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23/12/2003 | SUISSE | N°4C.163/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 23 décembre 2003, 4C.163/2003


{T 0/2}
4C.163/2003 /ech

Arrêt du 23 décembre 2003
Ire Cour civile

Mme et MM. les Juges Corboz, président, Walter, Rottenberg
Liatowitsch,
Nyffeler et Pagan, juge suppléant.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

X. ________,
défenderesse et recourante, représentée par Me Eric Alves de Souza,

contre

A.________,
demandeur et intimé, représenté par Me Ulysse Rochat.

cautionnement; action en libération de dette; compétence ratione loci;
convention de Lugano

(recours en réform

e contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de
justice
genevoise du 11 avril 2003).

Faits:

A.
A.a Le 25 ma...

{T 0/2}
4C.163/2003 /ech

Arrêt du 23 décembre 2003
Ire Cour civile

Mme et MM. les Juges Corboz, président, Walter, Rottenberg
Liatowitsch,
Nyffeler et Pagan, juge suppléant.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

X. ________,
défenderesse et recourante, représentée par Me Eric Alves de Souza,

contre

A.________,
demandeur et intimé, représenté par Me Ulysse Rochat.

cautionnement; action en libération de dette; compétence ratione loci;
convention de Lugano

(recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de
justice
genevoise du 11 avril 2003).

Faits:

A.
A.a Le 25 mai 1992, la banque X.________, dont le siège est à Lyon
(France),
a pris l'engagement d'accorder à la société en nom collectif de droit
français Y.________ l'ouverture d'un "crédit marchand de biens"
portant sur
un montant de 2'500'000 FF en vue de financer l'acquisition d'un
domaine
immobilier dans la Nièvre (France). Il était prévu que ce prêt, dont
le taux
d'intérêt s'élevait à 13 % l'an, devait arriver à échéance le 25 mai
1994 au
plus tard.

En garantie de ce prêt, A.________, domicilié à Cologny (Genève),
s'est porté
caution personnellement et solidairement.

A.b Par acte notarié du 30 mai 1992, Y.________ a procédé à
l'acquisition
immobilière projetée pour le prix de 3'100'000 FF et X.________ a
consenti à
la société en nom collectif le prêt convenu en date du 25 mai 1992.

Le cautionnement solidaire de A.________ y a été consigné, celui-ci
renonçant
expressément au bénéfice de discussion et de division. En outre,
A.________
s'est obligé, solidairement avec l'emprunteur, au remboursement
global du
prêt, au service ponctuel des intérêts et au paiement de tous frais et
accessoires. Aucune clause de prorogation de for ou d'élection de
droit n'a
été convenue.

A.c Toujours en date du 30 mai 1992, X.________ a accordé à
Y.________ un
découvert en compte de 300'000 FF destiné à financer un besoin de
trésorerie
dans le cadre de cette opération immobilière.

A. ________ s'est également porté caution solidaire à due concurrence.

A.d Le domaine immobilier acquis par Y.________ a été grevé d'une
hypothèque
en faveur de X.________ garantissant le remboursement du prêt de
2'500'000
FF.

A.e Par avenant des 26 janvier et 16 juin 1995, X.________ et
Y.________ ont
convenu de proroger la durée du prêt au 30 septembre 1995 et de
constituer
une hypothèque au profit de la banque d'un montant de 800'000 FF
correspondant aux intérêts dus ou à devoir. Cette hypothèque grevait,
en
second rang, un autre immeuble appartenant à la société en nom
collectif et
sis dans l'Ain (France).

Par courrier du 20 mars 1995, A.________ a déclaré ne pas s'être porté
caution en faveur de Y.________ pour la somme supplémentaire de
800'000 FF
faisant l'objet de l'avenant.

B.
A l'échéance convenue du 30 septembre 1995, Y.________ n'a pas
remboursé le
prêt que lui avait consenti X.________.

Par lettre du 20 novembre 1995, la banque a mis A.________ en demeure
de lui
verser 3'637'291 FF 67 plus les intérêts en remboursement du prêt,
ainsi que
319'171 FF 88 se rapportant au compte débiteur.

La réalisation forcée des immeubles de Y.________ n'ayant apparemment
pas
assuré le remboursement intégral de X.________, la banque a fait
notifier à
A.________, par l'Office des poursuites de Genève, un commandement de
payer
portant sur les sommes de 969'437 fr. 74 (contre-valeur de 4'128'180
FF 84)
et de 52'835 fr. (contre-valeur de 225'021 FF 17).

A. ________ a formé une opposition totale à cette poursuite et, par
jugement
du 18 octobre 2001, le Tribunal de première instance de Genève a
prononcé la
mainlevée provisoire de cette opposition.

C.
Le 13 novembre 2001, A.________ a intenté, auprès de la même
juridiction, une
action en libération de dette. Il a conclu à ce qu'il soit constaté
qu'il ne
devait pas les sommes qui lui étaient réclamées et à ce que la
poursuite
dirigée contre lui n'aille pas sa voie. Subsidiairement, il a requis
la
constatation qu'il était fondé à opposer en compensation des créances
de
2'138'027 FF et de 207'000 FF.

X. ________ a excipé de l'incompétence des tribunaux genevois à
raison du
lieu et a conclu à l'irrecevabilité de l'action en libération de
dette. Pour
sa part, A.________ a prétendu au rejet des conclusions de la banque
sur
incompétence.

D.
Par jugement du 15 avril 2002, le Tribunal de première instance a
débouté
X.________ de son exception d'incompétence ratione loci.
Statuant sur appel de X.________, la Cour de justice de Genève, par
arrêt du
11 avril 2003, a confirmé ce jugement.

E.
Agissant en temps utile, par la voie d'un recours en réforme,
X.________ (la
défenderesse) a requis le Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt rendu le
11
avril 2003 par la Cour de justice et de déclarer irrecevable la
demande
déposée le 13 novembre 2001 par A.________, en mettant les frais et
dépens à
la charge de ce dernier.

A. ________ (le demandeur) a conclu, pour sa part, au rejet du
recours en
réforme et à la confirmation de l'arrêt déféré, avec suite de dépens.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des
recours
en réforme dont il est saisi (ATF 129 III 415 consid. 2.1).
1.1 L'arrêt attaqué, qui admet la compétence ratione loci des
tribunaux
genevois pour connaître de l'action en libération de dette, constitue
une
décision incidente prise séparément au fond par la juridiction
suprême du
canton. A l'appui de son recours, la défenderesse reproche
principalement à
la cour cantonale d'avoir méconnu la Convention du 16 septembre 1988
concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en
matière
civile et commerciale (RS 0.275.11; ci-après CL ou Convention de
Lugano).

En vertu de l'art. 49 al. 1 OJ, une telle décision peut faire l'objet
d'un
recours en réforme au Tribunal fédéral, dès lors que la Convention de
Lugano
appartient au droit fédéral (ATF 125 III 108 consid. 3b p. 110), étant
rappelé que le recours en réforme doit être déposé immédiatement, sans
attendre la décision finale (art. 48 al. 3 OJ; Corboz, Le recours en
réforme
au Tribunal fédéral, SJ 2000 II p. 1 ss, 9).

1.2 En outre, le litige porte sur des obligations de garantie
souscrites par
le demandeur envers la défenderesse sous forme d'un cautionnement
solidaire
ou d'une reprise cumulative de dette, sans que les parties n'aient
convenu de
clause d'élection de droit. Le débiteur étant domicilié à Genève, le
droit
suisse est donc applicable en vertu de l'art. 117 al. 1, 2 et 3 let.
e LDIP
(cf. Dutoit, Commentaire de la loi fédérale du 18 décembre 1987, 3e
éd., Bâle
2001, no 29 ad art. 117 LDIP).

La présente affaire relève ainsi, sur le fond, du droit civil suisse
et porte
sur une valeur litigieuse largement supérieure à la limite ouvrant la
voie du
recours en réforme (cf. art. 46 OJ), de sorte que le recours, déposé
en temps
utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ),
est en
principe recevable.

1.3 Il en va de même de la réponse formée par le demandeur dans le
délai
imparti compte tenu des féries (art. 34 al. 1 let. b et 59 OJ).

2.
2.1La cour cantonale a admis la compétence des tribunaux genevois en
considérant en substance que la solution du droit interne suisse selon
laquelle l'action en libération de dette s'exerce au for de la
poursuite
n'allait pas à l'encontre de la Convention de Lugano. Elle a tenu
compte des
caractéristiques de cette procédure, en particulier du rôle inversé
des
parties et de ses liens avec la mainlevée provisoire. Les juges ont
ainsi
estimé qu'ils ne pouvaient déclarer irrecevable l'action déposée par
le
débiteur poursuivi au motif qu'il aurait dû intenter l'action en
libération
de dette devant les tribunaux du siège de l'État de la société
créancière
poursuivante.

2.2 La défenderesse affirme qu'un tel raisonnement est contraire à la
Convention de Lugano. En résumé, elle soutient que l'action en
libération de
dette prévue à l'art. 83 al. 2 LP (RS 281.1) ne saurait échapper au
principe
général de la compétence de l'État du domicile du défendeur exprimé à
l'art.
2 al. 1 CL. En outre, elle est d'avis qu'aucune des règles de
compétence
spéciales prévues par la Convention de Lugano ne permettent au
demandeur
d'intenter l'action en libération de dette en Suisse, au for de la
poursuite,
contre un défendeur domicilié sur le territoire d'un autre État
contractant.

3.
Les griefs invoqués s'articulant principalement autour de l'art. 2 de
la
Convention de Lugano, il convient en premier lieu de contrôler que
cette
disposition est bien applicable.

3.1 La cause introduite à Genève a pour objet l'exécution de garanties
conclues entre un particulier domicilié en Suisse et une société
bancaire
dont le siège se trouve en France. La Convention de Lugano est en
vigueur en
Suisse et en France depuis le 1er janvier 1992, soit bien avant
l'introduction de l'action judiciaire litigieuse (cf. art. 54 CL). En
outre,
les parties étant l'une et l'autre domiciliées dans un État
signataire, ce
texte est bien applicable en l'espèce (cf. Donzallaz, La Convention de
Lugano, vol. I, Berne 1996, no 1101).

3.2 La présente procédure a été introduite par le débiteur poursuivi
à la
suite d'une décision de mainlevée provisoire de l'opposition accordée
à la
société poursuivante au for prévu par l'art. 83 al. 2 LP. Cette
disposition
permet au poursuivi, dans les 20 jours à compter de la mainlevée,
d'intenter
au for de la poursuite une action en libération de dette. Toutefois,
l'art.
30a LP réserve l'application des traités internationaux, de sorte que
lorsque, comme on vient de le voir, la Convention de Lugano est
applicable,
l'action en libération de dette, qui est un procès au fond, est régie
par les
règles de compétence figurant aux art. 2 à 18 CL et non par l'art. 83
al. 2
LP (M. Staehelin, Commentaire SchKG I, Bâle 1998, no 23 ad art. 30a;
Kaufmann-Kohler, Commandement de payer, mainlevée provisoire, action
en
libération de dette et Convention de Lugano, SJ 1995 p. 537 ss, 557;
en ce
sens MCF du 8 mai 1991 concernant la révision de la LP, FF 1990 II p.
290 et
312).

Il en découle que c'est exclusivement à la lumière des règles de
compétence
figurant aux art. 2 ss CL qu'il convient de vérifier s'il existe en
l'occurrence un for à Genève permettant au poursuivi d'y introduire
une
action en libération de dette, ce que conteste la défenderesse.

4.
En matière de compétence ratione loci, l'art. 2 al. 1 CL prévoit que,
sous
réserve des dispositions de la présente convention, les personnes
domiciliées
sur le territoire d'un État contractant sont attraites, quelle que
soit leur
nationalité, devant les juridictions de cet État. Cette disposition
attribue
une compétence générale aux tribunaux de l'État du domicile du
défendeur
(Gaudemet-Tallon, Les Conventions de Bruxelles et de Lugano, 2e éd.,
Paris
1996, no 68 s.; Donzallaz, La Convention de Lugano, vol. III, Berne
1998, no
4240; Poudret, Les règles de compétence de la Convention de Lugano
confrontées à celles du droit fédéral, en particulier à l'art. 59 de
la
Constitution, in L'espace judiciaire européen, Lausanne 1992, p. 57
ss, 64).
Il ne s'agit du reste que de la concrétisation de la règle générale
actor
sequitur forum rei qui est reconnue par tous les États (Donzallaz,
vol III,
op. cit., no 4264 et 4267; Gaudemet-Tallon, op. cit., no 68) et qui
est
ancrée en Suisse à l'art. 30 al. 2 Cst. La Convention de Lugano
prévoit en
outre une série de règles de compétence spéciales qui permettent de
déroger
au for garantit par l'art. 2 al. 1 CL (Donzallaz, vol. III, op. cit.,
no 4275
ss). Celles-ci doivent toutefois s'interpréter restrictivement (M.
Staehelin,
op. cit., no 11 ad art. 30a; Donzallaz, vol. III, op. cit., no 4270
s.).

Ainsi, en s'en tenant au principe général posé à l'art. 2 al. 1 CL,
force est
de constater que les tribunaux genevois auraient été compétents pour
connaître d'une action en paiement intentée par la banque créancière à
l'encontre du demandeur en qualité de caution, s'il n'y avait pas eu
le
recours préalable à une procédure d'exécution forcée ayant abouti au
prononcé
d'une mainlevée provisoire. Si l'action en libération de dette a
finalement
été introduite en Suisse par le débiteur poursuivi, c'est parce que la
défenderesse a préféré intenter une procédure de poursuite contre son
débiteur domicilié en Suisse et que, celui-ci ayant fait opposition au
commandement de payer à lui signifié, elle a requis le Tribunal de
première
instance de Genève de prononcer la mainlevée provisoire de cette
opposition,
ce qu'elle a obtenu par jugement du 18 octobre 2001.

Il convient donc d'examiner si, dans un tel contexte, la compétence
de la
juridiction genevoise pour connaître de l'action en libération de
dette
litigieuse peut être admise en vertu de la Convention de Lugano.

5.
Lors de cette analyse, les différentes étapes de la procédure qui se
sont
déroulées en Suisse doivent être distinguées.

5.1 Il ressort des faits constatés que la défenderesse, optant pour
la voie
de la poursuite, a tout d'abord fait notifier au demandeur un
commandement de
payer à son lieu de domicile dans
le canton de Genève (art. 46 al. 1
LP). Cet
acte est émis par une autorité administrative, à la seule demande du
soi-disant créancier, sans examen de l'existence et de l'exigibilité
de la
créance alléguée (Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la
poursuite
pour dettes et la faillite, Lausanne 1999, no 6 ad art. 69 LP;
Wütrich/Schoch, Commentaire SchKG I, no 12 ad art. 69 LP). Rédigé et
notifié
par un fonctionnaire, le commandement de payer n'est en rien un acte
juridictionnel (Gilliéron, op. cit., no 7 ad art. 69 LP). Comme seuls
les
actes relevant d'une juridiction, soit d'une autorité judiciaire,
entrent
dans le champ d'application matériel du traité (cf. art. 1 al. 1 et
25 CL),
il est fortement douteux que le commandement de payer soit soumis à la
Convention de Lugano (cf. en ce sens: D. Staehelin, Die internationale
Zuständigkeit der Schweiz im Schuldbetreibungs-und Konkursrecht,
AJP/PJA 1995
p. 259 ss, 270; Donzallaz, op. cit., vol. III, no 6376; Stoffel
Ausschliessliche Gerichtsstände des Lugano-Übereinkommens und
SchKG-Verfahren, insbesondere Rechtsöffnung, Widerspruchsklage und
Arrest, in
Festschrift für Oskar Vogel, Fribourg 1991, p. 357 ss, 385; contra
ATF 120
III 92, mais dans l'hypothèse où le commandement de payer validait un
séquestre obtenu en Suisse; question laissée ouverte in ATF 124 III
505
consid. 2a et b). Il n'y a cependant pas besoin d'entrer plus en
détail sur
ce sujet, car le commandement de payer a été notifié à l'initiative
de la
banque au lieu de domicile de son prétendu débiteur (cf. art. 46 al.
1 LP),
de sorte qu'en l'espèce cet acte respecte de toute manière la
compétence
ratione loci prévue à l'art. 2 al. 1 CL.

5.2 Le demandeur ayant formé opposition au commandement de payer, la
défenderesse a déposé, à Genève toujours, une demande de mainlevée
provisoire
de l'opposition que le juge lui a accordée. Contrairement au
commandement de
payer, la décision de mainlevée émane d'une autorité judiciaire, de
sorte
qu'elle entre dans le champ d'application matériel de la Convention
de Lugano
(cf. art. 1 al. 1 CL). Le point de savoir si la procédure de mainlevée
provisoire doit respecter le for de l'art. 2 al. 1 CL ou si elle
entre dans
le cadre de l'art. 16 ch. 5 CL, qui prévoit que sont compétents, sans
considération de domicile, en matière d'exécution des décisions, les
tribunaux de l'État contractant du lieu d'exécution, n'a pas été
tranché par
la jurisprudence fédérale et est controversé dans la doctrine, ainsi
que dans
la jurisprudence cantonale (notamment sur ce sujet: Pedrotti, Le
séquestre
international, thèse Fribourg 2001, p. 346 ss;
Leuch/Marbach/Kellerhals/Sterchi, Die Zivilprozessordnung für den
Kanton
Bern, 5e éd., Berne 2000, no 5c/ee ad art. 32; Peter, La LP et la
Convention
de Lugano - Dix ans de jurisprudence, JdT 2002/II p. 2 ss, 7 ss; en
faveur de
l'application de l'art. 16 ch. 5 CL, Gehri, Wirtschaftsrechtliche
Zuständigkeiten im internationalen Zivilprozessrecht der Schweiz,
thèse
Zurich 2002, p. 164; contra: D. Staehelin, Die internationale
Zuständigkeit,
op. cit., p. 275; hésitante en raison des conséquences sur le for de
l'action
en libération de dette: Kaufmann-Kohler, op. cit., p. 539 et 557 ss).
Cette
question n'a pas à être tranchée dans la présente cause, car le for
du lieu
de la poursuite auquel a été déposée l'action en mainlevée provisoire
de
l'opposition correspond au domicile du débiteur poursuivi. Par
conséquent, à
l'instar du commandement de payer, la procédure de mainlevée
provisoire de
l'opposition s'est déroulée en l'espèce au for garantit par l'art. 2
al. 1
CL.

5.3 Enfin, la mainlevée provisoire de l'opposition ayant été accordée
à la
banque, le débiteur poursuivi a déposé, dans le délai de 20 jours
prévu à
l'art. 83 al. 2 LP, une action en libération de dette à Genève.
Contrairement
aux phases précédentes, la compétence ratione loci des autorités
judiciaires
suisses pour connaître d'une telle action en regard de la Convention
de
Lugano est plus délicate, car, comme le souligne la banque dans son
recours,
la demande en libération de dette a été introduite au for de la
poursuite,
qui correspond, sur le plan formel, au for de domicile du demandeur
poursuivi, et non au lieu du siège en France de la défenderesse à
cette
procédure.

5.3.1 L'action en libération de dette prévue à l'art. 83 al. 2 LP
n'est pas
une procédure incidente à la poursuite, mais une action négatoire de
droit
matériel (ATF 128 III 44 consid. 4a; 127 III 232 consid. 3a; 124 III
207
consid. 3a), qui tend à la constatation de l'inexistence ou de
l'inexigibilité de la créance invoquée par le poursuivant (ATF 118
III 40
consid. 5a p. 42). Elle reste néanmoins liée à la procédure de
poursuite (cf.
ATF 124 III 207 consid. 3a), dès lors que le délai d'ouverture de
l'action
dépend de la décision de mainlevée provisoire; elle déploie aussi des
effets
réflexes sur la poursuite, car elle en arrête le cours, tandis que le
jugement définitif a autorité de chose jugée sur le fond à l'égard du
poursuivant et du poursuivi (Gilliéron, op. cit., no 51 ad art. 83
LP).

Dans cette mesure, l'action en libération de dette de l'art. 83 al. 2
LP
apparaît comme le pendant de l'action en reconnaissance de dette
prévue à
l'art. 79 LP, dont elle ne se distingue que par le renversement du
rôle
procédural des parties (ATF 128 III 44 consid. 4a; 127 III 232
consid. 3a et
les arrêts cités). Alors que l'action en reconnaissance de dette est
ouverte
par le créancier poursuivant, qui a le rôle du demandeur, contre le
poursuivi, en tant que défendeur, l'action en libération de dette est
déposée
par le poursuivi, qui en est ainsi le demandeur, contre le poursuivant
assumant le rôle du défendeur. Le fardeau de la preuve et celui de
l'allégation ne sont en revanche pas renversés (ATF 95 II 617 consid.
2):
dans l'une et l'autre de ces deux procédures, il appartient au
poursuivant de
prouver les faits dont il déduit l'existence et l'exigibilité de la
créance
et/ou le droit d'exercer des poursuites (Gilliéron, op. cit., no 53
ad art.
83 LP; Peter, op. cit., p. 11), alors qu'il appartient au poursuivi
de se
défendre en démontrant qu'il ne doit pas les sommes qu'on lui réclame
(D.
Staehelin, Commentaire SchKG I, no 55 ad art. 83 LP). Le fait que le
débiteur
soit matériellement le défendeur dans l'action en libération de dette
trouve
en définitive son origine dans le mécanisme de la mainlevée (cf.
Kaufmann-Kohler, p. 558).

5.3.2 Les termes utilisés à l'art. 2 al. 1 CL ne mentionnent pas les
défendeurs, mais font référence aux personnes attraites devant les
juridictions de l'État contractant où elles sont domiciliées. On ne
peut donc
déduire du sens littéral de cette disposition que la CL attache une
importance décisive au rôle formel des parties dans la procédure.
Dans la
jurisprudence de la CJCE, citée par la cour cantonale et dont il y a
lieu de
tenir compte lors de l'interprétation de la Convention de Lugano (cf.
ATF 129
III 626 consid. 5.2.1), il a certes été souligné que l'art. 2 al. 1
CL visait
à protéger les droits du défendeur (arrêt de la CJCE du 4 juillet
1985,
affaire 220/1984, rec. 1985 p. 2267 ch. 15), mais il s'agissait
précisément
de la partie appelée matériellement à se défendre. En effet, dans
cette
affaire, le défendeur sur le plan procédural a fait valoir la
compensation
devant le tribunal de l'État contractant du lieu d'exécution et la
CJCE a
estimé qu'il devait agir auprès du tribunal de domicile du demandeur
au sens
formel, au motif que c'est ce for qui aurait été admis si la
prétention du
défendeur avait fait l'objet d'une action autonome. Contrairement à
ce que
soutient la défenderesse, l'idée qui ressort de cette jurisprudence
est bien
de garantir à la personne qui, sur le plan matériel, est amenée à se
défendre
de pouvoir le faire au lieu de son domicile. L'élément déterminant
pour
apprécier la compétence ratione loci du tribunal compétent n'est donc
pas
forcément la position formelle des parties et la Convention de Lugano
n'exclut pas, dans certaines situations particulières, de tenir
compte de
considérations matérielles (cf. Markus, Lugano-Übereinkommen und
SchKG-Zuständigkeiten, thèse Bâle 1996, p. 141).

5.3.3 L'action en libération de dette, en tant qu'elle se distingue de
l'action en reconnaissance de dette par le seul renversement du rôle
procédural des parties, mais non par la position matérielle de
celles-ci, est
une particularité du droit suisse (Schmid, Note sur la coexistence
possible
entre la procédure de mainlevée provisoire et l'action en libération
de dette
selon la Convention de Lugano, in SJ 1996 p. 13). Cette spécificité
implique
que, pour atteindre le but de protection visé par l'art. 2 al. 1 CL
dans
l'action en libération de dette, il convient de ne pas s'attacher à la
désignation formelle des parties, puisqu'il appartient en définitive
au
demandeur poursuivi de se défendre (cf. supra consid. 5.3.1). Or, les
tribunaux genevois auraient été compétents en regard de l'art. 2 al.
1 CL
pour connaître d'une action en paiement déposée par la banque
créancière à
l'encontre du demandeur en qualité de caution (cf. supra consid. 4).
L'action
en libération de dette a finalement dû être introduite par le débiteur
poursuivi, parce que la défenderesse a choisi d'intenter une
procédure de
poursuite à son encontre, au lieu de son domicile en Suisse et que,
celui-ci
ayant fait opposition au commandement de payer à lui signifié, elle a
requis
et obtenu du Tribunal de première instance de Genève qu'il prononce la
mainlevée provisoire de cette opposition. L'inversion formelle des
parties
est donc étroitement liée à la poursuite introduite préalablement par
la
créancière au for du domicile du débiteur. Dans un tel contexte, il se
justifie d'admettre que les autorités judiciaires du domicile de la
personne
amenée matériellement à se défendre dans l'action en libération de
dette,
soit en l'occurrence le débiteur poursuivi, sont compétentes ratione
loci en
vertu de l'art. 2 al. 1 CL, même si, d'un point de vue strictement
formel, ce
for correspond à celui du demandeur (en ce sens, Stoffel, op. cit.,
p. 383).

En d'autres termes, lorsque le débiteur est domicilié en Suisse et
que le
créancier, domicilié dans un autre État partie à la CL, n'introduit
pas une
demande en paiement, mais choisit la voie de la poursuite au for de
domicile
du débiteur, il n'est pas contraire à l'art. 2 al. 1 CL d'admettre que
l'action en libération de dette au sens de l'art 83 al. 2 LP puisse
être
introduite en Suisse par le débiteur poursuivi.

5.3.4 Une telle interprétation de la Convention de Lugano équivaut du
reste à
la conception de la garantie du for du domicile du défendeur figurant
dans
notre Constitution. En effet, le Tribunal fédéral a indiqué que
l'art. 59
aCst. (actuellement art. 30 al. 2 Cst.) visait en premier lieu à
protéger le
débiteur dans le cadre d'une poursuite et il a laissé entendre que
l'introduction, par le poursuivi, d'une action en libération de dette
au for
prévu à l'art. 46 al. 1 LP était compatible avec les exigences
constitutionnelles (cf. ATF 124 III 207 consid. 3b/aa p. 209).

5.3.5 Par ailleurs, en raison des caractéristiques de l'action en
libération
de dette du droit suisse, on ne peut être certain que les tribunaux
français
du domicile de la défenderesse, s'ils avaient à connaître d'une telle
action
introduite par le débiteur poursuivi, reconnaîtraient leur compétence
(cf.
Peter, op. cit., p. 11 s.). Or, en présence d'un conflit possible de
compétence, il est nettement préférable d'opter pour une solution
comportant
le risque d'entraîner un conflit positif, dès lors que la Convention
de
Lugano, par le jeu des exceptions de litispendance et de connexité,
permet
d'y remédier, que de nier la compétence des autorités suisses, avec
le risque
d'un conflit négatif, aux conséquences plus graves, car il
entraînerait un
déni de justice (cf. Gaudemet-Tallon, op. cit., no 71).

5.4 Cette solution correspond, dans son résultat, à la position de la
doctrine, qui s'est abondamment prononcée sur la question du for de
l'action
en libération de dette en relation avec la procédure de mainlevée
(Schmid,
op. cit., p. 13). Dans leur grande majorité, les auteurs considèrent
que la
Convention de Lugano permet le dépôt d'une telle action en Suisse, au
lieu de
la poursuite, mais ils divergent sur la base juridique permettant
d'asseoir
la compétence des autorités judiciaires suisses (pour une vue
d'ensemble,
notamment M. Staehelin, op. cit., no 23 ad art. 30a; Pedrotti, op.
cit., p.
371 ss). Ainsi, certains considèrent l'action en libération de dette
comme
une demande reconventionnelle au sens de l'art. 6 ch. 3 CL dérivant de
l'action en mainlevée de l'opposition (D. Staehelin, Die
internationale
Zuständigkeit, op. cit., p. 275; Markus, op. cit., p. 143 s.).
D'autres
estiment que, lorsque le créancier intente une poursuite en Suisse et
y
introduit une demande de mainlevée, il doit alors se voir opposer le
for en
Suisse pour l'action en libération de dette en application de l'art.
18 CL
(Meier, Internationales Zivilprozessrecht, Zurich 1994, p. 53;
Jaeger/Walder/Kull/Kottmann, Bundesgesetz über Schuldbetreibung und
Konkurs,
4e éd. Zurich 1997, no 16 ad art. 83 LP). Le for en Suisse est aussi
évoqué
en tant que for de nécessité (cf. Peter, op. cit., p. 12). Quelques
auteurs
enfin admettent que
le système légal n'offre pas de réponse
satisfaisante
(Kaufmann-Kohler, op. cit., p. 557 ss), tout en soulignant que, pour
des
raisons pratiques, il faut que le débiteur poursuivi en Suisse puisse
introduire l'action en libération de dette au for de la décision de
mainlevée
provisoire de l'opposition, en tous les cas lorsque celui-ci
correspond à son
domicile (cf. Leuch/Marbach/ Kellerhals/Sterchi, op. cit., no 5c/ee
et 5b/dd
ad art. 32; Walder, Einführung in das Internationale
Zivilprozessrecht der
Schweiz, Zurich 1989, p. 183 s. no 80).

Il convient toutefois de préciser que, sous réserve des derniers
auteurs
cités, la doctrine a avant tout examiné si la Convention de Lugano
permettait
au débiteur poursuivi en Suisse, mais domicilié à l'étranger,
d'introduire
une action en libération de dette au for de la poursuite en Suisse.
Les
raisonnements présentés ne sont donc pas transposables dans le cas
d'espèce,
dont la particularité réside dans le fait que la mainlevée provisoire
de
l'opposition a été prononcée au for du domicile de la partie qui,
matériellement, est amenée à se défendre dans le cadre de l'action en
libération de dette subséquente.

6.
Comme la décision attaquée ne viole pas la règle générale de
compétence
garantie par l'art. 2 al. 1 CL, les griefs de la défenderesse dans
lesquels
elle tend à démontrer qu'aucune autre disposition spéciale figurant
dans la
Convention de Lugano ne permet de justifier la compétence ratione
loci des
autorités judiciaires genevoises sont dépourvus de toute pertinence.

Le recours doit par conséquent être rejeté.

7.
Compte tenu de l'issue du litige, les frais et dépens seront mis à la
charge
de la défenderesse, qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 6'000 fr. est mis à la charge de la
défenderesse.

3.
La défenderesse versera au demandeur une indemnité de 7'000 fr. à
titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Chambre civile de la Cour de justice genevoise.

Lausanne, le 23 décembre 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.163/2003
Date de la décision : 23/12/2003
1re cour civile

Analyses

Convention de Lugano; for du domicile du défendeur; action en libération de dette. Lorsque le créancier domicilié dans un État partie à la Convention de Lugano n'introduit pas une demande en paiement, mais choisit la voie de la poursuite au for du domicile du débiteur en Suisse, il n'est pas contraire à l'art. 2 al. 1 CL d'admettre que l'action en libération de dette au sens de l'art. 83 al. 2 LP puisse aussi être déposée en Suisse par le débiteur poursuivi (consid. 2-5).


Références :

04.07.1985 C-220/84


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-12-23;4c.163.2003 ?
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