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21/09/2005 | SUISSE | N°4C.183/2005

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 21 septembre 2005, 4C.183/2005


{T 0/2}
4C.183/2005 /ech

Arrêt du 21 septembre 2005
Ire Cour civile

MM. et MMes les juges Corboz, président, Klett, Nyffeler, Favre et Kiss.
Greffier: M. Thélin.

X. ________,
demandeur et recourant, représenté par Me Pierre Ruttimann,

contre

N.________ Bank (Suisse) SA,
défenderesse et intimée, représentée par Me Gabriel Aubert.

contrat de travail; plan d'intéressement du travailleur

recours en réforme contre l'arrêt rendu le 20 avril 2005 par la Cour d'appel
de la juridiction des prud'hommes du canton de Gen

ève.

Faits:

A.
Selon contrat daté du 19 novembre 1991, la Banque A.________, société anonyme
genevoise, a engagé X....

{T 0/2}
4C.183/2005 /ech

Arrêt du 21 septembre 2005
Ire Cour civile

MM. et MMes les juges Corboz, président, Klett, Nyffeler, Favre et Kiss.
Greffier: M. Thélin.

X. ________,
demandeur et recourant, représenté par Me Pierre Ruttimann,

contre

N.________ Bank (Suisse) SA,
défenderesse et intimée, représentée par Me Gabriel Aubert.

contrat de travail; plan d'intéressement du travailleur

recours en réforme contre l'arrêt rendu le 20 avril 2005 par la Cour d'appel
de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève.

Faits:

A.
Selon contrat daté du 19 novembre 1991, la Banque A.________, société anonyme
genevoise, a engagé X.________ en qualité de cambiste. Par la suite, des
fusions d'entreprises sont intervenues et les droits et obligations de
l'employeuse ont passé d'abord à N.________ Business SA, dès septembre 1996,
puis à N.________ Bank (Suisse) SA, dès avril 2001.

B.
Le salaire annuel de X.________, fixé à 74'100 fr. pour 1992, progressa
jusqu'à 170'448 fr. en 1999, y compris une indemnité pour frais de
représentation. Un bonus lui fut également versé chaque année, de 20'000 fr.
pour 1992 à 160'000 fr. pour 1998, mais seulement 55'000fr. pour 1999.
Le 9 février 2000, les parties signèrent un nouveau contrat de travail qui
confirmait l'engagement de X.________ en qualité de cambiste et portait son
salaire annuel à 213'759 fr., indemnités non comprises. L'employeuse pouvait
de plus, à sa discrétion, décider le versement d'un bonus et en fixer le
montant. Le 20 du même mois, pour accord, X.________ contresigna un document
selon lequel on lui attribuait une prime de 75'000 fr. dans le cadre d'un
plan d'intéressement des collaborateurs. Cette somme était affectée à l'achat
d'actions du groupe N.________. Les titres seraient conservés à l'intention
de X.________ jusqu'à l'issue d'une période de blocage de trois ans, fixée à
fin janvier 2003. Pour autant qu'il soit encore, à ce moment, employé par le
groupe, les actions lui seraient alors remises et il en disposerait
librement.
Le salaire fut encore augmenté à 228'381 fr. dès l'année 2001. Pour les
années 2000, 2001 et 2002, X.________ reçut respectivement des bonus
immédiatement disponibles de 80'000, 135'000 et 167'000 fr. On lui attribua
en outre, aux conditions du plan d'intéressement et chaque fois avec une
période de blocage de trois ans, des primes en actions de 30'000, 100'000 et
67'500 fr.
Au printemps de 2003, la période de blocage étant échue, X.________ put
toucher la contre-valeur des actions achetées pour son compte en février
2000.
Le 23 juillet 2003, X.________ a résilié les rapports de travail avec effet
au 31 octobre suivant. Dès le lendemain, il fut libéré de son obligation de
travailler. Il réclama sans succès, outre un bonus prorata temporis pour
2003, la contre-valeur des actions encore soumises au blocage, achetées pour
son compte dans le cadre du plan d'intéressement.

C.
Le 28 novembre 2003, X.________ a ouvert action contre l'employeuse devant la
juridiction des prud'hommes du canton de Genève. Sa demande tendait au
paiement de 195'833 fr.30 avec intérêts au taux annuel de 5% dès le 1er
novembre 2003, à titre de bonus prorata temporis pour 2003. Il réclamait par
ailleurs les sommes de 30'000, 100'000 et 67'500 fr. correspondant à ses
dotations dans le plan d'intéressement. Elles devaient porter intérêts,
respectivement, dès le 8décembre 2000, le 30 janvier 2002 et le 1er novembre
2003.
La défenderesse, contestant toute obligation, a conclu au rejet de cette
demande.
Statuant par un jugement du 29 avril 2004, le Tribunal des prud'hommes l'a
condamnée à payer, en capital et intérêts, le montant réclamé au titre du
bonus 2003. Il a jugé qu'en raison de son importance et de sa régularité, au
cours des années précédentes, le bonus constituait un salaire variable plutôt
qu'une gratification discrétionnaire. Par conséquent, il était dû jusqu'à la
fin des rapports de travail. En revanche, la défenderesse n'assumait aucune
dette en raison du plan d'intéressement. Celui-ci reposait sur un accord
distinct du contrat de travail. Les dotations intervenues dans ce cadre
n'avaient pas seulement pour but de récompenser des résultats passés; elles
étaient également destinées à fidéliser le bénéficiaire pour l'avenir et cet
objectif était caduc dès la résiliation des rapports de travail. Enfin, elles
ne constituaient que seize pour cent de la rétribution totale du demandeur au
cours des trois dernières années de travail. D'importance secondaire, ces
prestations constituaient seulement une rétribution incitative qui échappait
aux règles à appliquer au salaire variable.

D.
La défenderesse ayant appelé du jugement, le demandeur a usé de l'appel
incident. Chacun persistait dans ses conclusions antérieures.
La Cour d'appel s'est prononcée le 20 avril 2005. Elle a donné partiellement
gain de cause à la défenderesse, en ce sens que le calcul du bonus prorata
temporis devait être modifié. Cette partie devait seulement 139'166 fr.
Considérant elle aussi que les dotations dans le plan d'intéressement ne
constituaient pas un élément du salaire, la Cour a rejeté l'appel du
demandeur.

E.
Agissant par la voie du recours en réforme, ce dernier requiert le Tribunal
fédéral de condamner la défenderesse au paiement des sommes déjà réclamées
devant la juridiction cantonale, à ceci près que les prétentions afférentes
au bonus prorata temporis de l'année 2003 sont réduites à 195'416 fr.
La défenderesse conclut au rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours est formé par une partie qui a succombé dans ses conclusions. Il
est dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale par
un tribunal suprême (art. 48 al. 1 OJ), dans une contestation civile dont la
valeur litigieuse dépasse le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ). Déposé en temps
utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ), il est en
principe recevable.
Le recours en réforme peut être formé pour violation du droit fédéral (art.
43 al. 1 OJ), tandis qu'il ne permet pas de critiquer la violation directe
d'un droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ) ni celle du
droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités). Le Tribunal
fédéral doit conduire son raisonnement juridique sur la base des faits
constatés dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales
en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des
constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou
qu'il faille compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que
celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents, régulièrement allégués et
clairement établis (art. 64 OJ; ATF 130 III 102 consid. 2.2, 136 consid.
1.4).
Le Tribunal fédéral ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties
mais il n'est lié ni par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ) ni
par l'argumentation juridique adoptée par la juridiction cantonale (art. 63
al. 3 OJ; ATF 130 III 136 consid. 1.4; 128 III 22 consid. 2e/cc in fine). Le
Tribunal fédéral peut donc admettre un recours pour des motifs autres que
ceux invoqués par le recourant; il peut aussi rejeter un recours en opérant
une substitution de motifs, c'est-à-dire en adoptant une argumentation
juridique autre que celle de la juridiction cantonale (ATF 130 III 136
consid. 1.4 in fine).

2.
Il est constant que les parties se sont liées par un contrat de travail et
que la défenderesse s'est ainsi obligée à verser un salaire, conformément à
l'art. 322 al. 1 CO. Ce qui était dû à ce titre comprenait d'abord le salaire
proprement dit, dont le montant était convenu; cette prestation n'a jamais
été litigieuse. Selon l'arrêt attaqué, incontesté sur ce point car la
défenderesse s'est abstenue de recourir, le salaire comprenait aussi le bonus
librement disponible que cette partie versait chaque année. Enfin, selon la
thèse du demandeur, le salaire comprenait encore les sommes que la
défenderesse allouait aux conditions du plan d'intéressement. Le demandeur
revendique ce qu'elle lui a effectivement alloué pour les années 2000, 2001
et 2002, plus, prorata temporis, ce qu'elle aurait alloué pour 2003 si les
rapports de travail s'étaient poursuivis au delà de cette année. Il évalue
cette dernière prestation à 56'250 fr. et, selon son argumentation, il s'agit
de la partie encore litigieuse du bonus de l'année 2003. A son avis, les
conditions du plan d'intéressement étaient incompatibles avec les règles
impératives à respecter dans le contrat de travail. Il invoque surtout l'art.
323b al. 3 CO, selon lequel les accords sur l'utilisation du salaire dans
l'intérêt de l'employeur sont nuls, et l'art. 27 al. 2 CC selon lequel le
travailleur ne peut pas aliéner sa liberté dans une mesure contraire aux lois
ou aux moeurs. Il invoque aussi le droit du travailleur de recevoir son
salaire prorata temporis jusqu'à l'expiration des rapports de travail.

3.
On entend par plan d'intéressement les mesures qu'une entreprise prend afin
que ses cadres ou collaborateurs puissent se procurer, à intervalles
réguliers et sous des modalités spécifiques, des actions de cette entreprise
ou des options sur ses actions. Les modalités comportent généralement un
délai pendant lequel chaque lot de titres en voie d'acquisition est seulement
promis au bénéficiaire du plan, sans que celui-ci puisse en disposer d'aucune
manière. Elles comportent aussi une condition suspensive ayant pour objet
qu'à l'expiration du délai, le bénéficiaire soit encore au service de
l'entreprise ou du groupe auquel celle-ci appartient. Si cette condition
s'accomplit, le bénéficiaire reçoit alors les titres concernés, ou leur
contre-valeur; dans le cas contraire, il est déchu de toute prétention. Aussi
longtemps qu'il conserve des positions dans le plan d'intéressement, le
bénéficiaire a donc intérêt à poursuivre les rapports de travail et à
accomplir ses tâches de façon à accroître la valeur de l'entreprise et de ses
actions; il est ainsi attaché à l'entreprise et associé aux objectifs de la
direction et des actionnaires (ATF 130 III 495 consid. 4.1 p. 499, avec
références à divers auteurs; Wolfgang Portmann, Die Arbeitsbedingungen der
Bankangestellten: eine Darstellung und Würdigung ausgewählter Aspekte, DTA
2005 p. 78; Dominique Portmann, Mitarbeiterbeteiligung: Mitarbeiteraktien und
Mitarbeiteroptionen im schweizerischen Arbeitsrecht, Berne 2005, ch. 63 et 64
p. 42, 103 p. 76 et 105 p. 78).
Au regard de l'art. 27 al. 2 CC, le travailleur peut se faire promettre des
options ou actions dont il ne disposera qu'après cinq ans, selon les
modalités d'un plan d'intéressement, sans que cela n'entraîne une restriction
inadmissible de sa liberté de quitter l'employeur (ATF 130 III 495 consid. 5
p. 503). Le moyen que le demandeur prétend tirer de cette disposition est
donc mal fondé. Néanmoins, lors de la résiliation des rapports de travail,
les clauses du plan prévoyant la perte complète des positions en cours
peuvent se révéler contraires à des règles impératives destinées à la
protection des travailleurs. En particulier, l'art. 323b al. 3 CO est violé
lorsque les positions à abandonner ont été financées par une retenue de
salaire (arrêts 4C.237/2004 et 4C.239/2004 du 1er octobre 2004; cf. Thomas
Koller, Die Miet- und arbeitsrechtliche Rechtsprechung des Bundesgerichts im
Jahre 2004, RJB 2005 p. 335; Matthias Staehelin, Gesperrte Optionen - als
Lohn unzulässig? in RSJ 2005 p. 181).

4.
Le Tribunal fédéral a jugé que ces dispositions impératives ne trouvent pas
application dans l'hypothèse où le bénéficiaire s'est engagé dans le plan
d'intéressement à la manière d'un investisseur, c'est-à-dire d'une personne
qui choisit librement de placer une partie de ses avoirs dans l'attente d'un
gain en capital. Le tribunal a tenu cette situation pour réalisée dans la
cause d'un spécialiste des placements qui avait assumé une fonction de cadre
supérieur dans une banque et perçu un salaire élevé. Par des versements en
capital et à un prix qui n'était pas spécialement avantageux, il avait
financé lui-même ses positions dans le plan d'intéressement, de sorte que les
titres concernés ne correspondaient pas à un élément de son salaire. Lorsque
les parties avaient convenu de mettre fin aux rapports de travail, il avait
réalisé un gain considérable en liquidant les positions qui lui étaient alors
acquises (ATF 130 III 495 consid. 4.2.2 et 4.2.3 p. 501).
Dans la discussion de cette affaire, le Tribunal fédéral a envisagé que les
dispositions impératives précitées ne soient pas non plus applicables, alors
même que les circonstances n'autorisent pas à considérer le bénéficiaire
comme un investisseur, quand celui-ci est un cadre ou un collaborateur
jouissant d'un revenu élevé et que le financement de ses positions dans le
plan d'intéressement, assuré par l'employeur, constitue un "bonus" dans la
rétribution de son activité (ibidem, consid. 4.2.2).
Dans la contestation présentement soumise au Tribunal fédéral, les juges
d'appel n'ont constaté aucune circonstance qui autoriserait à considérer les
positions du demandeur, dans le plan d'intéressement mis en oeuvre par la
défenderesse, comme des investissements qu'il aurait choisis de façon
autonome. Au contraire, la défenderesse a pris seule l'initiative des quatre
dotations intervenues pour les années 1999 à 2002 et le demandeur n'a fait
aucun apport en capital.

5.
Dans le contrat de travail, des règles différentes s'appliquent au salaire,
d'une part, et à une éventuelle gratification d'autre part.

5.1 Le salaire régi par l'art. 322 al. 1 CO est une prestation en argent
versée en contrepartie du travail. Il se calcule en fonction du travail
effectivement fourni, dans le cas du travail aux pièces ou à la tâche, ou en
fonction du temps que le travailleur consacre à l'employeur (art. 319 al. 1
et 323b al. 1 CO). En l'espèce, le salaire expressément convenu était dû pour
chaque mois de travail. Les parties peuvent encore convenir, en sus ou à la
place d'un autre mode de rémunération, d'un salaire variable à calculer
d'après le chiffre d'affaires ou le bénéfice de l'entreprise (art. 322a CO).
Le salaire comprend éventuellement, outre ce qui est dû en argent, des
prestations en nature telles
que la jouissance d'un appartement, l'usage d'un
véhicule ou le logement et l'entretien dans le ménage de l'employeur (art.
322 al. 2 CO; Christiane Brunner et al., Commentaire du contrat de travail,
3e éd., ch. 8 ad art. 322 CO; Rémy Wyler, Droit du travail, Berne 2002, p.
124). Les prestations en nature peuvent comprendre des actions de
l'entreprise, ou des options sur ses actions, pour autant que les règles
impératives du droit du travail soient respectées (Brunner, op. cit., ch. 9
ad art. 322 CO; Wyler, op. cit., p.628/629). Selon certains auteurs, les
clauses d'un plan d'intéressement prévoyant la perte complète des positions
en cours, lorsque le travailleur quitte l'entreprise, sont nulles (Brunner,
op. cit., ch. 8 ad art. 322d CO); d'après d'autres ouvrages, la portée des
règles impératives est douteuse (Dominique Portmann, op. cit., ch. 121 p. 91
et 255 p. 194; Christof Helbling, Mitarbeiteraktien und Mitarbeiteroptionen
in der Schweiz, 2e éd., Zurich 2003, p. 245). A la suite des deux arrêts
précités du 1er octobre 2004, Matthias Staehelin considère que la remise
d'actions ou d'options aux conditions d'un plan d'intéressement est
admissible si l'accord des parties porte directement sur le nombre des titres
concernés, car ceux-ci constituent alors un salaire en nature; il tient cette
solution pour compatible avec l'art. 323b al. 3 CO, à la différence du pacte
selon lequel un salaire en argent doit être partiellement affecté à l'achat
de titres (op. cit., p. 185).

5.2 Une gratification, aux termes de l'art. 322d CO, est une rétribution
spéciale que l'employeur verse en sus du salaire, par exemple une fois par
année. Elle se distingue du salaire, et en particulier d'un éventuel
treizième mois de salaire (Brunner, op. cit., ch. 3 ad art. 322d CO), en ceci
qu'elle dépend au moins partiellement du bon vouloir de l'employeur. Si le
versement d'une gratification n'a pas été convenu, expressément ou par actes
concluants, cette prestation est entièrement facultative. Si un versement de
ce genre est convenu, l'employeur est tenu d'y procéder mais il jouit d'une
certaine liberté dans la fixation du montant à allouer (ATF 129 III 276
consid. 2 p. 278). Dans les deux cas, la gratification peut consister dans
une somme d'argent ou dans des prestations en nature (Wyler, op. cit., p.
124/125). Certains auteurs admettent que la gratification soit fournie sous
forme de titres de l'entreprise, remis aux conditions d'un plan
d'intéressement (Matthias Staehelin, op. cit., p. 185; voir aussi Dominique
Portmann, op. cit., ch. 124 p. 95); d'autres tiennent la gratification pour
soumise à l'art. 323b al. 3 CO et ils excluent donc la validité de ces
conditions (Brunner, op. cit., ch. 8 ad art. 322d CO; voir aussi Adrian
Staehelin et Franck Vischer, Commentaire zurichois, ch. 17 ad art. 323b CO).
En l'absence d'un accord explicite, la gratification est considérée comme
convenue lorsque l'employeur l'a versée durant plus de trois années
consécutives sans en réserver, par une déclaration adressée au travailleur,
le caractère facultatif (ATF 129 III 276 consid. 2 p. 278 in fine). Selon les
circonstances, la gratification peut être due alors même que, d'année en
année, l'employeur a exprimé et répété une réserve à ce sujet (consid. 2.3 p.
280).
Enfin, la gratification est accessoire par rapport au salaire et elle ne peut
avoir qu'une importance secondaire dans la rétribution du travailleur. Par
conséquent, un montant très élevé en comparaison du salaire annuel,
équivalent ou même supérieur à ce dernier, et versé régulièrement, doit être
considéré comme un salaire variable même si l'employeur en réservait le
caractère facultatif. Cela concerne les revenus les plus considérables; dans
le cas de salaires modestes, un montant proportionnellement moins élevé peut
déjà présenter le caractère d'un salaire variable (même arrêt, consid. 2.1 p.
279). Dans la présente affaire, c'est précisément en raison de leur
importance que les bonus en argent, reçus année après année par le demandeur,
ont été considérés par les juges d'appel comme une partie de son salaire.

5.3 Lorsque l'employeur fournit des prestations variables dans le cadre d'un
plan d'intéressement, il y a lieu de distinguer, sur la base de la convention
des parties, dûment interprétée, et de leurs intérêts respectifs, s'il s'agit
d'un salaire variable ou d'une gratification. Les critères à appliquer en cas
de bonus en argent sont également pertinents à l'égard de prestations de ce
genre (Dominique Portmann, op. cit., ch. 122 ss p. 93). Il faut donc aussi
prendre en considération l'importance de cette rémunération spéciale dans
l'ensemble des prestations pécuniaires de l'employeur.

6.
Le 20 février 2000, le demandeur a accepté par écrit de recevoir une dotation
de 75'000 fr. aux conditions du plan d'intéressement. Il prétend toutefois
n'être pas lié par cette manifestation de volonté.

6.1 Dans la mesure où cela influence l'issue de la cause, le Tribunal fédéral
peut constater directement, en application de l'art. 64 al. 2 OJ, que le
document contresigné à cette date, pour acceptation, ne provenait pas de la
défenderesse mais de N.________ Holdings (Luxembourg) SA. Le plan
d'intéressement ne portait pas non plus sur des actions de la défenderesse
mais sur celles de N.________ Holdings plc. Les dotations pour les années
2000, 2001 et 2002 ont aussi été annoncées au demandeur par N.________
Holdings (Luxembourg) SA; à ces occasions, aucune acceptation ne lui fut
demandée. Lorsque l'employeuse appartient à un groupe de sociétés, il est
courant que le plan d'intéressement soit mis en oeuvre par l'intermédiaire
d'une autre société de ce groupe; cela n'exclut pas que les conditions du
plan puissent porter atteinte à des règles impératives du droit du travail
(ATF 130 III 495 consid. 4.2.1 p. 501).

6.2 Quelle que soit la portée du document précité, les parties n'ont jamais
explicitement convenu que les dotations dans le plan d'intéressement seraient
dues au demandeur à titre de salaire. Par ailleurs, au cours des trois
dernières années de travail et conformément au calcul des premiers juges, ces
dotations n'ont constitué que seize pour cent de l'ensemble des prestations
pécuniaires fournies par la défenderesse. En moyenne, dans ce laps de temps,
celles-ci ont atteint plus de 415'000 fr. par année. Les dotations n'avaient
ainsi qu'une importance secondaire par rapport à une rémunération librement
et immédiatement disponible qui était elle-même élevée; par conséquent, il ne
s'impose pas de les considérer comme un élément du salaire aux termes de
l'art. 322 al. 1 CO.
En tant qu'il s'agissait d'une gratification selon l'art. 322d CO, le
Tribunal fédéral peut renoncer à déterminer si elle était convenue ou
seulement facultative. Les juges d'appel ont retenu que les conditions du
plan d'intéressement "n'ont pas été négociées, l'employé n'ayant le choix que
d'accepter ou de partir", et le demandeur invoque cette constatation pour
soutenir qu'il n'a jamais consenti auxdites conditions. A supposer que ce
point de vue soit fondé, le demandeur n'a de toute manière pas pu croire de
bonne foi, au regard du comportement de la défenderesse, que celle-ci
s'obligeait à lui verser les dotations en argent et sans égard aux conditions
du plan d'intéressement. Au contraire, interprété selon le principe de la
confiance (cf. ATF 130 III 417 consid. 3.2; 129 III 118 consid. 2.5 p. 123,
664 consid. 3.1 p. 667), ce comportement dénote que la défenderesse ne
voulait accorder ses prestations que dans le cadre du plan. Les conditions de
celui-ci, communiquées au demandeur avec la dotation du 20 février 2000, sont
donc également celles de l'engagement auquel, le cas échéant, la défenderesse
a souscrit de façon tacite par le fait qu'elle a procédé sans réserve à
quatre dotations successives.

6.3 Parce que ces dotations n'ont constitué qu'une prestation distincte du
salaire dû par la défenderesse, d'importance secondaire par rapport à
celui-ci, il y a lieu d'admettre que les conditions du plan d'intéressement
ont été valablement appliquées. En effet, selon son libellé, l'art. 323b al.
3 CO ne vise que le salaire, à l'exclusion des autres rétributions
éventuellement accordées en sus, telles qu'une gratification. Avec les règles
sur la retenue de salaire (art. 323a CO) et l'interdiction de céder ou mettre
en gage le salaire futur (art. 325 CO), cette disposition protège la capacité
du travailleur de se procurer, par son activité, un revenu effectif et
correspondant à la valeur de sa propre prestation. Or, cette capacité
subsiste entièrement dans le cas où, comme en l'espèce, c'est seulement une
rétribution supplémentaire et exorbitante du salaire qui est, selon les
modalités imposées par l'employeur, disponible seulement à terme et grevée de
conditions ayant pour objet, notamment, l'achat de titres de l'entreprise.
Les conditions du plan d'intéressement sont donc pleinement opposables au
demandeur. Elles font échec à ses prétentions puisque les périodes de blocage
afférentes à chacune des trois dernières dotations n'étaient pas échues
lorsqu'il a quitté la défenderesse et que la condition liée à la continuation
des rapports de travail ne s'accomplira pas. Une éventuelle dotation prorata
temporis pour 2003 serait elle aussi soumise aux mêmes conditions, de sorte
que le demandeur ne pourrait pas non plus exiger que le montant à allouer lui
soit versé en argent. Les juges d'appel ayant ainsi correctement appliqué le
droit fédéral, le recours en réforme doit être rejeté.

7.
La procédure n'est pas gratuite car le montant de la demande, déterminant la
valeur litigieuse selon l'art. 343 al. 2 CO, était supérieur au plafond de
30'000 fr. prévu par cette disposition (ATF 122 III 495 consid. 4; 115 II 30
consid. 5b p. 41). A titre de partie qui succombe, le demandeur doit donc
acquitter l'émolument judiciaire et les dépens à allouer à la défenderesse
(art. 156 al. 1 et 159 al. 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Le demandeur acquittera un émolument judiciaire de 6'500 fr.

3.
Le demandeur acquittera une indemnité de 8'000 fr. à verser à la défenderesse
à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève.

Lausanne, le 21 septembre 2005

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.183/2005
Date de la décision : 21/09/2005
1re cour civile

Analyses

Art. 323b al. 3 CO; garantie du salaire; modalités d'un pland'intéressement des travailleurs. Sommes d'argent affectées par l'employeuse à l'achat d'actions del'entreprise, promises au travailleur avec une période de blocage fixéechaque fois à trois ans et sous condition que celui-ci se trouve encore, àl'échéance, au service de l'entreprise. Refus de l'employeuse, après que letravailleur eut résilié les rapports de travail, de lui verser les dotationsnon encore échues. Compte tenu que ces sommes constituaient une rétributiondistincte du salaire et d'importance secondaire par rapport à celui-ci, lesmodalités du plan d'intéressement sont compatibles avec l'art. 323b al. 3 CO.


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2005-09-21;4c.183.2005 ?
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