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27/01/2004 | SUISSE | N°1P.487/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 27 janvier 2004, 1P.487/2003


{T 1/2}
1P.487/2003 /col

Arrêt du 27 janvier 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Nay, Vice-président du Tribunal fédéral, Reeb, Féraud et Fonjallaz.
Greffier: M. Kurz.

Olivier Dobler,
recourant,

contre

Grand Conseil du canton de Genève, Chancellerie d'Etat, rue de
l'Hôtel-de-Ville 2, case postale 3964,
1211 Genève 3.

Election de seize juges assesseurs au Tribunal cantonal des assurances
sociales du canto

n de Genève,

recours de droit public contre l'élection du Grand Conseil du canton de
Genève du 26 juin 2003.

...

{T 1/2}
1P.487/2003 /col

Arrêt du 27 janvier 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Nay, Vice-président du Tribunal fédéral, Reeb, Féraud et Fonjallaz.
Greffier: M. Kurz.

Olivier Dobler,
recourant,

contre

Grand Conseil du canton de Genève, Chancellerie d'Etat, rue de
l'Hôtel-de-Ville 2, case postale 3964,
1211 Genève 3.

Election de seize juges assesseurs au Tribunal cantonal des assurances
sociales du canton de Genève,

recours de droit public contre l'élection du Grand Conseil du canton de
Genève du 26 juin 2003.

Faits:

A.
Le 14 novembre 2002, le Grand Conseil genevois a modifié la loi
d'organisation judiciaire (OJ/GE) en lui ajoutant un titre XIV consacré au
Tribunal cantonal des assurances sociales (ci-après: TCAS), juridiction
destinée à reprendre les compétences exercées jusque-là par le Tribunal
administratif et différentes commissions de recours. Le nouvel art. 56T OJ/GE
définit la composition de cette juridiction dans les termes suivants:
Le Tribunal cantonal des assurances sociales se compose de:
a) 5 juges, dont un président et un vice-président;
b) 5 suppléants;
c) 16 juges assesseurs désignés par le Grand Conseil à raison de 8 sur
proposition des associations représentatives des employeurs et de 8 sur
proposition des associations représentatives des salariés. Ceux-ci doivent
bénéficier d'une formation spécifique sur les questions juridiques et
d'assurances sociales dont les modalités sont fixées par le règlement.
En l'absence de référendum, cette loi a été promulguée le 8 janvier 2003, et
sa date d'entrée en vigueur a été fixée au 1er août 2003.
L'élection populaire des cinq juges et cinq suppléants au TCAS a été fixée au
15 juin 2003. Toutefois, constatant que le nombre de candidats valablement
présentés ne dépassait pas celui des postes à pourvoir, les candidats ont été
déclarés élus sans scrutin par arrêté du Conseil d'Etat du 30 avril 2003.
Par publication des 4, 11 et 18 juin 2003, l'élection par le Grand Conseil
des seize juges assesseurs au TCAS a été fixée aux 26 et 27 juin suivants. Le
résultat de l'élection a été publié le 4 juillet 2003. Le TCAS est entré en
fonction le 1er août 2003.

B.
Par acte du 22 août 2003, Olivier Dobler a formé un recours de droit public
contre l'élection des juges assesseurs. Il se plaint d'une violation des
droits politiques en relevant que, selon l'art. 132 al. 1 de la constitution
genevoise (Cst./GE), les magistrats de l'ordre judiciaire sont élus par le
Conseil général, soit le peuple. L'exception prévue à l'art. 132 al. 4
Cst./GE, pour les postes devenus vacants dans l'intervalle des élections
générales, ne s'appliquerait pas dans le cas de la création d'un nouveau
tribunal. Le Grand Conseil aurait dû constater préjudiciellement
l'inconstitutionnalité de l'art. 56T OJ/GE.
Le Grand Conseil conclut principalement à l'irrecevabilité du recours en
raison de son objet (une élection indirecte), de son auteur (qui ne
démontrerait pas sa qualité de citoyen actif), de l'existence d'une voie de
recours auprès du Tribunal administratif cantonal, et d'une motivation
insuffisante. Il conclut subsidiairement au rejet du recours en soutenant que
les juges assesseurs ne seraient pas des magistrats de l'ordre judiciaire au
sens de l'art. 132 al. 1 Cst./GE: le TCAS serait une institution sui generis,
comme la juridiction des prud'hommes; le statut des juges assesseurs (juges
non professionnels ayant des compétences réduites) serait totalement distinct
de celui des juges professionnels, et leur élection aux différentes
commissions était déjà faite par le Grand Conseil. Au cas où l'art. 132 al. 1
Cst./GE serait applicable à l'élection des assesseurs, le Grand Conseil
invoque l'application analogique de l'art. 132 al. 4 Cst./GE, admise par la
jurisprudence dans des conditions similaires au cas d'espèce. En cas
d'admission des griefs soulevés, le Grand Conseil demande au Tribunal fédéral
de prendre une décision incitative, sans annuler l'élection, afin d'éviter
que l'ensemble des jugements rendus par le TCAS depuis le 1er août 2003 ne
soient soumis à révision.
Le recourant a répliqué, en relevant qu'un projet de loi a été déposé le 8
septembre 2003, modifiant l'art. 56T OJ/GE - suppression de l'élection des
assesseurs par le Grand Conseil -, prévoyant à titre transitoire que le TCAS
fonctionne avec trois juges, sans assesseurs, jusqu'à entrée en fonction de
ces derniers, et comportant une clause d'urgence. La disposition transitoire
et la clause d'urgence ont été supprimées, et la modification de l'art. 56T,
adoptée le 14 novembre 2003, a été publiée le 21 novembre suivant. Le
recourant persiste à requérir l'annulation de l'élection, avec éventuellement
un effet ex nunc.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Grand Conseil met en doute à plusieurs égards la recevabilité du recours
de droit public.

1.1 Il relève que le recours est exclusivement formé pour violation du droit
de vote des citoyens (art. 85 let. a OJ), et que cette voie de droit ne
serait pas ouverte contre une élection indirecte.
Le recours prévu à l'art. 85 let. a OJ ne peut en principe être formé qu'à
l'occasion d'une votation ou élection populaire; à l'encontre d'une élection
indirecte, le droit des électeurs de participer au scrutin n'est pas en jeu,
et seul est ouvert le recours de droit public pour violation des droits
constitutionnels (art. 84 let. a OJ; ATF 112 Ia 174 consid. 2 p. 176-177).
Cela est vrai, mais pour autant que la compétence de l'autorité qui a procédé
à l'élection indirecte n'est pas contestée. Lorsque le citoyen prétend que
l'élection aurait dû être soumise au peuple, et que le parlement s'est
indûment arrogé une compétence des électeurs, la voie de l'art. 85 let. a OJ
est ouverte (ATF 97 I 24 consid. 2 in fine p. 31).

1.2 Le recours pour violation des droits politiques est ouvert à toute
personne à laquelle la législation cantonale reconnaît le droit de participer
à la votation ou à l'élection en cause, même si elle n'a aucun intérêt
juridique personnel à l'annulation de l'acte attaqué (ATF 128 I 190 consid. 1
p. 192).
Selon le Grand Conseil, le recourant se contenterait d'alléguer sa qualité
d'électeur dans le canton de Genève, sans prouver son inscription dans les
registres électoraux. Le recourant n'indiquerait pas non plus son lieu de
résidence, puisque le recours ne mentionne qu'une case postale.
Au stade de la recevabilité, le recourant peut se contenter d'alléguer sa
qualité d'électeur, sans avoir à la démontrer formellement. Le Grand Conseil
est malvenu de formuler des doutes à cet égard, car il lui était facile de
consulter le rôle des électeurs alors que, dans le canton de Genève, les
citoyens actifs ne disposent pas d'une carte d'électeur, celle-ci n'étant
remise qu'en vue de chaque opération électorale particulière (art. 6 de la
loi genevoise sur l'exercice des droits politiques - LDP/GE). A la demande du
Tribunal, le recourant a produit une attestation du Service cantonal des
votations et élections selon lequel le recourant est enregistré comme
électeur genevois. Sa qualité pour agir ne fait aucun doute.

1.3 Le 14 novembre 2003, le Grand Conseil a modifié l'art. 56T let. c OJ/GE,
en supprimant la mention de l'élection des seize suppléants par le Grand
Conseil. Le projet de loi, déposé le 8 septembre 2003 déjà, prévoyait
également une clause d'urgence, ainsi qu'une disposition transitoire selon
laquelle le TCAS siégerait au nombre de trois juges, sans assesseurs, jusqu'à
l'entrée en fonction de ces derniers. Toutefois, dans son rapport du 5
novembre 2003, la commission législative expose que la disposition
transitoire et la clause d'urgence ont été supprimées, car elles "auraient pu
poser plus de problèmes qu'en résoudre". La modification législative a été
adoptée le 14 novembre 2003 par le Grand Conseil. Le délai de référendum a
expiré le 31 décembre 2003.
Dans sa réponse, le Grand Conseil passe totalement sous silence cette
modification législative, pourtant déjà en cours d'élaboration. On ignore au
surplus si le nouvel art. 56T let. c OJ/GE est déjà entré en vigueur, et
surtout si de nouvelles élections vont être organisées pour les assesseurs au
TCAS. Dans la mesure où ce tribunal continue de fonctionner, pour une durée
indéterminée, le recours conserve son objet.

1.4 Le Grand Conseil soutient également que le recourant n'aurait pas épuisé
les voies de droit cantonales, un recours étant selon lui possible, contre
l'élection litigieuse, auprès du Tribunal administratif cantonal.

1.4.1 Selon l'art. 86 al. 1 OJ, le recours est soumis à l'exigence de
l'épuisement des instances cantonales, qui vaut aussi pour le recours fondé
sur l'art. 85 let. a OJ (ATF 118 Ia 415 consid. 3 p. 418). Le Tribunal
fédéral renonce toutefois à cette exigence lorsque la recevabilité du moyen
de droit cantonal apparaît douteuse (ATF 125 I 412 consid. 1c p. 416 et les
arrêts cités).

1.4.2 Selon l'art. 180 LDP/GE, les recours en matière de votations et
d'élections sont régis par l'art. 56A OJ et par la loi sur la procédure
administrative (LPA/GE). Selon l'art. 180 al. 2 LPD/GE, le recours au
Tribunal administratif est ouvert contre les "violations de la procédure des
opérations électorales", indépendamment de l'existence d'une décision. Selon
l'art. 58 LPA/GE, les décisions du Grand Conseil ne peuvent faire l'objet
d'un recours que dans les cas prévus par la loi. Selon l'art. 56A OJ/GE, le
Tribunal administratif est l'autorité supérieure cantonale compétente pour
statuer sur les recours en matière administrative. Le Grand Conseil mentionne
encore l'art. 63 al. 1 let. c LPA, selon lequel le délai de recours en
matière de votations et d'élections est de six jours.

1.4.3 Contrairement à ce que soutient l'autorité intimée, la compétence du
Tribunal administratif cantonal dans le cas d'espèce n'est pas évidente.
Selon l'art. 56A OJ/GE, le recours au Tribunal administratif est ouvert
contre les décisions des autorités et juridictions administratives, ainsi que
dans les cas où la loi le prévoit expressément. Le Grand Conseil n'apparaît
pas comme une autorité administrative (RDAF 1989 p. 191), et l'élection du 27
juin 2003 ne saurait sans autre être qualifiée de décision (cf. ATF 97 I 24
consid. 2c p. 30-31). Il y aurait lieu par conséquent de rechercher s'il
existe une disposition expresse permettant le recours cantonal. L'art. 180
al. 2 LDP/GE permet le recours contre "les violations de la procédure des
opérations électorales", mais, outre qu'elle ne s'applique pas forcément aux
élections effectuées par le Grand Conseil, il est douteux que la soumission
d'une élection au peuple plutôt qu'au parlement relève des opérations
électorales (cf. arrêt 1P.227/1990 du 11 janvier 1991 dans la cause V.).
Enfin, bien que cela puisse résulter d'une inadvertance, la publication de
l'élection ne fait pas état de la possibilité d'un recours au Tribunal
administratif. Pour sa part, le Grand Conseil ne mentionne aucune
jurisprudence selon laquelle le Tribunal administratif serait entré en
matière sur un recours dirigé contre une élection indirecte; dans un arrêt du
24 novembre 1992 (cause 1P.349/1992), le Tribunal fédéral a considéré que le
recours cantonal n'était pas ouvert contre ce type d'élection. En définitive,
devant les incertitudes de la législation genevoise, déjà relevées à
plusieurs occasions (arrêts 1P.733/2000 du 14 mai 2001 dans la cause B.,
1P.7/2000 du 18 mai 2000 dans la cause F., 1P.227/1990 du 11 janvier 1991
dans la cause V. précité), il y a lieu de tenir l'exigence d'épuisement des
instances cantonales pour satisfaite.

1.5 Le Grand Conseil estime enfin que le recours serait insuffisamment
motivé. Le recourant n'expliquerait pas en quoi consisterait la violation de
ses droits politiques.

1.5.1 L'exigence de motivation posée à l'art. 90 al. 1 let. b OJ vaut aussi
en matière de recours pour violation du droit de vote. Le recourant doit
ainsi indiquer en quoi consisterait la violation invoquée (ATF 129 I 185
consid. 1.6 p. 189 et les arrêts cités).

1.5.2 Dans son écriture initiale, le recourant se prévaut de l'art. 132
Cst./GE en relevant que l'exception prévue à l'al. 4 de cette disposition ne
serait pas applicable, de sorte que l'art. 56T OJ/GE serait contraire à la
constitution genevoise, de même que l'élection elle-même. Cette dernière
étant dépourvue de toute motivation, le recourant était autorisé à fournir
une argumentation plus complète sur le vu de la réponse de l'autorité intimée
(art. 93 al. 2 OJ). L'exigence de motivation est ainsi respectée, et il y a
lieu d'entrer en matière.

1.6 Saisi d'un recours de droit public fondé sur l'art. 85 let. a OJ, le
Tribunal fédéral revoit librement l'interprétation et l'application du droit
constitutionnel, ainsi que des dispositions de rang inférieur qui règlent le
contenu et l'étendue du droit de vote ou qui sont en relation étroite avec
celui-ci (ATF 129 I 185 consid. 2 p. 190); il n'examine en revanche que sous
l'angle restreint de l'arbitraire l'interprétation d'autres règles du droit
cantonal (ATF 123 I 175 consid. 2d/aa p. 178; 121 I 1 consid. 2 p. 3, 357
consid. 3 p. 360 et les arrêts cités). En présence de deux interprétations
également défendables, il s'en tient à celle retenue par la plus haute
autorité cantonale (ATF 121 I 334 consid. 2c p. 339; sur l'évolution du
pouvoir d'examen du Tribunal fédéral, voir ATF 111 Ia 201).

2.
Le recourant se plaint d'une violation de l'art. 132 Cst./GE, dont la teneur
est la suivante:
Art. 132 Pouvoir judiciaire
1 Les magistrats du pouvoir judiciaire, à l'exception des juges
prud'hommes, sont élus par le Conseil général, en un seul collège, selon le
système majoritaire.
2 L'élection a lieu tous les six ans.
3 Les magistrats sortant de charge sont immédiatement
rééligibles.
4 La loi règle tout ce qui concerne l'exécution du présent article,
ainsi que, même en dérogation au principe constitutionnel, le mode de
pourvoir aux fonctions qui deviennent vacantes dans l'intervalle des
élections générales.
Le recourant soutient que les seize postes d'assesseurs nouvellement créés ne
seraient pas devenus vacants dans l'intervalle, puisque le TCAS serait un
nouveau tribunal. L'art. 56T OJ/GE violerait ainsi la constitution cantonale,
ce que le Grand Conseil aurait dû constater d'office.

2.1 Pour le Grand Conseil, les juges assesseurs au TCAS ne seraient pas des
"magistrats de l'ordre judiciaire" au sens de l'art. 132 al. 1 Cst./GE. Dans
la constitution cantonale de 1847, les élections judiciaires se faisaient par
le Grand Conseil. L'élection directe par le peuple avait été introduite en
1904, avec une exception pour le Tribunal des prud'hommes. Cette exception
était justifiée par le fait que la juridiction des prud'hommes était une
institution sui generis, dont les juges étaient choisis dans des catégories
professionnelles. Pour le Grand Conseil, le TCAS serait lui aussi une
institution sui generis: il s'agirait d'une juridiction spécialisée; les
assesseurs, qui ne sont pas des juges de carrière, représenteraient les
partenaires sociaux, sur proposition des associations d'employeurs et de
salariés, avec une activité lucrative annexe. Le Grand Conseil relève que les
membres des commissions que le TCAS est appelé à remplacer, n'étaient jamais
élus par le peuple. Le Grand Conseil insiste enfin sur les spécificités de la
fonction d'assesseurs: ceux-ci siègent aux côtés d'un juge professionnel
disposant d'une voix prépondérante; ils ne peuvent concilier; les conditions
d'éligibilité, d'incompatibilités, de taux d'occupation et de rémunération
seraient différentes; un assesseur ne pourrait pas remplacer un juge
professionnel. Le Grand Conseil en conclut que l'exception applicable aux
prud'hommes devrait s'étendre par analogie aux suppléants du TCAS.

2.2 L'argumentation du Grand Conseil se heurte toutefois à un élément
essentiel, soit le texte constitutionnel lui-même. L'exception réservée à
l'art. 132 al. 1 Cst./GE est expressément limitée à la seule juridiction
prud'homale, et le parallèle avec cette dernière tombe à faux: le constituant
genevois a cru nécessaire de préciser, tant à l'art. 132 qu'à l'art. 140 al.
2 Cst./GE, que les juges prud'hommes n'étaient pas soumis à l'élection
populaire, partant manifestement du point de vue qu'il s'agissait de
magistrats. Dans son arrêt du 17 février 1971 dans la cause Dumartheray
(publié in SJ 1971 p. 572), le Tribunal fédéral a considéré comme évident que
les seize assesseurs des Chambres des baux au Tribunal de première instance
genevois, représentants des milieux immobiliers et des locataires appelés à
statuer aux côtés d'un juge professionnel, devaient être considérés comme des
magistrats de l'ordre judiciaire. Il n'est d'ailleurs pas contesté que les
assesseurs fonctionnant dans les autres juridictions, soit en particulier le
Tribunal de police (art. 27A OJ/GE), le Tribunal de la jeunesse (art. 12
OJ/GE), la Chambre d'accusation (art. 50 OJ/GE) et le Tribunal des baux et
loyers (art. 56M OJ/GE) sont considérés comme des magistrats et sont, à ce
titre, élus par le peuple. L'exemple du Tribunal des baux et loyers est
d'ailleurs significatif puisqu'il s'agit également d'une juridiction dont les
chambres sont présidées par un juge au Tribunal de première instance, assisté
d'un assesseur représentant les milieux immobiliers, et d'un assesseur
représentant les locataires (art. 56N OJ/GE).
La fonction représentative des assesseurs n'est donc pas un obstacle à leur
qualité de magistrat. Les autres règles concernant les autorités judiciaires
assimilent généralement les assesseurs aux juges professionnels, sous réserve
de prescriptions particulières concernant notamment l'éligibilité; ainsi,
l'art. 60F OJ/GE fixe les conditions d'âge des "magistrats du pouvoir
judiciaire" et mentionne, dans les cas particuliers, les juges assesseurs à
côté notamment des juges de la Cour de cassation; l'interdiction d'exercer
une activité professionnelle souffre également d'une exception en faveur des
assesseurs et des juges à la Cour de cassation notamment.

2.3 Il découle de ce qui précède que, dans la conception prévalant en droit
constitutionnel genevois, la notion de magistrat de l'ordre judiciaire doit
s'entendre de manière très large, comprenant tous les membres des
juridictions. Tel est d'ailleurs l'avis de la commission législative dans son
rapport à l'appui du projet de loi modifiant l'art. 56T OJ/GE: il n'existe
pas fondamentalement de différence de statut entre les juges professionnels
et les assesseurs, l'ensemble des juges, quelle que soit leur fonction, ayant
toujours été élus par le peuple.

3.
Le Grand Conseil invoque l'exception de l'art. 132 al. 4 Cst./GE, applicable
selon lui par analogie. Il se réfère aux deux arrêts rendus en 1971 par le
Tribunal fédéral à propos des assesseurs aux Chambres des baux du Tribunal de
première instance d'une part (arrêt du 17 février 1971 dans la cause
Dumartheray, publié in SJ 1971 p. 572), et de l'élection des juges du
Tribunal administratif genevois d'autre part (ATF 97 I 24).

3.1 Dans le premier arrêt, le Tribunal fédéral a considéré qu'il existait une
analogie suffisante avec le cas visé à l'art. 132 al. 4 Cst./GE: les juges du
Tribunal de première instance avaient été élus par le peuple; les assesseurs
siégeaient à côté d'un juge professionnel dont le rôle était, en pratique,
décisif, de sorte que les citoyens avaient en définitive la garantie d'être
jugés par un magistrat élu par le peuple. Il s'agissait de juridictions de
première instance dont les jugements étaient susceptibles d'appel devant des
magistrats élus par le peuple. La restriction au droit des citoyens était
moins grave. L'urgence pouvait aussi être invoquée, compte tenu du délai très
bref pour mettre en place la nouvelle juridiction exigée par la législation
fédérale. Les difficultés pratiques d'une élection par le peuple de juges
représentatifs de divers milieux ont également été retenues.
En revanche, dans le second arrêt, le Tribunal fédéral a annulé l'élection
des juges du Tribunal administratif. L'art. 132 al. 4 Cst./GE avait été
adopté dans le seul but d'éviter de convoquer le corps électoral tout entier
pour chaque vacance qui viendrait à se produire entre deux élections
générales. La possibilité de déroger à l'élection populaire était ainsi
limitée à la repourvue de postes déjà existants (ATF 97 I 24 consid. 4c p.
33-34). Toute interprétation extensive et par analogie n'était pas absolument
exclue, mais il fallait que l'analogie existe réellement et que la dérogation
ne heurte pas trop fortement le principe, ni ne lèse trop gravement les
droits qui en découlent pour le citoyen (consid. 4d p. 34). L'élection
complète d'un nouveau tribunal n'avait rien de comparable avec un cas de
vacance, et devait être soumise au peuple.

3.2 En l'occurrence, le TCAS constitue une juridiction entièrement nouvelle.
Les juges professionnels ont certes été élus avant les assesseurs, mais en
vue d'une entrée en fonction simultanée. Il est évident que l'exception visée
à l'art. 132 al. 4 Cst./GE ne s'applique pas directement: il n'y a pas de
poste "devenu vacant", même si le TCAS est appelé à succéder aux autorités de
recours dont il reprend les compétences. Le cas précité des Chambres des baux
était différent, car des assesseurs venaient s'adjoindre à une juridiction
déjà existante. Par ailleurs, même si le magistrat de métier peut exercer une
certaine influence, les cours du TCAS sont composées d'un juge et de deux
assesseurs disposant d'une même voix délibérative, de sorte que pour toute
décision (sous réserve des questions de principe ou des changements de
jurisprudence, art. 56U al. 2 OJ/GE), la voix d'un assesseur est nécessaire.
En outre, selon la loi elle-même, les assesseurs ne sont pas de simples
laïcs, mais doivent bénéficier d'une formation spécifique sur les questions
juridiques et d'assurances sociales (art. 56T let. c OJ). L'argument relatif
à la possibilité d'un recours devant des magistrats élus par le peuple ne
peut pas non plus être retenu, le TCAS statuant en instance unique (art. 56V
OJ/GE).
Les arguments invoqués par le Grand Conseil, déjà considérés comme
discutables dans l'arrêt du Tribunal fédéral relatif au Tribunal des baux, ne
sauraient ainsi valoir dans la même mesure en l'espèce. En outre, l'argument
de l'urgence n'est pas non plus déterminant: on ne voit pas ce qui empêchait
de procéder à l'élection des assesseurs en même temps que des juges. Selon la
loi fédérale du 6 octobre 2000 sur la partie générale du droit des assurances
sociales (LPGA; RS 830.1), les cantons sont certes tenus d'instituer un
tribunal des assurances sociales (art. 57 LPGA), mais disposent pour ce faire
d'un délai de cinq ans dès le 1er janvier 2003 (art. 82 al. 2 LPGA). Quant
aux difficultés liées au facteur représentatif, elles ne paraissent pas
insurmontables, puisqu'il suffit de proposer à l'élection deux listes
distinctes de candidats.

3.3 Il n'existe dès lors manifestement pas d'analogie suffisante entre
l'élection des assesseurs au TCAS et le remplacement de postes vacants au
sens de l'art. 132 al. 4 Cst./GE permettant de renoncer - même provisoirement
dès lors qu'une élection populaire devra en tout cas avoir lieu lors des
prochaines élections générales - au vote du peuple. Le recours doit par
conséquent être admis, et il reste à examiner les conséquences de cette
admission.

4.
Le Grand Conseil demande au Tribunal fédéral de renoncer à annuler l'élection
contestée en rendant une décision de constatation incitative qui permettrait
d'éviter un chaos juridique, puisque les jugements rendus depuis le 1er août
2003 (plus de 90 à fin octobre 2003) seraient tous susceptibles de faire
l'objet de demandes de révision.

4.1 Le Tribunal fédéral prend une décision incitative lorsque, pour éviter un
vide juridique - qui aurait, en définitive, des conséquences plus néfastes
que l'application d'une disposition viciée -, il renonce à annuler une
disposition inconstitutionnelle. On parle de décision incitative
("Appellentscheid") car cette décision comporte un appel plus ou moins précis
et directif à l'égard du législateur afin qu'il élabore une réglementation
conforme à la Constitution (Walter Kälin, Das Verfahren der staatsrechtlichen
Beschwerde, Berne 1994, 2e éd., p. 403). Une telle décision a ainsi pour
conséquence, d'une part, de maintenir un acte vicié, le cas échéant en
déboutant un recourant qui obtient gain de cause, et, d'autre part, de
légitimer les autorités (à continuer) à appliquer, au moins temporairement,
une norme reconnue comme n'étant pas conforme à la Constitution jusqu'à ce
que le législateur adopte une nouvelle réglementation (cf. Andreas Auer,
L'effet des décisions d'inconstitutionnalité du Tribunal fédéral, in PJA 5/92
p. 559 ss, n. 23, p. 564). Aussi une décision incitative ne peut-elle être
admise qu'exceptionnellement et pour de justes motifs (ATF 112 Ia 311 consid.
2c p. 313; RDAF 1998 2 148 consid. 3b/aa p. 153/154).

4.2 Le recours pour violation des droits politiques n'a en principe, comme
les autres recours de droit public, qu'une nature cassatoire (ATF 129 I 185
consid. 1.5 p. 189; 119 Ia 167 consid. 1f p. 173). Lorsqu'il constate qu'une
votation ou une élection viole le droit constitutionnel, le Tribunal fédéral
peut renoncer à l'annulation lorsque l'irrégularité constatée est de peu de
gravité, lorsque celle-ci est sans influence sur le résultat du scrutin, ou
pour des motifs tenant à la proportionnalité et à la sécurité juridique (ATF
129 I 185 consid. 8 p. 204). En l'occurrence, le vice constaté est
fondamental, puisque le parlement s'est arrogé une compétence au détriment du
peuple, et le Tribunal fédéral ne saurait dès lors adopter une sanction moins
rigoureuse que l'annulation du scrutin. Il n'y aurait d'ailleurs pas de sens
de se limiter à constater l'inconstitutionnalité de la disposition légale
prévoyant l'élection des assesseurs par le Grand Conseil, cette dernière
ayant déjà été modifiée. L'éventualité de demandes de révision, contre les
jugements rendus depuis le mois d'août 2003, ne constitue pas non plus une
circonstance exceptionnelle justifiant, pour des motifs de sécurité
juridique, le maintien d'une élection contraire à la Constitution. Cette
situation ne serait d'ailleurs pas évitée par une décision incitative, car
même si l'élection n'est pas formellement annulée, les justiciables n'en
conserveraient pas moins le droit de contester la composition irrégulière du
TCAS, le cas échéant par le biais de demandes de révision.
En réalité, l'inconvénient pratique, que le Grand Conseil n'évoque d'ailleurs
pas, concerne l'activité du TCAS après l'annulation des élections de ses
assesseurs. C'est à l'autorité cantonale qu'il appartiendra de décider de
quelle manière le TCAS pourra continuer de fonctionner, et d'organiser des
élections populaires dans un délai le plus court possible.

4.3 Le recours de droit public doit par conséquent être admis, et l'élection
des assesseurs au Tribunal cantonal des assurances sociales doit être
annulée. Selon la pratique relative au recours pour violation des droits
politiques, il n'est pas perçu d'émolument judiciaire, ni alloué de dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'élection de seize assesseurs au Tribunal cantonal
des assurances sociales, du 26 juin 2003, est annulée.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire, ni alloué de dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au recourant et au Grand Conseil du
canton de Genève.

Lausanne, le 27 janvier 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.487/2003
Date de la décision : 27/01/2004
1re cour de droit public

Analyses

Art. 85 let. a OJ; art. 132 Cst./GE; élection des juges assesseurs au Tribunal cantonal des assurances par le Grand Conseil. Les juges assesseurs sont des magistrats au sens de l'art. 132 al. 1 Cst./GE, soumis à l'élection populaire (consid. 2). L'art. 132 al. 4 Cst./GE, qui permet une élection par le Grand Conseil lorsque des postes doivent être repourvus entre les élections générales, ne peut pas s'appliquer par analogie à la création d'un nouveau tribunal (consid. 3).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2004-01-27;1p.487.2003 ?
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