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04/02/2005 | SUISSE | N°4P.236/2004

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 04 février 2005, 4P.236/2004


{T 0/2}
4P.236/2004 /ech

Arrêt du 4 février 2005
Ire Cour civile

MM. et Mmes les Juges Corboz, président, Rottenberg Liatowitsch, Nyffeler,
Favre et Kiss.
Greffier: M. Carruzzo.

A. ________,
recourante, représentée par Mes Pierre Lalive et Matthias Scherer,

contre
B.________,
C.________,
intimés, tous deux représentés par Mes Marc Ronca et Christoph Kurth,
Tribunal arbitral CNUDCI,

arbitrage international; compétence,

recours de droit public contre la sentence du Tribunal arbitral CNUDCI du 31
août 2004.>
Faits:

A.
Au début des années 1990, C.________ a commencé à privatiser son système
bancaire. Il a utilisé pour ce faire u...

{T 0/2}
4P.236/2004 /ech

Arrêt du 4 février 2005
Ire Cour civile

MM. et Mmes les Juges Corboz, président, Rottenberg Liatowitsch, Nyffeler,
Favre et Kiss.
Greffier: M. Carruzzo.

A. ________,
recourante, représentée par Mes Pierre Lalive et Matthias Scherer,

contre
B.________,
C.________,
intimés, tous deux représentés par Mes Marc Ronca et Christoph Kurth,
Tribunal arbitral CNUDCI,

arbitrage international; compétence,

recours de droit public contre la sentence du Tribunal arbitral CNUDCI du 31
août 2004.

Faits:

A.
Au début des années 1990, C.________ a commencé à privatiser son système
bancaire. Il a utilisé pour ce faire une entité, dotée de la personnalité
juridique et capable d'ester en justice, dénommée B.________.
Par contrat du 8 mars 1998, B.________ a vendu à la société anglaise
A.________ le 36,29% des actions de l'une des quatre plus grandes banques du
pays détenues par lui. Le contrat contient une clause arbitrale prévoyant que
tous les différends pouvant en résulter seront soumis à un tribunal arbitral,
composé de trois membres, qui siégera à Zurich et appliquera le règlement
d'arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial
International (CNUDCI/UNCITRAL). L'anglais a été choisi comme langue de
l'arbitrage.
En conformité avec ledit contrat, A.________ a transféré ultérieurement sa
participation dans la Banque à la société de droit néerlandais D.________.
En juin 2000, la Banque a été placée sous administration forcée et vendue par
l'administrateur à une autre banque.
Le 18 juillet 2001, D.________ a déposé une requête d'arbitrage contre
C.________, à qui elle reproche de lui avoir causé un préjudice en violant un
traité d'investissement conclu avec les Pays-Bas. La procédure y relative est
toujours pendante.

B.
Par requête du 4 décembre 2002, B.________ et C.________ ont ouvert une
procédure arbitrale dirigée contre A.________ et D.________ aux fins
d'obtenir le paiement de dommages-intérêts pour violation du contrat précité.
Ils ont réclamé de ce chef une somme correspondant à un montant compris entre
3,3 et 8,47 milliards de dollars américains.
Un Tribunal arbitral ad hoc, composé de trois membres, a été constitué.

A. ________ a soulevé une exception d'incompétence vis-à-vis de C.________ en
invoquant le fait que celui-ci n'était pas partie au contrat. D.________ a
contesté la compétence du Tribunal arbitral à son égard au même motif. La
compétence ratione materiae du Tribunal arbitral a également été mise en
cause par les défenderesses.
Après avoir instruit la question de sa compétence, le Tribunal arbitral a
rendu, le 31 août 2004, une sentence incidente au terme de laquelle il a
admis sa compétence à l'égard de C.________, l'a en revanche niée à l'égard
de D.________ et a rejeté l'exception d'incompétence ratione materiae.

C.
Le 7 octobre 2004, A.________ a formé un recours de droit public, au sens de
l'art. 85 let. c OJ. Invoquant le motif de recours prévu par l'art. 190 al. 2
let. b LDIP, elle demande au Tribunal fédéral d'annuler la sentence attaquée.
Les intimés concluent principalement à l'irrecevabilité du recours et,
subsidiairement, à son rejet. Pour sa part, le Tribunal arbitral a renoncé à
formuler des observations au sujet du recours.
Par ordonnance présidentielle du 22 novembre 2004, la requête d'effet
suspensif présentée par la recourante a été rejetée.
A réception de la réponse des intimés, la recourante, par lettre du 2
décembre 2004, a requis du Tribunal fédéral qu'il ordonne un second échange
d'écritures limité aux arguments nouveaux et aux pièces nouvelles des
intimés. Le 9 décembre 2004, ceux-ci ont déposé spontanément des observations
écrites pour s'opposer à l'admission de cette requête. Par lettre du 14
décembre 2004, le président de la Cour de céans a informé les parties que, si
la nécessité d'un second échange d'écritures devait apparaître après l'étude
du dossier par le juge rapporteur, il serait alors fait droit à ladite
requête, tandis que, dans le cas contraire, les motifs du rejet de celle-ci
seraient indiqués dans l'arrêt du Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
D'après l'art. 37 al. 3 OJ, le Tribunal fédéral rédige son arrêt dans une
langue officielle, en règle générale celle de la décision attaquée. Lorsque
la décision attaquée est rédigée dans une autre langue (ici l'anglais), le
Tribunal fédéral utilise la langue officielle choisie par les parties. Devant
le Tribunal arbitral, celles-ci ont utilisé l'anglais, tandis que, dans les
mémoires qu'elles ont adressés au Tribunal fédéral, elles ont employé, qui le
français (la recourante), qui l'allemand (les intimés). Conformément à sa
pratique, le Tribunal fédéral adoptera la langue du recours et rendra, par
conséquent, son arrêt en français (cf.arrêts 4P.196/2003 du 7 janvier 2004,
consid. 1.1, et 4P.100/2003 du 30 septembre 2003, consid. 2).

2.
Exercé en temps utile (art. 89 al. 1 OJ), dans la forme prescrite par la loi
(art. 90 al. 1 OJ), contre une sentence incidente relative à la compétence
(art. 186 al. 3 LDIP), rendue dans le cadre d'un arbitrage international
(art. 176 ss LDIP), le présent recours de droit public, au sens de l'art. 85
let. c OJ, dans lequel n'est invoqué que l'un des deux griefs limitativement
énoncés par l'art. 190 al. 3 LDIP (cf. ATF 130 III 76 consid. 4), est
recevable au regard de ces différentes exigences. La partie qui l'a déposé a
qualité pour recourir (art. 88 OJ), car elle a un intérêt personnel, actuel
et juridiquement protégé à ce que le Tribunal arbitral ne se soit pas déclaré
à tort compétent vis-à-vis de l'une de ses deux parties adverses, à savoir
C.________. Il s'agit d'un intérêt concret dans la mesure où la recevabilité
ratione materiae de plusieurs chefs de la demande suppose que le Tribunal
arbitral soit compétent ratione personae à l'égard de cette partie.
La question de la recevabilité n'en est pas réglée pour autant. En effet, les
intimés soutiennent, à titre d'argument principal, que la possibilité de
former un recours de droit public contre la sentence présentement attaquée a
été exclue d'un commun accord par les parties. Il conviendra d'examiner, à
titre préalable, si l'on est en présence d'une exclusion valable d'un tel
recours, auquel cas ce dernier serait irrecevable (cf. consid. 4 ci-après).

3.
Par lettre du 2 décembre 2004, la recourante a requis un second échange
d'écritures au sujet tant du problème de recevabilité évoqué ci-dessus que
des arguments avancés dans la réponse au recours (avec des pièces nouvelles à
l'appui) quant à la compétence du Tribunal arbitral.
Un tel échange n'a lieu qu'exceptionnellement (art. 93 al. 3 OJ). Le Tribunal
fédéral s'en tient strictement à cette règle et n'ordonne une réplique et une
duplique que si elles lui paraissent vraiment indispensables pour résoudre le
cas en respectant le droit d'être entendu (Bernard Corboz, Le recours au
Tribunal fédéral en matière d'arbitrage international, in SJ 2002 II p. 1 ss,
15 let. H). Il en va ainsi, notamment, lorsque des arguments importants ne
sont invoqués pour la première fois que dans la réponse au recours (arrêt
4P.207/2002 du 10 décembre 2002, publié in Bulletin ASA 2003 p. 585 ss, 588
avec une référence à l'ATF 94 I 659 consid. 1b).
Il n'y a pas lieu de s'écarter de la règle en l'espèce, du moins en ce qui
concerne la question de recevabilité à résoudre. Le Tribunal fédéral examine
d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF
130 II 65 consid. 1 p. 67 et les arrêts cités). Il lui appartient donc de
rechercher de son propre chef et avec une pleine cognition si les parties
n'ont pas exclu conventionnellement la possibilité de recourir contre la
sentence attaquée (cf. ATF 128 III 50 consid. 1a p. 53). Il s'agit là d'une
question qui peut être résolue par la simple confrontation du texte de la
clause arbitrale avec la jurisprudence et la doctrine relatives à l'art. 192
LDIP et pour le traitement de laquelle il n'est, en principe, pas nécessaire
de procéder à des mesures d'instruction. Telle est d'ailleurs la manière dont
les intimés ont procédé dans leur réponse où ils exposent l'état de la
jurisprudence et de la doctrine en la matière avant d'analyser la clause
litigieuse - sans faire appel à des éléments extrinsèques - pour conclure à
l'existence d'une renonciation valable à tout recours. Au demeurant, le
problème de l'exclusion d'un quelconque recours contre la sentence incidente
du 31 août 2004 n'a pas échappé à l'attention de la recourante qui y consacre
un paragraphe de son mémoire de recours, en sollicitant d'emblée la
possibilité de se déterminer sur l'éventuelle exclusion que pourraient
alléguer les intimés dans leur réponse. Cependant, il lui appartenait de
développer d'emblée son argumentation à cet égard, si elle l'estimait
nécessaire, et non pas d'attendre, pour ce faire, qu'un hypothétique second
échange d'écritures soit ordonné.

4.
4.1Aux termes de l'art. 192 al. 1 LDIP, si les deux parties n'ont ni
domicile, ni résidence habituelle, ni établissement en Suisse, elles peuvent,
par une déclaration expresse dans la convention d'arbitrage ou un accord
écrit ultérieur, exclure tout recours contre les sentences du tribunal
arbitral; elles peuvent aussi n'exclure le recours que pour l'un ou l'autre
des motifs énumérés à l'art. 190, 2e alinéa.
La renonciation est autorisée à l'égard de toutes les sentences, y compris
celles au sujet de la composition et de la compétence du tribunal arbitral,
et non seulement de la sentence finale (Pierre Lalive/Jean-François
Poudret/Claude Reymond, Le droit de l'arbitrage interne et international en
Suisse, n. 3 in fine ad art. 192 LDIP; Kurt Siehr, Commentaire zurichois, n.
20 ad art. 192 LDIP; Thomas Rüede/Reimer Hadenfeldt, Schweizerisches
Schiedsgerichtsrecht, 2e éd., p. 376, ch. 5).

4.2 Outre la condition d'extranéité, qui n'est pas litigieuse dans le cas
présent, une seconde condition cumulative qui, elle, divise les parties doit
être réalisée pour que l'art. 192 al. 1 LDIP soit applicable. Il s'agit de
l'existence d'une déclaration expresse portant exclusion de tout recours
contre les sentences du tribunal arbitral.

4.2.1 Le Tribunal fédéral a examiné dans une dizaine d'arrêts la question de
la renonciation au recours, sans jamais admettre que les parties aient
manifesté de manière suffisamment claire leur volonté concordante d'exclure
tout recours contre la sentence attaquée devant lui.
Il s'est exprimé pour la première fois sur cette question dans un arrêt du 19
décembre 1990 (ATF 116 II 639 consid. 2c) quand bien même l'intimée au
recours ne soutenait pas que les parties avaient renoncé à entreprendre la
sentence contestée. Selon cet arrêt, la déclaration expresse exigée par la
loi doit exprimer clairement la volonté des parties et mentionner le moyen de
droit auquel celles-ci renoncent. Ainsi, le renvoi par les parties à un
règlement d'arbitrage comportant une renonciation à tout recours n'est pas
suffisant pour constituer une renonciation valable, non plus que l'indication
d'après laquelle les parties considèrent la sentence à intervenir comme
définitive ("sans appel").
Un deuxième arrêt, rendu le 9 avril 1991, reprend mot pour mot le considérant
topique du premier arrêt pour exclure, lui aussi, la possibilité d'une
renonciation indirecte (consid. 3, publié in Bulletin ASA 1991 p. 160 ss, 162
s.).
Dans un troisième arrêt, daté du 18 août 1992, le Tribunal fédéral, se
fondant derechef sur le précédent publié, a jugé insuffisante la référence,
faite dans l'acte de mission, à une clause arbitrale indiquant simplement que
les différends soumis aux arbitres seraient tranchés définitivement par eux
("endgültig"; arrêt 4P.48/1992, consid. 2, non publié à l'ATF 118 II 359).
Par identité de motif, le Tribunal fédéral, dans un quatrième arrêt rendu le
15 novembre 1993, n'a pas vu une renonciation valable dans une clause
arbitrale stipulant que le litige serait "définitivement tranché" par le
tribunal arbitral saisi (arrêt 4P.99/1993, consid. 2).
Un cinquième arrêt, rendu le 2 juillet 1997 à la suite d'une demande de
révision, portait sur une clause compromissoire indiquant que les sentences
arbitrales seraient finales et s'imposeraient aux parties; ladite clause
contenait en outre la précision suivante: "the application to the State
Courts are (sic) excluded". Après avoir exprimé des doutes quant à
l'applicabilité de l'art. 192 LDIP à une demande de révision, le Tribunal
fédéral a jugé que les conditions d'application de cette disposition
n'étaient de toute façon pas réalisées en l'espèce pour le motif suivant:
"... l'utilisation d'un terme aussi générique que celui d'«application» ne
satisfait en rien l'exigence posée par la jurisprudence susmentionnée [i.e.
l'ATF 116 II 639], d'après laquelle les parties doivent indiquer le moyen de
droit auquel elles renoncent. La dernière phrase de la clause arbitrale
précitée, qu'elle soit considérée isolément ou en relation avec la
précédente, ne révèle pas si les parties ont entendu exclure tout recours,
révision comprise, contre la sentence future ou si elles ont simplement voulu
exclure la voie judiciaire au profit de l'arbitrage pour régler leurs
différends éventuels. Elle n'exprime donc pas clairement la volonté des
parties à ce sujet..." (arrêt 4P.265/1996, consid. 1a; cf. Bulletin ASA 1997
p. 494 ss, 497s.).
Trois arrêts subséquents rappellent incidemment qu'il ne suffit pas de
qualifier la sentence à venir de définitive pour la soustraire à tout recours
(arrêt 4P.207/2002 du 10 décembre 2002, consid. 1, publié in Bulletin ASA
2003 p. 585 ss, 588; arrêt 4P.64/2004 du 2 juin 2004, consid. 2.1, publié in
Bulletin ASA 2004 p. 782 ss, 786), mais que la volonté de renoncer à recourir
doit ressortir clairement de la déclaration des parties (ATF 129 III 675
consid. 2.3 p. 681).
Enfin, dans le dernier arrêt en date, le Tribunal fédéral, dans le droit fil
de sa jurisprudence établie en 1990, a refusé d'admettre la validité d'une
renonciation indirecte par soumission à un règlement d'arbitrage prévoyant
que les parties renonçaient à tout recours et/ou que la sentence serait
définitive (arrêt 4P.62/2004 du 1er décembre 2004, consid. 1.2).
4.2.2 La doctrine se contente, pour l'essentiel, de rappeler les
conditions
posées dans l'ATF 116 II 639 pour l'exclusion valable de tout recours contre
une sentence arbitrale et de mettre en évidence le caractère restrictif de
cette jurisprudence, en approuvant la retenue avec laquelle le Tribunal
fédéral examine les conventions d'exclusion (cf., parmi d'autres:
Jean-François Poudret/Sébastien Besson, Droit comparé de l'arbitrage
international, n. 839, p. 829; Christoph Müller, International Arbitration,
p. 208; Paolo Michele Patocchi/Cesare Jermini, International Arbitration in
Switzerland, n. 14 ad art. 192 LDIP; Cesare Jermini, Die Anfechtung der
Schiedssprüche im internationalen Privatrecht, thèse Zurich 1997, n. 748;
Gerhard Walter/Wolfgang Bosch/Jürgen Brönnimann, Internationale
Schiedsgerichtsbarkeit in der Schweiz, p. 255; Klaus Peter Berger,
Internationale Wirtschaftsschiedsgerichtsbarkeit, p. 504; Valentine Gétaz
Kunz, Rechtsmittelverzicht in der internationalen Schiedsgerichtsbarkeit der
Schweiz, thèse Berne 1993, p. 88; Rüede/Hadenfeldt, op. cit., p. 376, ch. 3a;
Robert Briner, Anfechtung und Vollstreckung des Schiedsentscheides, in Die
Internationale Schiedsgerichtsbarkeit in der Schweiz (II), p. 102; Hans Peter
Walter, Praktische Probleme der staatsrechtlichen Beschwerde gegen
internationale Schiedsentscheide (Art. 190 IPRG), in Bulletin ASA 2001 p. 2
ss, 6; Robert Karrer, Bemerkungen zu den Art. 192/193, in Bulletin ASA 1992
p. 86; Corboz, op. cit., p. 9 s.; Siehr, op.cit., n. 18 ad art. 192 LDIP; le
même, Das Internationale Privatrecht der Schweiz, p. 724 s.; Bernard Dutoit,
Commentaire de la loi fédérale du 18 décembre 1987, 4e éd., n. 1 ad art. 192;
François Knoepfler/Philippe Schweizer/Simon Othenin-Girard, Droit
international privé suisse, 3e éd., n. 777; Paolo Michele Patocchi/Elliott
Geisinger, Code de droit international privé suisse annoté, n. 1 ad art. 192
LDIP).

4.2.3
4.2.3.1La recourante paraît vouloir subordonner la renonciation valable au
recours de l'art. 85 let. c OJ à la mention expresse, dans la clause
d'arbitrage, de l'art. 190 LDIP. Cependant, l'art. 192 LDIP ne pose pas une
telle exigence, laquelle ne ressort pas non plus de la jurisprudence et de la
doctrine susmentionnées.
Sans doute la référence, faite dans le texte même de la clause arbitrale, à
l'art. 190 LDIP et/ou à l'art. 192 LDIP constitue-t-elle la meilleure façon
de couper court à toute discussion quant à la portée de la renonciation,
puisqu'elle permet d'identifier à coup sûr le moyen de droit auquel il est
renoncé. Pour cette raison, elle est recommandable (dans ce sens, cf. Pierre
A. Karrer/Peter Staub, in Practitioner's Handbook on International
Arbitration, p. 1079, n. 232; voir aussi la clause d'exclusion proposée in
ASA Special Series n° 21, p.20). De là à faire d'une telle référence la
condition sine qua non d'une renonciation valable au recours de droit public
contre une sentence arbitrale internationale, il y a un pas que l'on ne
saurait franchir. Cela reviendrait déjà à exclure toute renonciation faite
avant le 1er janvier 1989, date d'entrée en vigueur de la LDIP; pareille
exclusion ne devrait certes pas revêtir une importance pratique considérable
à l'avenir, vu l'écoulement du temps, d'autant que la validité même des
clauses d'exclusion adoptées avant la date précitée - question laissée
ouverte dans l'ATF 116 II 639 consid. 2c in fine - est controversée (en
faveur de cette solution: Jermini, op. cit., n. 749; Patocchi/Jermini, op.
cit., n. 15 ad art. 192 LDIP; d'un avis contraire: Briner, ibid.; Karrer,
ibid. ). Mais cela impliquerait surtout, s'agissant des conventions
d'arbitrage conclues après ladite date, de faire abstraction, pour un motif
purement formel, de la volonté commune des parties, dûment exprimée, de
renoncer à tout recours contre une sentence arbitrale. Il va sans dire qu'un
très grand nombre de clauses d'exclusion, sinon la majorité d'entre elles,
deviendraient alors lettre morte. De plus, ainsi que le relève un auteur, les
parties pourraient difficilement faire l'économie de la mise en oeuvre d'un
spécialiste en matière de LDIP si elles entendent exclure de manière valable
tout recours contre les sentences futures (Karrer, ibid.). Aussi semblable
formalisme n'est-il pas de mise. Comme l'on a affaire, par définition, à des
parties n'ayant pas de rattachement territorial avec la Suisse (cf.l'art.
192 al. 1 LDIP), qui proviennent d'horizons les plus divers et dont la
culture juridique est souvent fort différente de celle qui est propre à ce
pays, rien ne justifie de paralyser la manifestation claire et concordante de
leur volonté de renoncer à tout recours contre une sentence arbitrale au seul
motif qu'elles n'ont pas fait référence expresse à une disposition légale
dont elles ignoreront souvent jusqu'à l'existence même.
Il est vrai que l'arrêt publié aux ATF 116 II 639 consid. 2c a pu jeter la
confusion dans les esprits en tant qu'il exige que les parties "auf das
Rechtsmittel Bezug nehmen und darauf verzichten". Tel qu'énoncé et pris à la
lettre, ce membre de phrase pourrait en effet signifier l'obligation faite
aux parties - tenues d'indiquer le moyen de droit auquel elles renoncent - de
mentionner l'art. 190 LDIP et/ou l'art. 192 LDIP, voire l'art. 85 let. c OJ,
dans la clause arbitrale. Pourtant, ce n'est pas là ce qu'a voulu dire le
Tribunal fédéral car, si tel avait été le cas, il lui aurait suffi de
formuler expressis verbis cette exigence dans ses arrêts ultérieurs, ce qu'il
s'est abstenu de faire. Au demeurant, cette exigence n'est nullement posée
par l'auteur qu'il cite après le membre de phrase sus-indiqué (Briner,
ibid.). En réalité, par ce membre de phrase, qui figure d'ailleurs dans un
obiter dictum, le Tribunal fédéral a simplement voulu préciser que la
déclaration expresse dont il est question à l'art. 192 al. 1 LDIP doit faire
ressortir de manière claire et nette la volonté commune des parties de
renoncer à attaquer les sentences du tribunal arbitral par le moyen de droit
prévu à l'art. 190 al. 2 LDIP. Or, il n'est pas indispensable, pour établir
semblable volonté, que les parties aient cité telle ou telle disposition, ni
qu'elles aient utilisé telle ou telle expression (sur ce dernier point,
cf.l'arrêt rendu le 1er septembre 2000 par une Cour d'appel australienne,
publié in Bulletin ASA 2001 p. 335 ss, 348 s., et commenté par François
Knoepfler, in François Knoepfler/Philippe Schweizer, Arbitrage international,
p. 494 s., n. 4). Il est nécessaire, mais suffisant, que la déclaration
expresse des parties manifeste, sans conteste, leur commune volonté de
renoncer à tout recours. Savoir si tel est bien le cas est affaire
d'interprétation et le restera toujours, de sorte qu'il est exclu de poser à
cet égard des règles applicables à toutes les situations envisageables.
En revanche, si les parties ne souhaitent exclure le recours que pour l'un ou
l'autre des motifs énumérés à l'art. 190 al. 2 LDIP - ce qui est possible
(cf. art. 192 al. 1 in fine LDIP) -, on ne voit pas qu'elles puissent le
faire sans mentionner expressément le ou les motifs exclus dans la clause
arbitrale, que ce soit par l'indication de la ou des lettres correspondantes
de l'art. 190 al. 2 LDIP, la reprise du texte légal ou toute autre
formulation permettant d'identifier à coup sûr le motif exclu.

4.2.3.2 L'art. 21.5 du contrat du 8 mars 1998, en tant qu'il a trait à la
question litigieuse, énonce ce qui suit:
"All and any awards or other decisions of the Arbitral Tribunal shall be made
in accordance with the UNCITRAL Rules and shall be final and binding on the
parties who exclude all and any rights of appeal from all and any awards
insofar as such exclusion can validly be made..." (passage en caractères gras
mis en évidence par le Tribunal fédéral).
Quoi qu'en dise la recourante, le texte du passage précité de la clause
arbitrale, si on l'examine à la lumière des principes jurisprudentiels et des
avis doctrinaux susmentionnés, constitue une exclusion valable de tout
recours, au sens de l'art. 192 al. 1 LDIP.
A titre liminaire, il convient d'observer, d'un point de vue terminologique,
que, contrairement à ce qu'écrit l'intéressée dans sa requête en second
échange d'écritures, le mot "right" n'est pas utilisé au singulier mais au
pluriel dans la susdite clause, ce qui n'est pas la même chose.
Cette remarque préalable étant faite, il y a lieu de concentrer l'analyse sur
le terme "appeal". La recourante soutient que "la traduction, ou plutôt la
transposition de ce terme anglais (...) dans le système juridique suisse,
n'est pas «Rechtsmittel», mais «Berufung», «recours ordinaire», ou encore
«ordentliches Rechtsmittel»". On ne saurait la suivre dans cette voie.
D'abord, la démarche consistant à transposer le terme "appeal" dans le
système juridique suisse apparaît critiquable dans son principe. Il ne faut,
en effet, pas perdre de vue que l'on est en présence de parties qui n'ont
aucun lien avec la Suisse et qui ont choisi l'anglais comme langue aussi bien
du contrat que de l'arbitrage. La logique veut donc que soit donnée à ce
terme la signification que de telles parties, provenant d'horizons juridiques
différents et étrangers au droit suisse, lui ont attribuée - si leur volonté
commune à cet égard peut être établie - ou pouvaient raisonnablement lui
attribuer dans les circonstances et le contexte où elles l'ont utilisé.
Le mot "appeal", considéré sous l'angle du droit, a au moins deux acceptions.
Au sens large, il s'agit d'un terme générique qui embrasse les moyens de
droit les plus divers et qui correspond au "recours" ou au "Rechtsmittel" des
langues française et allemande. Dans cette acception, les dictionnaires
bilingues anglais-allemand, plus explicites que les dictionnaires bilingues
anglais-français, en font le synonyme, tout à la fois, de "Berufung", de
"Revision", de "Beschwerde", d'"Einspruch" ou encore de "Rechtsbehelf" (voir,
parmi d'autres: Langenscheidts Grosswörterbuch, "Der Kleine Muret-Sanders",
Englisch-Deutsch, sous "appeal"; Alfred Romain/Hans Anton Bader/B. Sharon
Byrd, Wörterbuch der Rechts-und Wirtschaftssprache, 5e éd., sous "appeal";
Clara-Erika Dietl/Egon Lorenz, Wörterbuch für Recht, Wirtschaft und Politik,
Teil I, Englisch-Deutsch, 6e éd., sous "appeal"). C'est la même acception
qu'avaient à l'esprit les auteurs qui ont traduit en anglais l'art. 192 LDIP
dont il est ici question. Ainsi, Paolo Michele Patocchi et Cesare Jermini
(op. cit., p. 597) rendent-ils la note marginale de cette disposition
("Renonciation au recours"/"Verzicht auf Rechtsmittel") par l'expression
"Waiver to file an Appeal" et les termes "recours", resp. "Anfechtung",
figurant au premier alinéa de la disposition citée, par "right to file an
appeal". Quant à Christoph Müller (op. cit., p. 207), il traduit de la même
manière la note marginale et remplace les termes "tout recours", dans le
corps du texte, par "any appeal". Cependant, le mot "appeal" a encore une
autre acception, plus restrictive, lorsqu'il est utilisé pour désigner
l'appel proprement dit, à savoir une voie de recours ordinaire qui est
généralement suspensive, dévolutive et réformatoire (sur les différents
éléments de cette définition, cf., parmi d'autres: Fabienne Hohl, Procédure
civile, tome II, n. 3047 ss; dans ce sens, grosso modo, cf., par ex., la
définition du mot "appeal" dans le Black's Law Dictionary, 8e éd., ou dans
The 'Lectric Law Library's Legal Lexicon [http://www.lectlaw.com/def], sous
"appeal", dernier §). On a alors affaire à un "appeal on the merits" par
opposition à une "action for setting aside" (sur cette distinction,
cf.Frank-Bernd Weigand, in Practitioner's Handbook on International
Arbitration, p. 50 s., n. 113 à 115). Toutefois, l'irrecevabilité de cet
appel stricto sensu, qui permet à la juridiction étatique de procéder à une
révision au fond de la décision dont est appel, constitue la règle en matière
d'arbitrage international (Philippe Fouchard/Emmanuel Gaillard/Berthold
Goldmann, Traité de l'arbitrage commercial international, p. 930, n. 1597).
Force est enfin de souligner que le mot français "appel", loin d'être
univoque, ne sert pas toujours à qualifier le moyen de droit que l'on a
coutume de désigner par ce vocable. C'est ainsi, par exemple, que, dans le
domaine considéré, l'art. 1502 du Nouveau code de procédure civile français
(NCPC) ouvre la voie de l'appel contre une décision accordant la
reconnaissance ou l'exécution d'une sentence, mais dans des cas bien définis
et comparables aux motifs de recours prévus à l'art. 190 al. 2 LDIP.
En l'espèce, le terme "appeal", tel qu'il figure à l' art. 21.5 du contrat du
8 mars 1998, doit manifestement être compris dans son acception générique.
D'abord, la question d'un éventuel appel interne ne se posait pas dès lors
que le règlement d'arbitrage choisi par les parties exclut cette possibilité
(cf. l'art. 32 al. 2 du règlement d'arbitrage de la CNUDCI: "The award ...
shall be final and binding on the parties..."; plus explicite encore, le
texte français de la même disposition: "... Elle [la sentence] n'est pas
susceptible d'appel devant une instance arbitrale..."; voir aussi: Rolf
Trittmann/Christian Duve, in Practitioner's Handbook on International
Arbitration, p. 360, n. 2). Ensuite, un appel proprement dit, à soumettre à
une juridiction étatique, n'entrait pas non plus en ligne de compte dans la
mesure où, comme on l'a déjà relevé plus haut, la faculté d'attaquer une
sentence par une telle voie de droit est tout à fait exceptionnelle en
matière d'arbitrage international. Enfin et surtout, par l'utilisation du
pluriel "rights of appeal" à la suite de l'expression redondante "all and
any", les parties ont marqué clairement qu'elles avaient en vue tous les
moyens de recours possibles et imaginables dont les sentences à venir -
quelles qu'elles soient ("all and any awards") - pourraient être l'objet, ce
qui incluait le recours de droit public au sens des art. 85 let. c OJ et 190
LDIP.
Quant à leur volonté commune de renoncer d'avance à user d'un quelconque
moyen de recours à l'encontre de toute sentence future, les parties l'ont
exprimée de manière expresse par l'utilisation du verbe "exclude". Qu'elles
aient ajouté "insofar as such exclusion can validly be made" n'y change rien.
Cette précision confirme, au contraire, que les parties ont bien eu
conscience d'exclure tout recours contre les sentences du Tribunal arbitral
et qu'elles ont voulu le
faire pour autant que cela fût possible. Il s'agit
là, au demeurant, d'une réserve tautologique, s'apparentant à une clause de
style, qui est usuelle dans les clauses d'exclusion et que l'on retrouve dans
nombre de règlements d'arbitrage (cf., par ex., l'art. 28 § 6 in fine du
Règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale [CCI]; pour
d'autres ex., voir: Paul D. Friedland, Arbitration clauses for international
contracts, Berne 2004, p. 77).

4.3 Il résulte de cet examen que les parties ont valablement exclu tout
recours contre les sentences du Tribunal arbitral, en conformité avec l'art.
192 al. 1 LDIP. Le présent recours s'en trouve frappé d'irrecevabilité, qui
méconnaît cette volonté commune, manifestée par une déclaration expresse, de
ne point soumettre de telles sentences à l'examen de la juridiction étatique
du siège de l'arbitrage. Par conséquent, il n'est pas possible d'entrer en
matière.

5.
La recourante, qui succombe, devra payer les frais de la procédure fédérale
(art. 156 al. 1 OJ) et indemniser ses parties adverses (art. 159 al. 1 OJ).
Pour fixer le montant de l'émolument judiciaire et celui des dépens, le
Tribunal fédéral tiendra compte, d'une part, des énormes intérêts financiers
en jeu, mais aussi, d'autre part, du fait que la sentence attaquée ne
constitue qu'une décision incidente ne mettant pas un terme au litige sur le
fond.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Un émolument judiciaire de 100'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
La recourante versera aux intimés, créanciers solidaires, une indemnité de
150'000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et au
président du Tribunal arbitral.

Lausanne, le 4 février 2005

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.236/2004
Date de la décision : 04/02/2005
1re cour civile

Analyses

Arbitrage international; renonciation au recours (art. 192 LDIP). Conditions d'une renonciation valable au recours de l'art. 85 let. c OJ(précision de la jurisprudence publiée aux ATF 116 II 639; consid. 4.2).Renonciation valable admise en l'espèce (consid. 4.2.3.2).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2005-02-04;4p.236.2004 ?
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