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11/06/2004 | SUISSE | N°6S.137/2004

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 11 juin 2004, 6S.137/2004


{T 0/2}
6S.137/2004 /pai

Arrêt du 11 juin 2004
Cour de cassation pénale

MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger, Kolly, Karlen et Zünd.
Greffier: M. Denys.

X. ________,
recourante, représentée par Me Jean-Michel Dolivo,

contre

Ministère public du canton de Fribourg,
rue de Zaehringen 1, 1700 Fribourg.

Infraction à la LSEE,

pourvoi en nullité contre l'arrêt de la Cour d'appel pénal du Tribunal
cantonal fribourgeois du 16 mars 2004.

Faits:

A.<

br> Du mois de mai au 18 août 2002, X.________, enseignante née en 1948, a logé
gratuitement chez elle et en partie nourri le ressorti...

{T 0/2}
6S.137/2004 /pai

Arrêt du 11 juin 2004
Cour de cassation pénale

MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger, Kolly, Karlen et Zünd.
Greffier: M. Denys.

X. ________,
recourante, représentée par Me Jean-Michel Dolivo,

contre

Ministère public du canton de Fribourg,
rue de Zaehringen 1, 1700 Fribourg.

Infraction à la LSEE,

pourvoi en nullité contre l'arrêt de la Cour d'appel pénal du Tribunal
cantonal fribourgeois du 16 mars 2004.

Faits:

A.
Du mois de mai au 18 août 2002, X.________, enseignante née en 1948, a logé
gratuitement chez elle et en partie nourri le ressortissant turc A.________,
né en 1982, qui séjournait illégalement en Suisse depuis février 2002.

Le 24 août 2002, la police a dénoncé A.________ pour entrée et séjour sans
autorisation. Une décision de refoulement a été rendue à son encontre le 1er
octobre 2002. Par ordonnance pénale du 25 octobre 2002, il a été condamné à
quinze jours d'emprisonnement avec sursis durant quatre ans pour infraction à
la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers (LSEE; RS
142.20). Cette ordonnance a aussi révoqué le sursis qui lui avait été accordé
le 2 août 2001 à une peine de dix jours d'emprisonnement en raison d'une
infraction à la LSEE.

X. ________ a connu A.________ dans le cadre du "Collectif des sans-papiers",
soit un mouvement de soutien aux dits "sans-papiers". Selon elle, A.________
est probablement venu en Suisse pour chercher du travail. Elle ne sait pas
précisément pourquoi il a quitté son pays ni ne lui a demandé s'il avait des
papiers. Elle lui a proposé de venir loger chez elle lorsque le Centre
réformé de Charmey, qui hébergeait des "sans-papiers", n'a plus été à
disposition du Collectif. A.________ n'avait alors pas trouvé de solution
pour se loger. Elle s'inquiétait pour ce jeune homme de vingt ans, qu'elle
sentait renfermé et fragile. Elle a prétendu avoir agi de manière
émotionnelle, considérant A.________ en danger physique et psychique s'il
restait à la rue. Elle ne l'a pas aidé sur le plan financier.

B.
Par jugement du 16 juin 2003, le Juge de police de l'arrondissement de la
Sarine a condamné X.________, pour infraction à la LSEE (art. 23 al. 1 5ème
phrase LSEE), à 300 francs d'amende, avec délai de radiation d'un an.

Par arrêt du 16 mai 2004, la Cour d'appel pénal du Tribunal cantonal
fribourgeois a rejeté l'appel formé par X.________ et a confirmé le jugement
de première instance.

C.
X. ________ se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral contre cet arrêt. Elle
conclut à son annulation.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal fédéral contrôle l'application du
droit fédéral (art. 269 PPF) sur la base d'un état de fait définitivement
arrêté par l'autorité cantonale (cf. art. 273 al. 1 let. b et 277bis al. 1
PPF). Le raisonnement juridique doit donc être mené sur la base des faits
retenus dans la décision attaquée, dont la recourante est irrecevable à
s'écarter (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66/67).

2.
La recourante conteste sa condamnation en vertu de l'art. 23 al. 1 5ème
phrase LSEE.

2.1 Selon cette disposition, celui qui, en Suisse ou à l'étranger, facilite
ou aide à préparer une entrée ou une sortie illégale ou un séjour illégal
sera puni de l'emprisonnement jusqu'à six mois. A cette peine pourra être
ajoutée une amende de 10'000 francs au plus. Dans les cas de peu de gravité,
la peine peut consister en une amende seulement.

2.2 Pour la recourante, l'art. 23 al. 1 5ème phrase LSEE ne réprime que le
comportement de personnes sans scrupules, en particulier celui des passeurs
qui cherchent à s'enrichir sur le dos d'étrangers. Elle se réfère au message
du Conseil fédéral du 8 mars 1948 concernant la LSEE ainsi qu'au message du 8
mars 2002 concernant la nouvelle loi sur les étrangers (LEtr).

L'argument tombe à faux. Le fait d'avoir agi dans un dessein d'enrichissement
illégitime constitue une circonstance aggravante, spécifiquement réprimée par
l'art. 23 al. 2 LSEE. L'appât du gain ne constitue donc pas un élément
constitutif de l'infraction réprimée par l'art. 23 al. 1 LSEE, mais le cas
échéant une circonstance aggravante. En outre, on ne saurait déduire des
travaux préparatoires que l'art. 23 al. 1 5ème phrase LSEE vise exclusivement
les passeurs. Le paragraphe du message du Conseil fédéral du 8 mars 1948
invoqué par la recourante n'a pas la portée qu'elle lui prête. Il en ressort
ce qui suit: "Le projet de révision prévoit [...] des sanctions pénales à
l'égard des personnes qui facilitent l'entrée ou la sortie illégale ou le
séjour illégal en Suisse. Elles s'appliqueront notamment à l'endroit de
personnes telles que les passeurs professionnels [...]" (FF 1948 I 1284). Le
terme "notamment" montre bien, contrairement à ce que soutient la recourante,
que les passeurs ne sont pas les seuls visés par la norme pénale.

La recourante se réfère aussi au projet LEtr, qui est actuellement débattu
devant le Conseil national, premier Conseil saisi. Il est vrai que dans son
message du 8 mars 2002, le Conseil fédéral observe que l'art. 111 du projet
LEtr correspond à l'art. 23 al. 1 5ème phrase LSEE et vise à combattre la
criminalité opérée par les passeurs (FF 2002 p. 3587). Toutefois, le texte de
l'art. 111 du projet (comme celui de l'art. 23 al. 1 5ème phrase LSEE) parle
non seulement du fait de faciliter une entrée ou une sortie illégale mais
aussi de celui de faciliter un séjour illégal. L'activité caractéristique du
passeur consiste à faciliter une entrée ou une sortie illégale mais non un
séjour illégal. Restreindre la portée de l'art. 111 du projet aux passeurs ne
va donc pas de soi. La doctrine considère de son côté comme probablement
incomplète la référence du Conseil fédéral aux seuls passeurs (cf. Minh Son
Nguyen, Droit public des étrangers, Berne 2003, p. 676/677). Le Conseil
national n'a pas encore abordé cette disposition. Quoi qu'il en soit, un
projet en cours ne peut être pris en compte pour interpréter le droit en
vigueur qu'avec retenue. Or, ni la teneur de l'art. 23 al. 1 5ème phrase LSEE
- qui mentionne le fait de faciliter le séjour, soit une activité qui n'est
pas propre à celle d'un passeur -, ni le message y relatif du Conseil fédéral
du 8 mars 1948 ne vont dans le sens d'une norme pénale limitée aux passeurs.
Il s'ensuit que la recourante est elle aussi soumise à cette disposition.

2.3
2.3.1La recourante soutient que son comportement n'a pas entravé l'action des
autorités. Elle rappelle que les "sans-papiers" ont d'abord trouvé refuge
dans une église à Fribourg et ont ensuite été logés notamment dans le Centre
réformé de Charmey. Selon elle, la police fribourgeoise connaissait
l'identité des "sans-papiers" et a en particulier toléré la présence
irrégulière de A.________. Lorsque celui-ci a quitté le Centre réformé, la
police pouvait se rendre compte qu'il n'allait pas quitter le canton de
Fribourg mais qu'il y resterait, avec le soutien d'une partie de la
population.

2.3.2En l'espèce, la recourante a logé un ressortissant étranger mais n'est
pas intervenue au niveau du franchissement de la frontière. Par conséquent,
seule l'aide à un séjour illégal selon l'art. 23 al. 1 5ème phrase LSEE peut
entrer en considération et non l'aide à une entrée illégale.

L'infraction en cause, soit le fait de faciliter le séjour illégal d'une
personne en Suisse, est difficile à circonscrire. En effet, l'étranger qui
séjourne illégalement dans notre pays noue de nombreuses relations avec
d'autres personnes. Il prend par exemple un moyen de transport, achète de la
nourriture ou va au restaurant (cf. Nguyen, op. cit., p. 677). Tout contact
avec cet étranger, qui rend plus agréable le séjour de celui-ci en Suisse, ne
saurait être punissable au sens de l'art. 23 al. 1 5ème phrase LSEE. Sinon,
le champ d'application de cette disposition serait illimité. Aussi, dans
différents arrêts non publiés, le Tribunal fédéral a-t-il exigé que le
comportement de l'auteur rende plus difficile le prononcé ou l'exécution
d'une décision à l'encontre de l'étranger en situation irrégulière ou
restreigne, pour les autorités, les possibilités de l'arrêter (arrêt
6S.459/2003 du 8 mars 2004, consid. 2.2; arrêt 6S.615/1998 du 18 août 2000,
consid. 2; arrêt 6S.183/1990 du 27 juillet 1990, consid. 3a).

En règle générale, il est admis que celui qui héberge une personne séjournant
illégalement en Suisse facilite le séjour illégal de celle-ci, qu'il agisse
en tant qu'hôtelier, de bailleur ou d'employeur qui loue une chambre (ATF 118
IV 262 consid. 3a p. 264/265; 112 IV 121 consid. 1 p. 122; cf. Valentin
Roschacher, Die Strafbestimmungen des Bundes über Aufenthalt und
Niederlassung der Ausländer, thèse Zurich 1991, p. 87 ss). Le logement est
alors susceptible de devenir une cachette pour l'étranger en situation
irrégulière, lui permettant ainsi de se soustraire à l'intervention des
autorités administratives (cf. Nguyen, op. cit., p. 679).

2.3.3 La question à résoudre ici est de déterminer si la recourante a
soustrait un étranger dépourvu d'autorisation de séjour au pouvoir
d'intervention des autorités. Contrairement à ce que soutient celle-ci, il
importe peu que les autorités aient eu la faculté d'intervenir lorsque les
"sans-papiers" se trouvaient réunis dans une église à Fribourg ou au Centre
réformé de Charmey. La possibilité d'une intervention des autorités à un
moment donné n'a pas pour effet de disculper quiconque dans une phase
ultérieure. Si une modification de la situation prive ensuite les autorités
de la capacité d'intervenir, l'application de l'art. 23 al. 1 5ème phrase
LSEE est alors envisageable. Cela vaut pour la recourante. Selon les
constatations cantonales, elle a logé gratuitement un étranger en situation
irrégulière durant trois mois et demi environ. Elle n'a entrepris aucune
démarche pour régulariser la situation de son hôte. Elle pensait même qu'il
n'existait que peu de chance pour une telle régularisation. On déduit de ces
éléments que les autorités ignoraient le lieu de résidence de l'étranger
accueilli par la recourante.

Autrement dit, durant une assez longue période - plus de trois mois -, la
recourante a hébergé en connaissance de cause un étranger en situation
irrégulière. Elle a ainsi fourni une prestation, qui a rendu plus difficile,
voire a exclu le pouvoir d'intervention des autorités. Il faut en conclure
que les éléments constitutifs de l'art. 23 al. 1 5ème phrase LSEE sont
réalisés.

2.4 La recourante indique qu'elle était en droit de croire que son geste
n'entraînerait pas de conséquences pour elle compte tenu de la tolérance
affichée par la police lorsque les "sans-papiers" se trouvaient au Centre
réformé de Charmey.

On peut penser que la recourante, même si elle ne le dit pas expressément, se
prévaut de la sorte d'une erreur sur les faits (art. 19 CP) ou d'une erreur
de droit (art. 20 CP). Le grief apparaît toutefois d'emblée infondé. En
effet, l'arrêt attaqué (p. 5) fait état de la déclaration suivante de la
recourante: "C'est vrai que je me suis rendue compte qu'il y avait une
infraction à la LSEE mais il y a plein de circonstances qui ont fait que j'ai
agi comme cela". Dès lors que la recourante avait conscience du caractère
illicite de son acte, du moins d'une illicéité éventuelle, il n'y a pas de
place pour une erreur sur les faits ou une erreur de droit (sur ces notions,
cf. ATF 129 IV 238 consid. 3.1 p. 240/241).

2.5 La Cour d'appel fribourgeoise a analysé la situation personnelle de
l'étranger hébergé et a retenu qu'il n'était exposé à aucun danger imminent
qui aurait justifié sa prise en charge par la recourante. Elle a par
conséquent nié l'existence d'intérêts légitimes d'ordre humanitaire
susceptibles de rendre licite (cf. ATF 127 IV 166 consid. 2b p. 169) le
comportement de la recourante. Celle-ci ne remet pas en cause ce point, qui
ne prête pas le flanc à la critique au vu des faits constatés. La Cour
d'appel a par ailleurs retenu que l'infraction en cause constituait un cas de
peu de gravité qui n'impliquait que le prononcé d'une amende (art. 23 al. 1
in fine LSEE) et a souligné que sa fixation prenait en compte le fait que la
recourante avait voulu rendre service et apporter une aide désintéressée à un
jeune qu'elle sentait renfermé et fragile. Il apparaît que ces éléments ont
concrètement joué un rôle en faveur de la recourante puisqu'elle n'a été
condamnée qu'à 300 francs d'amende.

2.6 Au vu de ce qui précède, la condamnation de la recourante ne viole pas le
droit fédéral. Le pourvoi est infondé.

3.
La recourante, qui succombe, supporte les frais de la procédure devant le
Tribunal fédéral (art. 278 al. 1 PPF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le pourvoi est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 francs est mis à la charge de la recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante, au
Ministère public du canton de Fribourg et à la Cour d'appel pénal du Tribunal
cantonal fribourgeois.

Lausanne, le 11 juin 2004

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6S.137/2004
Date de la décision : 11/06/2004
Cour de cassation pénale

Analyses

Art. 23 al. 1 5e phrase LSEE; faciliter un séjour illégal. L'art. 23 al. 1 5e phrase LSEE ne vise pas que les passeurs (consid. 2.2). Tombe sous le coup de cette norme celui qui héberge, en l'espèce durant plus de trois mois, un étranger en situation irrégulière et qui rend ainsi plus difficile, voire exclut le pouvoir d'intervention des autorités (consid. 2.3).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2004-06-11;6s.137.2004 ?
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