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17/11/2004 | SUISSE | N°4P.200/2004

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 17 novembre 2004, 4P.200/2004


{T 0/2}
4P.200/2004 /ech

Arrêt du 17 novembre 2004
Ire Cour civile

MM. et Mmes les Juges Corboz, président, Klett, Nyffeler, Favre et Kiss.
Greffière: Mme Cornaz.

A. ________ Corporation c/o U.________,
A.________ Company c/o U.________, recourantes, toutes deux représentées par
Mes Benoît Chappuis et Olivier Kronegg,

contre

1. C.________ Ltd.,

2. D.________ SA,
intimées, toutes deux représentées par Mes Philippe Neyroud et Olivier
Wehrli,
3. X.________, intimé, c/o Me Yves Piren

ne,

4. Y.________, intimé,

5. Z.________, intimé,

6. B.________ AG,
intimée, représentée par Mes Ber...

{T 0/2}
4P.200/2004 /ech

Arrêt du 17 novembre 2004
Ire Cour civile

MM. et Mmes les Juges Corboz, président, Klett, Nyffeler, Favre et Kiss.
Greffière: Mme Cornaz.

A. ________ Corporation c/o U.________,
A.________ Company c/o U.________, recourantes, toutes deux représentées par
Mes Benoît Chappuis et Olivier Kronegg,

contre

1. C.________ Ltd.,

2. D.________ SA,
intimées, toutes deux représentées par Mes Philippe Neyroud et Olivier
Wehrli,
3. X.________, intimé, c/o Me Yves Pirenne,

4. Y.________, intimé,

5. Z.________, intimé,

6. B.________ AG,
intimée, représentée par Mes Bernard Lachenal et Carole van de Sandt,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9 Cst. (arbitraire; procédure civile),

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de
justice du canton de Genève du 18 juin 2004.

Faits:

A.
C. ________ Ltd., dont le siège est à Londres, et D.________ SA, sise à
Madrid, sont des sociétés contrôlées par F.________. Celle-ci est une entité
publique koweïtienne chargée par l'entremise de ses bureaux de Londres de
réaliser et de gérer les investissements à l'étranger de l'Etat du Koweït.
Dès 1986, F.________ a effectué des investissements en Espagne par le biais
de D.________ SA et a acquis d'importantes participations dans des
entreprises espagnoles.

B. ________ AG est une société dont le siège se trouve en Suisse.

A. ________ Corporation est une société holding qui détient les
participations de plusieurs filiales, notamment de A.________ Company. Elle
coordonne la politique générale du groupe et fournit à ses filiales divers
services de conseil.

A. ________ Company est l'une des plus importantes banques commerciales des
Etats-Unis. Elle était la principale filiale de A.________ Corporation, dont
elle représentait le 75% des actifs en 1990. Elle supervisait les activités
de B.________ AG en Suisse.

A. ________ Corporation et A.________ Company sont deux entités séparées,
dotées chacune de la personnalité juridique et ayant des attributions
distinctes. Elles ont la même adresse à New York et leurs organes sont dans
une large mesure identiques.
Le Koweït a été envahi en août 1990. Par ordonnance du 10 août 1990 "sur la
protection des valeurs patrimoniales de l'Etat du Koweït", le Conseil fédéral
a interdit, en principe, tout acte de disposition sur les actifs propriétés
du Koweït. Des mesures identiques ont été prises par les gouvernements
anglais et espagnol.
Le 2 octobre 1990, C.________ Ltd. a ouvert un compte auprès de la succursale
genevoise de B.________ AG, dont l'ayant droit économique était D.________
SA.

B.
Par demande du 26 septembre 2000, C.________ Ltd. et D.________ SA ont
assigné B.________ AG et A.________ Corporation, solidairement entre elles,
devant le Tribunal de première instance du canton de Genève. Elles
concluaient au paiement de différents montants totalisant 721'657'970 USD et
500'000'000 fr. et à la mainlevée définitive des oppositions formées aux
commandements de payer notifiés à B.________ AG. Elles soutenaient que des
détournements de fonds avaient été perpétrés à leur préjudice entre 1988 et
1992 et que ceux-ci avaient été commis notamment par leurs propres
administrateurs agissant de concert avec certains organes de B.________ AG et
A.________ Corporation. Des poursuites pénales ont été engagées contre les
administrateurs concernés.

C. ________ Ltd. et D.________ SA ont exposé que plusieurs personnes ayant la
qualité d'organes de B.________ AG étaient impliquées dans ces opérations
frauduleuses. Elles ont invoqué la responsabilité de B.________ AG pour les
faits de ses organes, sa responsabilité contractuelle, sa responsabilité
délictuelle ainsi que sa responsabilité en tant qu'employeur. Elles ont aussi
allégué que A.________ Corporation avait, par l'intermédiaire de ses organes,
participé à l'escroquerie, notamment en approuvant le prêt fiduciaire de
300'000'000 USD en faveur d'une société tierce totalement insolvable, si bien
que sa responsabilité délictuelle était engagée. Elles précisaient en effet
que, s'agissant d'un prêt dépassant un million de dollars, l'approbation de
la société mère de B.________ AG était nécessaire. Cette approbation aurait
été donnée par le responsable de la filiale au sein de A.________
Corporation, deux responsables des crédits ainsi que deux membres du service
juridique de celle-ci.
Par lettre du 7 septembre 2000, C.________ Ltd. et D.________ SA ont été
informées par leur correspondant à New York que selon U.________, agent de
A.________, celle-ci avait changé son nom, mais qu'elle acceptait des
notifications libellées à l'ancien nom, étant donné qu'elle en était encore
l'agent.
Par pli du 27 septembre 2000, le conseil de A.________ Corporation, associé
du conseil actuel de A.________ Corporation et A.________ Company, a accusé
réception de la demande dirigée contre "B.________ AG et A.________ Company
New York".
Par courrier du 2 mars 2001, dont l'en-tête mentionnait: "RE: A.________
Corporation a/k/a A.________ Company (true name)", U.________ a annoncé au
Consulat Général de Suisse de New York qu'elle était l'agent pouvant accepter
la demande pour la compagnie ou les compagnies susmentionnées et que le
document pouvait être notifié chez elle.
Lors de l'audience d'introduction de la cause du 4 octobre 2001, puis par
acte du 3 décembre 2001, B.________ AG et A.________ Corporation ont formé
une demande d'appel en cause de X.________, Y.________ et Z.________, à
laquelle C.________ Ltd. et D.________ SA ne se sont pas opposées.
Par mémoire du 1er novembre 2002, B.________ AG a conclu au déboutement de
C.________ Ltd. et D.________ SA de toutes leurs conclusions.
Dans son mémoire de réponse du 7 novembre 2002, A.________ Corporation a
soulevé, pour la première fois, son défaut de légitimation passive en
exposant qu'elle était simplement une société holding sans activité, qui
fournissait à A.________ Company, sa principale filiale, et à ses autres
filiales, divers services de conseil et coordonnait leurs politiques
générales et activités. Elle a exposé que c'était A.________ Company, qui
représente avec ses propres filiales 75% des actifs de A.________
Corporation, qui supervisait les activités de B.________ AG, ce que
C.________ Ltd. et D.________ SA savaient parfaitement.

C. ________ Ltd. et D.________ SA ont conclu à ce que le Tribunal de première
instance ordonne la rectification des qualités de A.________ Corporation en
A.________ Company, ce que celui-ci a fait par jugement du 29 août 2003.
Statuant par arrêt du 18 juin 2004, la Cour de justice du canton de Genève a
confirmé le jugement du Tribunal de première instance du 29 août 2003. Elle
est partie de l'idée que le Tribunal fédéral ne considérait pas a priori une
substitution de parties comme contraire au principe de l'immutabilité du
litige mais au contraire qu'à certaines conditions restrictives, une erreur
excusable sur la désignation des parties pouvait être corrigée, même si cette
erreur conduisait à une substitution de parties. Elle a considéré qu'en
d'autres termes, une erreur dans la désignation des qualités d'une partie
pouvait être corrigée, même si elle conduisait à la substitution de parties,
pour autant qu'elle soit aisément décelable et rectifiable par la partie
défenderesse ainsi que par le juge, qu'elle n'entraîne qu'un très faible
risque de confusion et qu'elle soit excusable. Elle est parvenue à la
conclusion que dans le cas d'espèce, ces conditions étaient remplies.

C.
A.________ Corporation (la recourante 1) et A.________ Company (la recourante
2) interjettent un recours de droit public au Tribunal fédéral contre l'arrêt
de la Cour de justice du 18 juin 2004, dont elles demandent l'annulation,
avec suite de frais et dépens. Elles se plaignent d'une violation de l'art. 9
Cst., dans la mesure où l'autorité cantonale aurait fait une application
arbitraire du droit cantonal (soit de l'art. 7 de la loi de procédure civile
du canton de Genève, ci-après: LPC/GE) et établi les faits de manière
arbitraire. La décision querellée serait en outre arbitraire dans son
résultat.

C. ________ Ltd. et D.________ SA (les intimées) concluent au rejet du
recours, avec suite de frais et dépens.
Par ordonnance du 29 octobre 2004, le Président de la Cour de céans a fait
droit à la requête d'effet suspensif présentée par les recourantes.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 130 II 65 consid. 1, 321 consid. 1).
Le recours de droit public n'est en principe recevable qu'à l'encontre des
décisions finales prises en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ).
Il l'est contre les décisions préjudicielles et incidentes sur la compétence
et sur les demandes de récusation, prises séparément; ces décisions ne
peuvent être attaquées ultérieurement (art. 87 al. 1 OJ). Le recours de droit
public est recevable contre d'autres décisions préjudicielles et incidentes
prises séparément s'il peut en résulter un préjudice irréparable (art. 87 al.
2 OJ). Lorsque le recours de droit public n'a pas été utilisé, les décisions
préjudicielles et incidentes peuvent être attaquées avec la décision finale
(art. 87 al. 3 OJ). Par préjudice irréparable, la jurisprudence entend un
dommage juridique qui ne peut être réparé ultérieurement, notamment par la
décision finale (ATF 129 III 107 consid. 1.2.1 et les arrêts cités). En
revanche, un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou
un accroissement des frais de celle-ci, n'est pas considéré comme irréparable
(ATF 127 I 92 consid. 1c p. 94 et les arrêts cités).

1.1 Du fait de la décision entreprise, la recourante 1 se voit dénier la
qualité de partie et est par conséquent définitivement écartée de la
procédure, à laquelle elle n'est plus fondée à participer. En particulier, la
recourante 1 n'a plus le droit de recevoir communication des décisions prises
dans le procès. Du fait de cette exclusion de la procédure, le Tribunal
fédéral a qualifié de finale la décision rejetant la demande de constitution
de partie civile dans le procès pénal (cf. ATF 128 I 215 consid. 2.3. p.
217), de même que celle refusant une demande à pouvoir intervenir dans la
procédure de recours devant la juridiction administrative (cf. arrêt
1P.56/2004 du 7 avril 2004 consid. 2.1). Les motifs de ces arrêts sont en
principe transposables au cas de la partie qui, ayant jusqu'alors participé à
la procédure, est remplacée par une autre, de sorte qu'elle est
définitivement écartée de celle-ci. La partie n'a pas le droit de recevoir la
décision finale et est de fait privée de la possibilité de faire
éventuellement valoir, dans la procédure de recours, sa prétention en
allocation de dépens, qu'elle a en principe un intérêt juridiquement protégé
à invoquer en tant que partie défenderesse.
Comme le remplacement de la recourante 1 par la recourante 2 n'a pas mis un
terme au procès, il s'agit d'une décision partielle (cf. ATF 127 I 92 consid.
1a et la référence citée). Compte tenu du principe de l'économie de la
procédure, celle-ci peut faire l'objet d'un recours immédiat, ainsi que le
Tribunal fédéral l'a jugé dans le cas d'une décision partielle mettant
définitivement fin à l'action dirigée contre l'un des consorts (cf. ATF 127 I
92 consid. 1d). Quoi qu'en disent les intimées, cette jurisprudence n'a pas
été modifiée, l'arrêt de la Cour de cassation pénale auquel celles-ci se
réfèrent se rapportant à un cumul objectif et non subjectif d'actions (cf.
ATF 128 I 177 consid. 1.2.2 p. 180).
Dans la mesure où les autres conditions formelles de recevabilité sont en
principe remplies, il convient d'entrer en matière sur le recours de droit
public de la recourante 1.

1.2 Ayant pour effet d'attraire la recourante 2 dans la procédure, l'arrêt
attaqué ne met pas un terme à celle-ci à l'égard de celle-là, qui aurait en
principe la possibilité de recourir contre la décision querellée au motif que
son inclusion dans la procédure violerait ses droits constitutionnels. Il
s'agit d'une décision incidente qui n'a trait ni à la compétence pour statuer
à l'égard de cette partie, ni à des questions liées à la récusation, de sorte
qu'en vertu de l'art. 87 OJ, elle ne peut faire l'objet d'un recours de droit
public qu'à la condition que la recourante 2 encoure un préjudice
irréparable. De ce point de vue, celle-ci fait valoir qu'à supposer que sa
responsabilité soit engagée, il n'est pas exclu que la rectification des
qualités des parties l'empêche de se prévaloir de la prescription. Elle
rappelle que les actes reprochés remontent aux années 1990-1991 et que les
intimées ont ouvert action contre la recourante 1 le 26 septembre 2000, de
sorte qu'il n'est pas indifférent de savoir à quelle date celles-ci sont
réputées avoir ouvert action contre elle et, dès lors, interrompu le délai de
prescription.
Quoi qu'il en soit, des considérations d'économie de la procédure imposent de
renoncer en l'espèce à la condition du préjudice irréparable, comme dans le
cas de décisions refusant ou admettant une demande d'autorisation d'appel en
cause (cf. arrêt 4P.161/2003 du 12 novembre 2003 consid. 1.3.2; 4P.8/2003 du
11 mars 2003 consid. 2.1; 4P.79/1994 du 7 juillet 1994 consid. 1b et l'arrêt
cité). Si l'attraction de la recourante 2 dans la cause en cours ne pouvait
être attaquée qu'à l'issue de l'ensemble de la procédure, celle-ci devrait
alors être recommencée ab initio avec la recourante 1, ce qui non seulement
contreviendrait au principe de l'économie de la procédure, mais encore serait
inéquitable pour les autres parties, en particulier celles qui auraient
obtenu gain de cause (cf. arrêt 4P.161/2003 du 12 novembre 2003 consid.
1.3.2).

Il s'ensuit que le recours de droit public de la recourante 2 est également
recevable, les autres conditions formelles de recevabilité étant en principe
également remplies.

2.
Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne résulte
pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou
même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral n'annulera la décision
attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu'elle se
trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle viole
gravement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou encore lorsqu'elle
heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité (ATF
128 I 273 consid. 2.1 p. 275 et les arrêts cités).

2.1 Il y a substitution de parties lorsque, en cours de procédure, l'une des
parties est remplacée par un tiers. Cette institution se distingue de
l'augmentation du nombre de parties ensuite d'adhésion, en particulier par
intervention, du cumul alternatif ou éventuellement subjectif d'actions,
ainsi que de la simple rectification de la désignation d'une partie, par une
rupture de l'identité subjective des parties (ATF 118 Ia 129 consid. 2a et
les références citées; cf. également 116 V 335 consid. 4b p. 343 s.).
L'admissibilité de la substitution de parties est en principe régie par le
droit cantonal de procédure, sous réserve de règles fédérales particulières
imposant le changement de parties (cf. Hohl, Procédure civile, Tome I,
Introduction et théorie générale, Berne 2001, n. 666 p. 130; Poudret,
Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciaire du 16 décembre 1943,
vol. II, n. 3 ad art. 53 OJ; cf. également Vogel/Spühler, Grundriss des
Zivilprozessrechts und des internationalen Zivilprozessrechts der Schweiz, 7e
éd., Berne 2001, n. 94 ss p. 154 s. et n. 107 ss p. 156).
Comme la Cour de justice le relève sans être contredite, hormis la succession
à cause de mort, la procédure genevoise ne règle pas expressément la
substitution de parties (cf. Bertossa/Gaillard/Guyet/ Schmidt, Commentaire de
la loi de procédure civile du canton de Genève, n. 6 ad art. 1 et n. 3 ad
art. 7 LPC/GE; Mermoud, Loi de procédure civile genevoise annotée, Genève
1988, ad art. 7 al. 1 let. b LPC/GE; cf. également arrêt P.898/1986 du 6
novembre 1986, publié in SJ 1987 p. 22, consid. 3c p. 28). Dans la mesure où
le droit de procédure d'autres cantons règle la substitution volontaire de
parties, il exige au moins le consentement de l'autre partie (cf. ATF 118 Ia
129 consid. 2b).
Si l'accord de toutes les parties concernées ne peut pas être obtenu, seule
la voie de l'intervention est alors de nature à permettre au candidat à la
substitution volontaire de se joindre à la procédure (Hottelier, La
substitution de parties en procédure civile genevoise, in Mélanges en
l'honneur de Henri-Robert Schüpbach, Bâle/Genève/ Munich 2000, p. 199 ss,
spéc. p. 210).
Dans l'arrêt entrepris, la Cour de justice ne part pas de l'idée que la
substitution serait possible sans le consentement des recourantes. Elle
considère toutefois que, dans le cas d'espèce, il ne s'agit que d'une erreur
dans la désignation des qualités des parties, qui peut être corrigée même si
elle conduit à une substitution de parties.

2.2 L'art. 7 al. 1 let. b LPC/GE dispose que l'assignation contient, à peine
de nullité, les nom, prénoms, domicile ou résidence des parties ou, s'il
s'agit d'une personne morale, toute autre désignation précise. Selon une
jurisprudence centenaire de la Cour de justice, cette règle tend à déterminer
l'identité des parties, pour permettre à celui qui reçoit l'acte d'être fixé
d'emblée sur la personne de sa partie adverse. La loyauté exige en effet que
chaque partie connaisse exactement son adversaire (cf. arrêt P.898/1986 du 6
novembre 1986, publié in SJ 1987 p. 22, consid. 3c p. 27; Hotellier, op.
cit., p. 205).
La substitution de parties doit être soigneusement distinguée de la
rectification des qualités des parties. Sur le plan tant théorique que
procédural, les deux notions ne se confondent en effet nullement, en dépit de
l'apparente similarité des termes. Les qualités des parties sont rectifiées
lorsqu'une erreur affecte la dénomination de l'une d'elles, en sorte que les
mentions légales qui permettent en principe d'assurer leur identité ne sont
pas pleinement réalisées. L'hypothèse vise donc le cas d'une simple erreur
rédactionnelle, distincte à ce titre d'une modification formelle du lien
d'instance, et qui peut en conséquence se limiter à faire l'objet d'une
correction par voie prétorienne, sans commander l'annulation de l'acte
qu'elle affecte (Hotellier, op. cit., p. 204 s.).
La distinction peut parfois réserver des difficultés. Il n'en demeure pas
moins que si l'erreur commise s'avère aisément décelable et rectifiable tant
pour la partie adverse que pour le juge, le risque de confusion n'existe pas
et la rectification est alors possible. Dans le cas inverse, c'est la nullité
de l'acte, telle que prévue par l'art. 7 al. 1 let. b LPC/GE, qu'il importe
de prononcer (cf. arrêt P.898/1986 du 6 novembre 1986, publié in SJ 1987 p.
22, consid. 3c p. 28; Hotellier, op. cit., p. 205 s.).
La jurisprudence du Tribunal fédéral repose également sur cette distinction.
C'est ainsi que, dans des cas particuliers, il a été jugé que tout risque de
confusion pouvait être écarté - bien que la désignation erronée se rapporte à
une tierce partie qui existait effectivement - si la véritable débitrice
pouvait être identifiée par l'indication des numéros des séquestres en cause
et du montant des créances en poursuite (cf. arrêt P.898/1986 du 6 novembre
1986, publié in SJ 1987 p. 22, consid. 3c) ou si la partie avait
effectivement su ce qu'elle devait savoir, soit que les prétentions découlant
d'un contrat d'entreprise (mentionnées dans la demande de citation en
conciliation) ne pouvaient concerner qu'elle-même et non la société
mentionnée par erreur (cf. ATF 114 II 335 consid. 3b).

2.3 Dans la présente espèce, la Cour de justice a considéré que l'existence
d'un léger risque de confusion n'excluait pas la rectification. Ce faisant,
elle n'a pas tenu compte de la jurisprudence constante selon laquelle une
rectification n'est possible qu'à la condition que, dans un cas particulier,
tout risque de confusion puisse être exclu. Les recourantes relèvent à juste
titre que, selon la jurisprudence et la doctrine, la rectification vise à
corriger des inexactitudes purement formelles, lorsqu'il n'existe dans
l'esprit du juge et des parties aucun doute raisonnable sur l'identité de
cette partie (cf. Hohl, Procédure civile, Tome II, Organisation judiciaire,
compétence, procédures et voies de recours, Berne 2002, n. 1918 p. 95). Il
s'ensuit que dans la mesure où, dans la décision entreprise, la Cour de
justice se heurte à la pratique constante et aux principes généralement
reconnus en la matière, selon lesquels le moindre doute quant à l'identité
d'une partie doit être exclu, elle a appliqué l'art. 7 let. b LPC/GE de
manière arbitraire.
En effet si, dans un cas d'espèce, la partie adverse peut avoir un doute sur
le point de savoir si c'est elle ou éventuellement une autre personne qui est
attraite en justice, il ne s'agit pas d'une simple inadvertance telle qu'une
erreur de plume. Au contraire, le but de l'art. 7 al. 1 let. b LPC/GE tel
qu'il résulte de la pratique centenaire de la Cour de justice, à savoir
déterminer l'identité des parties dans le but de permettre au destinataire de
l'acte d'être fixé sur la personne de sa partie adverse, est alors méconnu de
manière insoutenable.
Pour qu'une rectification purement rédactionnelle puisse être admise, il faut
avoir la certitude que, compte tenu des circonstances, la partie adverse a
effectivement reconnu l'erreur dans la désignation des qualités des parties
et n'a d'aucune façon été trompée par l'erreur de plume. Conformément aux
principes généraux qui viennent d'être rappelés, des doutes raisonnables,
fussent-ils minimes, excluent qu'il puisse être question d'une simple
rectification rédactionnelle, sous peine de violer le principe de
l'interdiction de l'arbitraire.
Dans la mesure où elle a confirmé le jugement du Tribunal de première
instance, qui avait procédé à la rectification des qualités des parties,
alors qu'elle n'excluait pas qu'il subsiste un doute raisonnable sur
l'identité de la partie attraite en justice, la Cour de justice a commis
arbitraire dans l'application de l'art. 7 al. 1 let. b LPC/GE.

2.4 On ne peut pas déduire des constatations de faits contenues dans l'arrêt
querellé que, compte tenu des circonstances, les recourantes ne pouvaient
avoir aucun doute quant à l'identité des parties contre lesquelles la demande
était dirigée. Ayant été citée comme partie défenderesse, la recourante 1
s'est d'ailleurs annoncée aux autorités américaines de surveillance des
banques. Savoir si elle était tenue de le faire est sans pertinence pour
déterminer si la recourante 1 a effectivement su que ce n'était pas elle,
mais sa filiale qui était attraite en justice. Dès lors qu'aucun élément de
fait ne permet d'affirmer que la recourante 1 aurait agi de mauvaise foi,
l'annonce ne peut être comprise qu'en ce sens que la recourante 1 a
effectivement admis que c'était elle qui était attraite en justice dans le
cadre de la procédure en cause.
En substance, la Cour de justice a considéré que l'objet de la demande en
justice était clairement désigné, celle-ci visant la responsabilité de la
société concernée pour les agissements de membres de ses organes, au
demeurant tous correctement identifiés, dans la supervision de sa filiale
suisse dans le cadre de l'octroi d'un crédit de 300'000'000 USD. La Cour de
justice n'en a pas déduit que la recourante 1 aurait dû se rendre compte du
fait que ce n'était pas elle, mais sa filiale, qui était attraite en justice,
ce d'autant plus que, dans la partie de son arrêt où elle rappelle
l'appartenance des deux recourantes au même groupe économique, elle expose
que celles-ci avaient les mêmes administrateurs siégeant aux conseils des
deux entités ce qui, selon les constatations du Tribunal de première
instance, était également le cas au moment des opérations frauduleuses
invoquées. Même si la créance était déduite d'un défaut de supervision par
les organes de la société mère de B.________ AG, la recourante 1 ne pouvait
pas nécessairement exclure que les intimées, qui décidaient elles-mêmes qui
elles tenaient pour responsables, entendaient l'attraire en justice à tout
autre titre que ce soit.
Enfin, le fait que la recourante 1 ne pouvait pas raisonnablement avoir de
doute quant à savoir que ce n'était pas elle qui était attraite en justice,
mais devait impérativement reconnaître que la recourante 2 était visée comme
partie défenderesse, ne peut pas non plus être déduit des constatations selon
lesquelles les recourantes étaient pleinement conscientes certes pas de la
confusion, mais bien du risque de confusion, dans la mesure où elles étaient
assistées en Suisse par le même bureau d'avocats, lequel avait accusé
réception de la demande visant la société holding en indiquant qu'il agissait
pour le compte de la filiale effectivement concernée par la demande, ni du
fait de l'appartenance des deux recourantes au même groupe économique. La
Cour de justice n'a d'ailleurs pas non plus tiré cette conclusion, mais est
partie de l'idée qu'il existait un risque de confusion, qu'elle a toutefois
qualifié de marginal.

2.5 Il résulte de ce qui précède qu'en procédant à une rectification en dépit
du fait qu'il existait un doute sur l'identité des parties, les autorités
cantonales ont appliqué l'art. 7 al. 1 let. b LPC/GE de manière arbitraire,
dans la mesure où cela revient à admettre un cas de substitution de parties
exclu tant par la loi de procédure cantonale que par les principes généraux
reconnus en la matière. En conséquence, le recours doit être admis et l'arrêt
attaqué annulé.

3.
Compte tenu de l'issue du litige, les frais et dépens seront supportés par
les intimées C.________ Ltd. et D.________ SA, solidairement entre elles
(art. 156 al. 1 et 7, ainsi que 159 al. 1 et 5 OJ), à l'exclusion des autres
parties à la procédure au fond, qui ne sont pas impliquées dans la présente
procédure de recours devant le Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.

2.
Un émolument judiciaire de 30'000 fr. est mis à la charge des intimées
C.________ Ltd. et D.________ SA, solidairement entre elles.

3.
Les intimées C.________ Ltd. et D.________ SA, débitrices solidaires,
verseront aux recourantes, créancières solidaires, une indemnité de 35'000
fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Chambre civile
de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 17 novembre 2004

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.200/2004
Date de la décision : 17/11/2004
1re cour civile

Analyses

Art. 87 OJ; recevabilité du recours de droit public. Le recours de droit public est recevable contre une décision par laquelle une partie ayant jusqu'alors participé à la procédure est remplacée par une autre (consid. 1). Art. 9 Cst.; procédure civile (art. 7 LPC/GE); substitution de parties et rectification des qualités des parties. La substitution de parties doit être soigneusement distinguée de la rectification des qualités des parties, hypothèse qui vise le cas d'une simple erreur rédactionnelle et n'est possible que si tout risque de confusion peut être exclu (consid. 2).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2004-11-17;4p.200.2004 ?
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