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22/12/2003 | SUISSE | N°1P.646/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 22 décembre 2003, 1P.646/2003


{T 0/2}
1P.646/2003 /col

Arrêt du 22 décembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Aeschlimann et Reeb.
Greffier: M. Thélin.

W. ________,
recourant, représenté par Me Jean Lob, avocat,
case postale 3133, 1002 Lausanne,

contre

Procureur général du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne,
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud, route
du Signal
8, 1014 La

usanne.

détention préventive

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du 9
octobre
20...

{T 0/2}
1P.646/2003 /col

Arrêt du 22 décembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Aeschlimann et Reeb.
Greffier: M. Thélin.

W. ________,
recourant, représenté par Me Jean Lob, avocat,
case postale 3133, 1002 Lausanne,

contre

Procureur général du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne,
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud, route
du Signal
8, 1014 Lausanne.

détention préventive

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du 9
octobre
2003.

Faits:

A.
Par jugement du 26 juin 2002, le Tribunal correctionnel de
l'arrondissement
de l'Est vaudois a reconnu W.________ coupable de diverses
infractions telles
que lésions corporelles, menaces, brigandage, violence et menaces
contre les
autorités et fonctionnaires, et l'a condamné à deux ans
d'emprisonnement. En
particulier, après un vol commis dans un magasin d'alimentation le 21
novembre 2000, W.________ avait aspergé le gérant avec de l'alcool à
brûler,
pour le menacer ensuite avec un briquet allumé. Plus tard, le 14
novembre
2001, il avait frappé une personne de plusieurs coups de poing à la
tête,
provoquant ainsi un déchaussement des dents et un traumatisme
crânien. Le
Tribunal correctionnel a pris en considération une diminution
importante de
la responsabilité pénale, consécutive à un trouble psychotique aigu.
Il a par
ailleurs révoqué le sursis à l'exécution d'une peine de trente jours
d'emprisonnement auparavant prononcée, pour des infractions
analogues, dans
le canton de Genève. Enfin, en application de l'art. 43 ch. 2 al. 2
CP, le
tribunal a suspendu l'exécution des deux peines au profit d'un
traitement
médico-social ambulatoire.

B.
Le 14 février 2003, le service pénitentiaire du canton de Vaud a
requis le
Président du Tribunal correctionnel d'ordonner le remplacement du
traitement
ambulatoire par un placement en établissement spécialisé, au motif
que le
condamné, en dépit de plusieurs avertissements, ne se soumettait pas
au
traitement et que sa santé mentale se dégradait.
Le magistrat saisi a assigné l'intéressé à l'audience du Tribunal
correctionnel du 11 septembre 2003. Selon le procès-verbal alors
établi,
W.________ tenait des propos incohérents et se trouvait
"manifestement en
décompensation". Le Président a ordonné son arrestation et son
placement en
détention préventive en raison d'un risque de nouvelles infractions.
Le
tribunal l'a considéré comme hors d'état de comparaître et de prendre
position sur les mesures à adopter; l'audience était par conséquent
renvoyée.

C.
W.________ a présenté une demande de mise en liberté que le Président
du
Tribunal correctionnel a rejetée le 26 septembre 2003. Sans succès,
le détenu
a déféré la décision au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal,
qui l'a
confirmée le 9 octobre 2003.

D.
A la suite de ce dernier prononcé, W.________ a personnellement
adressé un
recours au Tribunal fédéral, tendant à la levée de son incarcération.
La
motivation de ce recours révélait que son auteur n'était pas en
mesure de
prendre lui-même les dispositions nécessaires à la défense efficace
de ses
droits, de sorte que, par décision du 18 novembre 2003, le Tribunal
fédéral a
désigné Me Jean Lob en qualité d'avocat du recourant selon l'art. 29
al. 5
OJ.
Ainsi conseillé, le recourant à pu déposer un mémoire complétif. Il
requiert
le Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du Tribunal d'accusation et
d'ordonner
sa mise en liberté immédiate. Il fait valoir qu'aucune enquête pénale
n'est
actuellement ouverte contre lui et que la détention préventive est
donc, à
son avis, illégale même s'il existe un risque de nouvelles
infractions; il
conteste aussi la présence d'un risque suffisamment concret. Il
soutient
qu'une privation de liberté à des fins d'assistance, régie par les
art. 397a
à 397f CC, entre seule en considération, et qu'elle ne relève
aucunement des
organes de la justice pénale. Une demande d'assistance judiciaire est
jointe
au mémoire.
Invités à répondre, le Ministère public cantonal propose le rejet du
recours;
le Tribunal d'accusation a renoncé à déposer des observations. Le
recourant a
répliqué aux observations du Ministère public; il persiste à tenir sa
détention pour illégale.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public ne peut en principe tendre qu'à
l'annulation de la
décision attaquée. La personne qui recourt contre une décision
ordonnant ou
prolongeant sa détention préventive, ou contre une décision rejetant
une
demande de mise en liberté provisoire, peut cependant requérir du
Tribunal
fédéral d'ordonner lui-même sa mise en liberté ou d'inviter l'autorité
cantonale à le faire après avoir, au besoin, fixé certaines
conditions (ATF
124 I 327 consid. 4b/aa p. 332/333, 115 Ia 293 consid. 1a, 107 Ia 257
consid.
1). Les conclusions présentées par le recourant sont ainsi recevables.

2.
La détention préventive est une restriction de la liberté personnelle
qui est
actuellement garantie, notamment, par l'art. 31 al. 1 Cst. A ce
titre, elle
n'est admissible que dans la mesure où elle repose sur une base
légale,
répond à un intérêt public et respecte le principe de la
proportionnalité
(art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 128 I 184 consid. 2.1 p. 186; 124 I 203
consid.
2b p. 204/205; 123 I 268 consid. 2c p. 270, 120 Ia 147 consid. 2b p.
150). En
l'occurrence, la contestation porte surtout sur l'existence d'une
base légale
pertinente en droit cantonal vaudois. La détention constituant une
atteinte
grave à la liberté personnelle, le Tribunal fédéral contrôle librement
l'interprétation et l'application du droit cantonal (ATF 128 I 184
consid.
2.1 p. 186; 123 I 31 consid. 3a p. 35).

3.
D'après l'ordonnance attaquée, la détention litigieuse est fondée sur
l'art.
59 CPP vaud., qui a la teneur suivante:
Le prévenu à l'égard duquel il existe des présomptions suffisantes de
culpabilité peut être mis en détention préventive:
1. s'il présente un danger pour la sécurité ou l'ordre publics;

2. si sa fuite est à craindre;
3. si sa liberté offre des inconvénients sérieux pour l'instruction.
Dès que les motifs justifiant la détention préventive n'existent
plus, le
juge ordonne la mise en liberté.
Le prévenu peut en tout temps demander sa mise en liberté.
...
Le "juge" ou le "magistrat compétent" ordonne la détention préventive
en
décernant un mandat d'arrêt (art. 60, 114 let. c CPP vaud.). Il
s'agit du
magistrat sous l'autorité duquel le prévenu est placé, soit le Juge
d'instruction pendant l'enquête pénale et, ensuite, dès réception du
dossier,
le Président du tribunal saisi de la cause; le même magistrat est
compétent
pour ordonner la mise en liberté (art. 55 CPP vaud.). En cas de
recours
contre le jugement, la compétence passe au Président de la Cour de
cassation
pénale du Tribunal cantonal (art. 434 CPP vaud.).
La procédure pendante devant le Tribunal correctionnel, ouverte par la
requête du service pénitentiaire du 14 février 2003, est une
procédure de
décision postérieure au jugement prévue par l'art. 43 ch. 3 CP, régie
en
droit cantonal par les art. 482 et 483 CPP vaud. Ces deux
dispositions sont
très sommaires; elles ne comportent aucune allusion à une éventuelle
détention préventive. La plus récente des poursuites pénales exercées
contre
le recourant a en principe pris fin avec le jugement du 26 juin 2002,
qui est
à présent définitif, de sorte qu'il n'est maintenant plus question de
"prévenu" ni de "présomptions de culpabilité" selon les termes de
l'art. 59
CPP vaud. Le Tribunal fédéral doit déterminer si cette disposition
peut
néanmoins fonder la détention litigieuse.

4.
Dans son arrêt 1P.255/2002 du 25 juin 2002 (ATF 128 I 184), le
Tribunal
fédéral s'est prononcé sur une affaire semblable concernant le canton
de
Zurich, en confirmant la solution déjà retenue dans un cas antérieur.
Un
traitement ambulatoire, ordonné lors du jugement, avait été appliqué
pendant
l'exécution d'une peine de réclusion. L'autorité administrative
compétente
avait suspendu le traitement ambulatoire et requis son remplacement
par un
traitement en établissement ou, sinon, par un internement; au cours
de la
procédure judiciaire consécutive à cette requête, elle avait demandé,
et
obtenu, le placement de l'intéressé en détention préventive dès la
fin de
l'exécution de la peine.
Cette incarcération était fondée sur une disposition cantonale
analogue à
l'art. 59 CPP vaud., destinée elle aussi, selon son texte, à régir la
détention imposée au prévenu jusqu'au jugement sur l'action pénale
et, en
particulier, sur sa culpabilité. Le Tribunal fédéral a jugé
raisonnable
d'interpréter la règle en ce sens qu'elle permettait aussi une
détention
pendant la procédure de décision postérieure au jugement, parce que
l'on ne
peut pas attendre du législateur qu'il envisage précisément toutes les
situations possibles et qu'au stade de cette procédure aussi, la
détention
préventive constitue le moyen adéquat de garantir l'exécution
éventuelle d'un
internement ou d'un traitement en établissement. L'incarcération
était donc
légale, au regard de la disposition cantonale alors examinée, pour
autant que
la procédure en cours dût aboutir de façon suffisamment vraisemblable
à une
mesure de ce genre et qu'au moins un des cas de détention
explicitement
prévus fût réalisé (ATF 128 I 184 consid. 2.3.1 in fine p. 289).
Ces considérations sont pertinentes aussi en ce qui concerne la
disposition
vaudoise actuellement en cause. De plus, il convient de relever que la
procédure ouverte par la requête du service pénitentiaire peut
aboutir à un
nouveau jugement qui modifiera, s'il y a lieu, celui déjà intervenu
sur
l'action pénale (Hauser/Schweri, Schweizerisches Strafprozessrecht,
5e éd.,
ch. 35 p. 397). Bien que la modification ne puisse porter que sur les
mesures
de sûreté à appliquer et, éventuellement, l'exécution des peines
suspendues,
à l'exclusion du verdict de culpabilité et de l'appréciation de la
peine
correspondante, on peut admettre que le condamné se trouve replacé
dans la
situation procédurale qui était la sienne entre son renvoi devant le
Tribunal
correctionnel et ce premier jugement. Cette situation comporte
notamment
l'assujettissement aux règles sur la détention préventive (arrêt du
Tribunal
cantonal du 30 septembre 1992 in JdT 1993 III 122, consid. 3 p. 124).

5.
La requête du service pénitentiaire était accompagnée de divers
documents et,
en particulier, d'un rapport médical. Il ressort de ces pièces que le
recourant a bénéficié de l'encadrement relativement strict d'un home
jusqu'à
fin septembre 2002 et qu'il a pu, durant cette période, entreprendre
un
apprentissage de boulangerie. L'exploitation du home ayant pris fin,
le
recourant a désormais dû vivre seul. Il a alors présenté des
difficultés
croissantes dans son travail et ses relations avec son employeur,
difficultés
qui ont abouti à l'interruption de l'apprentissage. Toujours plus
colérique,
il proférait des menaces de mort à l'égard de diverses personnes et
les
collaborateurs du centre médico-social ne se sentaient plus en
sécurité lors
de leurs visites. Le suivi ambulatoire était jugé insuffisant. En
janvier
2003, une décompensation sur un mode psychotique, avec idées
délirantes, a
nécessité l'admission du recourant en clinique psychiatrique; il a
toutefois
rapidement quitté l'établissement.
Sur demande du Président du Tribunal correctionnel, le médecin a
établi un
rapport complémentaire le 1er septembre 2003. Selon ce document, la
situation
a continué de se dégrader. Le recourant ne se présentait que de façon
irrégulière aux rendez-vous et il exprimait des menaces. La
décompensation
progressait et seul un placement en milieu institutionnel pouvait
enrayer
l'évolution vers une désinsertion sociale et la commission d'actes
nuisibles.
Au regard de cette situation, il est hautement vraisemblable que le
Tribunal
correctionnel remplacera le traitement ambulatoire par une autre
mesure et
que celle-ci comportera, pour le recourant, la privation de sa
liberté.
Compte tenu des actes qu'il a déjà commis en novembre 2000 et
novembre 2001,
il présente certainement un danger pour la sécurité publique, selon
l'art. 59
al. 1 ch. 1 CPP vaud.; contrairement à son opinion, l'absence de
geste grave
durant près de deux ans n'impose pas un jugement différent sur ce
point.
Ainsi, le grief d'illégalité de la détention préventive se révèle mal
fondé.

6.
La détention préventive ne répond à un intérêt public que si, entre
autres
conditions, il existe des raisons plausibles de soupçonner la personne
concernée d'avoir commis une infraction (art. 5 par. 1 let. c CEDH).
En
l'occurrence, les infractions propres à justifier une atteinte à la
liberté
personnelle du recourant sont établies par le jugement du 26 juin
2002, de
sorte que l'incarcération litigieuse répond aussi au cas prévu à
l'art. 5
par. 1 let. a CEDH (CourEDH, arrêt du 27 mai 1995 Eriksen c. Norvège,
recueil
1997 III 839, ch. 76 à 87). L'incarcération doit aussi être
nécessaire,
hormis d'autres situations qui ne sont pas envisagées ici, pour parer
à un
risque concret de nouvelles infractions (ATF 125 I 60 consid. 3a p.
62, 117
Ia
69 consid. 4a p. 70). Ce risque n'est tenu pour suffisamment
important que
si le pronostic relatif au comportement de l'intéressé est très
défavorable
et qu'il porte sur des actes graves; la vraisemblance d'une nouvelle
infraction est toutefois appréciée de façon moins stricte lorsque le
bien
juridique menacé est particulièrement précieux (ATF 123 I 268 consid.
2e p.
271). Ainsi qu'on l'a vu, le recourant présente un risque pertinent à
cet
égard. Enfin, pour autant que la procédure en cours devant le Tribunal
correctionnel se poursuive sans retard injustifié, la détention du
recourant
demeurera compatible avec le principe de la proportionnalité (ATF 128
I 149
consid. 2.2 p. 151/152; 126 I 172 consid. 5a p. 176).

7.
Le recourant échoue à mettre en évidence une restriction
inconstitutionnelle
de sa liberté, de sorte qu'il doit être débouté. Les conditions
posées par
l'art. 152 OJ étaient cependant réalisées, ce qui entraîne
l'admission de sa
demande d'assistance judiciaire.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La demande d'assistance judiciaire est admise et Me Jean Lob est
désigné en
qualité d'avocat d'office du recourant.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
La caisse du Tribunal fédéral versera une indemnité de 1'000 fr. à Me
Lob à
titre d'honoraires.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant,
au
Procureur général et au Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 22 décembre 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.646/2003
Date de la décision : 22/12/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-12-22;1p.646.2003 ?
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