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06/07/2005 | SUISSE | N°2A.105/2005

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 06 juillet 2005, 2A.105/2005


{T 0/2}
2A.105/2005 /svc

Arrêt du 6 juillet 2005
IIe Cour de droit public

MM. les Juges Merkli, Président,
Hungerbühler, Wurzburger, Müller et Yersin.
Greffier: M. Addy.

X. ________ SA, recourante,
représentée par Me Claude-Emmanuel Dubey, avocat,

contre

Commission fédérale des maisons de jeu,
Eigerplatz 1, 3003 Berne,
Commission fédérale de recours en matière
de contributions, avenue Tissot 8, 1006 Lausanne.

impôt sur les maisons de jeu; début d'activité
en cours de période fiscale (période du 15 juille

t
au 31 décembre 2003),

recours de droit administratif contre la décision de la Commission fédérale
de recours en matière de...

{T 0/2}
2A.105/2005 /svc

Arrêt du 6 juillet 2005
IIe Cour de droit public

MM. les Juges Merkli, Président,
Hungerbühler, Wurzburger, Müller et Yersin.
Greffier: M. Addy.

X. ________ SA, recourante,
représentée par Me Claude-Emmanuel Dubey, avocat,

contre

Commission fédérale des maisons de jeu,
Eigerplatz 1, 3003 Berne,
Commission fédérale de recours en matière
de contributions, avenue Tissot 8, 1006 Lausanne.

impôt sur les maisons de jeu; début d'activité
en cours de période fiscale (période du 15 juillet
au 31 décembre 2003),

recours de droit administratif contre la décision de la Commission fédérale
de recours en matière de contributions du 8 février 2005.

Faits:

A.
La société X.________ SA (ci-après: la Société) exploite un casino depuis le
15 juillet 2003 au bénéfice d'une concession de type B. L'acte de concession
dispose que l'exercice commercial débute le premier janvier et se termine le
31 décembre. Durant le premier exercice commercial, clos au 31 décembre 2003,
la Société a réalisé un produit brut des jeux d'un montant de 20'250'422 fr.
25.
Par décision de taxation du 29 mars 2004, la Commission fédérale des maisons
de jeu (ci-après: la Commission) a réclamé à la Société une somme de
8'763'831 fr. 88 au titre de l'impôt sur le produit brut des jeux (ci-après
également cité: l'impôt) concernant le premier exercice commercial; le taux
d'imposition pris en compte - après réduction du taux de base consentie pour
la première année d'exploitation -, de 43,28%, a été déterminé sur la base du
produit brut des jeux calculé sur douze mois (annualisé), soit 43'478'847 fr.
77.

B.
La Société a recouru contre la décision de taxation précitée. Elle a fait
valoir que la Commission avait violé le principe de la légalité, car aucune
disposition légale ou réglementaire ne lui permettait d'annualiser le produit
brut des jeux pour fixer le taux d'imposition. Se référant aux travaux
préparatoires, elle soutenait, par ailleurs, qu'il était exclu de compléter
par voie d'interprétation ce silence de la loi, car il ne s'agissait ni
"d'une lacune ayant échappé au législateur fédéral respectivement au Conseil
fédéral, (ni) d'une lacune au sens propre". Elle concluait à ce que le
montant de l'impôt fût ramené à 6'652'263 fr. 71, compte tenu d'un taux
d'imposition de 32,85%, correspondant au taux applicable pour le produit brut
des jeux qu'elle avait effectivement réalisé au cours du premier exercice
commercial, du 15 juillet au 31 décembre 2003.
Par décision du 8 février 2005, la Commission fédérale de recours en matière
de contributions (ci-après: la Commission de recours) a débouté la Société de
ses conclusions. Elle a considéré que l'absence de norme sur la question
litigieuse ne présentait pas le caractère d'un silence qualifié du
législateur et qu'en cas d'assujettissement d'une durée inférieure à une
année, seule la prise en compte d'un produit brut des jeux annualisé pour
fixer le taux d'imposition était conforme aux principes constitutionnels de
l'égalité de traitement et de la capacité économique, compte tenu de la
progressivité de l'impôt en cause.

C.
La Société interjette recours de droit administratif contre la décision
précitée de la Commission de recours, dont elle requiert l'annulation, sous
suite de frais et dépens, en reprenant les conclusions qu'elle avait
formulées devant l'instance précédente. Elle invoque derechef le principe de
la légalité.
La Commission et la Commission de recours concluent toutes deux au rejet du
recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Déposé en temps utile et dans les formes prescrites par la loi contre une
décision finale prise en application du droit fédéral par une commission
fédérale de recours au sens de l'art. 98 lettre e OJ, le présent recours est
recevable en vertu des art. 97 ss OJ.

2.
La Confédération perçoit un impôt sur le produit brut des jeux (art. 40 al. 1
de la loi fédérale du 18 décembre 1998 sur les jeux de hasard et les maisons
de jeu [loi sur les maisons de jeu, LMJ; RS 935.52]). Le Conseil fédéral fixe
le taux de l'impôt de telle manière que les maisons de jeu gérées selon les
principes d'une saine gestion obtiennent un rendement approprié sur le
capital investi (art. 41 al. 1 LMJ). Il peut appliquer un taux différent aux
deux catégories de maisons de jeu (concession A ou concession B); ces taux
peuvent être progressifs (art. 41 al. 2 LMJ). Les taux de l'impôt sont de 40
% au minimum et de 80 % au maximum (art. 41 al. 3 LMJ). Pendant les quatre
premières années d'exploitation de la maison de jeu, le Conseil fédéral peut
abaisser le taux de l'impôt jusqu'à 20 %. Il fixe ce taux en tenant compte de
la situation économique de chaque maison de jeu. Le taux est fixé tous les
ans, pour une ou plusieurs maisons de jeu, en fonction des éléments
pertinents (art. 41 al. 4 LMJ). La Commission procède à la taxation et à la
perception de l'impôt. Le Conseil fédéral règle la procédure (art. 44 al. 1
LMJ).
Pour la taxation de l'exercice commercial 2003, le taux de l'impôt pour les
maisons de jeu au bénéfice d'une concession B était fixé à l'art. 80 de
l'ordonnance, aujourd'hui abrogée, du 23 février 2000 sur les jeux de hasard
et les maisons de jeu (aOrdonnance sur les maisons de jeu, aOLMJ; RO 2000
766); cette disposition prévoyait un taux de base de 40 % du produit brut des
jeux jusqu'à concurrence de 10 millions de francs (al. 1), puis une
progression du taux marginal de 1 % par million de francs supplémentaire de
produit brut des jeux jusqu'à concurrence de la limite maximale de 80 % (al.
2). Sous le titre "période fiscale et procédure de taxation (art. 44 LMJ)",
l'art. 84 aOLMJ avait la teneur suivante: "la Commission perçoit l'impôt sur
les maisons de jeu (impôt) pour chaque période fiscale. Une période fiscale
dure douze mois (al. 1); le début et la fin de l'assujettissement fiscal
coïncident avec le début et la fin de l'exploitation des jeux. La période de
calcul et la période fiscale correspondent à l'exercice commercial (al. 2)".
Les normes réglementaires précitées ont été abrogées et remplacées par
l'ordonnance du 24 septembre 2004 sur les jeux de hasard et les maisons de
jeu (ordonnance sur les maisons de jeu, OLMJ; RS 935.521), entrée en vigueur
le 1er novembre 2004, voire, pour certaines de ses dispositions, le 1er
janvier 2004 (cf. art. 127 OLMJ). Dorénavant, le taux de l'impôt et la
période fiscale sont réglés respectivement aux art. 83 et 87 OLMJ. Hormis des
modifications d'ordre rédactionnel, ces nouvelles dispositions apportent des
changements significatifs notamment sur deux points: d'une part, la
progression du taux marginal a été ramenée de 1 à 0,5 % par million de francs
supplémentaire du produit brut des jeux; d'autre part, l'art. 87 al. 4 OLMJ,
sous le titre "période fiscale (art. 44 LMJ)", précise désormais ceci:
"Lorsque l'assujettissement fiscal commence ou s'achève au cours de l'année
civile, le produit brut des jeux est annualisé pour la détermination du taux
d'imposition. L'annualisation est effectuée sur la base de la durée de la
période fiscale abrégée."

3.
La recourante invoque le principe de la légalité.

3.1 Le principe de la légalité gouverne l'ensemble de l'activité de l'Etat
(cf. art. 36 al. 1 Cst.). Il revêt une importance particulière en droit
fiscal où il est érigé en droit constitutionnel indépendant à l'art. 127 al.
1 Cst.: reprenant la jurisprudence rendue sous l'empire de l'ancienne
Constitution fédérale, cette norme constitutionnelle prévoit en effet que les
principes généraux régissant le régime fiscal, notamment la qualité de
contribuable, l'objet de l'impôt et son mode de calcul, doivent être définis
par la loi.
Selon la conception classique, le principe de la légalité recouvre deux
aspects, à savoir: premièrement, la suprématie de la loi, qui impose aux
organes de l'Etat de se soumettre à l'ordre juridique et de n'exercer leur
activité que dans le cadre tracé par la loi; cette exigence implique
également que les normes d'un degré inférieur doivent être conformes à celles
d'une degré supérieur. Secondement, la réserve de la loi, qui postule que
toute atteinte à la liberté ou à la propriété doit être fondée sur la loi; en
droit fiscal, ce postulat trouve notamment sa traduction dans l'exigence
d'une base légale formelle d'une certaine densité formulée à l'art. 127 al. 1
Cst. (cf. Ernst Höhn/Robert Waldburger, Steuerrecht, vol. I, 9ème éd., Berne
2001, p. 130 ss; Walter Ryser/Bernard Rolli, Précis de droit fiscal suisse,
4ème éd., Berne 2002, p. 51; Jean-Marc Rivier, Droit fiscal suisse,
L'imposition du revenu et de la fortune, 2ème éd. 1998, p. 78).

3.2 En premier lieu, la recourante soutient, pour la première fois devant le
Tribunal fédéral, que la délégation de compétence en faveur du Conseil
fédéral prévue à l'art. 41 LMJ constitue un blanc-seing incompatible avec le
principe de la légalité.
Il est certain que la disposition mise en cause confère à l'autorité
exécutive une grande latitude d'appréciation pour fixer le taux de l'impôt,
comme les parlementaires n'ont pas manqué de le souligner et, pour certains,
de le déplorer, lors des débats entourant l'adoption de cette disposition
(cf. BO CE 1997 p. 1317-1321, en particulier la proposition Brändli). Le
grief de la recourante apparaît toutefois d'emblée infondé, sans qu'il soit
nécessaire d'en examiner plus avant la pertinence, car il se heurte à l'art.
191 Cst., qui interdit au Tribunal fédéral d'examiner la constitutionnalité
des lois fédérales (cf., au sujet de l'art. 113 al. 3 aCst., ATF 126 I 1
consid. 2f p. 5; 125 III 209 consid. 5 p. 216) et, par voie de conséquence,
des normes de délégation qu'elles contiennent. Ainsi, lorsque le Tribunal
fédéral se prononce sur une ordonnance du Conseil fédéral fondée sur une
délégation législative, il ne peut pas contrôler si la délégation elle-même
est admissible, et doit se contenter d'examiner si le but fixé dans la loi
peut être atteint et si l'autorité exécutive a usé de son pouvoir
conformément au principe de la proportionnalité; lorsque, comme en l'espèce,
la délégation législative est très large, il ne peut pas substituer sa propre
appréciation à celle du Conseil fédéral et doit se limiter à contrôler si
l'ordonnance en cause est contraire à la loi ou à la Constitution (cf. ATF
124 II 581 consid. 2a p. 583; 122 II 411 consid. 3b p. 416-47 et les
références citées; voir aussi Ernst Blumenstein/Peter Locher, System des
schweizerischen Steuerrechts, Zurich 2002, p. 26).

3.3 En second lieu, la recourante fait valoir, comme devant l'instance
inférieure, qu'avant l'entrée en vigueur, le 1er novembre 2004, de l'art. 87
al. 4 OLMJ, aucune disposition légale ou réglementaire ne prévoyait le
principe de l'annualisation du produit brut des jeux pour fixer le taux de
l'impôt lorsque la période fiscale comprend plus ou moins de douze mois. Or,
elle relève que, dans les lois fiscales récentes, le législateur fédéral,
respectueux du principe de la réserve de la loi, a expressément prévu
d'ancrer dans la loi formelle le principe de l'annualisation des revenus pour
fixer le taux de l'impôt. Elle en déduit qu'on "ne saurait admettre a
fortiori que le Conseil fédéral, nanti de son seul pouvoir réglementaire
(...), puisse renoncer à édicter pareille norme (...) et tout de même
escompter imposer l'annualisation aux contribuables". Elle exclut qu'un tel
procédé puisse se laisser déduire de l'ancienne ordonnance sur les maisons de
jeu par voie d'interprétation, vu la portée du principe de la légalité en
droit fiscal.
Cette argumentation pose le problème de la place et du rôle que joue le
principe de la légalité dans l'interprétation des lois fiscales.

3.4 L'administration et le juge sont assurément tenus de faire preuve d'une
certaine circonspection lorsqu'ils interprètent les normes fiscales, afin de
respecter les impératifs de suprématie et de réserve de la loi - ici au sens
matériel (cf. supra consid. 3.2) - qui découlent du principe de légalité. Il
s'agit, en particulier, d'éviter que ne soient créés, par le biais d'une
interprétation extensive, de nouveaux cas d'assujettissement, de nouvelles
matières imposables ou de nouveaux faits générateurs d'imposition (cf.
Ryser/Rolli, op. cit., p. 70; Rivier, op. cit., p. 102); c'est sur ces points
que se concentre le débat relatif aux limites de l'interprétation (cf.
Ryser/Rolli, op. cit., p. 71). Si la loi, dûment interprétée, ne constitue
pas une base légale suffisante, l'impôt ne peut, en principe, pas être
prélevé (cf. Rivier, op. cit., p. 79 et 102; Höhn/Waldburger, op. cit., p.
147). Toutefois, sous réserve de ces limites, les normes fiscales peuvent et
doivent être interprétées de la même manière et selon les mêmes règles que
les autres domaines du droit administratif (cf. Blumenstein/Locher, op. cit.,
p. 25; Höhn/Waldburger, op. cit., p. 151; Ryser/Rolli, op. cit., p. 71;
Rivier, op. cit., p. 101; pour des ex., cf. ATF 130 I 96 consid. 3 p. 99 ss;
128 II 112 consid. 5 et 6 p. 117 ss; 128 II 66 consid. 4a p. 70; 125 II 183
consid. 4-8 p. 185 ss).

3.5 Selon la jurisprudence, la loi s'interprète en premier lieu selon sa
lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si
plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, il convient de
rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de
tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires
(interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des
valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé
(interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres
dispositions légales (interprétation systématique). Si plusieurs
interprétations sont admissibles, il convient de choisir celle qui est
conforme à la Constitution. En effet, même s'il ne peut pas examiner la
constitutionnalité des lois fédérales (art. 191 Cst.), le Tribunal fédéral
part de l'idée que le législateur fédéral ne propose pas de solution
incompatible avec la Constitution, à moins que le contraire ne résulte
clairement de la lettre ou de l'esprit de la loi (ATF 130 II 65 consid. 4.2
p. 71; 129 II 114 consid. 3.1 p. 118; 129 III 55 consid. 3.1.1 p. 56/57 et
les arrêts cités).
L'interprétation de la loi peut conduire à la
constatation d'une lacune. Une
lacune authentique (ou lacune proprement dite) suppose que le législateur
s'est abstenu de régler un point qu'il aurait dû régler et qu'aucune solution
ne se dégage du texte ou de l'interprétation de la loi. Si le législateur a
renoncé volontairement à codifier une situation qui n'appelait pas
nécessairement une intervention de sa part, son inaction équivaut à un
silence qualifié. Quant à la lacune improprement dite, elle se caractérise
par le fait que la loi offre certes une réponse, mais que celle-ci est
insatisfaisante. D'après la jurisprudence, seule l'existence d'une lacune
proprement dite appelle l'intervention du juge, tandis qu'il lui est en
principe interdit, selon la conception traditionnelle, de corriger les
lacunes improprement dites, à moins que le fait d'invoquer le sens réputé
déterminant de la norme ne soit constitutif d'un abus de droit, voire d'une
violation de la Constitution (cf. ATF 129 III 656 consid. 4.1 p. 657 ss; 128
I 34 consid. 3b p. 40 ss; 125 III 425 consid. 3a p. 427; 124 V 271 consid. 2a
et les arrêts cités). La même chose vaut en droit fiscal, où seules les
lacunes proprement dites peuvent être comblées, sous réserve des cas d'abus
de droit qui comprennent notamment les situations d'évasion fiscale (cf.
Xavier Oberson, Droit fiscal suisse, 2ème éd., Bâle 2002, p. 48 et 50;
Höhn/Waldburger, op. cit., p. 149/150; Blumenstein/Locher, op. cit., p. 33).

3.6 Contrairement à l'opinion qu'elle défendait devant la Commission de
recours, la recourante ne soutient plus que l'absence de norme prévoyant le
principe de l'annualisation du produit brut des jeux pour déterminer le taux
de l'impôt s'apparenterait à un silence qualifié du législateur. A raison. En
effet, rien dans les travaux préparatoires ne vient étayer cette thèse. Les
discussions au Parlement qui ont précédé l'adoption de la loi sur les maisons
de jeux ont certes porté sur l'art. 41 LMJ (détermination du taux de l'impôt,
problème de sa progressivité, opportunité de déléguer au Conseil fédéral la
compétence de le fixer). A aucun moment, toutefois, les parlementaires n'ont
abordé le problème spécifiquement en cause ici, qui ne concerne d'ailleurs
que de manière indirecte la question du taux de l'impôt: l'annualisation
constitue en effet l'un des aspects de l'imposition dans le temps qui doit
être examiné lors de la taxation; elle dépend de la période de calcul et de
la période fiscale, ainsi que du début et de la fin de l'assujettissement. Du
reste, selon la note marginale de l'art. 87 al. 4 OLMJ, qui prévoit désormais
expressément le principe de l'annualisation, celui-ci se rattache à la
délégation de compétence en faveur du Conseil fédéral prévue à l'art. 44 LMJ
pour régler la procédure de taxation, mais non à la délégation législative
prévue à l'art. 41 LMJ pour fixer le taux de l'impôt. Il ne saurait, dès
lors, être question de silence qualifié du législateur sur la question
litigieuse.

En réalité, cette absence de réglementation correspond à un oubli du
législateur, soit du Conseil fédéral, comme l'a exposé la Commission fédérale
dans son rapport explicatif à l'appui du projet de révision de l'ancienne
ordonnance sur les maisons de jeu: "la situation (où l'exercice commercial
débute ou se termine en cours d'année) n'était pas prévue dans la
législation" (rapport précité, p. 9). En effet, selon la réglementation
applicable au moment déterminant, le taux de l'impôt était progressif en
fonction du produit brut des jeux (cf. art. 80 al. 2 aOLMJ) réalisé durant
une période fiscale et une période de calcul d'une durée de douze mois
supposées correspondre à l'exercice commercial (cf. art. 84 al. 1 et 2
aOLMJ), lequel s'étendait, selon l'acte de concession, du 1er janvier au 31
décembre de l'année. En revanche, l'hypothèse d'un exercice commercial d'une
durée inférieure à une année, comme cela peut se présenter lors du début ou
de la fin de l'assujettissement à l'impôt, n'a tout simplement pas été
envisagée.

3.7 Dans le système fiscal suisse, l'annualisation des revenus pour fixer le
taux de l'impôt se présente comme un principe généralement admis pour
l'imposition des revenus à caractère périodique soumis à un taux progressif,
comme en témoignent l'art. 31 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur
l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID; RS
642.14), l'art. 209 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'impôt
fédéral direct (LIFD; RS 642.11), l'art. 2 al. 3 de l'ordonnance du 16
septembre 1992 sur le calcul dans le temps de l'impôt fédéral direct dû par
les personnes physiques (RS 642.117.1), ou encore l'art. 3 al. 2 de
l'ordonnance du 16 septembre 1992 sur le calcul dans le temps de l'impôt
fédéral direct dû par les personnes morales (RS 642.117.2), étant précisé que
cette dernière disposition n'a plus de raison d'être pour les sociétés de
capitaux et les coopératives depuis l'adoption, le 1er janvier 1998, d'un
taux fixe pour l'imposition du bénéfice net (cf. Ryser/Rolli, op. cit., p.
431, ad note 65; Oberson, op. cit., p. 210).
La règle de l'annualisation des revenus est destinée à garantir le respect
des principes constitutionnels de l'égalité de traitement entre contribuables
et de l'imposition selon la capacité économique (cf. art. 127 al. 2 Cst.). Le
principe de la capacité contributive exige en effet que chaque contribuable
participe à la couverture des dépenses publiques compte tenu de sa situation
personnelle et en fonction de ses moyens, avec une charge fiscale adaptée à
sa substance économique (cf. ATF 122 I 101 consid. 2b/aa p. 103, 305 consid.
6a p. 313; 120 Ia 329 consid. 3 p. 332 et les arrêts cités). Aussi bien, le
revenu (périodique) réalisé par un contribuable pendant une durée
d'assujettissement incomplète doit, dans un système d'imposition progressive,
être extrapolé sur douze mois (annualisé) lors de la fixation du taux, afin
que la charge d'impôt soit conforme à la réelle capacité contributive dudit
contribuable.

3.8 Par conséquent, il faut admettre que l'absence de règle d'annualisation
dans l'ancienne ordonnance sur les maisons de jeu a valeur de lacune
proprement dite que les autorités précédentes étaient fondées et tenues de
combler dans une perspective d'interprétation conforme à la Constitution. Une
telle manière de faire n'a pour effet ni d'étendre la qualité de
contribuable, ni de créer de nouvelles matières imposables ou de nouveaux
faits générateurs d'imposition, mais vise simplement, ainsi qu'on l'a vu, à
compléter les règles relatives à la procédure de taxation et à l'imposition
dans le temps (cf. supra consid. 3.6 premier paragraphe): vu son caractère
périodique et la progressivité de son taux voulue par le législateur (cf.
art. 80 al. 2 aOLMJ), l'impôt sur le produit brut des jeux doit être prélevé
selon les mêmes bases d'imposition pour tous les contribuables, quelle que
soit la durée de leur assujettissement, y compris lorsque celle-ci est, comme
en l'espèce, inférieure à une année. Il serait en effet contraire aux
principes constitutionnels de l'égalité de traitement entre contribuables et
de l'imposition selon la capacité économique de soumettre la recourante, qui
a été assujettie pour la période fiscale 2003 pendant cinq mois et demi
environ seulement, au même taux d'imposition qu'un casino concurrent ayant
réalisé, par hypothèse, un même produit brut des jeux pendant toute la
période fiscale.

4.
Il suit de ce qui précède que le recours est mal fondé.
Succombant, la recourante supportera les frais judiciaires (art. 156 al. 1 et
7 OJ) et n'a pas droit à des dépens (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 20'000 fr. est mis à la charge de la société
X.________ SA.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante, à la
Commission fédérale des maisons de jeu et à la Commission fédérale de recours
en matière de contributions.

Lausanne, le 6 juillet 2005

Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2A.105/2005
Date de la décision : 06/07/2005
2e cour de droit public

Analyses

Art. 36 al. 1, 127 al. 1 et 2, 191 Cst.; art. 40 al. 1, 41 et 44 al. 1LMJ; art. 80 al. 1 et 2, 84 al. 1 et 2 aOLMJ; art. 87 al. 4 OLMJ;annualisation du produit brut des jeux pour déterminer le taux de l'impôt. Système d'imposition des casinos (consid. 2). Principe de légalité en matière fiscale: suprématie et réserve de la loi(consid. 3.1); interdiction d'examiner la constitutionnalité des loisfédérales, y compris les clauses de délégation de compétence (consid. 3.2);interprétation des lois fiscales, notamment en présence d'une lacune(consid. 3.3-3.5), telle l'absence d'une règle d'annualisation (consid.3.6-3.8).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2005-07-06;2a.105.2005 ?
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