La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/05/2005 | SUISSE | N°4P.293/2004

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 02 mai 2005, 4P.293/2004


{T 0/2}
4P.293/2004 /ech

Arrêt du 2 mai 2005
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, président, Klett,
Nyffeler, Favre et Kiss.
Greffière: Mme Cornaz.

A. ________,
recourante, représentée par Me Michel A. Bosshard,

contre

X.________ SA,
intimée, représentée par Me Jean-Yves Schmidhauser,
1re Section de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9 Cst.; contrat de travail, mesures provisionnelles,

recours de droit public contre l'arrêt de la 1re Section de la Cour

de
justice du canton de Genève du 18 novembre 2004.

Faits:

A.
X. ________ SA est une société active dans la gestion, la ...

{T 0/2}
4P.293/2004 /ech

Arrêt du 2 mai 2005
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, président, Klett,
Nyffeler, Favre et Kiss.
Greffière: Mme Cornaz.

A. ________,
recourante, représentée par Me Michel A. Bosshard,

contre

X.________ SA,
intimée, représentée par Me Jean-Yves Schmidhauser,
1re Section de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9 Cst.; contrat de travail, mesures provisionnelles,

recours de droit public contre l'arrêt de la 1re Section de la Cour de
justice du canton de Genève du 18 novembre 2004.

Faits:

A.
X. ________ SA est une société active dans la gestion, la formation et la
sélection de ressources humaines, ainsi que dans la formation de cadres et le
placement de personnel stable et temporaire. En juillet 2002, le Tribunal de
première instance du canton de Genève a constaté le surendettement de
X.________ SA, dont il a ajourné la faillite à deux reprises jusqu'au 30
novembre 2003. La société a ensuite bénéficié d'un sursis concordataire
jusqu'au 10 septembre 2004, le concordat proposé ayant finalement été
homologué le 26 octobre 2004.

Par contrat du 10 avril 2003, X.________ SA a engagé A.________ en qualité de
conseillère en personnel rattachée à la division médicale, pour un salaire
mensuel brut de 5'500 fr. versé douze fois l'an. L'art. 12 al. 1 du contrat
de travail prévoyait une clause de non-concurrence, par laquelle la
travailleuse s'engageait à s'abstenir après la fin du contrat de faire
concurrence à X.________ SA d'une quelconque manière, notamment en exploitant
pour son propre compte ou par personne interposée une entreprise concurrente
(c'est-à-dire exerçant une activité dans le même domaine économique, celui du
recrutement et de la mise à disposition de personnel), en travaillant dans ou
pour le compte d'une telle entreprise ou en s'y intéressant. L'art. 12 al. 2
réservait à l'employeur, en cas de contravention et selon l'importance des
intérêts lésés ou menacés, le droit d'exiger du collaborateur la cessation
immédiate de l'activité prohibée.

Le salaire de A.________ a été régulièrement payé en 2003. Il est passé à
7'000 fr. brut en janvier 2004. En avril 2004, les relations entre les
parties se sont détériorées. Par lettre du 12 mai 2004, A.________ a demandé
à son employeur de garantir ses prétentions contractuelles à concurrence de
deux mois de salaire et du solde de ses vacances, en invoquant le sursis
concordataire et l'art. 337a CO. Elle a fixé à son employeur un délai de dix
jours pour obtenir cette garantie. Dans le même courrier, elle s'est plainte
de l'atmosphère de travail régnant au sein de l'entreprise, qui portait
atteinte à sa santé.

Par lettre manuscrite du 25 mai 2004, A.________ a, en personne, résilié son
contrat au motif que la garantie n'était pas intervenue dans le délai
imparti, soit au 22 mai 2004. Ce courrier a été reçu par X.________ SA le 26
mai 2004. Parallèlement, l'avocat de A.________ a invité X.________ SA, par
télécopie du 25 mai 2004 à 9h15, à lui confirmer par retour de télécopie que
la garantie sollicitée avait bien été constituée. Le même jour, en début
d'après-midi, l'avocat de X.________ SA a fait parvenir à celui de A.________
une déclaration de porte-fort à concurrence de 14'000 fr. pour le salaire de
l'employée. En réponse à ce courrier, le conseil de cette dernière a
télécopié, le même jour à 19h27, à X.________ SA et à son avocat, que la
travailleuse avait décidé par elle-même de résilier le contrat de travail
avec effet immédiat, et cela avant la réception du porte-fort.

Selon un certificat médical du 27 mai 2004, A.________ s'est trouvée en
incapacité de travail à 100% de cette date au 13 juin 2004. Ensuite, du 2 au
13 juillet 2004, elle a travaillé en qualité de conseillère en personnel
auprès d'une société dont les activités sont le conseil et les services en
vue de placement fixe et temporaire de personnel et de location de services,
ainsi qu'en matière de gestion de ressources humaines. Cette entreprise l'a
engagée dès le 1er août 2004, dans la même fonction, par un contrat de
travail à durée indéterminée, actuellement en cours.

B.
Par ordonnance du 12 août 2004, le Tribunal de première instance du canton de
Genève a rejeté la requête de X.________ SA demandant, à titre de mesures
provisionnelles, qu'il soit fait interdiction à A.________ d'exercer une
activité concurrente. Le Tribunal a considéré que l'employeur n'avait pas
rendu vraisemblable qu'il serait concrètement menacé par l'activité de son
ex-employée auprès de l'entreprise concurrente, ce qui s'opposait à l'octroi
de mesures provisionnelles.

Par arrêt du 18 novembre 2004, la Cour de justice du canton de Genève a admis
le recours interjeté par X.________ SA contre la décision du 12 août 2004, a
fait interdiction immédiate à A.________ de poursuivre son activité au sein
de l'entreprise qui l'employait et lui a ordonné de s'abstenir de faire
concurrence à son ancien employeur d'une quelconque autre manière, en
reprenant littéralement, dans son dispositif, l'art. 12 al. 1 du contrat de
travail ayant lié les parties. En substance, la cour cantonale a retenu que
l'employeur avait fourni à temps la garantie de salaire exigée et que la
mauvaise atmosphère au sein de l'entreprise n'aurait pas été alléguée "avant
le présent appel". Pour obtenir des mesures provisionnelles, le requérant ne
devait pas établir l'existence d'un dommage, mais seulement rendre
vraisemblable le risque que ses intérêts soient lésés ou menacés. Tel était
le cas en l'espèce, où l'ancienne employée avait commencé à travailler auprès
d'une entreprise concurrente dès le 2 juillet 2004, ce qui indiquait "qu'elle
souhaitait être rapidement déliée de la clause de prohibition de concurrence
contenue dans son contrat".

C.
A.________ (la recourante) interjette un recours de droit public au Tribunal
fédéral. Invoquant les art. 9 et 27 Cst., elle se plaint d'arbitraire dans
l'appréciation des faits et dans l'application du droit cantonal et fédéral,
ainsi que d'une atteinte à sa liberté économique. Elle conclut à l'annulation
de l'arrêt du 18 novembre 2004 et à la confirmation de l'ordonnance du 12
août 2004, avec suite de frais et dépens.

X. ________ SA (l'intimée) conclut au rejet du recours, avec suite de dépens.
Pour sa part, la Cour de justice se réfère aux considérants de son arrêt.

Par ordonnance du 15 février 2005, le Président de la Ire Cour civile a
accordé l'effet suspensif au recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 131 I 57 consid. 1; 130 II 65 consid. 1, 321 consid.
1 p. 324, 509 consid. 8.1).
1.1 Le Tribunal fédéral admet que la décision qui met fin à la procédure sur
mesures provisionnelles soit considérée comme finale; même si elle devait
être qualifiée de décision incidente, il faudrait reconnaître, en raison de
sa nature, qu'elle cause un dommage irréparable (cf. ATF 123 I 325 consid. 3c
p. 328 s.) ouvrant la voie du recours immédiat (ATF 118 II 369 consid. 1 p.
371; 108 II 69 consid. 1 p. 71; plus récemment arrêt 4C.35/2003 du 3 juin
2003, consid. 1.3.1). Le recours contre l'arrêt du 18 novembre 2004 est par
conséquent recevable au regard de l'art. 87 OJ.

1.2 Compte tenu du caractère subsidiaire du recours de droit public (art. 84
al. 2 OJ), il faut encore se demander si les critiques de la recourante
relatives à l'application du droit fédéral n'auraient pas dû être soulevées
dans le cadre d'un recours en réforme (cf. art. 43 al. 1 OJ).
Sauf exceptions non réalisées en l'espèce, le recours en réforme n'est
recevable que contre des décisions finales au sens de l'art. 48 al. 1 OJ.
Cette notion est plus restrictive que celle retenue pour le recours de droit
public (arrêt 4P.73/2002 du 26 juin 2002, publié in sic! 10/2002 p. 694,
consid. 1.4 p. 695 et la référence à Corboz, Le recours en réforme au
Tribunal fédéral, SJ 2000 II p. 1 ss, spéc. p. 6). Selon la jurisprudence,
une décision est qualifiée de finale lorsque la juridiction cantonale statue
sur le fond d'une prétention ou s'y refuse pour un motif empêchant
définitivement que la même prétention soit exercée à nouveau entre les mêmes
parties (ATF 127 III 433 consid. 1b/aa, 474 consid. 1a p. 475 s.; 126 III 445
consid. 3b p. 446 s.). Il importe peu que la décision ait été prise en
procédure sommaire, à condition notamment qu'elle ait été rendue à l'issue
d'une procédure probatoire complète, non limitée à la vraisemblance des faits
allégués, et qu'elle se fonde sur une motivation exhaustive en droit, sans
qu'une procédure ordinaire demeure réservée (ATF 126 III 445 consid. 3b
p.447; 119 II 241 consid. 2 p. 243). Sous réserve d'exceptions (cf. ATF 126
III 445 consid. 3b), les décisions rendues en matière de mesures
provisionnelles ne remplissent pas ces exigences et ne sont pas considérées
comme des décisions finales au sens de l'art. 48al.1OJ (cf.ATF 126 III
261 consid. 1). L'arrêt attaqué n'échappe pas à cette règle. Rendu en
application des art. 337a et 340b al. 3 CO, il n'exprime que la position des
juges quant à l'opportunité d'assurer une protection juridique provisoire à
l'intimée pendant le déroulement de la procédure au fond devant la
juridiction des prud'hommes, sur la base de la vraisemblance des faits
invoqués par celle-ci, sans préjudice du jugement au fond. Il ne s'agissait
donc pas d'une décision finale au sens de l'art. 48 al. 1 OJ, de sorte que la
voie du recours en réforme n'était pas ouverte en l'espèce.

1.3 La recourante est personnellement touchée par la décision entreprise, qui
entrave son activité professionnelle. Elle a ainsi un intérêt personnel,
concret et actuel à ce que l'arrêt n'ait pas été adopté en violation de ses
droits constitutionnels (art. 84 al. 1 let. a OJ). La qualité pour recourir
doit lui être reconnue (art. 88 OJ).

1.4 Au surplus, le recours a été interjeté en temps utile compte tenu des
féries (art. 34 al. 1 let. c et 89 al. 1 OJ).

1.5 Vu la nature cassatoire du recours de droit public, les conclusions qui
vont au-delà de la simple demande d'annulation du prononcé attaqué,
superflues, sont irrecevables (ATF 129 I 129 consid. 1.2.1 p.131 s., 173
consid. 1.5). Tel est le cas de la conclusion tendant à la confirmation de la
décision du Tribunal de première instance, qui résulterait de toute manière
de l'admission éventuelle du recours, impliquant l'annulation de l'arrêt
entrepris.

1.6 Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les
griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans l'acte
de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 130 I 26 consid. 2.1 p. 31, 258
consid. 1.3 p. 262; 129 I 113 consid. 2.1).

2.
Les juridictions genevoises ont successivement refusé, puis accordé à
l'employeur des mesures provisionnelles relatives au contrat de travail,
tendant à la cessation de l'activité interdite par une clause de prohibition
de concurrence.

2.1 Selon la jurisprudence, c'est le droit cantonal qui détermine si et à
quelles conditions on peut protéger l'employeur par voie de mesures
provisionnelles (ATF 103 II 120 consid. 2b p. 123 s.; plus récemment arrêt
4P.98/1999 du 29 juin 1999, consid. 2b/aa).

2.2 Si l'art. 320 al. 1 de la loi de procédure civile du canton de Genève du
10 avril 1987 (ci-après: LPC/GE) ne définit pas les différents types de
mesures provisionnelles, les commentateurs en discernent trois catégories,
soit les mesures provisionnelles au sens étroit visant à prévenir un dommage
et à assurer l'exécution forcée ultérieure d'une obligation non pécuniaire,
les mesures d'accompagnement réglementant les rapports entre les parties
durant une procédure contentieuse et, enfin, les décisions de preuve à futur
pour la sauvegarde anticipée des moyens de preuve (cf. Bertossa/Gaillard/
Guyet/Schmidt, Commentaire de la loi de procédure civile du canton de Genève
du 10avril 1987, tome III, n. 2 ad art. 320 LPC/GE). Ces catégories
correspondent à celles retenues par la doctrine dans l'énoncé des standards
généraux de procédure civile, les mesures provisionnelles au sens strict
étant qualifiées plutôt de mesures conservatoires et les mesures
d'accompagnement nommées "mesures de réglementation" (cf. Hohl, Procédure
civile [ci-après: Procédure], tome II, Berne 2002, n.2777 p.229;
Vogel/Spühler, Grundriss des Zivilprozessrechts, 7e éd., Berne 2001, n. 192
ss p. 349 ss; Habscheid, Schweizerisches Zivilprozess- und
Gerichtsorganisationsrecht, 2e éd., Bâle 1990, n.611 ss p. 363 s.). Même si
la notion de mesures d'exécution anticipée provisoires (cf.Hohl, op. cit.
Procédure, n. 2777 p. 229; Vogel/Spühler, op. cit., n.196s. p.350 s.)
n'est pas expressément mentionnée par le droit genevois de procédure, les
situations qu'elle vise, soit l'exécution anticipée provisoire ayant pour
objet des prestations en argent ou des obligations de s'abstenir ou de faire,
peuvent être appréhendées notamment par la saisie-revendication
provisionnelle de l'art. 321LPC/GE et par les mesures provisionnelles
innommées de l'art. 324 LPC/GE.

Le classement d'une mesure dans l'une ou l'autre de ces catégories est
parfois très difficile (Hohl, op. cit. Procédure, n. 2778 p. 229), mais n'est
pas dénué d'effet pratique, dans la mesure où il peut avoir une incidence sur
le degré de preuve requis (cf. Hohl, op. cit. Procédure, n.2868 ss p.244
s.). Certaines mesures présentent les caractéristiques réunies de deux types
de mesures provisionnelles; ainsi, l'interdiction de faire concurrence peut
apparaître comme une simple mesure conservatoire (ou mesure provisionnelle au
sens étroit, selon la terminologie genevoise) qui tend au maintien de l'objet
du litige, mais elle implique aussi pour l'employé une restriction dans
l'exercice de son droit et l'exécution anticipée du jugement au fond, raison
pour laquelle on peut la considérer comme une mesure d'exécution anticipée
(cf. Hohl, La réalisation du droit et les procédures rapides [ci-après:
Réalisation], Fribourg 1994, note de bas de page 3 p. 162).

2.3 Dans le cadre des mesures provisionnelles, le juge peut se limiter à la
vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit, en se fondant sur
les moyens de preuve immédiatement
disponibles, tout en ayant l'obligation de
peser les intérêts respectifs du requérant et de l'intimé, pour les trois
catégories susmentionnées, sans exception (cf.Hohl, op. cit. Procédure, n.
2799 ss p. 233, n. 2837 p. 239 et n.2877 ss p.246). Dans les trois cas, le
juge doit procéder à la mise en balance des intérêts contradictoires,
c'est-à-dire à l'appréciation des désavantages respectifs pour le requérant
et pour l'intimé, selon que la mesure requise est ordonnée ou refusée.
L'examen du droit et la pesée des intérêts en présence ne s'excluent pas: le
juge doit pondérer le droit présumé du requérant à la mesure conservatoire
avec les conséquences irréparables que celle-ci peut entraîner pour l'intimé
(Hohl, op. cit. Procédure, n. 2820 s. p. 236; Vogel/Spühler, op.cit., n. 210
p.355). Des exigences beaucoup plus élevées sont posées pour les mesures
d'exécution anticipée provisoires, qui portent une atteinte particulièrement
grave à la situation juridique de l'intimé et qui ne peuvent être admises que
de façon restrictive (cf.Vogel/Spühler, op.cit., n. 200 p. 351 et n. 208 p.
354). C'est en particulier le cas lorsque la décision sur la mesure requise
est susceptible d'avoir un effet définitif, parce que le litige n'a plus
d'intérêt au-delà du stade des mesures provisionnelles (cf. Hohl, op. cit.
Procédure, n. 2868 ss p.244s.), ce qui se produit par exemple en matière
d'interdiction de faire concurrence, selon l'art. 340b al. 3 CO, lorsqu'il
est presque certain que le délai maximal de prohibition de trois ans
(cf.art. 340a al. 1 CO) sera expiré à l'issue de la procédure au fond, dont
le jugement deviendra sans objet (cf. Hohl, op. cit. Réalisation, n.679 in
fine p.222).

Enfin, il appartient à l'autorité cantonale saisie d'une requête de mesures
provisionnelles tendant à la cessation de l'activité prohibée de vérifier,
même selon les règles de la procédure sommaire, la validité matérielle de la
clause considérée (cf. Bohny, Das arbeitsvertragliche Konkurrenzverbot,
Zurich 1989, p. 166; Haefliger, Das Konkurrenzverbot im neuen schweizerischen
Arbeitsvertragsrecht, 2eéd., Berne 1975, p. 86 s.).

3.
Dans l'un de ses griefs, la recourante, invoquant l'art. 9 Cst., reproche à
la cour cantonale d'avoir fait une application arbitraire de l'art. 340bal.
3 CO, en ce sens qu'elle n'aurait pas procédé à une pesée des intérêts avant
de lui interdire de travailler auprès de son nouvel employeur.

3.1 Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est
manifestement insoutenable, qu'elle méconnaît gravement une norme ou un
principe juridique clair et indiscuté, ou encore lorsqu'elle heurte de
manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité (ATF 131 I 57
consid. 2; 129 I 8 consid. 2.1). Arbitraire et violation de la loi ne
sauraient être confondus; une violation doit être manifeste et reconnue
d'emblée pour être arbitraire. Le Tribunal fédéral n'a pas à examiner quelle
est l'interprétation correcte que l'autorité cantonale aurait dû donner des
dispositions applicables; il doit uniquement dire si l'interprétation qui a
été retenue est défendable. Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre
solution paraît également concevable, voire préférable (ATF 131 I 57 consid.
2; 129 I 8 consid. 2.1). En outre, pour qu'une décision soit annulée pour
cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit
insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son
résultat (ATF 129 I 173 consid. 3.1 p. 178; 127 I 38 consid. 2a p. 41, 54
consid. 2b).

3.2 Aux termes de l'art. 340b al. 3 CO, l'employeur peut exiger, s'il s'en
est expressément réservé le droit par écrit, outre la peine conventionnelle
et les dommages-intérêts supplémentaires éventuels, la cessation de la
contravention, lorsque cette mesure est justifiée par l'importance des
intérêts lésés ou menacés de l'employeur et par le comportement du
travailleur.

Ainsi, pour qu'une interdiction de concurrence soit prononcée par voie de
mesures provisionnelles, un certain nombre de conditions formelles et
matérielles doivent être réalisées. D'une part, l'employeur doit avoir
respecté la forme écrite; d'autre part, la lésion ou la mise en danger des
intérêts de celui-ci, ainsi que le comportement du travailleur, doivent
justifier l'interdiction ou la suspension de l'activité concurrente. Ces deux
dernières conditions matérielles sont cumulatives (Neeracher, Das
arbeitsvertragliche Konkurrenzverbot, Berne 2001, p.120; Staehelin,
Commentaire zurichois, n. 16 ad art. 340b CO; Bohny, op. cit., p. 162).

En règle générale, la simple violation de la clause de prohibition de
concurrence n'est pas suffisante (Tercier, Les contrats spéciaux, 3eéd.,
Zurich 2003, n. 3503 p. 511; Favre/Munoz/Tobler, Le contrat de travail,
Lausanne 2001, n.3.2 ad art. 340b CO). La plupart des juridictions
cantonales admettent au contraire qu'il n'y a lieu d'accorder la mesure
provisionnelle que lorsque l'employeur rend vraisemblable que le dommage
qu'il subit est considérable et difficilement réparable et que la violation
de son engagement contractuel par le travailleur apparaît particulièrement
lourde et contraire à la bonne foi (Tercier, op.cit., n. 3503 p. 511;
Favre/Munoz/Tobler, op. cit., n. 3.2 ad art. 340b CO; sur ces notions, cf.
également Brühwiler, Kommentar zum Einzelarbeitsvertrag, 2e éd., Berne 1996,
n. 4 ad art. 340b CO; Staehelin, op.cit., n. 16 ss ad art. 340b CO;
Streiff/von Kaenel, Leitfaden zum Arbeitsvertragsrecht, 5e éd., Zurich 1992,
n. 8 ad art. 340b CO).

Certains auteurs sont même d'avis que le risque d'un dommage doit être tel
qu'il puisse mettre en péril la prospérité ou l'existence de l'entreprise
(Tercier, op. cit., n. 3503 p. 511; Favre/Munoz/Tobler, op. cit., n. 3.2 ad
art. 340b CO; Haefliger, op. cit., p. 76; contra Aubert, Commentaire romand,
n. 4 ad art. 340b CO; Neeracher, op. cit., p. 119 s.; Staehelin, op. cit., n.
17 ad art. 340b CO). Dans une jurisprudence ancienne, le Tribunal de céans a
réfuté cette manière de voir (ATF 103 II 120 consid. 4; arrêt P.1282/1981 du
28 septembre 1981, traduit au JdT 1982 I p. 170, consid. 3b p. 172).
Ultérieurement, il a prononcé que l'art. 340b al. 3 CO, en tant qu'il
implique l'examen de la situation de l'employeur, d'une part, et de la
conduite du travailleur, d'autre part, confère un large pouvoir
d'appréciation au juge qui est saisi d'une demande de cessation de la
contravention (arrêt 4P.167/1995 du 27octobre 1995, publié in JAR 1997
p.223, consid. 2d p.226 s.; plus récemment arrêt 4P.98/1999 du 29 juin
1999, consid. 2b). Dans ce dernier arrêt, le Tribunal fédéral a encore
précisé que, pour le surplus, il allait sans dire que l'ordre de cesser
l'activité prohibée était une mesure des plus draconiennes, dès lors qu'elle
était de nature, le cas échéant, à priver le travailleur de sa seule source
de revenus (arrêt 4P.98/1999 du 29 juin 1999, consid. 2b; en ce sens, (cf.
également Tercier, op. cit., n. 3501 p. 510; Wyler, Droit du travail, Berne
2002, p.455).

La décision sur la requête de mesures provisionnelles a une importance
particulière dans la mesure où, dans un cas comme dans l'autre, par rapport
aux intérêts de l'employeur et du travailleur, elle peut conduire à un
résultat inéquitable (Neeracher, op. cit., p. 122). Il s'ensuit qu'elle ne
peut être rendue qu'au terme d'une pesée globale des intérêts contradictoires
en présence et de l'examen des conditions particulières aux mesures
provisionnelles requises (Neeracher, op. cit., p. 122). Plus une mesure
provisionnelle atteint de manière incisive la partie citée, plus il convient
de fixer de hautes exigences pour faire reconnaître le bien-fondé de la
demande quant à l'existence des faits pertinents et au fondement juridique de
la prétention. Ces exigences élevées ne portent pas seulement sur la
vraisemblance comme mesure de la preuve requise, mais également sur
l'ensemble des conditions d'octroi de la mesure provisionnelle, en
particulier sur l'appréciation de l'issue du litige au fond et sur celle des
inconvénients que la décision incidente pourrait créer à chacune des deux
parties.

En raison du caractère particulièrement sensible des intérêts touchés, la
protection juridique provisoire ne doit être accordée que lorsque la demande
apparaît fondée de manière relativement claire, au vu de l'état de fait rendu
vraisemblable (cf. Neeracher, op. cit., p. 123 et 124; Brühwiler, op. cit.,
n. 5 ad art. 340b CO; Staehelin, op. cit., n. 20 ad art. 340b CO). Sous
l'angle des inconvénients subis par les parties, les considérations
financières ne sont pas les seules déterminantes. Vis-à-vis du demandeur et
employeur, il faut tenir compte de l'écoulement du temps, pour éviter qu'une
clause de prohibition de concurrence ne devienne sans effet à cause de la
durée de la procédure au fond. Du côté du travailleur, le risque du dommage
engendré par une mesure provisionnelle injustifiée peut dépasser la perte de
salaire pendant la durée de la procédure au fond, notamment en considération
des difficultés créées pour l'avenir économique de l'employé et de la perte
d'expérience encourue pendant l'interdiction provisoire (cf. Neeracher, op.
cit., p. 125).
En résumé, plus les mesures provisionnelles sont susceptibles de porter
atteinte à la situation du travailleur, plus les inconvénients subis par
l'employeur doivent l'emporter dans la pesée des intérêts contradictoires et
plus la demande, au fond, doit être assortie de grandes chances de succès
(Neeracher, op. cit., p. 124 et 125). La pesée des intérêts en présence,
indissociable de toute procédure de mesures provisionnelles (cf. consid.
2.3), revêt ainsi une importance encore plus décisive en matière
d'interdiction provisoire de faire concurrence.

3.3 Dans le cas présent, la cour cantonale a considéré qu'il était établi que
la recourante avait commencé à travailler auprès d'une entreprise concurrente
de l'intimée dès le 2 juillet 2004. Les circonstances dans lesquelles elle
avait donné son congé à son employeur démontraient qu'elle souhaitait être
rapidement déliée de la clause de prohibition de concurrence contenue dans
son contrat.

Au stade des mesures provisionnelles, l'intimée avait allégué de manière
suffisamment précise que la nouvelle activité de la recourante était
susceptible de lui causer un préjudice. On devait constater à cet égard que
les domaines de recrutement et de placement d'employés étaient semblables
dans les deux entreprises et que l'activité de la recourante avait commencé
aussitôt qu'elle l'avait pu après avoir quitté la société intimée. Dans la
mesure où l'on ne pouvait exiger de l'employeur qu'il démontre l'existence de
son dommage, les mesures provisionnelles devaient être prononcées. Si la
recourante - comme elle l'affirmait dans ses écritures - avait véritablement
quitté la société concurrente après une mission de deux semaines en juillet
2004, l'interdiction de faire concurrence ne lui causerait d'ailleurs aucun
préjudice.

3.4 Le raisonnement qui précède ne satisfait pas aux exigences susmentionnées
et procède manifestement d'une application arbitraire de l'art. 340b al. 3
CO. En effet, la cour cantonale a méconnu que la simple violation de la
clause de prohibition de concurrence - que la recourante ne remet à juste
titre plus en cause - ne suffisait pas pour qu'une interdiction de travailler
soit prononcée et elle a purement et simplement négligé de procéder à une
balance des intérêts.

Les juges cantonaux ne pouvaient pas retenir, sur la base de l'état de fait
déterminant, que l'intimée avait rendu vraisemblable qu'elle subissait
concrètement un dommage considérable et difficilement réparable. En effet, il
découle des constatations cantonales que l'employeur n'a démontré son intérêt
à l'octroi de la protection provisionnelle que par le fait que la recourante
avait trouvé une place au sein d'une entreprise concurrente, dans la même
ville.

Pour le surplus, il n'apparaît pas que l'entreprise ait été mise en péril par
le départ de la recourante et son engagement au sein d'une société
concurrente et il résulte au contraire du dossier que la situation économique
de l'intimée s'est améliorée. En effet, celle-ci était en situation
d'insolvabilité dès l'année 2002, et menacée de faillite avant de faire
l'objet d'un sursis concordataire, pendant pratiquement toute la période où
la recourante a travaillé chez elle, dès le 10 avril 2003. Par la suite, la
situation s'est stabilisée, l'intimée ayant pu obtenir l'homologation de son
concordat le 26 octobre 2004, soit environ trois mois et demi après que la
recourante ait développé son activité auprès de son nouvel employeur. Il
résulte de l'homologation du concordat que, nonobstant la violation de la
clause de prohibition de concurrence dont la validité au fond doit être
examinée par le Tribunal des prud'hommes, le Tribunal de première instance a
jugé que la situation de l'intimée était assainie et son redressement
suffisant pour permettre la continuation de son activité économique et le
désintéressement de ses créanciers.

Par ailleurs, l'intimée n'a nullement allégué que son ancienne collaboratrice
aurait utilisé des éléments ou des données provenant de son réseau commercial
de demandeurs d'emploi ou d'entreprises offrant du travail à ces derniers. Si
le risque théorique d'un préjudice provenant de l'activité de l'intimée au
sein d'une entreprise concurrente est allégué et paraît vraisemblable, son
ampleur et les modalités concrètes de sa survenance éventuelle ne sont pas
démontrées, même au stade de la vraisemblance.

Cela étant, l'intimée n'a pas non plus rendu vraisemblable que la violation,
par la recourante, de son engagement contractuel avait été particulièrement
lourde et contraire à la bonne foi, en d'autre termes que celle-ci avait eu
un comportement déloyal. A cet égard, il est douteux que l'on puisse retenir,
ainsi que l'a fait la cour cantonale, que les circonstances dans lesquelles
la recourante avait donné son congé démontraient qu'elle souhaitait être
rapidement déliée de la clause de prohibition de concurrence contenue dans
son contrat. Un laps de temps d'environ un mois et demi s'est en effet écoulé
entre le moment où la recourante a quitté l'intimée et celui où elle a
commencé à travailler pour son nouvel employeur. Quoi qu'il en soit, quand
bien
même l'abandon immédiat de la place de travail peut selon les cas
apparaître comme constitutif d'un comportement déloyal, il ne saurait être
considéré comme tel dans la présente espèce. Il sied en effet de rappeler les
circonstances particulières dans lesquelles la recourante a résilié le
contrat de travail qui la liait à l'intimée, au vu des risques sérieux
d'insolvabilité de celle-ci, alors en sursis concordataire, et du fait que
les garanties requises n'ont été constituées que postérieurement à l'échéance
du délai imparti par la recourante.

Dans tous les cas, la cour cantonale aurait dû, au terme de la pesée des
intérêts en présence, retenir que l'intérêt de la recourante à continuer sa
nouvelle activité l'emportait sur celui de l'intimée à obtenir la cessation
immédiate provisoire de celle-ci pour une durée indéterminée. L'inconvénient
que subirait la recourante, qui serait contrainte d'abandonner son activité
professionnelle pendant la durée de la procédure au fond, et se retrouverait
sans revenu pendant un certain nombre de mois, était en effet majeur. De
plus, la cessation temporaire de son activité, alors qu'il n'est pas démontré
qu'elle pourrait en occuper une autre, vu sa profession de conseillère en
personnel, la menacerait, outre de la perte de son revenu pendant cette
période, d'une grande difficulté de retrouver une place de travail dans le
même domaine. Partant, les juges cantonaux auraient dû refuser les mesures
provisionnelles sollicitées, ce d'autant plus que la procédure au fond a déjà
été introduite il y a plusieurs mois, de sorte que le risque que la clause de
prohibition de concurrence ne devienne sans effet par l'écoulement du temps
est en l'espèce quasi inexistant (trois ans dès le 2 juillet 2004).

4.
Les considérants qui précèdent commandent l'admission du recours et
l'annulation de l'arrêt de la Cour de justice du 18 novembre 2004, sans qu'il
soit nécessaire d'examiner les autres moyens soulevés par la recourante,
notamment la violation de l'art. 27Cst.

5.
Compte tenu de l'issue du litige, les frais et dépens seront mis à la charge
de l'intimée, qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de l'intimée.

3.
L'intimée versera à la recourante une indemnité de 2'500 fr. à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
1re Section de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 2 mai 2005

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.293/2004
Date de la décision : 02/05/2005
1re cour civile

Analyses

Art. 9 Cst.; art. 340b al. 3 CO; contrat de travail, prohibition de faireconcurrence, mesures provisionnelles. C'est le droit cantonal qui détermine si et à quelles conditions on peutprotéger l'employeur par voie de mesures provisionnelles (consid. 2.1).L'interdiction de faire concurrence présente les caractéristiques réuniesdes mesures conservatoires (ou mesures provisionnelles au sens étroit) etd'exécution anticipée provisoires (consid. 2.2). De telles mesures nepeuvent être admises que de manière restrictive, en particulier lorsqu'ellessont susceptibles d'avoir un effet définitif, parce que le litige n'a plusd'intérêt au-delà du stade des mesures provisionnelles (consid. 2.3). Pour qu'une interdiction de concurrence soit prononcée par voie de mesuresprovisionnelles, un certain nombre de conditions formelles et matériellesdoivent être réalisées. En la matière, la pesée des intérêts en présencerevêt une importance particulièrement décisive (consid. 3.2).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2005-05-02;4p.293.2004 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award