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23/03/2005 | SUISSE | N°5C.223/2004

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 23 mars 2005, 5C.223/2004


{T 0/2}
5C.223/2004 /frs

Arrêt du 23 mars 2005
IIe Cour civile

MM. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Nordmann, Escher, Hohl et Marazzi.
Greffier: M. Abrecht.

A. ________,
défendeur et recourant, représenté par Me Vincent Spira, avocat,

contre

B.________,
demanderesse et intimée, représentée par Me Alain Marti, avocat,

liquidation du régime matrimonial,

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice
du canton de Genève du 3 septembre 2004.

Faits:

A.
A. __

______, ressortissant marocain né en 1964, et B.________, citoyenne
suisse née en 1947, se sont mariés le 8 juillet 1994 à Genève, sous l...

{T 0/2}
5C.223/2004 /frs

Arrêt du 23 mars 2005
IIe Cour civile

MM. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Nordmann, Escher, Hohl et Marazzi.
Greffier: M. Abrecht.

A. ________,
défendeur et recourant, représenté par Me Vincent Spira, avocat,

contre

B.________,
demanderesse et intimée, représentée par Me Alain Marti, avocat,

liquidation du régime matrimonial,

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice
du canton de Genève du 3 septembre 2004.

Faits:

A.
A. ________, ressortissant marocain né en 1964, et B.________, citoyenne
suisse née en 1947, se sont mariés le 8 juillet 1994 à Genève, sous le régime
matrimonial de la participation aux acquêts.

Ensuite de la demande de divorce formée le 27 janvier 1998 par l'épouse, le
Tribunal de première instance du canton de Genève, par jugement du 13 avril
1999, a prononcé le divorce et a réservé la liquidation du régime
matrimonial.

B.
Le 9 mai 2001, B.________ a assigné A.________ en liquidation du régime
matrimonial devant le Tribunal de première instance. Les parties
s'accordaient sur l'attribution en pleine propriété d'une maison sise à
Messery (Haute-Savoie, France), avec les meubles qu'elle contient, à la
demanderesse; en revanche, elles se disputaient pour savoir si la
demanderesse était redevable ou non du paiement d'une soulte au défendeur.

Par jugement du 27 novembre 2003, le Tribunal de première instance a dit que
la maison de Messery et les meubles qui la garnissent sont la propriété
exclusive de la demanderesse. Il a en outre condamné celle-ci à verser au
défendeur la somme de 147'201,30 francs suisses (fr.) à titre de liquidation
du régime matrimonial, dont il a constaté la liquidation moyennant ce qui
précédait. Les dépens ont été compensés.

Le Tribunal est arrivé à ce résultat en considérant, principalement, que la
valeur de la maison de Messery (soit 509'330 fr. au moment de la liquidation)
devait être attribuée à parts égales aux acquêts de chacune des parties,
conformément à l'argumentation concordante qu'elles avaient développée à cet
égard. De la soulte de 380'901 fr. 30 due par la demanderesse, il fallait
déduire par compensation (art. 210 CO) la dette en remboursement du prêt de
233'700 fr. que le défendeur avait contracté envers la demanderesse pour
financer sa part de la maison de Messery.

C.
La demanderesse a appelé de ce jugement devant la Cour de justice du canton
de Genève, en concluant à son annulation et en faisant valoir que sa part
afférente à la maison de Messery devait être comptée comme un remploi de ses
biens propres et non comme un acquêt, de sorte qu'elle n'était pas redevable
d'une soulte envers le défendeur. Ce dernier a conclu à l'irrecevabilité de
l'appel, respectivement à son rejet et à la confirmation du jugement de
première instance.

D.
Par arrêt du 3 septembre 2004, la Chambre civile de la Cour de justice a
réformé le jugement de première instance en ce sens qu'elle a condamné la
demanderesse à verser au défendeur la somme de 3'461 fr. 30 à titre de
liquidation du régime matrimonial, le jugement étant confirmé pour le surplus
et les dépens de deuxième instance compensés. La motivation de cet arrêt,
dans ce qu'elle a d'utile à retenir pour l'examen du recours en réforme, est
en substance la suivante :
D.aLe 18 janvier 1996, les époux ont acquis indivisément et à parts égales
une maison à Messery avec les meubles qui la garnissaient pour un prix, versé
comptant, de 1'750'000 FFR (437'500 fr.), auquel se sont ajoutés les frais
d'acquisition. L'état de fait du jugement attaqué peut être complété ici
(art. 64 al. 2 OJ), ainsi que le sollicite le défendeur, en ce sens que
lesdits frais d'acquisition se sont montés à 119'600 FFR. Selon une
convention de prêt notariée conclue le même jour entre les époux, le
financement de cette acquisition était effectué au moyen des fonds personnels
de l'épouse, qui acceptait d'accorder à son mari un prêt sans intérêts de
934'800 FFR (233'700 fr.) ¿ correspondant ainsi à la moitié du coût total de
l'opération d'achat, qui était de 1'869'000 FFR ¿, remboursable en cas de
dissolution du régime matrimonial par suite de divorce notamment.

D.b Selon l'art. 206 al. 1 CC, lorsqu'un époux a contribué sans contrepartie
correspondante à l'acquisition, à l'amélioration ou à la conservation de
biens de son conjoint qui se retrouvent à la liquidation avec une plus-value,
sa créance est proportionnelle à sa contribution et elle se calcule sur la
valeur actuelle des biens.

Cette disposition s'applique à toutes les formes d'acquisition à titre
onéreux de la propriété et également lorsque les époux sont copropriétaires
et que l'un d'eux a financé la part de l'autre
(Deschenaux/Steinauer/Baddeley, Les effets du mariage, 2000, n. 1264 et
1265). La conclusion d'un contrat de prêt entre les époux n'exclut pas en soi
l'application de l'art. 206 CC. Ce qui est déterminant, c'est l'existence
d'une intention libérale ¿ qui ne se présume pas ¿ ou d'une contrepartie,
telle que la stipulation d'intérêts. Si une intention libérale ou l'existence
d'une contrepartie sont établies, l'art. 206 CC ne s'applique pas.

De plus, selon la doctrine majoritaire, la conclusion d'un contrat de prêt
sans stipulation d'intérêts n'implique pas sans autre une renonciation à la
part à la plus-value (Hausheer, Basler Kommentar, Zivilgesetzbuch I, 2e éd.
2002, n. 12 ad art. 206 CC et les références citées). En revanche, Piotet
soutient que la gratuité de la fourniture d'argent exclut l'application de
l'art. 206 CC, qui n'aurait vocation à s'appliquer que si la prestation n'est
pas gratuite, mais que sa rémunération n'a pas été fixée (Piotet, Les dettes
entre époux variant en fonction de plus-values dans le régime matrimonial de
la participation aux acquêts, in Festschrift für Cyril Hegnauer zum 65.
Geburtstag, 1986, p. 350).

D.c En l'espèce, chacune des parties a acquis une part portant sur la moitié
de la maison de Messery. Cette acquisition, au prix de 437'500 fr., a été
financée par les fonds personnels de la demanderesse, issus d'un héritage. Sa
part sur la maison est dès lors un bien propre, car acquis en remploi de ses
biens propres (art. 198 ch. 4 CC).

Le défendeur ayant acquis sa part sur cette maison à titre onéreux,
c'est-à-dire en contrepartie du prêt accordé par la demanderesse, pendant le
mariage, cette part est un acquêt au sens de l'art. 197 al. 1 CC. Sa valeur
au moment de la liquidation (art. 214 al. 1 CC) était de 254'665 fr.,
représentant la moitié de la somme de 509'330 fr., qui n'est pas contestée
par les parties.

Le prêt sans intérêts de 233'700 fr. que la demanderesse a accordé au
défendeur provient de ses biens propres, de sorte que ceux-ci ont contre les
acquêts du défendeur une créance en remboursement. En vertu de l'art. 206 al.
1 CC et conformément à l'opinion de la doctrine dominante, la valeur de cette
créance participe à la plus-value de la maison, de sorte qu'elle est de
254'665 fr.

D.d Il s'ensuit que, dans les acquêts du défendeur, la valeur de sa part sur
la maison de Messery (254'665 fr.) est compensée par la dette du même montant
en remboursement du prêt. Par ailleurs, le défendeur a contre la demanderesse
une créance de 4'325 fr. 50, soit 3'500 fr. (représentant la moitié du
produit de la vente d'un véhicule Suzuki) et 825 fr. 50 (représentant la
moitié de la valeur de la vaisselle ¿ bien propre en copropriété ¿ conservée
par la demanderesse). Comme le défendeur est quant à lui redevable à la
demanderesse d'un montant de 864 fr. 20 CHF en remboursement d'une autre
dette, c'est en définitive une somme de 3'461 fr. 30 CHF que la demanderesse
doit payer au défendeur.

E.
Contre cet arrêt, le défendeur exerce un recours en réforme au Tribunal
fédéral. Il conclut principalement, avec suite de frais et dépens, à la
réforme du jugement attaqué en ce sens que la demanderesse est condamnée à
lui payer la somme de 29'658 fr. 30 à titre de liquidation du régime
matrimonial. À titre subsidiaire, il conclut à l'annulation de l'arrêt
attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle
instruction et nouvelle décision.

Par décision incidente du 18 janvier 2005, la Cour de céans a admis la
demande d'assistance judiciaire présentée par le défendeur pour la procédure
de recours en réforme et a rejeté la requête de la demanderesse tendant à
astreindre le défendeur à fournir des sûretés pour les dépens.

Dans sa réponse au recours en réforme, la demanderesse a conclu avec suite de
dépens à ce que le défendeur soit débouté de toutes ses conclusions.

Parallèlement au recours en réforme, le défendeur a également interjeté
contre l'arrêt de la Cour de justice un recours de droit public
(5P.390/2004), que la Cour de céans a rejeté par arrêt du 18 janvier 2005.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
L'arrêt attaqué tranche une contestation civile portant sur des droits de
nature pécuniaire, et les droits contestés dans la dernière instance
cantonale atteignent manifestement une valeur d'au moins 8'000 fr. Formé en
temps utile contre une décision finale prise par le tribunal suprême du
canton de Genève et qui ne peut pas être l'objet d'un recours ordinaire de
droit cantonal, le recours en réforme est donc recevable au regard des art.
46, 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ.

2.
2.1Le défendeur sollicite du Tribunal fédéral qu'il complète l'état de fait
(art. 64 al. 2 OJ), subsidiairement qu'il renvoie la cause à l'autorité
cantonale pour complètement de l'état de fait (art. 64 al. 1 OJ), pour
constater que le défendeur a réalisé sur la maison de Messery des travaux,
notamment d'électricité, pour une valeur totale de 24'750 fr. Le défendeur
soutient en effet qu'en réalisant ces travaux, il aurait contribué sans
contrepartie à l'amélioration de la part de la demanderesse sur cette maison
pour une valeur de 12'375 fr., ce qui lui donnerait droit à une créance
proportionnelle à la valeur finale (art. 206 al. 1 CC) de 12'807 fr.

Le défendeur fait valoir qu'il a allégué en première instance avoir effectué
sur la maison de Messery des travaux valant au moins 24'750 fr.,
contre-valeur de 99'000 FFR. Le Tribunal de première instance a décerné une
commission rogatoire aux fins de désigner un expert, qui devait notamment
déterminer la valeur des travaux effectués par le défendeur. Cette commission
rogatoire a toutefois échoué en raison de la carence de la demanderesse, qui
n'a pas versé l'avance de frais requise, le défendeur étant quant à lui
dispensé de faire une avance de frais pour être au bénéfice de l'assistance
juridique. Le Tribunal de première instance a constaté dans son jugement que
le défendeur, monteur électricien de métier, avait effectué divers travaux
dans toute la maison; il a toutefois considéré que l'art. 206 CC n'était pas
applicable dès lors que la maison de Messery constituait un acquêt dont les
parties étaient copropriétaires, si bien que le défendeur participait déjà à
la plus-value apportée à l'immeuble grâce à son travail dans le cadre de la
liquidation du régime matrimonial.

Or la Cour de justice, qui a considéré que la part de la demanderesse sur la
maison de Messery était un bien propre, a complètement passé sous silence les
travaux pourtant avérés du défendeur. Il y aurait dès lors lieu selon le
défendeur de compléter l'état de fait (art. 64 al. 2 OJ) en appréciant les
preuves conformément à la loi cantonale de procédure applicable, soit de
retenir que le défendeur a contribué à l'amélioration de la part de
copropriété de la demanderesse pour une valeur de 12'375 fr. En effet, en
vertu de l'art 268 al. 3 LPC/GE, "[à] défaut de versement par l'une ou
l'autre des parties, la procédure d'expertise est déclarée close et le juge
peut tenir pour constants les faits articulés par la partie adverse à celle à
laquelle incombait l'avance de frais".

2.2 Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son
raisonnement sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à
moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été
violées, qu'il n'y ait lieu à rectification de constatations reposant sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il ne faille compléter les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte
de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64
OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a; 119 II 353 consid.
5c/aa). Pour le reste, il ne peut être présenté dans un recours en réforme de
griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve
nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). L'appréciation des preuves à laquelle
s'est livrée l'autorité cantonale ne peut ainsi pas être remise en cause en
instance de réforme (ATF 129 III 618 consid. 3; 126 III 189 consid. 2a; 125
III 78 consid. 3a).

2.3 En l'espèce, le défendeur omet de préciser que s'agissant des travaux
réalisés sur la maison de Messery, le Tribunal de première instance ne
s'était pas borné à écarter l'application de l'art. 206 CC (comme d'ailleurs
de l'art. 165 CC et de l'art. 62 CO), mais a retenu que la procédure n'avait
permis de déterminer ni l'ampleur, ni la qualité, ni la valeur des travaux
réalisés par le défendeur (jugement de première instance, p. 16). En d'autres
termes, le Tribunal de première instance n'a pas omis de constater la valeur
des travaux réalisés sur la maison de Messery, mais a constaté que celle-ci
n'était pas établie. Dans sa réponse à l'appel de la demanderesse, le
défendeur n'a formulé aucune critique sur ce point de fait, déclarant au
contraire faire sien l'état de fait tel que retenu par le Tribunal de
première instance. Dans ces conditions, le défendeur ne saurait prétendre au
complètement de l'état de fait en ce sens qu'il soit retenu qu'il a contribué
à l'amélioration de la part de copropriété de la demanderesse pour une valeur
de 12'375 fr. Cela reviendrait en effet non pas à combler une lacune de
l'état de fait tel qu'établi en instance cantonale (cf. Poudret, Commentaire
de la loi fédérale d'organisation judiciaire, vol. II, 1990, n. 2.1 ad art.
64 OJ), mais à remettre en cause, de manière irrecevable dans un recours en
réforme (cf. consid. 2.2 supra), l'appréciation
des preuves opérée en
instance cantonale.

3.
3.1Le défendeur fait grief à la cour cantonale d'avoir considéré le prêt sans
intérêts de 233'700 fr. accordé par la demanderesse lors de l'achat de la
maison de Messery comme une contribution sans contrepartie à l'acquisition de
la part de copropriété du défendeur au sens de l'art. 206 al. 1 CC, et
d'avoir en conséquence évalué la valeur actuelle de ce prêt, compte tenu de
la participation à la plus-value prescrite par l'art. 206 al. 1 CC, à 254'665
fr. Le défendeur soutient que la cour cantonale aurait dû suivre l'avis de
Piotet, selon lequel l'art. 206 CC ne s'applique pas si les parties ont
valablement convenu la gratuité de la fourniture d'argent ou de services par
un conjoint à l'autre, soit en particulier lorsqu'ils ont conclu un prêt
gratuit; à titre subsidiaire, il soutient que la cour cantonale aurait dû
déterminer si la volonté des parties a aussi porté sur la part à la
plus-value.

3.2 Selon l'art. 206 al. 1 CC, lorsqu'un époux a contribué sans contrepartie
correspondante à l'acquisition, à l'amélioration ou à la conservation de
biens de son conjoint qui se retrouvent à la liquidation avec une plus-value,
sa créance est proportionnelle à sa contribution et elle se calcule sur la
valeur actuelle des biens. Comme cette disposition instituant une
participation légale aux plus-values n'est pas de droit impératif, les
conjoints peuvent notamment convenir d'écarter la part à la plus-value à
l'occasion d'une contribution déterminée; ils doivent alors, selon l'art. 206
al. 3 CC, passer cette convention par écrit (Deschenaux/Steinauer/Baddeley,
Les effets du mariage, 2000, n. 1307 et les références citées; Hausheer, La
participation aux plus-values et aux moins-values selon les articles 206 et
209 CC, in Le nouveau droit du mariage, 1986, p. 68; Piotet, Les dettes entre
époux variant en fonction de plus-values dans le régime matrimonial de la
participation aux acquêts, in Festschrift für Cyril Hegnauer zum 65.
Geburtstag, 1986, p. 351; Message du Conseil fédéral, FF 1979 II 1179 ss,
1295). La sécurité du droit requiert en effet que la preuve de la volonté des
époux puisse être apportée clairement : sans cela, il serait par exemple
difficile, dans le cas où un époux a consenti à son conjoint un prêt sans
intérêts, de reconnaître au moment de la liquidation si la renonciation à des
intérêts, même attestée par écrit, signifie que les époux ont consciemment
voulu exclure la participation à la plus-value (Hausheer, op. cit., p. 68 s.;
cf. Deschenaux et al., op. cit., n. 1307; Message du Conseil fédéral, FF 1979
II 1179 ss, 1295).

3.3 Selon la doctrine majoritaire, la conclusion entre les époux d'un contrat
de prêt pour financer l'acquisition ou l'amélioration d'un bien déterminé
n'exclut l'application de l'art. 206 CC que s'il a été stipulé des intérêts,
car la contribution fournie par l'époux créancier n'est alors pas fournie
"sans contreprestation correspondante" au sens de l'art. 206 al. 1 CC
(Deschenaux et al., op. cit., n. 1277 s.; Hausheer, op. cit., p. 68 s.;
Hausheer, Basler Kommentar, Zivilgesetzbuch I, 2e éd. 2002, n. 10-12 ad art.
206 CC; Stettler/Waelti, Le régime matrimonial, 2e éd. 1997, n. 343 p. 181
s.; Schuler, Die Mehrwertbeteiligung unter Ehegatten, thèse Zürich 1984, p.
111). Il sied de relever que les mots "sans contreprestation correspondante"
ne figuraient pas dans le projet du Conseil fédéral, mais ont été introduits
au cours des débats (cf. Escher, Wertveränderung und eheliches Güterrecht :
von der Güterverbindung zur Errungenschaftsbeteiligung, thèse Berne 1988, p.
77 et les références citées), ce qui indique qu'il s'agit là d'une précision
consciente du législateur.

Le défendeur invoque toutefois l'opinion de Piotet. Selon cet auteur, les
mots "sans contrepartie correspondante" et la possibilité d'écarter la
participation à la plus-value (art. 206 al. 3 CC) montreraient que l'art. 206
CC ne s'applique pas si les parties ont valablement convenu d'une
rémunération ou, au contraire, de la gratuité de la fourniture d'argent ou de
services par un conjoint à l'autre, soit en particulier lorsqu'ils ont conclu
un prêt gratuit (Piotet, op. cit., p. 350).

3.4 Si l'opinion selon laquelle l'art. 206 CC ne trouve pas application
lorsque les époux ont convenu d'une rémunération est partagée par les auteurs
cités plus haut, celle selon laquelle l'application de l'art. 206 CC serait
également exclue lorsque les époux ont convenu de la gratuité du prêt d'une
somme d'argent ne peut être suivie. En effet, on ne saurait nier qu'un prêt
sans intérêts, ou prêt gratuit, est accordé sans contrepartie correspondante,
de sorte que l'art. 206 CC est en principe applicable. En réalité, la
question est de savoir si les époux qui conviennent expressément d'un prêt
sans intérêts conviennent également d'écarter la participation à la
plus-value (cf. Hausheer/Reusser/Geiser, Berner Kommentar, Band II/1/3/1,
1992, n. 22 ad art. 206 CC). Cette question doit être résolue au regard de
l'art. 206 al. 3 CC, en vertu duquel les époux peuvent écarter la part à la
plus-value d'un bien par convention écrite. Conformément à l'art. 8 CC, il
appartient au conjoint qui entend se prévaloir d'une dérogation à la
participation légale à la plus-value prévue par l'art. 206 al. 1 CC
d'apporter la preuve que les époux ont convenu d'une telle dérogation en la
forme écrite prescrite par l'art. 206 al. 3 CC. À défaut d'une telle preuve ¿
pour laquelle le seul fait que le prêt a été stipulé sans intérêts ne suffit
pas, car la sécurité du droit requiert que la volonté des époux d'exclure la
part à la plus-value puisse être clairement établie (cf. consid. 3.2 supra)
¿, l'art. 206 al. 1 CC doit trouver application.

3.5 En l'espèce, il ne résulte pas de l'arrêt attaqué, qui n'a pas été
attaqué sur ce point par la voie du recours de droit public, que le défendeur
aurait apporté la preuve que les parties ont convenu, s'agissant du prêt sans
intérêts octroyé au défendeur pour financer sa part sur la maison de Messery,
d'écarter la participation légale à la plus-value prévue par l'art. 206 al. 1
CC. Par conséquent, la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral en
retenant que la valeur de la créance de la demanderesse en remboursement du
prêt participait à la plus-value de la maison et devait ainsi être fixée à
254'665 fr.

4.
4.1Le défendeur reproche encore à la cour cantonale d'avoir oublié de tenir
compte, dans son récapitulatif général, d'une indemnité de 9'425 fr. qu'elle
lui avait pourtant reconnu dans les considérants de son arrêt.

4.2 Il est exact que, comme l'expose le défendeur, la cour cantonale a retenu
que les parties avaient pendant leur mariage équipé la maison de Messery d'un
nouveau mobilier pour 18'850 fr. Elle a ensuite considéré que ces meubles,
acquis à titre onéreux pendant le mariage, étaient des acquêts au sens de
l'art. 197 al. 1 CC, qui appartenaient en copropriété aux parties (art. 200
al. 2 CC). Elle a alors estimé que, comme ces meubles garnissaient la maison
de Messery que la demanderesse avait décidé de conserver, ils devaient être
intégrés dans ses acquêts, avec, en contrepartie, une dette grevant ceux-ci à
concurrence de la moitié de leur valeur, soit 9'425 fr., en faveur des
acquêts du défendeur
4.3Contrairement à ce que soutient le défendeur, la cour cantonale n'a pas
oublié de tenir compte de ces meubles dans son récapitulatif général. En
revanche, elle a erré dans sa manière de les comptabiliser dans les comptes
d'acquêts respectifs des époux, en procédant de telle manière que la
demanderesse se retrouve seule propriétaire des meubles sans devoir en
définitive aucune contrepartie au défendeur. En effet, l'autorité cantonale a
inscrit au compte d'acquêts de la demanderesse, à l'actif, les meubles pour
une valeur de 18'850 fr., et, au passif, une dette de 9'425 fr. représentant
la moitié de la valeur des meubles, d'où un solde positif de 9'425 fr. Elle a
inscrit au compte d'acquêts du défendeur, à l'actif, une créance de 9'425 fr.
représentant la moitié de la valeur des meubles. Elle a alors constaté que le
bénéfice respectif des époux était équivalent (9'425 fr. dans chaque cas en
ce qui concerne les meubles, sans compter ici d'autres postes qui
s'équilibraient dans les deux comptes d'acquêts), de sorte que les créances
en participation se compensaient (art. 215 CC).

4.4 Comme on l'a dit, cette manière de procéder est erronée. En effet, les
meubles, étant la copropriété des parties, auraient dû être comptabilisés
dans le compte d'acquêts de chacun d'eux à raison de 9'425 fr., ce qui
résultait à cet égard en un bénéfice identique se compensant (art. 215 CC).
Ce n'est que dans un deuxième stade que, du fait que les meubles copropriété
des époux passaient dans la propriété exclusive de la demanderesse, les juges
cantonaux auraient dû reconnaître à ce titre au défendeur une indemnité de
9'425 fr., représentant la moitié de la valeur desdits meubles, de la même
manière qu'ils lui ont reconnu une indemnité de 825 fr. du fait que la
demanderesse conservait la vaisselle d'une valeur de 1'650 fr. dont les
parties étaient copropriétaires (cf. lettre D.d supra).

5.
5.1Il reste à examiner la question de la créance de 3'500 fr., représentant
la moitié du produit de la vente d'un véhicule Suzuki, que l'autorité
cantonale a reconnue au défendeur en page 14 de son arrêt (cf. lettre D.d
supra), dans la mesure où la reconnaissance de cette créance entre en
contradiction avec les considérations développées précédemment dans l'arrêt
attaqué. En effet, la cour cantonale a constaté, en page 12 de son arrêt, que
la demanderesse avait acquis ce véhicule une semaine après le mariage au prix
de 30'300 fr., acquitté par le débit de son compte bancaire. Or comme il ne
ressortait pas de la procédure que la demanderesse percevait un revenu
hebdomadaire de cet ordre, la cour cantonale a retenu que le véhicule avait
nécessairement été acquis au moyen de ses biens propres, de sorte que le
produit de sa revente par 7'000 fr., qui était resté en ses mains, devait
être attribué à ses biens propres en application de l'art. 198 ch. 4 CC.

5.2 Le défendeur reproche à la cour cantonale d'avoir violé le droit fédéral
en retenant que la demanderesse avait acquis le véhicule Suzuki au moyen de
ses biens propres. Il fait valoir que, selon la jurisprudence du Tribunal
fédéral, le droit fédéral est violé lorsqu'une autorité cantonale admet à
tort une demande dont la motivation en fait est insuffisante au regard de la
norme de droit matériel fédéral invoquée (arrêt 5P.322/1996 du 12 décembre
1996, reproduit in SJ 1997 p. 240, consid. 2b et les références citées). Or
en l'espèce, la demanderesse n'avait jamais allégué, alors qu'il lui
appartenait de le faire (cf. art. 200 al. 3), que le véhicule Suzuki avait
été acquis au moyen de fonds qui lui appartenaient au début du régime (cf.
art. 198 ch. 2 CC). Au contraire, elle avait en première instance qualifié
d'acquêt le produit de la vente du véhicule Suzuki, et elle n'avait pas
contesté en appel la qualification d'acquêt donnée par le premier juge à
cette somme de 7'000 fr.

5.3 L'argumentation du défendeur est bien fondée. Il incombait à la
demanderesse d'alléguer et de prouver que le véhicule Suzuki, acquis pendant
le mariage, l'avait été en remploi de biens propres (cf. art. 198 ch. 4 CC),
à défaut de quoi ce véhicule devait être considéré comme un acquêt (art. 200
al. 3 CC). En l'absence d'une allégation correspondante dans les écritures de
la demanderesse ¿ laquelle a au contraire elle-même qualifié le véhicule
d'acquêt ¿, la cour cantonale ne pouvait pas retenir que le véhicule Suzuki
avait été acquis en remploi de biens propres de la demanderesse, mais elle
devait appliquer la présomption selon laquelle ce véhicule était un acquêt,
si bien que le produit de sa vente l'était aussi (art. 197 ch. 5 CC). Il
s'ensuit que l'arrêt attaqué est conforme au droit fédéral dans son résultat
en tant qu'il reconnaît au défendeur une créance de 3'500 fr. correspondant à
la moitié du produit de la vente du véhicule Suzuki.

6.
En définitive, le recours doit être partiellement admis en ce sens qu'il y a
lieu d'ajouter au montant de 3'461 fr. 30 alloué au défendeur par la cour
cantonale à titre de liquidation du régime matrimonial (cf. lettre D.d supra)
la somme de 9'425 fr. (cf. consid. 4 supra). L'arrêt attaqué sera dès lors
réformé en ce sens que la demanderesse doit verser au défendeur la somme de
12'886 fr. 30 à titre de liquidation du régime matrimonial. Il n'y a pas lieu
de modifier la répartition des dépens de la procédure cantonale (cf. art. 159
al. 6 OJ), que l'autorité cantonale a compensés eu égard à la qualité des
parties.
Vu l'issue du litige, les frais judiciaires seront mis pour moitié à la
charge de la demanderesse et pour moitié à celle du défendeur (art. 156 al. 1
OJ). Étant donné que le défendeur plaide au bénéfice de l'assistance
judiciaire, sa part des frais sera toutefois supportée provisoirement par la
caisse du Tribunal fédéral. Le défendeur versera à la demanderesse une
indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens réduits (art. 159 al. 1 OJ),
l'octroi de l'assistance judiciaire ne dispensant pas son bénéficiaire de
payer des dépens à sa partie adverse (ATF 122 I 332 consid. 2c; 112 Ia 14
consid. 3c). Enfin, la caisse du Tribunal fédéral versera au conseil du
défendeur une indemnité de 2'000 fr. à titre d'honoraires d'avocat d'office.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est partiellement admis et l'arrêt attaqué est réformé en ce sens
que la demanderesse doit verser au défendeur la somme de 12'886 fr. 30 à
titre de liquidation du régime matrimonial.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis pour moitié à la charge de la
demanderesse et pour moitié à celle du défendeur, dont la part est toutefois
supportée provisoirement par la caisse du Tribunal fédéral.

3.
Le défendeur versera à la demanderesse une indemnité de 2'000 fr. à titre de
dépens réduits.

4.
La caisse du Tribunal fédéral versera au conseil du défendeur une indemnité
de 2'000 fr. à titre d'honoraires d'avocat d'office.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne,
le 23 mars 2005

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.223/2004
Date de la décision : 23/03/2005
2e cour civile

Analyses

Art. 206 al. 1 et 3 CC; acquisition de biens au moyen d'un prêt gratuit duconjoint. Lorsque l'acquisition de biens d'un époux qui se retrouvent à laliquidation avec une plus-value a été financée au moyen d'un prêt sansintérêts octroyé par l'autre époux, il appartient au conjoint qui entend seprévaloir d'une dérogation à la participation légale à la plus-value prévuepar l'art. 206 al. 1 CC de prouver que les époux ont convenu d'une telledérogation en la forme écrite prescrite par l'art. 206 al. 3 CC (consid. 3).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2005-03-23;5c.223.2004 ?
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