleurs dont
les caractéristiques demeurent vagues, l'absence de demande de soins, de
grandes divergences entre les informations fournies par le patient et celles
ressortant de l'anamnèse, le fait que des plaintes très démonstratives
laissent insensible l'expert, ainsi que l'allégation de lourds handicaps
malgré un environnement psychosocial intact).

4.3 Une expertise psychiatrique est, en principe, nécessaire quand il s'agit
de se prononcer sur l'incapacité de travail que les troubles somatoformes
douloureux sont susceptibles d'entraîner (ATF 130 V 353 consid. 2.2.2 et 399
consid. 5.3.2). Quand bien même le diagnostic de fibromyalgie est d'abord le
fait d'un médecin rhumatologue, il convient ici aussi d'exiger le concours
d'un médecin spécialiste en psychiatrie, d'autant plus que, comme on l'a dit,
les facteurs psychosomatiques ont, selon l'opinion dominante, une influence
décisive sur le développement de cette atteinte à la santé. Une expertise
interdisciplinaire tenant à la fois compte des aspects rhumatologiques et
psychiques apparaît donc la mesure d'instruction adéquate pour établir de
manière objective si l'assuré présente un état douloureux d'une gravité telle
- eu égard également aux critères déterminants précités (consid. 4.2.2 supra)
- que la mise en valeur de sa capacité de travail sur le marché du travail ne
peut plus du tout ou seulement partiellement être exigible de sa part (voir
aussi P. Henningsen, Zur Begutachtung somatoformer Störungen in : Praxis
94/2005, p. 2007 ss). On peut réserver les cas où le médecin rhumatologue est
d'emblée en mesure de constater, par des observations médicales concluantes,
que les critères déterminants ne sont pas remplis, ou du moins pas d'une
manière suffisamment intense, pour conclure à une incapacité de travail.

5.
Au regard des principes qui viennent d'être développés, on doit constater que
ni le rapport d'expertise du SMR, ni ceux des médecins traitants ne
permettent de statuer à satisfaction de droit sur le caractère invalidant de
la fibromyalgie présentée par l'intimée.

5.1 Les médecins du SMR ont motivé l'existence d'une capacité de travail
entière principalement par le fait qu'ils n'ont pas pu mettre en évidence de
comorbidité psychiatrique chez l'assurée. Si ce critère est d'importance, il
n'est toutefois pas exclusif (voir consid. 4.2.2 supra). Et bien que le
rapport d'expertise contienne une anamnèse familiale et professionnelle assez
détaillée de l'assurée, il n'est pas possible de se faire une opinion sur
l'existence ou non de circonstances susceptibles exceptionnellement de fonder
un pronostic défavorable. Les médecins du SMR se contentent en effet de
procéder à un descriptif du par-cours de vie de S.________ sans mettre les
informations recueillies en perspective avec leur mission d'expertise qui,
dans les cas d'une symptomatique douloureuse, consiste surtout à porter une
appréciation sur la vraisemblance de l'état douloureux et, le cas échéant, à
déterminer si la personne expertisée dispose des ressources psychiques lui
permettant de surmonter cet état. Or, on ne saurait sans plus accorder une
pleine force probante à une prise de position médicale sur la capacité de
travail (raisonnablement exigible) d'un assuré, lorsque l'expert ne met pas
en rapport ses constatations, impressions et estimations qu'il a rassemblées
au cours de l'évaluation de l'état de santé de celui-ci.

5.2 Quant aux appréciations des médecins traitants de l'intimée, ils sont
également insuffisants pour trancher le litige. Invitée par la juridiction
cantonale à dire si les différents critères posés par la jurisprudence en
matière de troubles somatoformes douloureux étaient présents chez l'assurée,
la doctoresse P.________ a certes répondu par l'affirmative (questionnaire du
30 janvier 2004). Dans la mesure toutefois où ce questionnaire n'appelait
qu'une réponse par oui ou par non et que les données fournies par cette
praticienne ne contiennent donc aucun développement circonstancié sur ces
différents points, on ne saurait tenir pour établi que les douleurs de
l'assurée sont d'une intensité telle qu'elles entraînent une incapacité de
travail totale. De son côté, dans le rapport (du 8 décembre 2003) qu'il a
rédigé à l'intention des premiers juges, le docteur G.________ a fait état
d'une tristesse de fond, d'un abattement constant et d'une perte d'intérêt et
de plaisir pour la plupart des activités quotidiennes, tableau clinique qu'il
estimait compatible avec le diagnostic d'une dépression majeure sévère. Il
convient toutefois de prendre ces déclarations avec une certaine réserve dès
lors que le psychiatre a souhaité s'abstenir de se prononcer sur la capacité
de travail de S.________, indiquant n'avoir été consulté que ponctuellement
et bien après l'apparition des premiers symptômes, à une époque où la
prénommée devait faire face à une subite aggravation de l'état de santé de
son mari.

5.3 Enfin, il n'y a pas lieu de prendre en considération les pièces médicales
produites par l'intimée postérieurement à la clôture de l'échange
d'écritures. En effet, sauf dans le cadre d'un nouvel échange d'écritures
ordonné par le tribunal, la production de nouvelles écritures et de nouveaux
moyens de preuve n'est en principe pas admise; demeure réservée la situation
où de telles pièces constituent des faits nouveaux importants ou des preuves
concluantes au sens de l'art. 137 let. b OJ et pourraient dès lors justifier
la révision de l'arrêt du tribunal (ATF 127 V 357 consid. 4a). Ce n'est pas
le cas ici. En particulier, le certificat (du 1er février 2005) de la
doctoresse P.________ constitue simplement un avis médical supplémentaire sur
la capacité de travail de l'assurée en raison d'atteintes à la santé déjà
décrites dans le dossier, tandis que celui (du 8 novembre 2004) du docteur
G.________ renferme uniquement une appréciation de la situation de l'assurée
à la date d'établissement dudit certificat.

5.4 Il s'impose donc de renvoyer la cause à l'office AI pour qu'il en
complète l'instruction, notamment par une nouvelle expertise
interdisciplinaire qui devra comporter un volet rhumatologique et
psychiatrique. Il incombera aux experts appelés à se prononcer de fournir
tous les éléments permettant de déterminer avec précision l'incidence des
troubles de l'intimée sur sa capacité de travail à la lumière des
considérants topiques du présent arrêt. Dans cette mesure, le recours est
bien fondé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis en ce sens que le jugement du Tribunal cantonal genevois
des assurances sociales du 11 mai 2004, ainsi que la décision de l'Office AI
du canton de Genève du 13 juin 2002, sont annulés, la cause étant renvoyée
audit office pour qu'il procède conformément aux considérants.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal genevois
des assurances sociales et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 8 février 2006

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

La Présidente de la Ire Chambre: La Greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : I.336/04
Date de la décision : 08/02/2006
Cour des assurances sociales

Analyses

Art. 4 et 28 LAI (dans leur teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002):Diagnostic de "fibromyalgie"; évaluation de l'invalidité. Il n'existe pas de motif pour l'administration ou le juge de remettre encause le diagnostic de "fibromyalgie" bien que celui-ci fasse l'objet d'unecontroverse dans la communauté médicale. (consid. 3) La fibromyalgie présente de nombreux points communs avec les troublessomatoformes douloureux, de sorte qu'il se justifie, sous l'angle juridique,et en l'état actuel des connaissances, d'appliquer par analogie lesprincipes développés par la jurisprudence en matière de troublessomatoformes douloureux, lorsqu'il s'agit d'apprécier le caractèreinvalidant d'une fibromyalgie. (consid. 4)


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-02-08;i.336.04 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award