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06/10/2004 | SUISSE | N°4P.117/2004

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 06 octobre 2004, 4P.117/2004


{T 0/2}
4P.117/2004 /ech

Arrêt du 6 octobre 2004
Ire Cour civile

MM. et Mmes les Juges Corboz, président, Klett, Rottenberg Liatowitsch, Favre
et Kiss.
Greffier: M. Carruzzo.

A.________ B.V.,
recourante, représentée par Me Teresa Giovannini, avocate,

contre

B.________,
intimée, représentée par Mes Bernard Lachenal et Carole van de Sandt, avocats
Tribunal arbitral CCI, à Genève,

arbitrage international; droit d'être entendu; ordre public,

recours de droit public contre la se

ntence du Tribunal arbitral CCI du 24
mars 2004.

Faits:

A.
Par contrat du 3 février 1998, B.________, soci...

{T 0/2}
4P.117/2004 /ech

Arrêt du 6 octobre 2004
Ire Cour civile

MM. et Mmes les Juges Corboz, président, Klett, Rottenberg Liatowitsch, Favre
et Kiss.
Greffier: M. Carruzzo.

A.________ B.V.,
recourante, représentée par Me Teresa Giovannini, avocate,

contre

B.________,
intimée, représentée par Mes Bernard Lachenal et Carole van de Sandt, avocats
Tribunal arbitral CCI, à Genève,

arbitrage international; droit d'être entendu; ordre public,

recours de droit public contre la sentence du Tribunal arbitral CCI du 24
mars 2004.

Faits:

A.
Par contrat du 3 février 1998, B.________, société ayant son siège à
Guernesey, a vendu à A.________ B.V. (ci-après: A.________), société
domiciliée à Rotterdam, le 51% du capital-actions de C.________ SA (ci-après:
C.________; anciennement: V.________), société dont le siège est à Genève et
qui avait acquis, en 1994, une participation majoritaire dans la société
D.________, laquelle exploitait une usine de production d'huiles
alimentaires.
A la même date, les parties ont signé une convention d'actionnaires. L'art. 7
de ladite convention conférait à B.________ le droit de vendre à A.________
la totalité des actions de C.________ encore détenues par elle (put option).
Le prix de vente des actions devait correspondre à la "fair market value"
("juste valeur marchande"), qui serait fixée par un expert indépendant en
fonction de critères préétablis. La convention d'actionnaires, soumise au
droit suisse, contenait une clause d'arbitrage prévoyant de soumettre tout
différend en découlant à un tribunal arbitral ayant son siège à Genève.
Le 5 avril 2001, B.________ a exercé son option de vente portant sur 49
actions de C.________. Les parties se sont mises d'accord pour confier à la
fiduciaire E.________ le soin de déterminer la fair market value des titres
vendus. Déposé le 9 juillet 2001, le rapport d'évaluation établi par
E.________ n'a pas permis d'aplanir les divergences des cocontractants quant
à la valeur desdites actions.

B.
Le 26 septembre 2001, B.________ a adressé à la Cour d'arbitrage de la
Chambre de commerce internationale (CCI) une demande d'arbitrage, dirigée
contre A.________, en vue d'obtenir le paiement de 35'600'000 US$, avec
intérêts moratoires à 5% l'an dès le 19 juillet 2001. La demanderesse a
encore pris d'autres conclusions tendant à l'indemnisation de son dommage
supplémentaire.
Alors que la procédure arbitrale était pendante, les parties ont conclu, le
22 février 2002, un accord prévoyant le transfert, par B.________ à
A.________, des 49 actions de C.________, avec effet au 28 du même mois; le
paiement, par A.________, d'un montant de 27'000'000 US$ à valoir sur le prix
de vente des titres; la remise, par A.________, à B.________ d'une garantie
bancaire d'un montant maximum de 12'000'000 US$; enfin, la poursuite de la
procédure arbitrale pour la fixation du prix définitif des actions vendues.
Dans ses dernières conclusions, B.________ a notamment invité le Tribunal
arbitral à condamner A.________ à lui payer la somme qu'il fixerait pour la
vente des 49 actions de C.________ ainsi que les intérêts à 5% l'an dès le 28
février 2002 sur la différence entre ce prix et l'acompte versé à la même
date.
Le 24 mars 2004, le Tribunal arbitral, composé de trois membres, statuant à
l'unanimité, a rendu une sentence partielle au terme de laquelle il a fixé le
prix des 49 actions de C.________ à 73'100'000 US$ (ch. VI du dispositif),
somme, augmentée de l'intérêt moratoire à 5% dès le 1er mars 2002, que
A.________ a été condamnée à payer à B.________, sous déduction de l'acompte
de 27'000'000 US$ versé le 28 février 2002 et sous imputation provisoire du
montant de 855'556,17 US$ correspondant à une prétention - litigieuse -
opposée en compensation par la défenderesse (ch. VII du dispositif).

C.
Le 17 mai 2004, A.________ a formé un recours de droit public, au sens de
l'art. 85 let. c OJ. Invoquant les motifs de recours prévus par l'art. 190
al. 2 let. a, d et e LDIP, elle demande au Tribunal fédéral d'annuler la
sentence arbitrale du 24 mars 2004.
L'intimée et le Tribunal arbitral concluent au rejet du recours.
Par ordonnance du 23 juillet 2004, le président de la Ire Cour civile a
accordé l'effet suspensif au recours.
En date du 14 mai 2004, B.________ avait, elle aussi, déposé un recours de
droit public en vue d'obtenir l'annulation des chiffres VI et VII du
dispositif de la même sentence. Parallèlement, elle avait adressé, le 7 avril
2004, à la CCI une requête en rectification de ladite sentence. Par un
addendum du 27 juillet 2004, notifié le 18 août 2004 aux parties, le Tribunal
arbitral, admettant partiellement la requête, a fixé le prix des 49 actions
de C.________ à 107'500'000 US$ et rectifié en conséquence les chiffres VI et
VII du dispositif de la sentence partielle du 24 mars 2004. Sur quoi,
B.________ a retiré son recours de droit public par lettre du 20 août 2004.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Selon l'art. 85 let. c OJ, le recours de droit public au Tribunal fédéral
est ouvert contre une sentence arbitrale aux conditions des art. 190 ss LDIP.

La clause compromissoire insérée dans la convention d'actionnaires du 3
février 1998 fixe le siège du Tribunal arbitral en Suisse (à Genève) et l'une
des parties au moins (en l'occurrence les deux) n'avait, au moment de la
conclusion de cette convention d'arbitrage, ni son domicile ni sa résidence
habituelle en Suisse; les art. 190 ss LDIP sont donc applicables (art. 176
al. 1 LDIP), étant observé que les parties n'en ont pas exclu l'application
par écrit en choisissant d'appliquer exclusivement les règles de la procédure
cantonale en matière d'arbitrage (art. 176 al. 2 LDIP).

Le recours au Tribunal fédéral prévu par l'art. 191 al. 1 LDIP est ouvert,
puisque les parties n'ont pas choisi, en lieu et place, le recours à
l'autorité cantonale (art. 191 al. 2 LDIP) et qu'elles ne l'ont pas non plus
exclu conventionnellement (cf. art. 192 al. 1 LDIP).

Directement touchée par la sentence attaquée, qui la condamne à verser une
importante somme d'argent à l'intimée, la recourante a un intérêt personnel,
actuel et juridiquement protégé à ce que cette sentence n'ait pas été rendue
en violation des garanties découlant de l'art. 190 al. 2 LDIP, ce qui lui
confère la qualité pour recourir (art. 88 OJ). Elle a, par ailleurs, agi en
temps utile (art. 89 al. 1 OJ en liaison avec l'art. 34 al. 1 let. a OJ),
dans la forme prévue par la loi (art. 90 al. 1 OJ), en invoquant trois des
différents motifs énumérés de manière exhaustive à l'art. 190 al. 2 LDIP (ATF
128 III 50 consid. 1a p 53; 127 III 279 consid. 1a p. 282; 119 II 380 consid.
3c p. 383) et en exposant de façon circonstanciée les raisons pour lesquelles
elle considère que chacun de ces trois motifs doit entraîner l'annulation de
la sentence (ATF 128 III 50 consid. 1c; 127 III 279 consid. 1c; 117 II 604
consid. 3 p. 606).
Le présent recours apparaît ainsi formellement recevable. Il reste à examiner
si la nature de la sentence attaquée s'oppose à l'entrée en matière.

1.2 Le Tribunal arbitral a statué définitivement sur l'une des diverses
prétentions litigieuses. Ce faisant, il a rendu une sentence partielle
proprement dite, désignée aussi par l'expression sentence partielle stricto
sensu (sur cette notion, cf. ATF 128 III 191 consid. 4a et les références).

1.2.1 Pareille sentence ne peut être attaquée, selon la jurisprudence, que si
elle cause à l'intéressé un dommage irréparable ou si le recourant fait
valoir l'un des moyens prévus à l'art. 190 al. 2 let. a et b LDIP, pour
autant, dans cette dernière hypothèse, que le moyen ne soit pas manifestement
irrecevable ou manifestement mal fondé, s'il est invoqué en même temps que
l'un des autres motifs visés à l'art. 190 al. 2 LDIP, et qu'il n'ait pas pu
être soulevé antérieurement (ATF 116 II 80 consid. 3b).

Cette jurisprudence, fondée sur l'application de l'art. 87 OJ (cf. ATF 115 II
288 consid. 2b), valait non seulement pour les sentences partielles
proprement dites, mais aussi pour les sentences préjudicielles ou incidentes,
qui règlent des questions préalables de fond ou de procédure (sur ces notions
et sur la terminologie allemande correspondante, voir l'ATF 128 III 191
consid. 4a et les références; cf. également l'ATF 130 III 76 consid. 3.1 et
les auteurs cités), les deux catégories de sentences étant regroupées sous le
nom générique de sentences partielles lato sensu (ATF 116 II 80 consid. 3b).
Il en découlait, entre autres conséquences, que, dans un recours de droit
public dirigé contre une sentence préjudicielle ou incidente susceptible de
lui causer un dommage irréparable, le recourant pouvait soulever les moyens
prévus à l'art. 190 al. 2 let. c-e LDIP (dernier arrêt cité, ibid.).

Après avoir expressément laissé ouverte la question du maintien de sa
jurisprudence touchant la recevabilité du recours de droit public contre les
sentences préjudicielles ou incidentes (voir les arrêts cités in ATF 130 III
76 consid. 3.2.1 p. 81), le Tribunal fédéral a modifié cette jurisprudence,
dans un arrêt du 18 septembre 2003, en ce sens que, désormais, seuls les
motifs prévus à l'art. 190 al. 2 let. a (désignation irrégulière de l'arbitre
unique et composition irrégulière du tribunal arbitral) et b (compétence
admise ou niée à tort par le tribunal arbitral) LDIP pourront être invoqués à
l'appui d'un recours de droit public dirigé contre de telles sentences (ATF
130 III 76 consid. 4.6). En d'autres termes, il a exclu que celles-ci
puissent être annulées pour l'un des motifs énoncés à l'art. 190 al. 2 let.
c-e LDIP, qu'il puisse en résulter ou non un dommage irréparable pour
l'intéressé. Ce changement de jurisprudence, la Ire Cour civile l'a justifié
par diverses raisons. Elle s'est notamment fondée sur le texte de l'art. 190
al. 3 LDIP en précisant que les dispositions sur la recevabilité du recours
de droit public dirigé contre une sentence arbitrale internationale (art. 190
ss LDIP) constituent une lex specialis par rapport aux dispositions
parallèles de la loi fédérale d'organisation judiciaire, tel l'art. 87 (arrêt
cité, consid. 4.5).

Ce dernier motif commande de soumettre à un nouvel examen la jurisprudence
actuelle touchant la recevabilité du recours de droit public exercé contre
une sentence partielle proprement dite rendue dans le cadre d'un arbitrage
international.

1.2.2 L'assimilation des sentences partielles à des décisions incidentes au
sens de l'art. 87 OJ, telle qu'elle est faite par le Tribunal fédéral depuis
une quinzaine d'années, a suscité de nombreuses critiques au sein de la
doctrine. Un précédent arrêt, rendu dans un autre contexte, s'en est déjà
fait l'écho (ATF 127 I 92 consid. 1b et les références). Il est vrai que les
auteurs qui se sont penchés sur la question rejettent à la quasi-unanimité
semblable assimilation (cf., parmi d'autres: Jean-François Poudret/Sébastien
Besson, Droit comparé de l'arbitrage international, p. 752 ss, n. 776 s.;
Jean-François Poudret, La recevabilité du recours au Tribunal fédéral contre
la sentence partielle de l'art. 188 LDIP, in JdT 1990 I p. 354 ss; Bernard
Dutoit, Commentaire de la loi fédérale du 18 décembre 1987, 3e éd., n. 3 ad
art. 188; Anton Heini, in Commentaire zurichois, 2e éd., n. 5 ad art. 188
LDIP et n. 12 ad art. 190 LDIP; Markus Wirth, in Commentaire bâlois, n. 28-31
ad art. 188 LDIP; Stephen Berti/Anton K. Schnyder, in Commentaire bâlois, n.
22 ad art. 190 LDIP; Thomas Rüede/Reimer Hadenfeldt, Schweizerisches
Schiedsgerichtsrecht, 2e éd., p. 367; Walther J. Habscheid, Schweizerisches
Zivilprozess- und Gerichtsorganisationsrecht, 2e éd., n. 939, p. 571; Cesare
Jermini, Die Anfechtung der Schiedssprüche im internationalen Privatrecht,
thèse Zurich 1997, p. 55 ss, n. 115 ss, spéc. n. 129 et 140; Hans Peter
Walter, Praktische Probleme der staatsrechtlichen Beschwerde gegen
internationale Schiedsentscheide [Art. 190 IPRG], in Bull. ASA 2001, p. 2 ss,
13; apparemment d'un autre avis: François Knoepler/Philippe Schweizer,
Arbitrage international, 2003, p. 21, n. 3, les deux auteurs qualifiant
toutefois de discutable l'application de l'art. 87 OJ au recours de l'art.
190 OJ). Il convient de leur emboîter le pas pour les raisons indiquées
ci-après.
Comme le professeur Poudret l'a clairement démontré de longue date, la
jurisprudence incriminée introduit une restriction à la recevabilité du
recours empruntée à une voie de droit particulière, qui lui est étrangère.
Elle transpose, en effet, la solution adoptée pour l'arbitrage concordataire
à l'arbitrage international, sans tenir compte de la différence essentielle
existant entre les deux types d'arbitrage quant à l'objet du recours de droit
public, à savoir l'arrêt cantonal consécutif à un recours en nullité (art. 36
CIA), dans le premier, la sentence elle-même (art. 190 al. 2 LDIP) dans le
second (op. cit., p. 356). En réalité, tout indique, ainsi que cela ressort
des considérations émises par le Tribunal fédéral dans sa dernière
jurisprudence relative aux sentences préjudicielles ou incidentes (cf.,
ci-dessus, le consid. 1.2.1 in fine), que le législateur a entendu régler de
manière spécifique et autonome la recevabilité du recours de droit public
dirigé contre une sentence arbitrale internationale. Il a ainsi consacré une
disposition topique - l'art. 188 LDIP - à la sentence partielle stricto sensu
rendue dans ce domaine. Cette disposition constitue une lex specialis par
rapport à l'art. 87 OJ ( dans ce sens, cf. Walter, op. cit., p 13; voir
aussi: Poudret/Besson, op. cit., p. 754, n. 776; Heini, op. cit., n. 5 ad
art. 188 LDIP), si bien que rien ne justifie de soumettre la recevabilité du
recours de droit public visant une sentence partielle proprement dite aux
conditions fixées par la disposition générale de la loi fédérale
d'organisation judiciaire pour la recevabilité du recours
de droit public
dirigé contre une décision préjudicielle ou incidente. On conçoit mal, au
demeurant, d'un point de vue systématique, que puissent coexister deux
régimes distincts pour la recevabilité du recours de droit public contre les
sentences partielles lato sensu - l'un excluant l'application de l'art. 87 OJ
pour les sentences préjudicielles ou incidentes, conformément à la nouvelle
jurisprudence en la matière, l'autre l'imposant pour les sentences partielles
proprement dites, dans le droit fil de la jurisprudence actuelle - alors que
les deux types de sentences que recouvre cette notion ont toujours été
traités de la même manière sous l'angle de l'art. 87 OJ. Cela ajouterait
encore à l'insécurité juridique créée par la jurisprudence contestée, dont le
manque de lisibilité n'est pas le moindre défaut (cf., sur ce dernier point,
la remarque de Rüede/Hadenfeldt, op. cit., p. 367, note 35). Au contraire, il
est souhaitable d'harmoniser et de simplifier le système des voies de recours
contre les sentences arbitrales internationales.
La solution préconisée a aussi le mérite de répondre à l'attente des parties
et des praticiens, qui voient dans l'institution de la sentence partielle, au
sens de l'art. 188 LDIP, un instrument utile, pour peu qu'il soit utilisé à
bon escient, et qui préfèrent que les chefs de demande tranchés séparément,
voire exécutés, ne puissent plus être remis en question par la suite (cf.
Poudret/Besson, ibid.; Walter, ibid.). L'économie de la procédure y trouvera
généralement son compte. Sauf convention contraire des parties, il
appartient, en effet, au tribunal arbitral de décider s'il est opportun de
vider définitivement, y compris avec un recours éventuel, certains objets du
litige. Si ceux-ci sont indépendants des autres objets restant à trancher, un
tel recours ne sera pas de nature à suspendre ou à retarder la suite de la
procédure (Poudret, op. cit., p. 358) et la sentence partielle pourra servir,
le cas échéant, de prélude à un processus d'arrangement (Knoepfler/
Schweizer, op. cit., p. 22, ch. 6). En tout état de cause, il ne serait guère
justifiable de sacrifier l'utilité de la sentence partielle à la décharge du
Tribunal fédéral (Poudret, op. cit., p. 359) et encore moins d'ériger cette
dernière exigence en critère d'interprétation de la loi. Au demeurant, si
l'effet dissuasif des frais et dépens afférents à la procédure de recours
fédérale reste à démontrer, le surcroît de travail qu'imposera au Tribunal
fédéral l'entrée en matière sans restriction sur les sentences partielles
proprement dites sera quelque peu compensé non seulement par le fait que les
motifs de recours susceptibles d'être invoqués contre les sentences
préjudicielles ou incidentes ont été sensiblement restreints par la nouvelle
jurisprudence, mais encore par l'économie de temps qui pourra être réalisée
dans l'examen des conditions de recevabilité des recours dirigés contre des
sentences partielles stricto sensu.
Sur ce dernier point, force est de souligner, avec la doctrine, que la
jurisprudence critiquée présente encore un autre inconvénient en ce qu'elle
subordonne la recevabilité du recours, qui devrait reposer sur des critères
clairs et objectifs, à un élément d'appréciation très aléatoire, surtout dans
les relations internationales, à savoir le dommage irréparable
(Poudret/Besson, ibid.). De fait, s'agissant des sentences partielles qui
imposent à la partie recourante l'obligation de payer une somme d'argent à
l'autre partie, on imagine sans peine la difficulté qu'il pourra y avoir à
déterminer si le paiement immédiat de la somme allouée au créancier est
susceptible d'exposer le débiteur recourant à de graves difficultés
financières ou si le recouvrement du montant payé, en cas d'annulation
ultérieure de la sentence partielle, apparaît aléatoire en raison de la
solvabilité douteuse du créancier intimé. Aussi bien, le Tribunal fédéral
relevait déjà, dans l'arrêt controversé, qu'il n'est possible, a priori, ni
d'admettre ni d'exclure le risque de survenance d'un dommage irréparable du
fait de l'exécution, en cours de procédure, d'une sentence partielle
condamnatoire, la réponse à cette question supposant l'examen des
circonstances propres à la cause en litige (ATF 116 II 80 consid. 2c p. 84).
La présente espèce est la parfaite illustration du résultat aléatoire auquel
conduirait un tel examen prospectif et de la charge de travail qu'il
occasionnerait. Les deux parties exposent en effet longuement, dans leurs
écritures respectives, avec force pièces à l'appui, l'une en quoi l'exécution
immédiate de la sentence attaquée l'exposerait à un dommage irrémédiable en
raison tant de sa situation financière actuelle que de celle de sa partie
adverse, l'autre qu'il n'en est rien. Il va sans dire que le Tribunal fédéral
ne pourrait se prononcer sur la solvabilité respective de ces deux sociétés
étrangères sans procéder à une analyse de leurs comptes, laquelle prendrait
du temps et nécessiterait peut-être la mise en oeuvre d'un spécialiste, en
application de l'art. 95 al. 1 OJ, alors que le traitement des griefs
soulevés par la recourante n'impliquera en aucun cas une telle dépense
d'énergie. Cet exemple concret démontre, si besoin est, le caractère
aléatoire de la détermination du dommage irréparable dans le cadre des
relations économiques internationales. Et la doctrine d'en citer d'autres,
tels que l'appréciation des possibilités de recouvrement à l'égard d'un Etat
tout-puissant ou du caractère dommageable de la condamnation à une prestation
en nature (Poudret, op. cit., p. 359 in fine). C'est là un motif
supplémentaire de renoncer à faire dépendre la recevabilité du recours de
droit public visant une sentence partielle stricto sensu de l'existence d'un
dommage irréparable.
Il convient donc de rompre une fois pour toutes le lien que la jurisprudence
avait établi jusqu'ici entre l'art. 87 OJ et l'art. 190 LDIP. Partant, la
recevabilité d'un recours de droit public dirigé contre une sentence
partielle lato sensu, quelle qu'elle soit, sera désormais examinée
exclusivement à l'aune de cette dernière disposition. Pour ce qui est des
sentences partielles proprement dites, au sens de l'art. 188 LDIP, il
s'ensuit qu'elles pourront faire l'objet d'un recours de droit public aux
mêmes conditions que les sentences finales, étant donné qu'elles constituent,
au même titre que celles-ci, des sentences tombant sous le coup de l'art. 190
al. 1 et 2 LDIP.
En conclusion, il y a lieu d'abandonner la jurisprudence actuelle et
d'admettre, avec la doctrine, que trois catégories de sentences peuvent faire
l'objet d'un recours immédiat au Tribunal fédéral: premièrement, les
sentences finales, dans tous les cas prévus à l'art. 190 al. 2 LDIP;
deuxièmement, les sentences partielles proprement dites, dans les mêmes cas;
troisièmement, les sentences préjudicielles ou incidentes, pour les seuls
motifs énoncés à l'art. 190 al. 2 let. a et b LDIP.

1.2.3 Appliquée au cas particulier, la nouvelle jurisprudence établie par le
présent arrêt conduit à admettre la recevabilité du recours de droit public
formé contre la sentence partielle du 24 mars 2004 indépendamment de la
question de savoir s'il peut en résulter un préjudice irréparable pour la
recourante.

1.3 Enfin, le recours soumis à l'examen du Tribunal fédéral ne saurait être
déclaré irrecevable du seul fait que la partie intimée, se fondant sur l'art.
29 du Règlement d'arbitrage de la CCI, a déposé, parallèlement, une requête
en rectification de ladite sentence, requête qui a été admise par le Tribunal
arbitral et qui a abouti à la correction de la sentence par un addendum du 27
juillet 2004.
L'applicabilité (par analogie) de l'art. 86 al. 1 OJ dans le domaine de
l'arbitrage international ne va déjà pas de soi, sous réserve peut-être de la
question de l'épuisement des moyens de droit internes (nécessité du recours
préalable à un Tribunal arbitral supérieur, si cette possibilité existe; cf.,
parmi d'autres, Berti/Schnyder, op. cit., n. 5 ad art. 190 LDIP; Christoph
Müller, International Arbitration, 2004, p. 204, ch. 1.21.2), et il n'est pas
certain que l'on puisse contraindre une partie à introduire d'abord la
procédure de correction et d'interprétation de la sentence avant de déposer
un recours de droit public (voir l'arrêt 4P.198/2002 du 25 novembre 2002,
consid. 1.2, avec une référence à Jermini, op. cit., n. 723).
Quoi qu'il en soit, en l'espèce, ce n'est pas la recourante mais l'intimée
qui a déposé la requête en rectification. De surcroît, les motifs invoqués
dans le recours de droit public n'auraient pas pu l'être dans une telle
requête, laquelle est réservée à la correction de "toute erreur matérielle,
de calcul ou typographique" ou "de toute erreur de même nature contenue dans
la sentence", selon les termes mêmes de l'art. 29 al. 1 du Règlement
d'arbitrage de la CCI. Quant à la possibilité de recourir contre la sentence
rectificative, si elle existe en principe (cf., mutatis mutandis, l'ATF 130
III 125 consid. 2.3 p. 131 relatif à un cas d'interprétation d'une sentence),
à des conditions qui restent encore à définir (sur cette question, cf., par
ex., Knoepfler/Schweizer, op. cit., p. 539 ss; voir aussi, per analogiam,
l'ATF 116 II 86 consid. 3), elle n'a pas pour effet d'exclure la recevabilité
d'un recours de droit public au sens de l'art. 190 al. 1 et 2 LDIP dirigé
contre la sentence non encore rectifiée. A supposer que ce recours soit
admis, cela aurait simplement pour conséquence que la sentence rectifiée, qui
partage le sort de la sentence initiale, deviendrait ipso facto caduque en
raison de l'annulation de la sentence originaire.
Cela étant, il y a lieu d'entrer en matière.

1.4 Le 1er juillet 2004, l'avocate de la recourante a sollicité un second
échange d'écritures. Un tel échange n'a lieu qu'exceptionnellement (art. 93
al. 3 OJ). Le Tribunal fédéral s'en tient strictement à cette règle et
n'ordonne une réplique et une duplique que si elles lui paraissent vraiment
indispensables pour résoudre le cas en respectant le droit d'être entendu
(Bernard Corboz, Le recours au Tribunal fédéral en matière d'arbitrage
international, in SJ 2002 II p. 1 ss, 15 let. H).
Il n'y a pas lieu de s'écarter de la règle en l'espèce. En effet, les
nouveaux allégués formulés et les nouvelles pièces déposées par l'intimée,
qui justifieraient la mesure requise, à suivre la recourante, ont trait à la
question de la capacité financière des parties. Or, pour les motifs
sus-indiqués (cf. consid. 1.2), la recevabilité du présent recours ne dépend
pas de la réponse apportée à cette question. Plus généralement, la Cour de
céans est en mesure de statuer sur ledit recours sur le vu du dossier du
Tribunal arbitral, à l'exclusion des pièces nouvellement produites devant
elle et abstraction faite des nouveaux allégués figurant dans la réponse de
l'intimée.

2.
Dans un premier groupe de moyens, la recourante fait grief au Tribunal
arbitral d'avoir violé son droit d'être entendue à maints égards.

2.1 Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti par les art. 182 al. 3 et
190 al. 2 let. d LDIP, n'a en principe pas un contenu différent de celui
consacré en droit constitutionnel (ATF 127 III 576 consid. 2c; 119 II 386
consid. 1b; 117 II 346 consid. 1a p. 347). Ainsi, il a été admis, dans le
domaine de l'arbitrage, que chaque partie avait le droit de s'exprimer sur
les faits essentiels pour le jugement, de présenter son argumentation
juridique, de proposer ses moyens de preuve sur des faits pertinents et de
prendre part aux séances du tribunal arbitral (ATF 127 III 576 consid. 2c;
116 II 639 consid. 4c p. 643). En revanche, le droit d'être entendu n'englobe
pas le droit de s'exprimer oralement (ATF 117 II 346 consid. 1b; 115 II 129
consid. 6a p. 133 et les arrêts cités).
S'agissant du droit de faire administrer des preuves, il faut qu'il ait été
exercé en temps utile et selon les règles de forme applicables (ATF 119 II
386 consid. 1b p. 389). Le tribunal arbitral peut refuser d'administrer une
preuve, sans violer le droit d'être entendu, si le moyen de preuve est inapte
à fonder une conviction, si le fait à prouver est déjà établi, s'il est sans
pertinence ou encore si le tribunal, en procédant à une appréciation
anticipée des preuves, parvient à la conclusion que sa conviction est déjà
faite et que le résultat de la mesure probatoire sollicitée ne peut plus la
modifier. Le Tribunal fédéral ne peut revoir une appréciation anticipée des
preuves, sauf sous l'angle extrêmement restreint de l'ordre public (Corboz,
op. cit., p. 23).
L'égalité des parties, elle aussi garantie par les art. 182 al. 3 et 190 al.
2 let. d LDIP, implique que la procédure soit réglée et conduite de manière à
ce que chaque partie ait les mêmes possibilités de faire valoir ses moyens
(Corboz, op. cit., p. 22). Enfin, le principe de la contradiction, garanti
par les mêmes dispositions, exige que chaque partie ait la faculté de se
déterminer sur les moyens de son adversaire, d'examiner et de discuter les
preuves apportées par lui et de les réfuter par ses propres preuves (ATF 117
II 346 consid. 1a).
Cependant, en Suisse, le droit d'être entendu en procédure contradictoire,
loin d'être illimité, connaît, au contraire, d'importantes restrictions dans
le domaine de l'arbitrage international. Ainsi, il ne permet pas d'exiger une
mesure probatoire inapte à apporter la preuve (cf. ATF 124 I 274 consid. 5b
p. 285; 121 I 306 consid. 1b). Une partie n'a, en outre, pas le droit de se
prononcer sur l'appréciation juridique des faits ni, plus généralement, sur
l'argumentation juridique à retenir, à moins que le tribunal arbitral
envisage de fonder sa décision sur une norme ou un motif juridique non évoqué
dans la procédure antérieure et dont aucune des parties en présence ne s'est
prévalue et ne pouvait supputer la pertinence in casu (ATF 130 III 35 consid.
5 et les références). De même, le tribunal arbitral n'est pas non plus tenu
d'aviser spécialement une partie du caractère
décisif d'un élément de fait
sur lequel il s'apprête à fonder sa décision, pour autant que celui-ci ait
été allégué et prouvé selon les règles (même arrêt, ibid.). Au demeurant, le
grief tiré de la violation du droit d'être entendu ne doit pas servir, pour
la partie qui se plaint de vices affectant la motivation de la sentence, à
provoquer, par ce biais, un examen de l'application du droit de fond (ATF 116
II 373 consid. 7b; Corboz, op. cit., p. 24).

2.2 C'est à la lumière de ces principes qu'il y a lieu d'examiner les
différents moyens soulevés dans le recours de droit public au titre de la
violation du droit d'être entendu.

2.2.1 Le premier grief concerne la date à laquelle l'option de vente a été
exercée. La recourante fait valoir que, contrairement à ce que le Tribunal
arbitral affirme au chiffre V du dispositif de sa sentence ("L'option de
vente a été exercée par la demanderesse, avec effet, selon accord des
parties, au 28 février 2002"), aucun accord entre les parties n'a jamais
existé sur ce point. En effet, pour elle, le transfert effectif des actions,
intervenu le 28 février 2002, n'avait pas d'incidence sur l'exigibilité du
prix tant que celui-ci n'était pas connu, alors que, pour l'intimée, l'accord
du 22 février 2002 fixait au 28 février 2002 la date du transfert des titres
et, partant, celle de l'exigibilité du prix de vente. Aussi, de l'avis de la
recourante, le Tribunal arbitral a-t-il omis d'instruire une question
juridiquement pertinente, qui demeurait litigieuse entre les parties.
Le moyen est dénué de fondement. En effet, par l'accord signé le 22 février
2002, les parties ont décidé que le transfert des 49 actions litigieuses
aurait lieu "lors du closing, conformément à l'article 7" (art. 5 al. 2).
Selon l'art. 7 dudit accord, les prestations devaient être échangées trait
pour trait à la date du closing, à fixer d'entente entre les avocats des
parties, mais si possible le 28 février 2002. Le closing est intervenu à
cette dernière date. Le même jour, la recourante a remis à l'intimée
l'acompte de 27'000'000 US$, ainsi que le prévoyait l'art. 1er al. 2 de
l'accord précité. Il est donc faux de soutenir, comme elle le fait, que les
cocontractants ne se seraient pas accordés sur la date d'exécution de
l'option de vente exercée le 5 avril 2001 par l'intimée. Il ressort, en
outre, des écritures mentionnées sous chiffres 75 et 77 de la réponse au
recours que les parties se sont amplement exprimées sur la question de la
date du closing. Aussi ne discerne-t-on pas en quoi le droit d'être entendu
de la recourante aurait été méconnu sur ce point par le Tribunal arbitral.

2.2.2 Dans le même contexte, la recourante reproche ensuite aux arbitres
d'avoir statué sans entendre les parties sur la question des intérêts
moratoires et de leur point de départ, alors qu'ils avaient expressément
réservé le traitement ultérieur de cette question, laquelle n'a dès lors fait
l'objet d'aucun débat ni d'aucune instruction. Ce deuxième moyen n'est pas
plus fondé que le précédent.
On relèvera, incidemment, que la question de l'intérêt moratoire n'a pas fait
l'objet d'une réserve expresse de la part du Tribunal arbitral, quoi qu'en
dise la recourante. En effet, dans son ordonnance no 9, celui-ci a simplement
proposé aux parties, qui l'ont accepté, de ne pas se contenter de fixer le
prix de vente des actions, mais d'ordonner, en sus, à la recourante de payer
ce prix, conformément à la conclusion B.6 de l'intimée. Cette ordonnance et
les autres pièces mentionnées sous chiffres 33 à 35 du mémoire de recours
n'attestent en aucun cas la volonté expresse du Tribunal arbitral de renvoyer
à un stade ultérieur la discussion du problème des intérêts moratoires. La
logique voulait d'ailleurs que cette question fût réglée en même temps que
celle de la condamnation au principal.
Quoi qu'il en soit, comme on l'a relevé plus haut (cf. consid. 2.2.1), les
parties ont eu tout loisir de faire valoir leurs points de vue respectifs au
sujet de l'exigibilité du prix de vente. La recourante, en particulier, a pu
exposer les raisons pour lesquelles elle considérait que la date du closing,
soit le 28 février 2002, n'avait pas d'incidence sur l'exigibilité du prix.
Il n'apparaît pas qu'elle ait eu d'autres arguments à avancer sur ce point;
en tout cas, elle n'en indique aucun dans son mémoire de recours.
Pour le surplus, savoir si l'intérêt moratoire était dû à compter de la date
du closing, bien que le prix de vente des actions litigieuses n'ait pas
encore été arrêté à ce moment-là, ou seulement une fois ce prix connu, en
d'autres termes fixer le dies a quo pour le cours de l'intérêt moratoire,
dont le taux résulte au demeurant de la loi (art. 104 al. 1 CO), est une
question de droit qu'il appartenait au Tribunal arbitral de trancher et qui,
comme telle, ne nécessitait pas le concours des parties.
Enfin, il n'est pas contesté ni contestable que l'intimée a requis
expressément l'allocation d'intérêts moratoires sur le solde du prix de vente
des actions à partir du 28 février 2002. En les lui allouant, les arbitres
n'ont donc pas statué ultra petita. La recourante s'abstient du reste, à
juste titre, d'invoquer le moyen correspondant prévu par l'art. 190 al. 2
let. c LDIP.

2.2.3 Il s'est agi, pour les arbitres, de déterminer la valeur de C.________
- et, partant, celle des 49 actions de cette société vendues par l'intimée à
la recourante - au 31 mars 2001, date de référence choisie par les parties.
L'un des 27 points de désaccord concernant cette évaluation avait trait aux
"actionnaires minoritaires" (cf. sentence attaquée, p. 48 s, n. 97 à 99). A
la date sus-indiquée, C.________ détenait une participation majoritaire dans
le capital de D.________, tandis que 11'700 actions de cette dernière société
étaient en mains d'actionnaires minoritaires. Le Tribunal arbitral s'est donc
employé à déterminer la valeur des actions minoritaires qui devait être
déduite de celle des capitaux propres de D.________. C'est ainsi qu'il a pris
en considération, d'une part, le prix payé par C.________, en janvier 2002,
pour l'achat de 5'130 titres (68 US$ l'unité) et, d'autre part, le prix
auquel C.________ avait proposé de racheter les 6'750 actions restantes à
l'occasion d'une offre publique d'achat lancée le 24 avril 2003 (140 US$
l'unité). Ce faisant, il a écarté le point de vue de l'intimée, selon lequel
la valeur de la totalité des 11'700 actions de D.________ détenues par les
actionnaires minoritaires au 31 mars 2001 devait être calculée sur la base
d'un prix unitaire de 68 US$. Les arbitres ont en outre indiqué la raison
pour laquelle ils jugeaient équitable de tenir compte, dans leur évaluation,
d'une transaction et d'une offre intervenues postérieurement à la date de
référence admise par les parties.
La recourante reproche aux arbitres de s'être fondés, pour procéder à leur
évaluation, sur un fait allégué par l'intimée après la clôture des débats -
l'offre publique d'achat susmentionnée - sans que l'occasion lui ait été
donnée de se prononcer sur ce fait nouveau. Elle a tort. En effet, le
Tribunal arbitral qui était saisi, sur ce point, d'une requête de l'intimée
visant à la réouverture des débats, a invité la recourante à se déterminer
sur cette requête qu'il a finalement écartée. Or, dans ses observations y
relatives, datées du 27 mai 2003, la recourante a fait valoir que l'offre
d'achat était sans pertinence en raison de la date à laquelle cette offre
avait été lancée. Ayant eu la possibilité de s'exprimer à ce sujet,
l'intéressée n'a ainsi pas été privée de son droit d'être entendue. Elle n'a
du reste pas contesté la réalité du fait nouveau allégué par l'intimée, qu'il
s'agisse du lancement de l'offre publique d'achat ou du montant offert par
C.________ pour l'acquisition des actions restantes de D.________.
Qui plus est, on peine à discerner quel intérêt la recourante pourrait bien
avoir à l'admission du grief en question. En effet, il était plus avantageux
pour elle que le Tribunal arbitral basât ses calculs sur un prix unitaire de
rachat de 140 US$ au lieu du prix de 68 US$ proposé par l'intimée, puisque
cela augmentait d'autant la valeur de la participation minoritaire qui devait
être déduite de celle des capitaux propres de D.________.

2.2.4 Se plaignant enfin de la violation de son droit d'être entendue "au
sens large", la recourante reproche en premier lieu aux arbitres de n'avoir
pas pris en compte, par inadvertance, le critère contractuel de la méthode
comparative des multiples pour vérifier l'évaluation à laquelle il a abouti,
au motif - manifestement erroné - que les parties avaient renoncé à
l'utilisation de ce critère dans leurs dernières écritures. Cependant, elle
n'explique pas en quoi le défaut d'application de ce critère, quelle qu'en
fût la cause, impliquerait la violation de son droit d'être entendue. Aussi
bien, la recourante ne prétend pas avoir été empêchée d'exposer les mérites
supposés de la susdite méthode. Que le Tribunal arbitral ait renoncé à
appliquer celle-ci, pour telle ou telle raison, fût-ce en violation de la
clause topique de la convention d'actionnaires, ne portait pas atteinte au
droit d'être entendu de la recourante qui cherche visiblement, sous le
couvert du grief de déni de justice formel, à provoquer, par ce biais, un
examen matériel de la sentence et, plus précisément, de la manière dont le
Tribunal arbitral a appliqué en l'espèce les différents critères contractuels
permettant de déterminer la valeur de C.________.
En second lieu, s'agissant de l'utilisation par le Tribunal arbitral du
programme informatisé dénommé "Excel", la recourante reproche aux arbitres de
s'être reposés aveuglément sur ce programme sans avoir procédé à la
vérification préalable, demandée par elle, de la compatibilité du logiciel en
question. Il n'en est rien. Preuve en sont les considérations émises sous
chiffres 118 à 120 de la sentence attaquée où le Tribunal arbitral indique
les raisons qui l'ont poussé à utiliser cet outil informatique et "confirme
la correspondance entre le modèle d'évaluation admis par les parties et le
programme Excel". Il va sans dire qu'il n'appartient pas au Tribunal fédéral,
statuant dans le cadre procédural étroit d'un recours de droit public en
matière d'arbitrage international, de vérifier si le fait confirmé par les
arbitres l'a été à juste titre ou non, ni même si pareille confirmation
résisterait à un examen effectué sous l'angle de l'arbitraire.

2.3 Il suit de là que toutes les critiques formulées par la recourante au
titre de la violation du droit d'être entendu tombent à faux.

3.
La recourante soutient, par ailleurs, que la sentence attaquée est
incompatible avec l'ordre public (art. 190 al. 2 let. e LDIP), dès lors que
le Tribunal arbitral a violé le principe pacta sunt servanda ainsi que les
règles de la bonne foi.

3.1 Une sentence peut être attaquée lorsqu'elle est contraire à l'ordre
public (art. 190 al. 2 let. e LDIP). On distingue un ordre public matériel,
seul ici en cause, et un ordre public procédural.
Une sentence est contraire à l'ordre public matériel lorsqu'elle viole des
principes juridiques fondamentaux du droit de fond au point de ne plus être
conciliable avec l'ordre juridique et le système de valeurs déterminants; au
nombre de ces principes figurent, notamment, la fidélité contractuelle, le
respect des règles de la bonne foi, l'interdiction de l'abus de droit, la
prohibition des mesures discriminatoires ou spoliatrices, ainsi que la
protection des personnes civilement incapables (ATF 120 II 155 consid. 6a p.
166 et les références).
Selon la jurisprudence, il ne peut y avoir violation du principe pacta sunt
servanda que si l'arbitre admet que les parties sont juridiquement liées par
une clause contractuelle, mais refuse néanmoins de l'appliquer ou, à
l'inverse, s'il admet que les parties ne sont pas juridiquement tenues par
une clause contractuelle, mais leur en impose néanmoins le respect; il faut
donc que le tribunal accorde ou refuse une protection contractuelle en se
mettant en contradiction avec le résultat de son interprétation à propos de
l'existence ou du contenu d'un acte juridique dont une partie se prévaut
(arrêt 4P.202/2003 du 24 novembre 2003, consid. 5; ATF 120 II 155 consid.
6c/cc p. 171; 116 II 634 consid. 4b p. 638).
Quant aux règles de la bonne foi, elles doivent être comprises à la lumière
de la jurisprudence rendue au sujet de l'art. 2 CC (arrêt 4P.167/2002 du 11
novembre 2002, consid. 3.2; pour une typologie, cf., parmi d'autres: Jermini,
op. cit., p. 282 ss, n. 564 ss).

3.2 Appliqués au cas particulier, ces principes jurisprudentiels commandent
le rejet du grief d'incompatibilité de la sentence avec l'ordre public.

3.2.1 Au titre de la violation du principe de la fidélité contractuelle, la
recourante fait grief au Tribunal arbitral d'avoir reconnu l'existence de la
convention d'actionnaires signée le 3 février 1998, mais, ce nonobstant, de
s'en être écarté, d'une part, en prenant en compte des faits survenus
postérieurement à la date fixée dans cette convention pour le calcul de la
fair market value des titres vendus et, d'autre part, en retraitant
l'historique de la société C.________ et en ne procédant pas à la
vérification de son évaluation au moyen de la méthode comparative des
multiples.
Le simple énoncé de cette argumentation et la confrontation de celle-ci avec
les principes rappelés plus haut suffisent à démontrer l'inconsistance du
grief tiré de la violation du principe pacta sunt servanda. En réalité, ce
que la recourante reproche aux arbitres, c'est d'avoir méconnu les critères
d'évaluation mentionnés dans la convention d'actionnaires. Quand cela serait,
et même si le Tribunal arbitral avait fait une application arbitraire des
critères contractuels d'évaluation, il n'y aurait pas matière à intervention
de la Cour de céans sous l'angle de l'art. 190 al. 2 let. e LDIP. Semblable
intervention ne se justifierait que si le Tribunal arbitral, interprétant
la
clause topique de la convention d'actionnaires, était arrivé à la conclusion
que tel ou tel critère d'évaluation ne s'appliquait pas en l'espèce, mais
avait néanmoins appliqué ledit critère pour déterminer la valeur des actions
litigieuses ou encore si, après avoir admis que la clause en question
excluait la prise en considération de faits postérieurs à la date de
référence, il s'était malgré tout fondé sur pareils faits pour estimer la
valeur des titres vendus. Tel n'étant pas le cas, les critiques formulées par
la recourante à l'effet d'établir une violation du principe de la fidélité
contractuelle se résument à une simple remise en cause de la manière dont les
arbitres ont interprété et appliqué la convention d'actionnaires du 3 février
1998. Elles sont donc vaines.

3.2.2 La même conclusion s'impose en ce qui concerne le reproche fait au
Tribunal arbitral d'avoir violé le principe de la bonne foi en prenant à son
compte, sans vérification, la tromperie de l'intimée consistant à présenter
le fichier Excel comme un outil de calcul neutre, alors que son utilisation
aboutirait, en l'espèce, à une valorisation excédant de plusieurs dizaines de
millions de dollars l'évaluation de la société C.________ telle que présentée
par l'intimée dans la procédure.
Mis à part le fait que la recourante ne démontre pas en quoi le principe de
la bonne foi trouverait à s'appliquer dans ces circonstances, le grief y
relatif ne consiste que dans la reprise, sous un autre angle, du moyen
soulevé au titre de la violation du droit d'être entendu (cf. consid. 2.2.4,
dernier §). Il convient de lui réserver le même sort.

4.
En dernier lieu, la recourante, invoquant l'art. 190 al. 2 let. a LDIP, met
en doute l'impartialité du Tribunal arbitral. A l'en croire, les erreurs
manifestes, grossières et répétées commises par les arbitres démontreraient
que ceux-ci n'avaient pas les compétences requises pour statuer dans la
présente cause, partant qu'ils auraient violé les devoirs de leur charge en
s'en saisissant.
Cet ultime moyen apparaît artificiel, sinon téméraire. Il repose d'ailleurs
sur une prémisse erronée, puisque les violations alléguées du droit d'être
entendu et de l'ordre public matériel qui le sous-tendent n'existent pas,
comme on l'a démontré dans les considérants précédents.

5.
Force est de constater, au terme de cet examen, que tous les griefs formulés
par la recourante sont dénués de fondement. Il y a lieu, partant, de rejeter
le présent recours. En application de l'art. 156 al. 1 OJ, les frais de la
procédure fédérale seront supportés par la recourante. Celle-ci devra, en
outre, indemniser son adverse partie, conformément à l'art. 159 al. 1 OJ.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 70'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 90'000 fr. à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et au
président du Tribunal arbitral.

Lausanne, le 6 octobre 2004

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.117/2004
Date de la décision : 06/10/2004
1re cour civile

Analyses

Arbitrage international; art. 188 et 190 al. 1 et 2 LDIP; recevabilité du recours de droit public dirigé contre une sentence partielle proprement dite. Une sentence partielle stricto sensu peut faire l'objet d'un recours de droit public aux mêmes conditions qu'une sentence finale (changement de jurisprudence; consid. 1.2). Demande de rectification d'une sentence arbitrale; subsidiarité du recours de droit public? Le recours de droit public ne saurait être déclaré irrecevable du seul fait que la partie intimée a déposé, parallèlement, une demande de rectification de la sentence attaquée et que cette demande a été admise avant que le Tribunal fédéral ne statue sur le recours (consid. 1.3).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2004-10-06;4p.117.2004 ?
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