La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/06/2005 | SUISSE | N°2A.535/2004

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 14 juin 2005, 2A.535/2004


2A.535/2004/ADD/elo
{T 1/2}

Arrêt du 14 juin 2005
IIe Cour de droit public

MM. et Mme les Juges Merkli, Président,
Hungerbühler, Wurzburger, Müller et Yersin.
Greffier: M. Addy.

La société Etablissements Ed. Cherix et
Filanosa S.A., rue de la Colombière 12, 1260 Nyon,
recourante,
représentée par Me Lionel Aeschlimann, avocat,

contre

Edipresse S.A., avenue de la Gare 33, case postale 1001 Lausanne,
représentée par Me Silvio Venturi, avocat,
Commission de la concurrence,
Monbijoustrasse 43, 3003 Berne,
intimées,


Commission de recours pour les questions de concurrence, 3202 Frauenkappelen.

concentration d'entreprises,

recours de...

2A.535/2004/ADD/elo
{T 1/2}

Arrêt du 14 juin 2005
IIe Cour de droit public

MM. et Mme les Juges Merkli, Président,
Hungerbühler, Wurzburger, Müller et Yersin.
Greffier: M. Addy.

La société Etablissements Ed. Cherix et
Filanosa S.A., rue de la Colombière 12, 1260 Nyon,
recourante,
représentée par Me Lionel Aeschlimann, avocat,

contre

Edipresse S.A., avenue de la Gare 33, case postale 1001 Lausanne,
représentée par Me Silvio Venturi, avocat,
Commission de la concurrence,
Monbijoustrasse 43, 3003 Berne,
intimées,
Commission de recours pour les questions de concurrence, 3202 Frauenkappelen.

concentration d'entreprises,

recours de droit administratif contre la décision du Commission de recours
pour les questions de concurrence du 15 juillet 2004.

Faits:

A.
Formé d'un ensemble de sociétés suisses et étrangères, le groupe Edipresse,
de siège à Lausanne, est notamment actif dans l'édition de journaux et de
périodiques; il édite plusieurs quotidiens en Suisse romande, dont "24
heures", "Le Matin" et "La Tribune de Genève"; il détient en outre des
participations minoritaires importantes dans d'autres sociétés de presse
romandes, dont la société Le Temps SA, à Genève, éditrice du journal éponyme.

Le 22 mai 2002, Edipresse a notifié à la Commission de la concurrence
(ci-après également citée: la Commission) un projet de concentration portant
sur la prise de contrôle de la société Imprimerie Corbaz SA, à Montreux
(ci-après: Corbaz SA); outre la gestion d'une imprimerie, cette entreprise
familiale édite les quotidiens "La Presse Riviera-Chablais" et "La Presse
Nord Vaudois". Après avoir procédé à un examen préalable, la Commission a
décidé de soumettre le projet de concentration à la procédure d'examen prévue
par la loi fédérale du 6 octobre 1995 sur les cartels et autres restrictions
à la concurrence (loi sur les cartels, LCart; RS 251) et l'ordonnance du 17
juin 1996 sur le contrôle des concentrations d'entreprises (OCCE; RS 251.4).
Communiquée aux entreprises participantes le 19 juin 2002, l'ouverture de la
procédure a été publiée dans la Feuille officielle suisse du commerce (FOSC)
du 28 juin 2002 et la Feuille fédérale du 2 juillet 2002 (FF 2002 p. 4088).

Dans un rapport intermédiaire du 20 août 2002, la Commission a constaté que
l'acquisition envisagée renforçait la position dominante d'Edipresse dans le
canton de Vaud sur "le marché des lecteurs", mais non sur "les marchés de
l'imprimerie et des annonces". Après avoir pris connaissance de ses
observations, la Commission a informé Edipresse, le 7 octobre 2002, qu'elle
avait l'intention d'interdire son projet de concentration; elle lui signalait
néanmoins que l'opération pourrait être autorisée sous certaines conditions
précises qu'elle énonçait. Le groupe Edipresse a demandé et obtenu une
prolongation de la procédure d'examen jusqu'au 20 décembre 2002; dans le
délai imparti, il a ensuite produit en cause des documents attestant qu'il
avait pris les mesures préconisées par la Commission (lettre du 13 décembre
2002). Dans une lettre du 16 décembre 2002, cette dernière a indiqué aux
entreprises participantes que "la concentration (pouvait) être réalisée sans
réserve".

Par communiqué de presse du 17 décembre 2002, la Commission a annoncé qu'elle
avait approuvé le rachat de Corbaz SA par Edipresse, en exposant qu'au vu des
modifications apportées au projet initial, cette opération n'apparaissait,
après examen, plus de nature à supprimer la concurrence efficace sur le
marché des quotidiens vaudois, même si elle renforçait la position
d'Edipresse. L'exposé de ces motifs a été publié dans la revue "Droit et
politique de la concurrence" du mois de mai 2004 (p. 177 ss).

B.
La société Etablissements Ed. Cherix et Filanosa SA, à Nyon (ci-après: la
société Cherix SA), a saisi la Commission de recours pour les questions de
concurrence (ci-après: la Commission de recours) d'un recours. Elle a conclu
à l'annulation de la décision approuvant le projet de concentration formé par
Edipresse, à l'interdiction de ce projet, ainsi qu'à la séparation des
entreprises et des actifs regroupés à la suite de la concentration. A titre
préalable, elle demandait la notification d'une décision écrite concernant
l'approbation contestée ainsi que la communication du rapport ayant servi de
base à cette décision. A l'appui de ses conclusions, elle déposait un avis de
droit du professeur Blaise Knapp destiné à établir que l'approbation
litigieuse constituait bien une décision sujette à recours au sens de l'art.
5 de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA;
RS 172.021).

La Commission et Edipresse ont conclu à l'irrecevabilité du recours et,
subsidiairement, à son rejet.

Par décision du 15 juillet 2004, la Commission de recours a déclaré
irrecevable le recours, au double motif de l'absence de décision attaquable
au sens de l'art. 5 PA ainsi que du défaut de qualité pour recourir de la
société Cherix SA contre l'approbation contestée au vu de l'art. 43 al. 4
LCart et de sa position de tiers dans la procédure en cause (entreprise
concurrente).

C.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, la société Cherix SA
demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d'annuler la
décision précitée du 15 juillet 2004, de dire et constater que l'approbation
du projet de concentration constitue une décision susceptible de recours et
de renvoyer la cause à la Commission de recours pour qu'elle examine sa
qualité pour recourir à la lumière du seul art. 48 let. a PA, à l'exception
de l'art. 43 al. 4 LCart.
Edipresse conclut au rejet du recours sous suite de frais et dépens. La
Commission demande également le rejet du recours, tandis que la Commission de
recours renonce à se déterminer et renvoie aux considérants de son arrêt.

D.
Le 18 février 2005, la société Cherix SA a informé le Tribunal fédéral de ce
qu'elle avait déposé auprès de la Commission de la concurrence une demande
tendant à la révocation de sa décision du 16 décembre 2002 ou, à titre
subsidiaire, à l'ouverture d'une enquête pour abus de position dominante au
sens des art. 7 ss et 26 ss LCart.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Dans une procédure administrative régie par le droit fédéral, l'auteur d'un
recours déclaré irrecevable pour défaut de qualité pour agir est habilité à
contester ce prononcé par la voie du recours de droit administratif lorsque,
comme en l'espèce (cf. art. 97 al. 1 et 98 let. e OJ en relation avec l'art.
5 PA; ATF 124 II 499 consid. 1b p. 502), la décision de l'autorité intimée
peut, sur le fond, faire l'objet d'un tel recours auprès du Tribunal fédéral
(cf. ATF 128 II 156 consid. 1a p. 158; 127 II 264 consid. 1a p. 268; 125 II
10 consid. 2a p. 13 et les arrêts cités).

Pour le surplus, déposé en temps utile et dans les formes prescrites par la
loi, le présent recours est recevable.

2.
Le litige porte sur la recevabilité du recours formé par la recourante devant
l'instance inférieure.

Il s'agit, en premier lieu, d'examiner la nature juridique de la lettre du 16
décembre 2002 par laquelle la Commission a fait savoir aux entreprises
participantes que le projet de concentration présenté par Edipresse pouvait
être réalisé sans réserve, plus précisément de déterminer si cet acte revêt,
comme le soutient la recourante, le caractère d'une décision attaquable au
sens de l'art. 5 PA ou si, comme l'a tranché la Commission de recours, il a
seulement valeur de prise de position non susceptible de recours (consid. 3
et 4).

En second lieu, l'examen doit se porter sur la qualité pour recourir de la
société Cherix SA (consid. 5).

3.
3.1La loi sur les cartels a pour but d'empêcher les conséquences nuisibles
d'ordre économique ou social imputables aux cartels et aux autres
restrictions à la concurrence et de promouvoir ainsi la concurrence dans
l'intérêt d'une économie de marché fondée sur un régime libéral (art. 1er
LCart). Elle s'applique notamment aux entreprises de droit privé (cf. art. 2
al. 1er LCart) qui participent à des concentrations d'entreprises (cf. art. 4
al. 3 LCart et art. 1 et 2 OCCE), en leur imposant l'obligation de notifier à
la Commission de la concurrence de telles opérations avant leur réalisation
dans certaines situations, en particulier lorsque les entreprises
participantes ont réalisé un chiffre d'affaires supérieur aux valeurs seuils
fixées dans la loi lors du dernier exercice précédant la concentration (cf.
art. 9 al. 1 à 3 LCart; ATF 127 III 219 consid. 4a p. 224-225). Si un examen
préalable des projets soumis à l'obligation de notifier fait apparaître des
indices de création ou de renforcement d'une position dominante, la
Commission procède ensuite à un examen plus approfondi (cf. art. 10 al. 1
LCart). Lorsqu'il résulte de cet examen que la concentration crée ou renforce
effectivement une position dominante capable de supprimer une concurrence
efficace et qu'elle ne provoque pas une amélioration des conditions de
concurrence sur un autre marché, qui l'emporte sur les inconvénients de la
position dominante, la Commission de la concurrence interdit la concentration
(cf. art. 10 al. 2 LCart, 1ère hypothèse) ou l'autorise moyennant des
conditions ou des charges (cf. art. 10 al. 2 LCart, 2ème hypothèse).

3.2 La procédure concernant l'examen des concentrations d'entreprises est
réglée aux art. 32 ss LCart de la manière suivante: dans une première phase
(dite d'examen préalable), la Commission de la concurrence dispose d'un délai
d'un mois à compter de la réception de la notification d'une concentration
d'entreprises pour décider s'il y a lieu de procéder à un examen plus
approfondi et, le cas échéant, communiquer aux entreprises participantes
l'ouverture d'une telle procédure; faute de "communication" dans ce délai,
pendant lequel les entreprises participantes s'abstiennent de réaliser la
concentration, "la concentration peut être réalisée sans réserve" (cf. art.
32 al. 1 et 2 LCart). Si la Commission décide de procéder à un examen plus
approfondi (seconde phase), son secrétariat publie le contenu essentiel de la
notification de concentration et indique le délai dans lequel des tiers
peuvent communiquer leur avis sur celle-ci; au début de l'examen, elle décide
également si la concentration notifiée peut être provisoirement réalisée à
titre exceptionnel ou si elle reste suspendue (cf. art. 33 al. 1 et 2 LCart).
La Commission doit ensuite achever son examen et rendre une décision dans les
quatre mois dès l'ouverture de la procédure d'examen. Faute de décision dans
ce délai, "la concentration est réputée autorisée", à moins que la Commission
constate dans une décision qu'elle a été empêchée de conduire l'examen pour
des causes imputables aux entreprises participantes (cf. art. 33 al. 3 LCart
et 34 2ème phrase LCart).

Pour le surplus, la section 4 de la loi sur les cartels prévoit un certain
nombre de dispositions générales réglant la procédure et les voies de droit,
dont certaines touchent également la procédure d'examen des concentrations
d'entreprises. Ainsi, l'art. 39 LCart dispose que la loi fédérale sur la
procédure administrative est applicable dans la mesure où la loi sur les
cartels n'y déroge pas. En outre, l'art. 43 al. 4 LCart précise que seules
les entreprises participantes ont qualité de parties dans la procédure
d'examen des concentrations d'entreprises. Enfin, l'art. 44 LCart prévoit que
les décisions de la Commission de la concurrence peuvent faire l'objet d'un
recours à la Commission de recours.

4.
4.1Selon la Commission de recours, qui fonde son opinion sur une
interprétation littérale, historique, téléologique et systématique de la loi
sur les cartels, les concentrations d'entreprises ne sont pas soumises à un
régime d'autorisation. Certes, les entreprises participantes ont l'obligation
de notifier à la Commission de la concurrence les projets de concentration.
Toutefois, estime la Commission de recours, seuls les refus de concentration
ou les "autorisations" assorties de charges et/ou de conditions font l'objet
d'une décision sujette à recours au sens de l'art. 44 LCart (en relation avec
l'art. 5 PA), tandis que les approbations pures et simples prennent effet en
dehors de tout acte attaquable après l'écoulement du délai d'opposition de
quatre mois prévu à l'art. 34 LCart (en relation avec l'art. 33 al. 3 LCart).
Lorsque, comme en l'espèce, la Commission donne son accord à la concentration
avant ce terme, son intervention n'a, toujours selon la Commission de
recours, pas valeur de décision attaquable, mais équivaut simplement à une
"prise de position".

La recourante se dit "prête à admettre cette conception". Elle relève
cependant qu'en l'espèce, du moment que la Commission de la concurrence
constatait, au terme de la procédure d'examen, que le projet de concentration
créait ou renforçait la position dominante d'Edipresse, elle n'avait le choix
qu'entre l'une des deux possibilités prévues à l'art. 10 al. 2 LCart, à
savoir interdire la concentration - ce qu'elle n'a pas fait - ou alors - ce
qu'elle aurait dû faire - l'autoriser sous réserve du respect des exigences
qu'elle avait énoncées dans son rapport intermédiaire, c'est-à-dire en
l'assortissant de conditions et/ou de charges fixées dans une décision
attaquable.

4.2 Il n'est pas contesté que le refus total ou partiel (accord assorti de
conditions ou de charges) opposé à un projet de concentration constitue une
décision pouvant faire l'objet d'un recours au sens de l'art. 44 LCart en
relation avec l'art. 5 PA. La doctrine est sur ce point unanime (cf.
Christian Bovet, in Commentaire romand, Droit de la concurrence, éd. par
Tercier/Bovet, Bâle 2002 [ci-après cité: CR Concurrence], n. 24 ad art. 33
LCart; dans le même ouvrage Silvio Venturi, n. 31 ad Remarques liminaires aux
art. 9-10 LCart et Benoît Carron, n. 9 ad art. 44 LCart; Marcel Dietrich,
Unternehmenszusammenschlüsse, Formelles Fusionskontrollrecht, Art. 9-10,
32-38 KG, in Das Kartellgesetz in der Praxis, éd. par Roger Zäch, Zurich 2000
[ci-après cité: Das Kartellgesetz in der Praxis], p. 75 ss, 109; Patrik
Ducrey/Jens Drolshammer, in Kommentar zum schweizerischen Kartellgesetz, éd.
par Homburger/Schmidhauser/Hoffet/Ducrey, 2ème éd., Zurich 1997 [ci-après
cité:
Kommentar KG], n. 47-48 ad art. 10 LCart; dans le même ouvrage, Patrik
Ducrey, n. 28 et 30 ad art. 33 LCart et Balz Gross, n. 20 ad art. 44 LCart;
Paul Richli, Kartellverwaltungsverfahren, in Schweizerisches Immaterialgüter-
und Wettbewerbsrecht, vol. V/2, Kartellrecht, éd. par von Büren/David, Bâle
2000 [ci-après cité: SIWR V/2], p. 504; Frank Scherrer, Das europäische und
schweizerische Fusionskontrollverfahren, thèse, Zurich 1996, p. 412 et 414;
Walter Stoffel, Le droit suisse de la concurrence 1997: les premières
expériences avec la nouvelle LCart, in RSDA 1997, p. 249 ss, 256; Roger Zäch,
Schweizerisches Kartellrecht, 2ème éd., Zurich 2005, n. 1033, 1077 et 1078 a
contrario; Philipp Zurkinden, Die Regelung der Fusionskontrolle im
schweizerischen Wettbewerbsrecht, in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht,
éd. par Koller/Müller/Rhinow/Zimmerli, Bâle/Genève/Munich, 1999, vol. 11
[ci-après cité: SBVR], n. 111; Pierre Mercier/Olivier Mach/Hubert
Gilliéron/Simon Affolter, Grands principes du droit de la concurrence,
Bâle/Genève/Munich 1999, p. 667).

En revanche, à rigueur de sa lettre, la loi sur les cartels ne fournit pas de
réponse claire et définitive à la question de savoir si l'on est également en
présence d'une décision attaquable lorsque la Commission de la concurrence ne
s'oppose pas à un projet de concentration et laisse s'écouler le délai de
quatre mois prévu à l'art. 33 al. 3 LCart. L'art. 34, 2ème phrase LCart
prévoit simplement qu'en l'absence de décision de la Commission dans ce
délai, la concentration est "réputée autorisée". Cette fiction dispense
assurément la commission de prononcer une décision formelle si elle n'entend
pas s'opposer au projet. Elle ne permet cependant pas d'exclure, sans autre
examen, l'existence d'une décision matérielle (tacite) susceptible de recours
(cf. Scherrer, op. cit., p. 375 ss; Zurkinden, in SBVR, n. 111; Dietrich, Das
Kartellgesetz in der Praxis, op. cit., p. 80). Par ailleurs, cette fiction ne
dit pas non plus ce qu'il faut penser de la situation, apparemment habituelle
en pratique - comme la présente espèce le confirme -, où la Commission donne
son approbation avant la fin de la procédure d'examen sous une forme qui
s'apparente matériellement à une décision (cf. Venturi, in CR concurrence, n.
32 ad Remarques liminaires aux art. 9-10 LCart). Enfin, la formulation de
l'art. 23 OCCE, qui pose le principe de la publication de la "décision" de la
commission après la clôture de l'examen, ajoute également à la confusion,
dans la mesure où, semble-t-il, cette disposition concerne également les
projets de concentration acceptés sans réserve (cf. Scherrer, op. cit., p.
420; Pierre Tercier, La procédure devant la Commission de la concurrence, in
RSDA numéro spécial 1996 p. 35 ss, 44; contra: Zurkinden, in SBVR, n. 111,
note de bas de page no 218 et Ducrey, Kommentar KG, n. 33 ad art. 33, qui
rattachent la publication des projets de concentration acceptés sans réserve
à l'art. 22 OCCE, bien que cette disposition ne se rapporte qu'aux
notifications qui n'ont pas donné lieu à l'ouverture d'une procédure
d'examen).

4.3 Les auteurs favorables à la solution retenue par la Commission de recours
relèvent que, contrairement au projet initial du Conseil fédéral, qui
prévoyait, à l'instar du droit communautaire, un régime d'autorisation,
l'Assemblée fédérale a préféré le système actuellement en vigueur, moins
bureaucratique et plus conforme aux besoins d'une économie de marché fondée
sur un régime libéral. Ce système impose certes l'obligation de notifier à la
Commission de la concurrence tout projet de concentration tombant sous le
coup de l'art. 9 LCart avant sa réalisation. Cette obligation est toutefois
suivie d'une simple procédure d'opposition qui ne nécessite pas de décision
lorsque la Commission juge que le projet de concentration qui lui est soumis
ne soulève pas d'objection; il lui suffit alors de laisser s'écouler le délai
d'opposition de quatre mois prévu à l'art. 33 al. 3 LCart pour que la
concentration soit réputée autorisée, en l'absence de toute décision et, par
voie de conséquence, de toute procédure de recours (cf. Ducrey/Drolshammer,
Kommentar KG, n. 56 et 57 ad art. 10 LCart; Stoffel, Le droit suisse de la
concurrence 1997, op. cit., p. 256; Venturi, in CR Concurrence, n. 31 et 32
ad Remarques liminaires aux art. 9-10 LCart; Richli, op. cit., in SIWR V/2 p.
505; Zäch, op. cit., n. 1078 et 1086). La Commission peut toutefois autoriser
les entreprises participantes à réaliser la concentration avant la fin du
délai de quatre mois prescrit à l'art. 33 al. 3 LCart; en ce cas, son
autorisation équivaut à une simple prise de position qui n'a pas valeur de
décision attaquable (Venturi, CR Concurrence, n. 31 ad Remarques liminaires
aux art. 9-10 LCart; Stoffel, Le droit suisse de la concurrence 1997, op.
cit., p. 256; Mercier/Mach/Gilliéron/Affolter, op. cit., p. 667 ad note 137;
Paul Richli, op. cit., p. 505), par analogie à ce que prévoit l'art. 16 al. 1
OCCE pour la phase d'examen préalable: selon cette disposition, les
entreprises participantes sont en effet autorisées à réaliser la
concentration avant la fin du délai d'un mois prescrit à l'art. 32 al. 2
LCart lorsque la Commission leur "communique" que le projet qui lui est
soumis ne soulève pas d'objection (cf. Ducrey/Drolshammer, in Kommentar KG,
n. 56 ad art. 10 LCart; Ducrey, in Kommentar KG, n. 26 ad art. 33 LCart; du
même auteur, in SIWR V/2, p. 303; Zäch, op. cit., n. 1033; également
favorable à l'application par analogie de l'art. 16 al. 1 OCCE pour
l'approbation des projets de concentration, sans toutefois se prononcer
clairement sur le caractère de décision atta- quable, ou non, d'un tel acte:
Jürg Borer, in Kommentar zum schweizerischen Kartellgesetz, Zurich 1998
[ci-après cité: Kommentar], n. 9 et 10 ad art. 33 LCart et n. 11 ss ad art.
44 LCart).

Christian Bovet (in CR Concurrence, n. 82 ad art. 32 LCart) critique cette
conception qu'il juge formaliste et contraire au principe du parallélisme des
formes: dans la mesure où l'on admet que l'ouverture de la procédure d'examen
nécessite une décision, il estime que sa clôture doit se faire de la même
manière. Par ailleurs, il est d'avis que la sécurité juridique s'oppose à ce
que l'on doive attendre le terme de la procédure d'examen (d'une durée de
quatre mois) pour déterminer a posteriori si l'ouverture d'une enquête
(approfondie) au sens de l'art. 33 LCart revêt le caractère d'une décision
incidente, selon que la Commission décide finalement d'interdire ou
d'autoriser le projet de concentration. Frank Scherrer (op. cit., p. 375-376)
est d'avis que les modifications apportées au projet du Conseil fédéral par
le Parlement et, notamment, la fiction selon laquelle la concentration est
réputée autorisée après l'écoulement d'un délai de quatre mois (art. 34
LCart), ne changent rien au caractère de la procédure qui continue à
s'apparenter à un régime d'autorisation; il parle à ce propos de
"Genehmigungspflicht mit Genehmigungsfiktion"; à son sens, (op. cit., p.
411-412) une décision est nécessaire également pour autoriser un projet de
concentration: à défaut, une concentration ne pourrait pas se faire avant
l'écoulement du délai précité de quatre mois, ce qui ne serait pas
admissible; par ailleurs, il voit dans le fait que l'art. 38 LCart permette,
à certaines conditions, de révoquer ou de réviser une autorisation, la preuve
que celle-ci constitue une décision, tout comme le fait que, contrairement à
ce qui est prévu à l'art. 16 OCCE pour la procédure préalable, aucune
disposition de la loi sur les cartels ou de son règlement n'offre à la
Commission la possibilité d'autoriser la concentration par la voie d'une
simple "communication" avant l'échéance du délai précité de quatre mois.

D'autres auteurs adoptent une position plus nuancée. Ainsi, Balz Gross (in
Kommentar KG, note de bas de page no 27 et n. 54 ss ad art. 44 LCart) postule
qu'à certaines conditions - restrictives - les tiers (concurrents) ont le
droit d'exiger une décision motivée afin de pouvoir bénéficier d'un certain
contrôle juridictionnel lorsque la Commission ne s'oppose pas à une
concentration. Philipp Zurkinden (in SBVR, n. 111, note de bas de page 219)
relève que les procédures de concentration peuvent se terminer par
l'écoulement du temps sans qu'une décision formelle ne soit alors requise, en
laissant plutôt entendre que les tiers ne peuvent pas exiger une telle
décision (loc. cit., n. 105); il estime néanmoins que, contrairement à
l'opinion de Ducrey, la Commission peut, si elle le souhaite, approuver la
concentration dans une décision formelle (loc. cit., n. 111; dans le même
sens, Zurkinden/Trüeb, Das neue Kartellgesetz, Handkommentar, Zurich 2004
[ci-après cité: Handkommentar], n. 5 ad art. 33 LCart). Marcel Dietrich (Das
Kartellgesetz in der Praxis, op. cit., p. 80) soutient l'idée que la
procédure d'examen présente les caractéristiques aussi bien d'une procédure
d'autorisation que d'une procédure d'opposition selon que la Commission
déclare ne pas avoir d'objection à la concentration ou qu'elle l'approuve
dans une décision et/ou selon qu'elle agit dans le délai de quatre mois ou
qu'elle laisse s'écouler ce délai sans se manifester. Enfin, Benoît Carron
(in CR Concurrence, n. 9 et 13 ad art. 44 LCart) considère que les
autorisations de concentration d'entreprises sont des décisions susceptibles
de recours, mais que l'absence de décision dans le délai de quatre mois de
l'art. 33 al. 3 LCart n'est, en revanche, pas un acte attaquable.

4.4 Une interprétation historique de la loi sur les cartels incline plutôt à
penser que l'absence de réaction de la Commission de la concurrence pendant
le délai d'opposition de quatre mois ne constitue pas une décision, du moins
une décision sujette à recours. Les travaux préparatoires, notamment les
débats au Conseil national (cf. BO 1995 CN p. 1095-1101), indiquent en effet
clairement que la substitution du régime d'autorisation proposé par le
Conseil fédéral par le système actuellement en vigueur (notification
obligatoire suivi d'une procédure d'opposition) visait à réduire la
bureaucratie à son minimum afin d'accélérer le traitement des projets de
concentration notifiés à la Commission. Sont à cet égard révélatrices les
déclarations du rapporteur de langue française du Conseil national ainsi que
celles du Conseiller fédéral en charge du dossier qui insistent tous deux sur
le fait qu'avec le système proposé, "il n'y a même pas besoin de décision" ou
"d'approbation formelle ou tacite" pour qu'une concentration puisse se faire
(BO CN 1995 I p. 1100-1101, Couchepin et Delamuraz). Par ailleurs, dans un
rapport du 11 octobre 2000 à l'attention de la Commission de gestion du
Conseil national, l'Organe parlementaire de contrôle de l'administration
(OPCA) a clairement exposé les critiques formulées par Christian Bovet à
l'encontre de la jurisprudence de la Commission de recours, en particulier le
fait que, faute de décision formelle, l'approbation d'une concentration ne
pouvait pas faire l'objet d'un recours; jugé peu problématique, ce point n'a
toutefois pas suscité de proposition de réforme (cf. FF 2000 p. 3191,
3221/3222).

D'un autre côté, il existe certainement aussi de bons arguments pour
considérer que le silence de la Commission dans le délai de quatre mois prévu
à l'art. 33 al. 3 LCart équivaut à une décision. D'une part, il faut admettre
avec une partie de la doctrine que, matériellement, ce silence ne se
distingue guère d'une décision d'approbation ou, selon la formule du
professeur Knapp, "d'une décision constatant la non-réalisation de la
situation juridique visée à l'art. 10 al. 2 LCart" (avis de droit, p. 12).
D'autre part, dans la mesure où, sous réserve de certaines exceptions (cf.,
en particulier, l'art. 43 al. 4 LCart), la procédure d'examen des
concentrations d'entreprises suit les règles générales de la procédure
administrative (en vertu de l'art. 39 PA), on ne devrait pas agréer trop
facilement une dérogation à celles-ci; en principe, il serait souhaitable
qu'une telle dérogation figure de manière expresse dans la loi sur les
cartels (cf. Marcel Dietrich, in Kommentar KG, n. 13 ad art. 39 LCart; du
même auteur, in Das Kartellgesetz in der Praxis, op. cit., p. 77-78). Enfin,
même si l'on peut admettre qu'une concentration peut se faire en l'absence de
décision lorsque la Commission laisse s'écouler sans réagir le délai
d'opposition de quatre mois, ni la loi, ni les travaux préparatoires
n'offrent de réponse à la question de savoir ce qu'il en est lorsque la
Commission donne son accord avant l'échéance dudit délai, encore moins
lorsque, comme en l'espèce, cet accord intervient après que les sociétés
participantes ont proposé un nouveau projet intégrant des propositions de la
Commission. Comme le fait observer la recourante, on peut en effet se
demander si, dans une telle situation, l'on ne se trouve pas en face d'une
autorisation assortie de charges ou de conditions ou, du moins, si la
Commission de la concurrence n'aurait pas dû rendre une telle décision qui,
comme on l'a vu (supra consid. 4.2 in initio) est susceptible de recours (sur
ce problème, cf. Patrik Ducrey, Geklärte und ungeklärte Fragen im Verfahren
vor der Wettbewerbskommission, in Journée du droit de la concurrence 2001,
Zurich 2003, p. 109 ss, 123; Borer, in Kommentar, n. 9 et 10 ad art. 33
LCart; Dietrich, Kartellgesetz in der Praxis, op. cit., p. 109; Zäch, op.
cit., n. 835; Venturi, in CR Concurrence, n. 15 ad art. 10 LCart et les
nombreuses références citées).

En l'état, ces questions souffrent toutefois de rester indécises, car le
recours doit en toute hypothèse être rejeté pour un autre motif.

5.
5.1Contrairement à l'art. 43 al. 1 LCart, qui permet à certaines personnes
physiques et morales de participer aux enquêtes concernant les restrictions à
la concurrence, l'art. 43 al. 4 LCart prévoit que seules les entreprises
participantes ont la qualité de parties dans les procédures d'examen des
concentrations d'entreprises. Les tiers concernés par un projet de
concentration n'ont le droit que de prendre position par écrit au sujet de
celui-ci (cf. art. 33 al. 1 LCart et 19 OCCE). De la même manière qu'il n'a
pas voulu soumettre formellement les concentrations d'entreprises à un régime
d'autorisation (cf. supra consid. 4.4), c'est afin de garantir en la matière
une
procédure simple, rapide et efficace que le législateur a décidé de
priver les tiers de la qualité de parties lors de la phase d'examen des
projets de concentration soumis à l'obligation de notifier, même si, comme la
Cour de céans a déjà eu l'occasion de l'exposer, pareille conception est
inconnue en droit communautaire (cf. ATF 124 II 499 consid. 3a p. 503 s. et
les références citées, en particulier le message du Conseil fédéral du 23
novembre 1994 concernant la loi sur les cartels, in FF 1995 I 472, p. 597 et
605).

L'art. 43 al. 4 LCart ne concerne, selon sa lettre, que "la procédure
d'examen des concentrations d'entreprises", mais non la qualité pour
recourir, qui ne fait l'objet d'aucune disposition spéciale dans la loi sur
les cartels. Il est donc concevable de soutenir que, par le jeu du renvoi de
l'art. 39 LCart à la loi fédérale sur la procédure administrative, l'art. 43
al. 4 LCart a seulement valeur d'exception à l'art. 6 PA (qui règle la
qualité de partie en procédure fédérale), tandis que la qualité pour recourir
n'est pas précisée et doit s'examiner à la lumière de l'art. 48 PA (qui règle
la qualité pour recourir en procédure administrative fédérale). Or, sous
réserve d'exception, la qualité pour recourir au sens de la dernière
disposition précitée n'est pas subordonnée à la condition d'avoir participé à
la procédure ayant conduit à la décision contestée, mais dépend seulement de
l'existence d'un intérêt digne de protection à demander l'annulation ou la
modification d'une telle décision (cf. ATF 110 Ib 105 consid. 1d p. 110;
Alfred Kölz/Isabelle Häner, Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege
des Bundes, Zurich 1998, ch. 262 ss; plus spécialement en matière de
concentrations d'entreprises, cf. Scherrer, op. cit., p. 436;
Zurkinden/Trüeb, Handkommentar, n. 3 ad art. 44 LCart; Bovet, in CR
Concurrence, n. 17 ad art. 33 LCart; Gross, Kommentar KG, n. 54 ss ad art. 44
LCart; Borer, in Kommentar, n. 14 ad art. 43 LCart et 7 ad art. 44 LCart). On
ne saurait dès lors conclure, sans autre examen, que l'exclusion des tiers de
la procédure d'examen, voulue par le législateur à l'art. 43 al. 4 LCart,
emporte ipso facto leur absence de qualité pour recourir contre la décision
prise par la Commission à l'issue de cette procédure. Le Tribunal fédéral a
jusqu'ici laissé ouverte cette question qui divise la doctrine (cf. ATF 124
II 499 précité).

5.2 Selon la doctrine majoritaire, les tiers doivent se voir reconnaître la
qualité pour recourir contre les décisions de la Commission aux conditions de
l'art. 48 PA, conformément au renvoi de l'art. 39 LCart (Richli, in SIWR V/2
2000 p. 510; du même auteur, Verfahren und Rechtsschutz, in Das Kartellgesetz
in der Praxis, op. cit., p. 162; Bovet, in CR Concurrence, n. 20 ad Remarques
liminaires aux art. 32-38 LCart et n. 17 ad art. 33 LCart; Borer, in
Kommentar, n. 6 et 14 ad art. 43 LCart et n. 7 ad art. 44 LCart; Zäch, op.
cit., n. 1084; Philipp Zurkinden/Rudolf Trüeb, Das neue Kartellgesetz,
Handkommentar, Zurich, 2004 [ci-après cité: Handkommentar], n. 3 ad art. 43
LCart et n. 4 ad art. 44 LCart; Carron, in CR Concurrence, n. 21 ad art. 44
LCart; Gross, in Kommentar KG, n. 54-55 ad art. 44 LCart; Scherrer, op. cit.,
p. 435 ss). Ces auteurs considèrent en effet qu'une exception à un droit
aussi fondamental de procédure que l'accès à un contrôle juridictionnel doit
être expressément prévue dans la loi (cf. Richli, Bovet, Scherrer et Gross,
loc. cit.). Or, ainsi qu'on l'a vu (supra consid. 5.1), une telle disposition
d'exception fait précisément défaut dans la loi sur les cartels, sauf à
interpréter largement - au-delà de son seul texte - l'art. 43 al. 4 LCart.
Certains des auteurs précités insistent néanmoins sur le fait que, même si la
qualité pour recourir dépend du seul art. 48 PA, à l'exception de l'art. 43
al. 4 LCart, il faut tout de même tenir compte de cette dernière disposition
et de la volonté du législateur d'instaurer une procédure simple et rapide,
en ce sens que les tiers ne doivent être admis à contester en justice un
projet de concentration qu'exceptionnellement et à des conditions plus
strictes que celles qui découlent du cadre habituel de l'art. 48 PA (cf.
Gross, Kommentar KG, n. 54-57 ad art. 44; Scherrer, op. cit., p. 436-438;
Bovet, in CR Concurrence, n. 22 ad Remarques liminaires aux art. 32-38
LCart).

La doctrine minoritaire estime au contraire que l'exclusion des tiers de la
procédure d'examen entraîne également leur exclusion de la procédure de
recours, car c'est la seule façon de garantir une procédure simple et rapide
conformément à la volonté du législateur (cf. Ducrey, Kommentar KG, n. 13 ad
art. 33 LCart; Walter Stoffel, Die Beschwerde an die Rekurskommission für
Wettbewerbsfragen, in RSDA numéro spécial 1996 p. 45 ss, 48; Francis
Nordmann, Die schweizerische Fusionskontrolle im Lichte des europäischen
Wettbewerbsrechts, thèse Zurich 1996, p. 246).

5.3 Comme on l'a vu (supra consid. 4.4), les discussions aux Chambres
fédérales qui ont précédé l'adoption de la loi sur les cartels ont mis en
évidence que le législateur a souhaité instaurer une procédure d'examen des
concentrations d'entreprises simple, rapide et efficace; son but était avant
tout que, conformément aux règles d'une économie de marché fondée sur un
régime libéral (cf. art. 1er LCart), les entreprises puissent, dans toute la
mesure du possible, elles-mêmes et dans les plus brefs délais décider et
procéder aux concentrations qu'elles jugent profitables à leur développement,
en dehors de toute bureaucratie inutile lorsque leur projet ne soulève pas
d'objection de la part de la Commission de la concurrence. C'est dans cet
esprit que l'art. 43 al. 4 LCart a été proposé par le Conseil fédéral (cf. FF
1995 I 472, p. 598, note 211) et adopté sans discussions par les Chambres
fédérales (cf. BO 1995 CN p. 1108 sv.; BO 1995 CE p. 867 sv.). Dans le
message relatif à la loi sur les cartels, le Conseil fédéral précisait
également que la qualité pour former un recours au sens de l'art. 44 LCart
n'appartient pas seulement aux personnes touchées par la décision, mais
également aux "tiers qui ont participé à une procédure selon l'art. 43
(LCart)" (FF 1995 I 472, p. 606).

Lors de la récente modification de la loi sur les cartels entrée en vigueur
le 1er avril 2004 (RO 2004 p. 1385, 1390), une proposition a été faite de
modifier l'art. 43 al. 4 LCart en vue de ne plus réserver aux seules
entreprises participantes la qualité de parties au sens de cette disposition,
mais de l'étendre aux cantons dans lesquels les entreprises participantes ont
leur siège. Cette proposition a été rejetée (cf. BO 2002 CN 1448 sv.).
Toutefois, lors de la discussion au Conseil national, le rapporteur de la
minorité a plaidé en faveur de la modification proposée en exposant qu'il
était nécessaire que les cantons concernés puissent faire connaître leur
point de vue au sujet d'un projet de concentration et que, le cas échéant,
ils disposent de la possibilité de recourir ("Beschwerdemöglichkeit") contre
un tel projet ou de s'y opposer ("Aber es ist eigentlich ein Mangel im
Verfahrensrecht, dass nicht mindestens auch die Standortkantone ein
Einspracherecht haben") (ibidem).

5.4 Selon une interprétation téléologique de la loi sur les cartels faite à
la lumière des intentions du législateur - auxquelles il faut accorder une
importance particulière, s'agissant d'une loi récente (cf. ATF 128 I 288
consid. 2.4 p. 292) -, il faut admettre que les tiers ne sont pas habilités à
contester un projet de concentration devant la Commission de recours.

Il ressort en effet aussi bien du message du Conseil fédéral concernant la
loi sur les cartels (cf. FF 1995 I 472, p. 606) que des débats au Parlement
sur la récente révision de cette loi (cf. BO 2002 CN 1448) qu'il existe, dans
l'esprit du législateur, un lien clair et direct entre les art. 43 al. 4 et
44 LCart, en ce sens que la possibilité pour les tiers de former un recours
contre un projet de concentration apparaît subordonnée à leur qualité de
parties à la procédure d'examen.

Par ailleurs, s'il fallait reconnaître aux tiers la qualité pour recourir
contre des projets de concentration soumis à notification, la célérité voulue
par le législateur pour la procédure d'examen y afférente serait grandement
compromise, puisque le recours d'un seul concurrent serait de nature à en
allonger considérablement la durée, qui plus est, dans une mesure
difficilement prévisible et quantifiable. A cet égard, il est relevé que le
recours a effet suspensif (cf. art. 55 al. 1 PA) et que le retrait de
celui-ci ne peut, en principe, être envisagé que pour les cas manifestement
dénués de chances de succès (cf. Gross, Kommentar KG, note de bas de page 70
ad art. 44 LCart; Richli, op. cit., SIWR V/2 p. 510; contra: Borer, in
Kommentar, n. 14 ad art. 43 LCart). Par ailleurs, l'on se trouverait en
présence d'une procédure biaisée qui n'a pas été voulue par le législateur,
en ce sens que les tiers, jusqu'ici privés de leurs droits de parties en
vertu de l'art. 43 al. 4 LCart, pourraient pour la première fois faire valoir
ceux-ci devant la Commission de recours. Le vrai débat aurait donc lieu en
procédure de recours, avec tous les inconvénients que cela suppose. En
particulier, la Commission de recours devrait, le cas échéant, mettre en
oeuvre les mesures d'instruction utiles proposées par les tiers recourants,
ou alors procéder à un renvoi de la cause à l'autorité inférieure pour
complément d'instruction, ce qui serait de nature à allonger un peu plus
encore la procédure. Un tel renvoi est d'ailleurs la règle dès que les
investigations requises présentent une certaine ampleur ou des difficultés
particulières (cf. Stoffel, Die Beschwerde an die Rekurskommission für
Wettbewerbsfragen, op. cit., p. 45). Par ailleurs, en cas d'admission du
recours formé par un tiers et de renvoi du dossier à la Commission pour
instruction complémentaire et nouvelle décision, le système aboutirait à une
situation pour le moins curieuse, puisque le tiers concerné (qui a obtenu
gain de cause) se verrait à nouveau privé de tout droit de partie en vertu de
l'art. 43 al. 4 LCart. Au surplus, il n'est pas certain que la Commission de
recours soit le lieu idéal pour un premier débat contradictoire portant sur
l'établissement des faits et les problèmes de fond, dans la mesure où il peut
arriver qu'elle fasse preuve d'une certaine retenue pour trancher les
questions d'appréciation voire pour définir certaines notions juridiques
indéterminées que la Commission ou son secrétariat apparaissent mieux à même
de cerner (cf. Carron, in CR Concurrence, n. 23 ad art. 44 LCart; Richli, op.
cit., SIWR V/2 p. 511 ss).

Enfin, à supposer que l'intention du législateur fût vraiment de permettre
aux tiers de contester par la voie judiciaire un projet de concentration, il
serait pour le moins étonnant qu'il n'ait, au moins pour les concurrents, pas
expressément prévu cette possibilité dans la loi sur les cartels, si ce n'est
lors de l'adoption de ce texte, du moins lors de sa révision en 2002. En
effet, bien qu'il connût alors parfaitement la pratique restrictive -
contestée par une partie de la doctrine - suivie en la matière par la
Commission de recours (cf. notamment le rapport précité du 11 octobre 2000 de
l'Organe parlementaire de contrôle de l'administration, p. 3218-3222), il n'a
pas jugé utile de corriger la loi sur ce point, mais a simplement examiné
l'opportunité d'étendre aux cantons concernés par une concentration
d'entreprises - à l'exception des tiers - le droit de participer à la
procédure d'examen au sens de l'art. 43 al. 4 LCart.

5.5 En conséquence, il se justifie de procéder à une interprétation extensive
de l'art. 43 al. 4 LCart et d'admettre que, malgré son texte, cette
disposition n'a pas seulement pour conséquence de priver les tiers de la
qualité de parties durant la procédure d'examen, mais les empêche également
de recourir contre les projets de concentration approuvés par la Commission.
Il s'ensuit que, dans le cas particulier, pour peu que l'autorisation donnée
par la Commission à la concentration litigieuse eût effectivement valeur de
décision attaquable, au sens de l'art. 44 LCart (en relation avec l'art. 5
PA), comme le soutient la recourante, celle-ci n'avait de toute façon pas la
qualité pour contester un tel acte devant la Commission de recours, ainsi que
l'a tranché à juste raison cette autorité.

La recourante n'est cependant pas privée de tout moyen pour se défendre
contre d'éventuels abus de son concurrent. En cas de restrictions illicites à
la concurrence (accords ou pratiques illicites au sens des art. 5 ss LCart),
elle peut notamment - comme elle semble d'ailleurs l'avoir fait (cf. sa
lettre du 28 février 2005) - dénoncer les faits aux autorités compétentes
(cf. art. 26 ss LCart; sur la complémentarité de ce moyen de droit, de
caractère répressif, par rapport au contrôle des concentrations, de caractère
préventif, cf. Venturi, in CR Concurrence, n. 23 et 42 ad Remarques
liminaires aux art. 9-10 LCart). Certes, elle ne peut pas, comme tel,
prétendre un droit à l'ouverture d'une enquête administrative; toutefois, si
une telle enquête est ouverte, elle peut y prendre part et exercer tous ses
droits de partie (cf. art. 43 al. 1 à 3 LCart; ATF 130 II 521). Par ailleurs
et surtout, la recourante dispose de tous les moyens du droit privé et de la
procédure civile offerts par la loi sur les cartels (cf. art. 12 ss LCart).
Le choix de la procédure à suivre dépendra essentiellement des intérêts en
jeu: en principe, lorsque le maintien d'une concurrence efficace dans
l'intérêt public apparaît le but prioritaire recherché, la voie de la
procédure administrative sera la règle, tandis que le recours au juge civil
sera de mise si des intérêts privés sont en première ligne (cf. ATF 130 II
521 consid. 9 p. 529-530; 130 II 149 consid. 24 et les nombreuses références
citées à la doctrine).

6.
Il suit de ce qui précède que le recours est mal fondé.

Succombant, la recourante supportera les frais judiciaires (art. 156 al. 1 et
7 OJ) et versera une indemnité de dépens à Edipresse (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 10'000 fr. est mis à la charge de la société
Etablissements Ed.
Cherix et Filanosa SA.

3.
La société Etablissements Ed. Cherix et Filanosa SA versera à Edipresse SA
une indemnité de dépens de 10'000 fr.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, à la
Commission de la concurrence et à la Commission de recours pour les questions
de concurrence.

Lausanne, le 14 juin 2005

Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2A.535/2004
Date de la décision : 14/06/2005
2e cour de droit public

Analyses

Art. 5 et 48 PA; art. 33 al. 3, 34, 39, 43 al. 4 et 44 LCart; art. 16 al.1 et 23 de l'ordonnance sur le contrôle des concentrations d'entreprises:possibilité pour les tiers de recourir contre l'approbation par laCommission de la concurrence d'un projet de concentration d'entreprises. Recevabilité du recours de droit administratif contre une décisiond'irrecevabilité de la Commission de recours pour les questions deconcurrence (consid. 1). Art. 44 LCart et art. 5 PA: qualité de décision attaquable d'un acteapprouvant un projet de concentration d'entreprises? Question laisséeouverte (consid. 3 et 4). Art. 43 al. 4 LCart et art. 48 PA: absence de qualité pour recourir destiers contre les projets de concentration d'entreprises auxquels laCommission de la concurrence ne s'est pas opposée (consid. 5).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2005-06-14;2a.535.2004 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award