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10/11/2004 | SUISSE | N°6S.124/2004

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 10 novembre 2004, 6S.124/2004


{T 0/2}
6S.124/2004 /rod

Séance du 10 novembre 2004
Cour de cassation pénale

MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger, Kolly, Karlen et Zünd.
Greffière: Mme Paquier-Boinay.

X. ________,
recourant, représenté par Me Aba Neeman, avocat,

contre

Ministère public du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne.

Insoumission à une décision de l'autorité (art. 292 CP),

pourvoi en nullité contre l'arrêt de la Cour de cassation pénale du Tribunal

cantonal vaudois du 8 décembre 2003.

Faits:

A.
X. ________ est administrateur unique de la société "Fiduciaire et...

{T 0/2}
6S.124/2004 /rod

Séance du 10 novembre 2004
Cour de cassation pénale

MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger, Kolly, Karlen et Zünd.
Greffière: Mme Paquier-Boinay.

X. ________,
recourant, représenté par Me Aba Neeman, avocat,

contre

Ministère public du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne.

Insoumission à une décision de l'autorité (art. 292 CP),

pourvoi en nullité contre l'arrêt de la Cour de cassation pénale du Tribunal
cantonal vaudois du 8 décembre 2003.

Faits:

A.
X. ________ est administrateur unique de la société "Fiduciaire et Gérance
X.________ SA". Cette société s'est vu confier par l'Office des poursuites
d'Yverdon-Orbe la gérance légale d'un immeuble. Malgré plusieurs lettres et
appels téléphoniques, X.________ ou sa société n'ont jamais fourni à l'office
des poursuites les renseignements sollicités sur la gérance ainsi que sur la
comptabilité relative aux encaissements et paiements effectués. Par courrier
du 27 septembre 2002, l'office des poursuites a fixé à "Fiduciaire et Gérance
X.________ SA" un ultime délai au 4 octobre 2002 pour transmettre la
comptabilité relative à l'immeuble saisi, pour verser les loyers nets
encaissés depuis fin mars 2002 et pour remettre les baux à loyer, le tout
sous la menace des peines d'arrêts et d'amende prévus à l'article 292 CP.
X.________ ne s'étant pas exécuté, une plainte a été déposée le 16 octobre
2002.

B.
Par jugement du 10 octobre 2003, le Tribunal de police de l'arrondissement de
l'Est vaudois a condamné X.________ pour insoumission à une décision de
l'autorité à 20 jours d'arrêts avec sursis pendant un an.

C.
Le 8 décembre 2003, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois
a rejeté le recours formé par X.________ contre ce jugement, qu'elle a
confirmé.
La cour cantonale a estimé en premier lieu que la commination adressée à la
société était valable pour ses organes et que X.________, qui est
l'administrateur unique de la société, était le seul destinataire possible de
la commination. Elle a en outre admis que les exigences contenues dans la
lettre comminatoire étaient suffisamment précises et les conséquences
exposées de manière satisfaisante puisque la teneur intégrale de l'art. 292
CP y était reproduite. Enfin, comme X.________ intervenait sur la base d'un
mandat, il n'était pas à assimiler à un fonctionnaire ou une autorité de
poursuite et le moyen de contrainte réservé à l'art. 292 CP lui est à
l'évidence applicable.

D.
X.________ se pourvoit en nullité contre cet arrêt. Invoquant une violation
de l'art. 292 CP, il conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation
de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour
qu'elle statue à nouveau.
Le recourant sollicite en outre l'assistance judiciaire.

E.
Invité à présenter des observations, le Ministère public a conclu au rejet du
recours, notamment au motif que le recourant ne fait pas partie des personnes
visées par l'art. 14 LP et n'est donc pas passible des sanctions
disciplinaires prévues par cette disposition.
Pour sa part, l'autorité cantonale a renoncé à se déterminer sur le pourvoi,
se référant aux considérants de son arrêt.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recourant reproche à l'autorité cantonale d'avoir violé l'art. 292 CP.

Conformément à cette disposition, celui qui ne se sera pas conformé à une
décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue audit article,
par une autorité ou un fonctionnaire compétents, sera puni des arrêts ou de
l'amende.

Le recourant soutient en premier lieu que la commination n'était pas valable
car elle ne lui était pas adressée personnellement mais avait pour
destinataire la société anonyme dont il est administrateur unique.

S'agissant du destinataire de l'injonction, la doctrine admet que celle-ci ne
saurait viser tout un chacun (Corboz, Les infractions en droit suisse, Volume
II, Berne 2002, n. 3 ad art. 292 CP), mais qu'elle doit s'adresser soit à une
personne, soit à un cercle donné de personnes. Il n'est pas nécessaire que
celles-ci soient désignées nommément, mais il faut au moins que le
destinataire, qu'il s'agisse d'une personne ou d'un cercle de personnes,
puisse être déterminé (Trechsel, Kurzkommentar StGB, 2e éd., Zurich 1997, n.
3 ad art. 292; Donatsch/Wohlers, Strafrecht IV, 3ème éd., Zurich 2004, p.
337) sans difficulté et avec certitude (Riedo, Basler Kommentar II, art. 292
n. 44). Selon Peter Stadler (Ungehorsam gegen amtliche Verfügungen, thèse,
Zurich 1990, p. 75), il doit en outre s'agir d'une personne physique, qui
peut être membre d'un cercle donné, par exemple un organe d'une personne
morale.
Selon la jurisprudence, il suffit que les indications contenues dans la
commination permettent de déterminer quelles sont les personnes visées. Il
est évident que seule une personne physique peut être astreinte à un certain
comportement, tout comme seule une personne physique peut être menacée des
sanctions pénales prévues à l'art. 292 CP. Ainsi, lorsque la menace de la
mise en application de l'art. 292 CP est adressée à une personne morale, il
faut considérer que l'injonction s'adresse à la personne physique qui, en
tant qu'organe de la société, a la compétence de prendre des décisions au nom
de celle-ci et de les communiquer à des tiers (ATF 78 IV 237, p. 239 s.). Si
une imprécision dans la désignation du destinataire a pour conséquence que
celui-ci n'est pas conscient de l'injonction qui lui est faite, il faut
renoncer à appliquer l'art. 292 CP dont l'élément subjectif n'est pas réalisé
faute d'intention. Si en revanche le destinataire connaissait l'injonction,
il ne se justifie pas de le libérer pour la seule raison qu'il a été désigné
autrement que par son nom (ATF 78 IV 237, p. 239).
Dans son mémoire, le recourant se plaint d'une violation des principes
dégagés par la jurisprudence au motif que la commination était adressée à la
société anonyme sans qu'ait été cité le nom de la personne directement visée.
Il ne prétend toutefois pas qu'il n'aurait pas eu connaissance de
l'injonction qui lui a été adressée, ni qu'il aurait pensé qu'elle était
destinée à quelqu'un d'autre, ni même qu'il y aurait eu un risque de
confusion sur la personne du destinataire. Par ailleurs, il ressort des
constatations de fait de l'arrêt attaqué, qui lient le Tribunal fédéral saisi
d'un pourvoi en nullité (art. 277bis al. 1 PPF), que la commination adressée
à la société anonyme n'a pas eu d'autre destinataire que le recourant, qui
est l'administrateur unique de cette société. Dans ces circonstances, force
est de constater que le fait que la commination ait été formellement adressée
à la société gérée par le recourant ne laissait planer aucun doute sur le
fait que c'était bien à celui-ci qu'était destinée l'injonction qu'elle
contenait. Cela suffit pour que l'on doive considérer qu'elle a été
valablement signifiée au recourant. Ce premier grief est donc mal fondé.

2.
Le recourant reproche en outre à l'autorité cantonale d'avoir considéré à
tort que la lettre comminatoire qui lui avait été adressée satisfaisait aux
exigences relatives au contenu de la menace. Selon le recourant, l'autorité
l'a simplement averti qu'elle se réservait le droit de porter plainte, sans
faire expressément référence à la menace des peines d'arrêts et d'amende
prévues à l'art. 292 CP, en se limitant à un simple renvoi à cette
disposition retranscrite en bas de page du courrier comminatoire.
Conformément à l'art. 292 CP, l'insoumission à une décision de l'autorité
n'est punissable que si la commination a été signifiée sous la menace de la
peine prévue par cette disposition. La notification de l'injonction doit
indiquer avec précision les sanctions auxquelles le destinataire s'expose
s'il n'obtempère pas. Il ne suffit pas de se référer à l'art. 292 CP ou de
parler de sanctions pénales. Il faut indiquer précisément qu'une insoumission
est, en vertu de l'art. 292 CP, passible des arrêts ou de l'amende (ATF 105
IV 248 consid. 1; voir également ATF 124 IV 297 consid. 4e, p. 312).
En l'espèce, il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que la lettre
comminatoire reproduit intégralement le texte de l'art. 292 CP, ce qui suffit
manifestement pour que l'on doive admettre que le recourant devait savoir que
s'il n'obtempérait pas il s'exposait à une peine d'arrêts ou d'amende. Ce
grief est donc également mal fondé.

3.
L'application de l'art. 292 CP suppose notamment que l'auteur ne se soit "pas
conformé à une décision à lui signifiée".
La définition de la décision au sens de l'art. 292 CP est la même que celle
qui a été développée en droit administratif (Riedo, op. cit., art. 292 n.
36). Il doit donc s'agir d'une décision concrète de l'autorité, prise dans un
cas particulier et à l'égard d'une personne déterminée et qui a pour objet de
régler une situation juridique de manière contraignante (voir Riedo, op.
cit., n. 37; Häfelin/Müller, Allgemeines Verwaltungsrecht, 4e éd., p. 178 n°
854). La décision a pour objet de régler la situation d'administrés en tant
que sujets de droit et donc, à ce titre, distincts de la personne étatique
ou, en d'autres termes extérieurs à l'administration. On oppose dans ce
contexte la décision à l'acte interne, ou d'organisation, qui vise des
situations à l'intérieur de l'administration (Moor, Droit administratif II,
2e éd., n° 2.1.2.3, p. 164). Deux critères permettent de déterminer si on a
affaire à une décision ou à un acte interne. D'une part l'acte interne n'a
pas pour objet de régler la situation juridique d'un sujet de droit en tant
que tel et d'autre part le destinataire en est l'administration elle-même,
dans l'exercice de ses tâches. Ainsi, un acte qui affecte les droits et
obligations d'un fonctionnaire en tant que sujet de droit, par exemple la
fixation de son salaire, d'indemnités diverses ou encore de sanctions
disciplinaires, est une décision. En revanche, un acte qui a pour objet
l'exécution même des tâches qui lui incombent en déterminant les devoirs
attachés au service, tel que la définition du cahier des charges ou des
instructions relatives à la manière de trancher une affaire, est un acte
interne juridique (voir ATF 121 II 473, p. 478 s.; Moor, op. cit. loc. cit.,
Häfelin/Müller, op. cit., p. 181 n° 867 et les références citées).
Lorsque la commination n'est pas une décision, telle qu'elle vient d'être
définie, mais un acte interne, ce sont les mesures disciplinaires ou autres
moyens de contrainte ressortissant aux règles régissant les rapports internes
qui s'appliquent (ATF 124 III 170 consid. 6, p. 175 et l'arrêt cité; Riedo,
op. cit., art. 292 n. 46; Corboz, op. cit., n. 4 ad art. 292 CP; Peter
Stalder, op. cit., p. 75; Walter Eigenmann, Die Androhung von
Ungehorsamsstrafen durch den Richter, thèse, Zurich 1964, p. 18; Schwander,
Von den Ungehorsamsdelikten, ZSGV 1950, p. 417).
Peut demeurer ouverte la question de savoir si les sanctions prévues par
l'art. 292 CP peuvent être appliquées s'agissant d'un acte adressé par une
collectivité publique à une autre collectivité publique (cf. Heinrich Andreas
Müller, Der Verwaltungszwang, thèse Zurich 1975, p. 141 s.).
En l'espèce, la commination adressée au recourant avait pour objet la
fourniture de renseignements et de pièces comptables relatifs à des travaux
de gérance qu'il effectuait sur la base d'un contrat de gérance légale qui
lui avait été confié par l'office des poursuites et faillites. Le contenu
d'un tel mandat est déterminé de manière précise et détaillée par les
dispositions sur la gérance (art. 17 et 18 de l'ordonnance du Tribunal
fédéral du 23 avril 1920 sur la réalisation forcée des immeubles; ORFI; RS
281.42), qui prévoient notamment que celle-ci comprend la commande et le
paiement de petites réparations, le renouvellement des assurances usuelles,
la résiliation des baux, la rentrée des loyers au besoin par voie de
poursuites, de sorte que l'on se trouve dans un domaine qui fait l'objet
d'une réglementation détaillée de droit public. Ainsi, le tiers chargé de la
gérance légale doit être considéré comme un auxiliaire de l'office, dont le
mandat est régi pour l'essentiel par le droit fédéral de la poursuite (ATF
129 III 400 consid. 1.2 et 1.3). Par ailleurs, on peut encore noter qu'il
doit être considéré également comme un auxiliaire susceptible d'engager la
responsabilité du canton en vertu de l'art. 5 al. 1 LP (Amonn/Walther,
Grundriss des Schuldbetreibungs- und Konkursrechts, 7e éd., Berne 2003, § 5
n. 11).
Dans ces circonstances, il y a lieu d'admettre que la commination litigieuse
avait trait à l'exécution de tâches administratives et constituait ainsi un
acte interne et non une décision au sens de l'art. 292 CP, qui ne peut donc
trouver application, l'un des éléments constitutifs de cette disposition
n'étant pas réalisé.
Il faut encore noter que l'exclusion de la possibilité de réprimer en
application de l'art. 292 CP un comportement comme celui du recourant n'a pas
pour conséquence de lui assurer l'impunité. En effet, ainsi que cela a été
relevé, un tel comportement dans le cadre de relations internes est à
sanctionner par la mise en oeuvre de règles disciplinaires. En matière de
poursuite pour dettes et faillite, celles-ci sont régies par l'art. 14 al. 2
LP. Le critère déterminant pour la soumission au droit disciplinaire étant
l'accomplissement de tâches de droit public attribuées par le droit fédéral
de l'exécution forcée à des autorités ou organes que les cantons doivent
instituer et organiser (Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la
poursuite pour dettes et la faillite, n. 24 ad art. 14 LP), cette disposition
est applicable au recourant, qui a agi en tant qu'auxiliaire de l'office des
poursuites et faillites.
Dès lors que la condamnation du recourant en application de l'art. 292 CP
procède d'une violation du droit
fédéral, le pourvoi doit être admis.

4.
Vu l'issue de la procédure, il ne sera pas perçu de frais (art. 278 al. 2
PPF) et une indemnité de 3'000 fr. sera versée au recourant (art. 278 al. 3
PPF); il n'y a par conséquent pas lieu de statuer sur la requête d'assistance
judiciaire.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le pourvoi est admis.

2.
L'arrêt attaqué est annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour
qu'elle statue à nouveau.

3.
Il n'est pas perçu de frais.

4.
La Caisse du Tribunal fédéral versera au recourant une indemnité de 3'000 fr.
à titre de dépens.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, à la
Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal et au Ministère public du
canton de Vaud.

Lausanne, le 10 novembre 2004

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6S.124/2004
Date de la décision : 10/11/2004
Cour de cassation pénale

Analyses

Art. 292 CP; insoumission à une décision de l'autorité. La commination adressée par l'Office des poursuites et faillites à un tiers chargé par ledit office d'un mandat de gérance légale n'est pas une décision au sens de l'art. 292 CP, de sorte que cette disposition n'est pas applicable dans ce contexte (consid. 3).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2004-11-10;6s.124.2004 ?
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