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22/02/2005 | SUISSE | N°5P.405/2004

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 22 février 2005, 5P.405/2004


{T 0/2}
5P.405/2004 /frs

Arrêt du 22 février 2005
IIe Cour civile

MM. et Mmes les Juges Raselli, Président, Escher, Meyer, Hohl et Marazzi.
Greffier: M. Fellay.

X. ________,
recourant, représenté par Me Doris Leuenberger, avocate,

contre

Y.________,
intimée, représentée par Me Daniel Guggenheim, avocat,

1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9 Cst. (mainlevée définitive de l'opposition),

recours de droit public contre l'arrêt de la 1ère Sectio

n de la Cour de
justice du canton de Genève du 23 septembre 2004.

Faits:

A.
Le 8 octobre 1998, Y.________ a ouvert action co...

{T 0/2}
5P.405/2004 /frs

Arrêt du 22 février 2005
IIe Cour civile

MM. et Mmes les Juges Raselli, Président, Escher, Meyer, Hohl et Marazzi.
Greffier: M. Fellay.

X. ________,
recourant, représenté par Me Doris Leuenberger, avocate,

contre

Y.________,
intimée, représentée par Me Daniel Guggenheim, avocat,

1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9 Cst. (mainlevée définitive de l'opposition),

recours de droit public contre l'arrêt de la 1ère Section de la Cour de
justice du canton de Genève du 23 septembre 2004.

Faits:

A.
Le 8 octobre 1998, Y.________ a ouvert action contre X._______, Z.________ et
deux autres personnes devant le Tribunal de première instance de Genève en
paiement de 5'900'000 US$ plus intérêts. Par jugement du 29 novembre 2001, le
tribunal a débouté la demanderesse avec suite de dépens.

Sur appel de celle-ci, la Chambre civile de la Cour de justice genevoise a,
par arrêt du 14 mars 2003, annulé ledit jugement et renvoyé la cause au
tribunal pour instruction préalable et nouvelle décision dans le sens des
considérants. Réservant le sort des dépens de première instance, elle a
condamné solidairement les défendeurs Z.________ et X.________ aux dépens
d'appel, dont le montant a été arrêté à 94'004 fr. 85 le 3 juin 2003.
L'opposition à cette taxation formée par les deux prénommés a été rejetée par
la Chambre civile de la Cour de justice, statuant par voie de procédure
sommaire le 19 septembre 2003.

Les défendeurs Z.________ et X.________ ont formé auprès du Tribunal fédéral
un recours de droit public contre l'arrêt du 14 mars 2003, en tant qu'il les
condamnait aux dépens d'appel, et contre l'arrêt du 19 septembre 2003 sur
opposition à taxe. Par arrêt du 22 décembre 2003, le Tribunal fédéral a
déclaré le recours irrecevable au motif que les conditions de l'art. 87 al. 2
OJ n'étaient pas remplies.

B.
Dans l'intervalle, le 5 août 2003, la demanderesse avait fait notifier au
défendeur X.________, qui y avait fait opposition, un commandement de payer,
poursuite no xxxx, pour la somme de 94'004 fr. 85 avec intérêts à 5% dès le 5
juin 2003.

Par jugement du 5 mai 2004, le Tribunal de première instance a prononcé la
mainlevée définitive de l'opposition faite au commandement de payer. Sur
appel du poursuivi, la Cour de justice a confirmé ce jugement par arrêt du 23
septembre 2004. Elle a considéré, en se référant à la doctrine (notamment
Daniel Staehelin, Kommentar zum Bundesgesetz über Schuldbetreibung und
Konkurs, n. 11 ad art. 80 LP), qu'une décision incidente condamnant une
partie aux dépens peut entrer en force de chose jugée formelle; en
l'occurrence la décision incidente sur les dépens d'appel et la décision de
taxation formaient un tout et constituaient indéniablement un titre de
mainlevée définitive de l'opposition puisqu'elles avaient acquis force de
chose jugée formelle, ne pouvant plus être attaquées par une voie de recours
ordinaire.

C.
Par acte du 28 octobre 2004, le poursuivi a formé un recours de droit public
contre cet arrêt. Invoquant un déni de justice formel (art. 29 al. 2 Cst.) et
l'arbitraire (art. 9 Cst.) dans l'application de l'art. 80 LP et des art. 462
ss LPC/GE, relatifs à la force exécutoire des jugements, il conclut, avec
suite de frais et dépens, à l'annulation de l'arrêt attaqué, au renvoi de la
cause à l'autorité cantonale pour qu'elle statue dans le sens des
considérants.

La poursuivante et intimée propose le rejet du recours, avec suite de frais
et dépens. La cour cantonale se réfère aux considérants de son arrêt.

Par ordonnance du 19 novembre 2004, le Président de la IIe Cour civile du
Tribunal fédéral a attribué l'effet suspensif au recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Le prononcé d'une autorité cantonale de dernière instance qui accorde ou
refuse la mainlevée définitive de l'opposition est une décision finale qui
peut faire l'objet d'un recours de droit public (ATF 120 Ia 256 consid. 1a;
98 Ia 527 consid. 1 p. 532 et les arrêts cités). Interjeté dans le délai de
30 jours contre un tel prononcé, le présent recours est recevable au regard
des art. 86 al. 1 et 89 al. 1 OJ.

1.2 Le recours de droit public ne peut tendre, en principe, qu'à l'annulation
de l'acte attaqué (ATF 127 III 279 consid. 1b p. 282 et les arrêts cités).
Ainsi, lorsque le Tribunal fédéral annule une décision par laquelle la
mainlevée a été accordée ou refusée, il ne peut généralement se prononcer
lui-même sur la mainlevée. Il ne fait exception à cette règle que lorsqu'il
n'examine pas la décision attaquée uniquement sous l'angle de l'arbitraire et
que la situation juridique peut être considérée comme suffisamment claire
(ATF 120 Ia 256 consid. 1b p. 257 et la jurisprudence mentionnée).
Le présent recours est donc irrecevable dans la mesure où il tend à ce que la
cause soit renvoyée à l'autorité cantonale pour qu'elle statue dans le sens
des considérants.

2.
Le recourant reproche notamment à la Cour de justice d'avoir arbitrairement
violé l'art. 80 LP et les principes régissant l'exécution forcée des
jugements (art. 462 ss LPC/GE) en retenant que le prononcé incident sur les
dépens d'appel était revêtu de la force de chose jugée et, partant,
constituait un titre de mainlevée définitive. Se référant à l'art. 48 al. 3
OJ, il soutient que le prononcé accessoire sur les dépens n'entre pas en
force de chose jugée tant que la procédure au fond est encore pendante, et
que le recours en réforme est donc encore ouvert.

3.
Selon l'art. 80 al. 1 LP, le créancier qui est au bénéfice d'un jugement
exécutoire peut requérir du juge la mainlevée définitive de l'opposition. Est
exécutoire au sens de cette disposition le prononcé qui a non seulement force
exécutoire, mais également force de chose jugée (formelle Rechtskraft; ATF
113 III 6 consid. 1b p. 9; 105 III 43 consid. 2a p. 44), c'est-à-dire qui est
devenu définitif, parce qu'il ne peut plus être attaqué par une voie de
recours ordinaire qui, de par la loi, a un effet suspensif (Daniel Staehelin,
Kommentar zum Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, n. 7 s. ad art.
80 LP).

3.1 L'entrée en force de chose jugée (formelle Rechtskraft) d'une décision
cantonale de dernière instance, qu'elle soit finale ou incidente, se
détermine exclusivement au regard du droit fédéral, soit de la loi fédérale
d'organisation judiciaire (ATF 126 III 261 consid. 3b p. 264 et les
références citées). Sont réservées les règles spéciales de droit civil formel
en la matière (cf. art. 28l al. 4 et art. 148 CC).

3.2 Lorsque, dans les contestations civiles susceptibles de recours en
réforme au Tribunal fédéral (art. 44 ss OJ), une décision préjudicielle est
rendue (par exemple sur le principe de la responsabilité) et que les dépens
sont mis à la charge de la partie qui a succombé, la cause étant renvoyée à
l'instance précédente pour suite de la procédure, le prononcé accessoire sur
les dépens, qui est susceptible d'être modifié en cas de réforme de la
décision sur la question préjudicielle (art. 159 al. 6 OJ), n'acquiert en
principe force de chose jugée qu'avec la décision finale (art. 48 al. 3 OJ;
ATF 131 III 87 consid. 3). Si un recours immédiat contre la décision
préjudicielle et sa répartition des dépens est exceptionnellement recevable
aux conditions de l'art. 50 al. 1 OJ, un recours immédiat sur le seul
prononcé des dépens ne saurait entrer en considération.

3.3 Lorsque la décision finale doit faire l'objet d'un recours de droit
public et qu'une décision incidente est rendue, par laquelle l'autorité
cantonale de recours renvoie l'affaire en première instance pour nouvelle
décision et statue simultanément sur les dépens de la procédure suivie devant
elle, le prononcé accessoire sur les dépens - qui doit donc aussi être
considéré comme incident, même s'il porte sur des prétentions qui ne seront
plus en cause par la suite - n'entraîne aucun dommage irréparable au sens de
l'art. 87 al. 2 OJ et ne peut par conséquent être attaqué devant le Tribunal
fédéral qu'en même temps que la décision finale sur le fond, voire seul, si
l'intérêt juridiquement protégé à recourir sur le fond a disparu au cours de
la procédure cantonale. En règle générale, le Tribunal fédéral ne doit pas
être amené, par le biais d'un recours dirigé contre le prononcé sur les
dépens, à vérifier la constitutionnalité de la décision incidente, le but
poursuivi par l'art. 87 OJ étant que le Tribunal fédéral ne s'occupe en
principe qu'une seule fois d'un procès et seulement lorsqu'il est certain que
le recourant a subi un dommage définitif (ATF 122 I 39 consid. 1a/aa et les
arrêts cités). Dès lors que, aux termes de l'art. 87 al. 3 OJ, les décisions
préjudicielles et incidentes peuvent être attaquées avec la décision finale
lorsque le recours de droit public n'est pas recevable en vertu de l'art. 87
al. 2 OJ ou n'a pas été utilisé, le prononcé accessoire sur les dépens
n'entre en force qu'avec la décision finale sur le fond. D'ailleurs, tant que
le délai de recours de droit public ne peut commencer à courir, une décision
ne saurait entrer en force de chose jugée.

3.4 Le régime de l'entrée en force de chose jugée des jugements préjudiciels
et incidents est donc le même en matière de recours en réforme (art. 48 al. 3
OJ) et en matière de recours de droit public (art. 87 al. 3 OJ). Ce n'est que
si le Tribunal fédéral est entré en matière sur le recours immédiat contre la
décision préjudicielle ou incidente (art. 50 al. 1 et 87 al. 2 OJ) et a
statué au fond, que son arrêt acquiert force de chose jugée selon l'art. 38
OJ (cf. pour l'art. 48 al. 3 OJ, Poudret, Commentaire de la loi fédérale
d'organisation judiciaire, vol. II, Berne 1990, n. 4.2.2 ad art. 48 OJ).

3.5 En l'espèce, le recours de droit public interjeté immédiatement contre le
prononcé incident sur les dépens d'appel contenu dans la décision incidente
du 14 mars 2003 a été déclaré irrecevable par arrêt du Tribunal fédéral du 22
décembre 2003, les conditions de l'art. 87 al. 2 OJ n'étant pas réunies. Il
en découle que ledit prononcé n'entrera en force qu'avec la décision finale
sur le fond et que, partant, il ne constitue pas un jugement exécutoire
valant titre de mainlevée définitive au sens de l'art. 80 al. 1 LP. La
décision attaquée est dès lors arbitraire dans sa motivation et, parce
qu'elle autorise la poursuite de l'exécution forcée contre le recourant, dans
son résultat.

Cela étant, on peut se dispenser d'examiner les autres griefs du recourant.

4.
Au vu de ce qui précède, le recours doit être admis dans la mesure de sa
recevabilité et l'arrêt cantonal annulé. Il y a lieu de mettre les frais et
dépens à la charge de l'intimée qui, ayant conclu au rejet du recours,
succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 et 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis dans la mesure où il est recevable et l'arrêt attaqué
est annulé.

2.
Un émolument judiciaire de 4'000 fr. est mis à la charge de l'intimée.

3.
L'intimée versera au recourant une indemnité de 4'000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 22 février 2005

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5P.405/2004
Date de la décision : 22/02/2005
2e cour civile

Analyses

Jugement exécutoire au sens de l'art. 80 al. 1 LP. Entrée en force desjugements préjudiciels ou incidents. Le prononcé sur les dépens d'appel contenu dans l'arrêt cantonal de renvoide la cause en première instance pour nouvelle décision ne constitue pas unjugement exécutoire valant titre de mainlevée définitive au sens de l'art.80 al. 1 LP dès lors que, en raison de l'irrecevabilité du recours de droitpublic fondée sur l'art. 87 al. 2 OJ, il ne peut entrer en force qu'avec ladécision finale sur le fond (consid. 3).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2005-02-22;5p.405.2004 ?
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