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22/12/2003 | SUISSE | N°4P.215/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 22 décembre 2003, 4P.215/2003


{T 0/2}
4P.215/2003 /ech

Arrêt du 22 décembre 2003
Ire Cour civile

Mme et MM. les Juges Corboz, président, Walter, Klett Nyffeler et
Favre.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

A. ________,
recourante, représentée par Me Jacques Philippoz,

contre

B.________,
intimée, représentée par Me Marie Carruzzo Fumeaux,

Tribunal du travail du canton du Valais, rue des Cèdres 5, 1951 Sion.

arbitraire dans l'application du droit et dans l'appréciation des
preuves

(recours de droit

public contre le jugement du Tribunal du travail du
canton
du Valais du 8 avril 2003).

Faits:

A.
Dès novembre ...

{T 0/2}
4P.215/2003 /ech

Arrêt du 22 décembre 2003
Ire Cour civile

Mme et MM. les Juges Corboz, président, Walter, Klett Nyffeler et
Favre.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

A. ________,
recourante, représentée par Me Jacques Philippoz,

contre

B.________,
intimée, représentée par Me Marie Carruzzo Fumeaux,

Tribunal du travail du canton du Valais, rue des Cèdres 5, 1951 Sion.

arbitraire dans l'application du droit et dans l'appréciation des
preuves

(recours de droit public contre le jugement du Tribunal du travail du
canton
du Valais du 8 avril 2003).

Faits:

A.
Dès novembre 1996, B.________ a travaillé chez A.________. Elle a tout
d'abord été employée en qualité de concierge, puis en tant que
secrétaire ou
aide de bureau, à partir du 1er septembre 2000 jusqu'au mois de
novembre
2001.

De septembre 2000 à mars 2001, le taux d'activité de B.________ était
de 80
%. A la demande de l'employée, il a passé à 60 % dès le 1er mai 2001.
Aucune
discussion n'a alors eu lieu entre les parties à propos d'une
éventuelle
diminution de salaire.

La rémunération perçue par B.________ s'est élevée à 2'481,40 fr. net
par
mois pour la période de septembre à décembre 2000. Ce montant était
inférieur
à celui perçu lorsqu'elle travaillait comme concierge. Selon un
décompte de
salaire du 28 septembre 2001 et portant sur la période de janvier à
août
2001, B.________ a touché un salaire de 2'550 fr. brut. Du 7 août
2001 au 30
novembre 2001, date de la fin des rapports de travail, B.________
s'est
trouvée en incapacité de travail et a perçu des indemnités pour perte
de gain
de l'assurance de son employeur.

Le 22 octobre 2001, un nouveau décompte salarial lui est parvenu,
faisant
état d'une diminution de sa rémunération de 20 % pour les mois de mai
à
septembre 2001, justifié par le fait que le salaire des mois de mai à
juillet
2001 avait été calculé sur la base d'un taux d'activité de 80 % au
lieu de 60
%. D'autres décomptes de salaire portant sur des montants différents
ont par
la suite encore été envoyés à B.________ concernant cette période
d'activité.

B.
Le 22 février 2002, A.________ (recte: B.________) a introduit une
action en
justice à l'encontre de A.________ tendant au paiement de 3'397,25
fr. à
titre de solde de salaire pour l'année 2001, de 1'440 fr.
représentant les
heures supplémentaires effectuées de septembre à novembre 2000, de
1'383,85
fr. pour les heures supplémentaires réalisées de janvier à août 2001
et,
enfin, de 328,85 fr. correspondant à un solde de vacances non prises.

Par jugement du 8 avril 2003, le Tribunal du travail du canton du
Valais a
partiellement admis la demande et condamné A.________ à payer à
B.________ le
montant total de 4'921,50 fr. net, sous déduction de 630,55 fr. déjà
alloués
par l'employeur. Les charges sociales devaient être prélevées sur le
montant
brut de 1'712,60 fr. et versées par A.________ "aux caisses sociales
afférentes". Ce jugement a été modifié par décision du 18 novembre
2003 dans
laquelle le Tribunal du travail, rectifiant une erreur manifeste, a
précisé
que le montant net alloué à B.________ portait intérêt à 5 % dès le 21
février 2002.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public au Tribunal fédéral,
A.________ demande l'annulation du jugement du 8 avril 2003 et le
renvoi du
dossier au Tribunal du travail pour nouveau jugement, avec suite de
frais et
dépens. Invoquant l'art. 9 Cst., elle reproche en substance aux juges
cantonaux d'avoir rendu une décision arbitraire en considérant que,
malgré
une réduction de son temps de travail de 25 % à partir du 1er mai
2001,
B.________ pouvait prétendre au salaire précédemment perçu.

B. ________ conclut au rejet du recours dans la mesure de sa
recevabilité.

Le Tribunal du travail a renoncé à se déterminer.

D.
Par ordonnance du 10 octobre 2003, le président de la Ire Cour civile
a
rejeté la requête d'effet suspensif présentée à titre préliminaire par
A.________.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la
recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 129 I 302 consid.
1).

1.1 Le recours de droit public suppose que la décision attaquée ait
été prise
en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ).

Selon l'art. 32c al. 1 de la loi cantonale valaisanne sur le travail
du 16
novembre 1966 (RSV 822.1), les jugements du Tribunal du travail
peuvent faire
l'objet d'un appel auprès du Tribunal cantonal lorsque la valeur
litigieuse
résultant des dernières conclusions prises permet la recevabilité du
recours
en réforme auprès du Tribunal fédéral. Dans les autres cas, le
jugement est
définitif au niveau cantonal (cf. RVJ 2002 p. 252).

Selon les prétentions formulées devant le Tribunal du travail, la
valeur
litigieuse minimale de 8'000 fr. ouvrant la voie d'un recours en
réforme
(art. 46 OJ) n'est pas atteinte. Le jugement entrepris ne peut ainsi
faire
l'objet d'un recours de droit cantonal, de sorte qu'il remplit
l'exigence de
l'art. 86 al. 1 OJ.

1.2 Le fait que le recours en réforme au Tribunal fédéral ne soit pas
recevable en l'espèce a également pour conséquence de permettre à la
recourante de soulever, dans la présente procédure et sous l'angle de
l'arbitraire, des critiques relevant de l'application du droit
fédéral sans
porter atteinte au caractère subsidiaire du recours de droit public
(cf. art.
84 al. 2 OJ; cf. ATF 124 III 134 consid. 2b).

1.3 La recourante a été déboutée de ses conclusions libératoires, de
sorte
qu'elle est lésée par la décision attaquée qui la concerne
personnellement.
En conséquence, la qualité pour recourir (art. 88 OJ) doit lui être
reconnue.

Interjeté en temps utile (art. 32 et 89 al. 1 OJ; art. 1 de la loi
fédérale
sur la supputation des délais comprenant un samedi), dans la forme
prévue par
la loi (art. 90 al. 1 OJ), le présent recours est à cet égard
recevable.

1.4 Compte tenu de la nature cassatoire du recours de droit public
(ATF 129 I
129 consid. 1.2.1, 173 consid. 1.5), les conclusions formées par la
recourante qui vont au-delà de la simple demande d'annulation du
jugement
entrepris sont en principe irrecevables et de toute manière
superflues.

1.5 Enfin, il convient de rappeler que, saisi d'un recours de droit
public,
le Tribunal fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel
invoqués
et suffisamment motivés dans l'acte de recours (art. 90 al. 1 let. b
OJ; ATF
129 I 113 consid. 2.1; 128 III 50 consid. 1c p. 53 s. et les arrêts
cités).

2.
La recourante se plaint exclusivement d'arbitraire, reprochant au
tribunal
d'avoir considéré que le salaire auquel pouvait prétendre l'intimée
après la
réduction de son taux d'activité était le même que celui touché
précédemment.

2.1 Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle
est
manifestement insoutenable, qu'elle méconnaît gravement une norme ou
un
principe juridique clair et indiscuté, ou encore lorsqu'elle heurte de
manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité (ATF 129
I 8
consid. 2.1; 127 I 60 consid. 5a p. 70). Arbitraire et violation de
la loi ne
sauraient être confondus; une violation doit être manifeste et
reconnue
d'emblée pour être considérée comme arbitraire. Le Tribunal fédéral
n'a pas à
examiner quelle est l'interprétation correcte que l'autorité
cantonale aurait
dû donner des dispositions applicables; il doit uniquement dire si
l'interprétation qui a été faite est défendable. Il n'y a pas
d'arbitraire du
seul fait qu'une autre solution paraît également concevable, voire
même
préférable (ATF 129 I 8 consid. 2.1, 173 consid. 3.1). En outre, pour
qu'une
décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la
motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision
apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 129 I 173 consid. 3.1).

En matière d'appréciation des preuves, il y a arbitraire lorsque
l'autorité
ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de
preuve
propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement
sur le
sens et la portée d'un tel élément, ou encore lorsqu'elle tire des
constatations insoutenables des éléments recueillis (ATF 129 I 8
consid. 2.1;
127 I 38 consid. 2a p. 41).

2.2 En l'occurrence, le jugement attaqué constate que l'intimée a tout
d'abord travaillé en qualité de concierge auprès de la recourante,
puis en
tant qu'aide de bureau depuis le 1er septembre 2000. Sa rémunération
était
inférieure à celle perçue alors qu'elle était concierge, ce qui
s'expliquait
par son inexpérience dans cette nouvelle activité. Il a également été
retenu
qu'entre septembre 2000 et avril 2001, le taux d'activité de
l'intimée était
de 80 %, puis, à sa requête, il a passé à 60 % dès le 1er mai 2001.
Aucune
discussion n'a alors eu lieu entre les parties à propos d'une
éventuelle
diminution de salaire. Selon le décompte établi le 28 septembre 2001,
le
salaire mensuel de l'intimée pour la période de janvier à août 2001 se
montait à 2'550 fr. brut. Le 22 octobre 2001, la recourante a fait
parvenir
un nouveau décompte à son employée comportant une réduction de
salaire de 20
% pour les mois de mai à septembre 2001. Par la suite, elle a envoyé
d'autres
décomptes mentionnant des salaires différents à l'intimée.

2.3 La recourante ne démontre pas l'arbitraire en ce qui concerne ces
éléments de fait, de sorte qu'il y a lieu de se fonder sur ceux-ci
lors de
l'examen des griefs invoqués (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 118 Ia 20
consid.
5a). L'employeur s'en prend avant tout au raisonnement adopté par le
Tribunal
du travail, qu'il considère comme insoutenable, car il aboutit à ce
que
l'intimée puisse prétendre au maintien de son salaire malgré une
diminution
d'un quart de son taux d'activité.

2.4 Constatant qu'aucun élément ne permettait d'établir un accord
réel des
parties au sujet de la rémunération de l'intimée après la baisse de
son taux
d'activité, le Tribunal du travail a interprété les comportements et
les
déclarations de celles-ci selon la théorie de la confiance, comme le
lui
imposait l'art. 18 CO (cf. ATF 128 III 265 consid. 3a p. 267, 419
consid. 2.2
p. 422). Bien que l'application du principe de la confiance soit une
question
de droit qui, en principe, relève du recours en réforme (cf. ATF 129
III 118
consid. 2.5 p. 123), la Cour de céans peut l'examiner sous l'angle de
l'arbitraire dans la présente procédure, dès lors que, comme il l'a
été
relevé (cf. supra consid. 1.2), la voie du recours en réforme était en
l'occurrence fermée.

Pour admettre que l'intimée avait droit à la même rémunération en
dépit du
passage d'un taux d'activité de 80 % à 60 %, le Tribunal du travail a
tenu
compte de l'attitude de la recourante qui, après avoir versé le même
salaire
à son employée et lui avoir fourni un décompte en septembre 2001
mentionnant
le montant de 2'550 fr., n'avait exigé une réduction de salaire que
le 22
octobre 2001, soit plus de cinq mois après la diminution du taux
d'activité.
En outre, d'autres décomptes portant sur des salaires différents
avaient par
la suite encore été transmis à l'intimée. Les juges ont également
pris en
considération le fait que le salaire de départ de l'intimée n'était
pas
élevé, de sorte qu'une augmentation pouvait également se justifier par
l'expérience acquise après huit mois d'activité de bureau.

Sur la base de ces éléments, on ne peut reprocher au Tribunal du
travail
d'avoir procédé à une application arbitraire de l'art. 18 CO en
parvenant à
la conclusion que l'employée pouvait prétendre au même salaire, bien
qu'elle
ait réduit son taux d'activité. En effet, à partir du 1er mai 2001,
l'intimée
avait elle-même demandé à son employeur de pouvoir travailler à 60 %,
de
sorte que la recourante ne pouvait l'ignorer. Pourtant, l'employeur a
continué à lui payer le même salaire qu'auparavant durant plusieurs
mois, ce
qu'il a confirmé dans un décompte du 28 septembre 2001. Selon le
principe de
la confiance, il n'apparaît pas insoutenable de conclure que
l'employée
pouvait de bonne foi en déduire que sa rémunération demeurait
identique,
malgré la réduction de son taux d'activité. Cette conclusion est
encore
corroborée par le fait que le salaire initial touché par l'intimée,
lorsqu'elle a commencé son activité d'aide de bureau, était inférieur
à celui
qu'elle percevait dans son emploi de concierge auprès de la
recourante, de
sorte qu'elle pouvait voir dans cette augmentation la reconnaissance
différée
de sa nouvelle fonction.

Certes, la recourante s'est finalement prévalue, plus de cinq mois
après le
changement du taux d'activité de son employée, d'une réduction de son
salaire
en invoquant un oubli de modification de l'ordre permanent de
paiement. Elle
n'a toutefois pas déclaré qu'elle invalidait l'accord tacite pour
erreur
essentielle et il n'a du reste même pas été constaté, dans le jugement
attaqué, qu'une erreur serait survenue sur ce point. Dans ce
contexte, il n'y
a rien de choquant à considérer que, malgré cette protestation
tardive,
l'employeur s'est lié envers l'intimée par son comportement durant
plus de
cinq mois. La recourante semble d'ailleurs perdre de vue que le
principe de
la confiance permet d'imputer à
une partie le sens objectif de son
comportement, même si celui-ci ne correspond pas à sa volonté intime
(ATF 129
III 118 consid. 2.5).
2.5 Quant aux arguments développés par la recourante, ils sont
impropres à
établir le caractère arbitraire du jugement attaqué, dès lors que
celle-ci
occulte son propre comportement. Or, celui-ci a joué un rôle
déterminant,
car, comme on vient de le voir, c'est avant tout l'attitude de
l'employeur
consistant à verser à l'intimée le même salaire durant plusieurs mois
après
la réduction du taux d'activité de l'employée qui justifie que
celle-ci ait
pu, de bonne foi, croire au maintien de sa rémunération.
En outre, dans la mesure où la recourante se plaint d'une application
arbitraire de l'art. 8 CC, son grief n'est pas pertinent. En effet, le
Tribunal du travail a déterminé, en fonction de l'ensemble des
circonstances,
le sens objectif du comportement des parties. Ce faisant, il n'a pas
fait
supporter à la recourante les conséquences d'une absence de preuve,
mais il a
appliqué le principe de la confiance. Cette question relève donc de
l'art. 18
CO et non pas de l'art. 8 CC.

Enfin, l'allusion de la recourante à une convention collective de
travail ne
remplit pas les exigences de motivation de l'art. 90 al. 1 let. b OJ
(cf. ATF
129 I 185 consid. 1.6 et les arrêts cités), car l'on ne parvient pas
à saisir
en quoi le maintien du salaire de l'intimée serait contraire à une
telle
convention, qui n'est du reste même pas précisément désignée.

Dans ces circonstances, le recours doit être rejeté dans la mesure où
il est
recevable.

3.
Compte tenu de la valeur litigieuse, la procédure est gratuite (art.
343 al.
2 et 3 CO; ATF 115 II 30 consid. 5b p. 41). En revanche, la
recourante, qui
succombe, sera condamnée au paiement d'une indemnité de 2'000 fr. à
titre de
dépens en faveur de l'intimée (art. 159 al. 1 OJ; ATF 115 II 30
consid. 5c p.
42 et l'arrêt cité).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 2'000 fr. à titre
de
dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et au Tribunal du
travail du canton du Valais.

Lausanne, le 22 décembre 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.215/2003
Date de la décision : 22/12/2003
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-12-22;4p.215.2003 ?
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