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19/12/2003 | SUISSE | N°1P.651/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 19 décembre 2003, 1P.651/2003


{T 0/2}
1P.651/2003
1P.653/2003 /viz

Arrêt du 19 décembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Thélin.

X. ________,
recourant, représenté par Me Philippe Pont, Avocat,

contre

Juge d'instruction pénale du Valais central,
Palais de Justice, 1950 Sion 2,
Procureur général du canton du Valais,
Palais de Justice, 1950 Sion 2,
Tribunal cantonal du canton du Valais,
Chamb

re pénale, Palais de Justice, 1950 Sion 2.

Droits du prévenu dans l'enquête pénale; récusation d'experts,

recours d...

{T 0/2}
1P.651/2003
1P.653/2003 /viz

Arrêt du 19 décembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Thélin.

X. ________,
recourant, représenté par Me Philippe Pont, Avocat,

contre

Juge d'instruction pénale du Valais central,
Palais de Justice, 1950 Sion 2,
Procureur général du canton du Valais,
Palais de Justice, 1950 Sion 2,
Tribunal cantonal du canton du Valais,
Chambre pénale, Palais de Justice, 1950 Sion 2.

Droits du prévenu dans l'enquête pénale; récusation d'experts,

recours de droit public contre les décisions du Tribunal cantonal du
30
septembre 2003.

Faits:

A.
De 1989 à 1998, Energie Ouest Suisse (EOS) et Grande Dixence SA ont
réalisé
l'aménagement hydroélectrique dit de Cleuson-Dixence, qui comprend un
puits
blindé de très grande dimension au-dessous de la Dent de Nendaz.
X.________,
ingénieur, a participé aux travaux dès août 1993; il faisait partie de
l'équipe d'environ vingt-cinq personnes qui assistait la direction de
projet
mise en place par les maîtresses de l'ouvrage. En particulier, il a
établi le
cahier des charges concernant le blindage du puits, et pris part aux
études
et expérimentations relatives au choix des aciers. Après que le puits
eut été
foré et consolidé, un groupement d'entreprises de chaudronnerie,
réunies en
consortium, a réalisé le blindage sous l'autorité de la direction de
projet.
Le 12 décembre 2000 au soir, alors que l'aménagement était en
exploitation,
le puits blindé s'est rompu; il en est résulté une catastrophe qui a
provoqué
la mort de plusieurs personnes et d'importants dégâts.

B.
Dès le lendemain, le Juge d'instruction pénale du Valais central a
entrepris
une enquête qu'il a formellement ouverte, pour homicide par
négligence, le 18
décembre. En accord avec les représentants des maîtresses de
l'ouvrage et du
consortium de chaudronnerie, ce magistrat a désigné l'ingénieur Albert
Micotti en qualité d'expert coordinateur, avec mandat d'assurer la
préservation des preuves et, en même temps, de constituer un collège
d'experts compétents dans toutes les disciplines concernées, telles
que la
métallurgie et la géologie. L'ouvrage sinistré était placé sous
séquestre,
avec tous les documents qui s'y rapportaient, appartenant aux
maîtresses de
l'ouvrage ou au consortium.
Les spécialistes proposés par l'expert coordinateur furent désignés en
qualité d'expert par le Juge d'instruction. Ils purent s'assurer la
collaboration de certains de leurs collègues, assistants ou
collaborateurs
scientifiques. Ils purent également s'adjoindre d'autres spécialistes
pour
des domaines particuliers. Leurs premiers travaux et conclusions sont
résumés
dans un rapport de synthèse établi par l'expert coordinateur, daté du
6
septembre 2002.
Les mandataires des maîtresses de l'ouvrage et du consortium ont reçu
tous
les rapports d'expertise; ils eurent l'occasion de produire de
nouvelles
pièces et de requérir des études complémentaires.

C.
A la demande du Juge d'instruction et en présence de l'expert
coordinateur,
le 12 mars 2002, la police judiciaire a entendu X.________ à titre de
renseignements. Le juge l'a ensuite entendu le 10 mars 2003, cette
fois en
qualité de prévenu d'homicide par négligence, de violation par
négligence des
règles de l'art de construire, et de dommages par négligence aux
installations électriques et travaux hydrauliques. On lui reproche, en
particulier, le choix de la technique de soudure utilisée pour le
blindage,
un manquement dans les contrôles de qualité et l'omission de
contrôles prévus
dans le cahier des charges ou les contrats. Le prévenu a alors reçu le
rapport de synthèse du 6 septembre 2002. Le 26 mars 2003, le Juge
d'instruction lui a assigné, de même qu'à neuf autres prévenus, un
délai
unique de soixante jours pour proposer des questions complémentaires
aux
experts. Le juge indiquait qu'un premier rapport complémentaire,
consécutif
aux requêtes des maîtresses de l'ouvrage et du consortium de
chaudronnerie,
était attendu et serait notifié aux prévenus. Le juge indiquait aussi
que le
dossier pouvait être consulté au greffe du Tribunal d'instruction
pénale,
mais que de nombreux documents se trouvaient encore en mains de
l'expert
coordinateur.
Sans succès, le 4 avril 2003, X.________ a demandé la récusation de
l'expert
coordinateur et de plusieurs autres personnes qui avaient pris part
aux
expertises. Le Juge d'instruction a rejeté cette requête le 18 juin
2003. La
Chambre pénale du Tribunal cantonal, saisie par voie de plainte, a
confirmé
le refus des récusations par décision du 30 septembre 2003.
Entre-temps, le 14 mai 2003, X.________ a protesté auprès du Juge
d'instruction pour se plaindre de ce qu'il n'avait pas reçu une
information
suffisamment détaillée au sujet des préventions élevées contre lui,
ce qui
l'empêchait de se défendre efficacement; il se plaignait aussi de
n'avoir pas
accès à tous les éléments du dossier d'enquête. Par lettre du 23
suivant, le
magistrat a rejeté les critiques concernant l'énoncé des préventions
et a
indiqué que les pièces non disponibles au greffe pouvaient être
consultées
auprès de l'expert coordinateur. Sur ces points aussi, X.________ a
élevé une
plainte à la Chambre pénale, que cette autorité a rejetée par une
autre
décision du 30 septembre 2003.

D.
X.________ a saisi le Tribunal fédéral de deux recours de droit
public,
chacun dirigé contre l'une de ces décisions. Invoquant les art. 29
al. 2 et
32 al. 2 Cst., il persiste à critiquer l'organisation du dossier
d'enquête,
les modalités de sa consultation et l'information, tenue pour tardive
et
lacunaire, relative aux préventions élevées contre lui. En
particulier, il
soutient qu'il aurait dû être entendu en qualité de prévenu déjà le
12 mars
2002, de façon à bénéficier d'emblée de tous les droits de la
défense. Sur la
base de l'art. 29 al. 1 Cst., le recourant persiste a demander la
récusation
de l'expert coordinateur Albert Micotti et celle de Roland Cachot, un
collaborateur de l'expert spécialiste en métallurgie. A son avis,
l'expert
coordinateur n'a pas été dûment encadré par le Juge d'instruction; il
a fait
preuve de partialité en s'attribuant des prérogatives réservées à ce
magistrat et en se livrant, dans le rapport de synthèse, à des
appréciations
excédant les questions techniques à élucider. Le collaborateur
scientifique
Roland Cachot a, lui, participé à la réalisation du puits blindé, de
sorte
qu'il ne présente pas non plus les garanties d'impartialité requises.
Le Tribunal fédéral s'est fait remettre le rapport de synthèse; il
n'a pas
demandé de réponses au recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public est recevable séparément contre les
décisions
incidentes relatives à des demandes de récusation, y compris la
récusation
d'un expert (art. 87 al. 1 OJ; arrêt 1P.17/2002 du 30 janvier 2002,
consid.
2). Le recours est également recevable séparément contre d'autres
décisions
incidentes, lorsqu'il peut en résulter un préjudice irréparable (art.
87 al.
2 OJ); dans les autres cas, en règle générale, les décisions
incidentes ne
peuvent être attaquées qu'avec la décision finale (art. 87 al. 3 OJ).
Selon la jurisprudence, la décision finale est celle qui met un terme
au
procès, qu'il s'agisse d'un prononcé sur le fond ou d'une décision
appliquant
le droit de procédure. En revanche, une décision est incidente
lorsqu'elle
intervient en cours de procès et constitue une simple étape vers la
décision
finale; elle peut avoir pour objet une question de procédure ou une
question
de fond jugée préalablement à la décision finale (ATF 128 I 215
consid. 2,
123 I 325 consid. 3b p. 327, 122 I 39 consid. 1 p. 41). Un préjudice
irréparable n'est réalisé que lorsque l'intéressé subit un dommage
qu'une
décision favorable sur le fond ne fait pas disparaître complètement;
il faut
en outre un dommage de nature juridique, tandis qu'un inconvénient
seulement
matériel, résultant par exemple de l'allongement de la procédure, est
insuffisant (ATF 128 I 177 consid. 1.1 p. 179/180, 123 I 325 consid.
3c p.
328, 122 I 39 consid. 1a/bb p. 42).

2.
En l'espèce, la contestation porte notamment sur les modalités de
l'accès au
dossier de l'enquête, telles que confirmées, en l'état, par une
décision
incidente du Juge d'instruction. Or, quelles que soient les critiques
que
l'on puisse peut-être élever contre lesdites modalités, elles
n'entraînent
aucun préjudice susceptible de se prolonger au delà d'un éventuel
acquittement du recourant à l'issue du procès pénal. Pour le surplus,
en cas
de condamnation, le recourant pourra se plaindre de violation du
droit d'être
entendu (art. 29 al. 2 Cst.) si, dans l'intervalle, il n'obtient pas
la
possibilité de présenter des réquisitions de preuve - telles qu'une
demande
d'expertise complémentaire ou de contre-expertise - en ayant dûment
accès à
toutes les informations recueillies par les enquêteurs. Sur ce point,
en
l'absence d'un préjudice juridique irréparable, le recours de droit
public
est irrecevable selon les règles précitées.

3.
La contestation porte aussi sur l'application de l'art. 32 al. 2 Cst.,
correspondant à l'art. 6 par. 3 let. a CEDH; cette disposition
garantit à
toute personne accusée le droit d'être informée, dans les plus brefs
délais
et de manière détaillée, des accusations portées contre elle.
Cette garantie spécifique est surtout liée au droit du prévenu de
disposer du
temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense,
droit
consacré par la même disposition constitutionnelle fédérale et par
l'art. 6
par. 3 let. b CEDH (Harris/Boyle/Warbrick, Law of the european
convention on
human rights, Londres 1995, p. 250; Frowein/Peukert, EMRK-Kommentar,
2e éd.,
ch. 175 ad art. 6 CEDH). La jurisprudence souligne qu'une information
précise
et complète au sujet des charges pesant contre un accusé est une
condition
essentielle de l'équité de la procédure. L'information assurée par
les art.
32 al. 2 Cst. et 6 par. 3 let. a CEDH porte sur les faits matériels
reprochés
à l'accusé et sur la qualification juridique qui pourrait être retenue
(CourEDH, arrêts Sadak c. Turquie du 17 juillet 2001, RUDH 2001 p.
400, ch.
48 et 49; Dallos c. Hongrie du 1er mars 2001, Recueil CourEDH 2001 II
p. 205,
ch. 47). Elle doit être fournie à bref délai dès le moment où la
personne est
"accusée", c'est-à-dire non seulement dès la notification officielle
du
reproche d'avoir commis une infraction, mais, déjà, dès toute mesure
comportant des répercussions importantes sur la situation du suspect.
Il n'y
a cependant pas de mesures de ce genre lorsque des investigations sont
simplement conduites à l'insu de cette personne (CourEDH, décision
sur la
recevabilité Padin Gestoso c. Espagne du 8 décembre 1998, Recueil
CourEDH
1999 II p. 359).
En l'occurrence, le recourant a reçu l'information nécessaire dès sa
mise en
prévention, à l'audience du 10 mars 2003. Les reproches qui lui ont
alors été
adressés étaient suffisamment détaillés, compte tenu qu'il pouvait se
rendre
compte de leur portée exacte en prenant connaissance du rapport de
synthèse
reçu en même temps. Certes, on ne lui a pas rappelé que des personnes
étaient
mortes dans la catastrophe, mais ce fait lui était évidemment connu
et il
pouvait désormais consulter le dossier s'il voulait connaître
l'identité des
victimes et les circonstances exactes de leur décès. L'audition à
titre de
renseignements, le 12 mars 2002, appartient aux actes d'enquête qu'il
fallait
d'abord accomplir pour déterminer quelles étaient les personnes à
mettre en
prévention, et pourquoi, parmi toutes celles, nombreuses, qui avaient
pris
part à la conception ou à la réalisation du puits blindé. Le
recourant se
plaint donc à tort de n'avoir pas été, à ce moment-là déjà, entendu en
qualité de prévenu. Le grief tiré d'une mise en prévention tardive et
insuffisamment expliquée est donc mal fondé, de sorte qu'il n'est pas
nécessaire d'examiner sa recevabilité au regard de l'art. 87 OJ.

4.
D'après la décision attaquée concernant le collaborateur scientifique
Roland
Cachot, celui-ci a procédé à des essais en laboratoire, pendant la
réalisation du blindage, sur des échantillons de métal remis dans ce
but par
l'une des entreprises de chaudronnerie. Il a établi un compte-rendu
de ces
essais le 26 juin 1996. Il n'en connaissait pas la destination et il
avait
appliqué les conditions assignées par la mandante; ce travail
constituait une
prestation que le laboratoire met habituellement à disposition de
l'industrie
concernée. C'est notamment pour ce motif que la Chambre pénale
confirme la
décision refusant la récusation de Roland Cachot, et c'est aussi
parce que la
qualité de partie civile de l'entreprise de chaudronnerie, dans
l'enquête
pénale, n'est pas encore reconnue.
Devant le Tribunal fédéral, le recourant conteste catégoriquement ce
second
motif, mais il ne s'exprime pas au sujet du premier. Or, selon la
jurisprudence relative à l'art. 90 al. 1 let. b OJ, si la décision
attaquée
repose sur plusieurs motivations indépendantes, alternatives ou
subsidiaires,
toutes suffisantes, le recourant doit démontrer que chacune d'elles
porte
atteinte à ses droits constitutionnels (ATF 119 Ia 13 consid. 2 p.

16; 107 Ib
264 consid. 3b p. 268; voir aussi ATF 121 IV 94 consid. 1b p. 95).
Cette
exigence n'est pas satisfaite en ce qui concerne la récusation du
collaborateur scientifique, de sorte que le grief effectivement
soulevé est
irrecevable.

5.
Le Tribunal fédéral doit se saisir des griefs tendant à la récusation
de
l'expert coordinateur Albert Micotti.

5.1 L'autorité commet un déni de justice formel (ATF 115 Ia 5 consid.
2b p.
6), contraire à l'art. 29 al. 1 Cst., ou une violation du droit d'être
entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. (ATF 117 Ia 5 consid. 1a p.
7),
lorsqu'elle restreint son pouvoir d'examen à l'arbitraire alors que
le droit
applicable lui attribue, au contraire, un contrôle complet de la
décision
attaquée devant elle. Le recourant reproche à la Chambre pénale
d'avoir agi
ainsi à l'égard de la décision du Juge d'instruction du 18 juin 2003.
Selon l'art. 166 CPP val., les décisions du Juge d'instruction
peuvent être
attaquées par la voie de la plainte à la Chambre pénale dans les cas
prévus
par la loi et, en outre, "pour déni de justice formel ou matériel".
Le refus de récuser un expert ne constitue pas un cas de plainte
spécifiquement prévu. Le Juge d'instruction ayant statué sur la
demande de
récusation, le grief de déni de justice formel n'était pas en cause;
par
conséquent, la décision du 18 juin 2003 était attaquée pour "déni de
justice
matériel". Or, cette locution désigne, précisément, une appréciation
arbitraire des preuves disponibles (ATF 126 I 257 consid. 1b p. 259)
ou une
application arbitraire des règles à suivre dans la matière concernée
(ATF 108
II 180 consid. 2 p. 181; 106 III 34 consid. 2d in fine p. 39). C'est
donc à
bon droit que la Chambre pénale s'est reconnu seulement un pouvoir
d'examen
limité à l'arbitraire (voir aussi ATF 128 II 311 consid. 5 p. 320).
Pour le
surplus, contrairement aux affirmations du recourant, la
jurisprudence du
Tribunal fédéral n'exige pas que les autorités cantonales de recours
soient
habilitées à contrôler librement le respect des droits
constitutionnels. En
particulier, cela ne ressort pas de l'arrêt 1P.384/1995, du 28
novembre 1995,
auquel il se réfère.

5.2 La garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par
l'art. 6
par. 1 CEDH, à l'instar de la protection conférée par l'art. 30 al. 1
Cst.,
permet au plaideur de s'opposer à une application arbitraire des
règles
cantonales sur l'organisation et la composition des tribunaux, y
compris les
prescriptions relatives à la récusation des juges. Elle permet aussi,
indépendamment du droit cantonal, d'exiger la récusation d'un juge
dont la
situation ou le comportement est de nature à faire naître un doute
sur son
impartialité; elle tend notamment à éviter que des circonstances
extérieures
à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au
détriment d'une
partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une
prévention
effective du juge est établie, car une disposition interne de sa part
ne peut
guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent
l'apparence de la
prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat.
Seules des
circonstances constatées objectivement doivent être prises en
considération;
les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne
sont
pas décisives (ATF 116 Ia 135 consid. 2; voir aussi ATF 126 I 68
consid. 3 p.
73, 125 I 119 consid. 3a p. 122, 124 I 255 consid. 4a p. 261). Le
Tribunal
fédéral contrôle librement le respect de la garantie d'indépendance et
d'impartialité conférée directement par les dispositions précitées
(ATF 129 V
335 consid. 1.3.2 p. 338; 126 I 68 consid. 3b p. 73).
La garantie d'indépendance et d'impartialité vise au premier chef les
juges,
soit les personnes appelées à statuer en qualité de membre d'un
tribunal;
elle s'applique aussi, par analogie, aux experts judiciaires, dont les
constatations et opinions sont susceptibles d'influencer l'issue du
procès
(ATF 125 II 541 consid. 4a p. 544; 120 V 357 consid. 3a p. 364/365).
L'art.
29 al. 1 Cst., qui confère une protection semblable devant des
autorités ou
organes autres que les tribunaux (ATF 127 I 196 consid. 2b p. 198),
n'est
donc pas en cause ici, compte tenu que les rapports d'expertise ne
sont pas
destinés seulement au Juge d'instruction, mais aussi, le cas échéant,
au
tribunal qui statuera sur l'action pénale.

5.3 Le rapport de synthèse indique que l'expert coordinateur a
interrogé plus
de quarante personnes, individuellement, en présence d'un inspecteur
de la
police de sûreté (p. 54). Le procès-verbal du 12 mars 2002,
concernant le
recourant, précise que l'audition intervenait à la demande du Juge
d'instruction. Sur la base de l'art. 107 al. 2 CPP val., le recourant
soutient que de telles auditions ne pouvaient s'accomplir qu'en
présence et
sous la direction du juge. Il soutient aussi que la mission
d'expertise n'est
pas suffisamment délimitée et, en particulier, qu'il n'existe aucun
questionnaire. Il fait état de frais considérables facturés par
l'expert
coordinateur et il insiste, aussi à l'appui de sa demande de
récusation, sur
ce qu'il considère comme un retard à le mettre en prévention.
Les expertises ont clairement pour objet d'élucider les causes de la
catastrophe survenue le 12 décembre 2000. Par ailleurs, l'art. 41bis
CPP val.
autorise le Juge d'instruction à déléguer divers actes d'enquête,
tels que
des interrogatoires, aux agents de la police judiciaire. Compte tenu
que
seules des erreurs de procédure ou d'appréciation particulièrement
lourdes,
ou répétées, peuvent justifier la suspicion de partialité (ATF 116 Ia
135
consid. 3a p. 138; 114 Ia 153 consid. 3b/bb p. 158), il est sans
importance
que l'encadrement des experts puisse, peut-être, prêter à discussion
si l'on
interprète la législation applicable de façon très rigoureuse. Il
suffit de
constater que le déroulement des opérations ne présente aucune
singularité de
nature à jeter le doute sur l'impartialité de l'expert coordinateur,
notamment parce que les irrégularités éventuellement commises seraient
surtout imputables, le cas échéant, au Juge d'instruction.

5.4 Le rapport de synthèse est un document de deux cent trente-six
pages et
quarante annexes. Il fournit une description générale des études et
travaux
accomplis pour la réalisation de l'aménagement, et il rend compte,
principalement, de l'étude détaillée de tous les éléments techniques
qui, de
l'avis des experts, pouvaient contribuer à expliquer la rupture du
puits
blindé. De longs développements sont ainsi consacrés au blindage,
c'est-à-dire au tube d'acier constituant le revêtement intérieur du
puits. Le
rapport décrit notamment l'organisation mise en place par les
maîtresses de
l'ouvrage, l'activité des divers organes et commissions, celle des
entreprises membres du consortium de chaudronnerie, les études
techniques,
les travaux sur le chantier, les nombreux contrôles, les réparations
et
études effectuées après la découverte de fissures dans les soudures,
la
rupture qui a provoqué la catastrophe, et la documentation remise aux
experts. L'organisation et l'exécution des expertises, après
l'événement,
sont également décrites. Le rapport comporte de nombreuses références
aux
annexes ou à d'autres documents, en particulier aux rapports
d'expertise
spécifiques, qui appartiennent au dossier de l'enquête.
Tout au long des chapitres consacrés au blindage, l'auteur exprime des
critiques récurrentes au sujet, surtout, des soudures. Les critiques
portent
sur la conception, l'exécution et le contrôle de ces raccords. Elles
sont
fréquemment, mais pas seulement, présentées sous forme
d'interrogations. Par
exemple (p. 96): "pourquoi le maître de l'ouvrage ne s'est entouré
que d'un
ingénieur constructeur (génie civil) et n'a pas fait appel
officiellement à
un métallurgiste?", ou (p. 123): "qui s'est aperçu que les
températures de
pré- et post-chauffage étaient basses?", ou encore (p. 139): "est-ce
bien le
moment de former les soudeurs quant on sait la difficulté à
travailler ces
aciers!". Ces questions sont parfois sibyllines (p. 125: "qu'est-ce au
juste?"), mais l'ensemble du texte permet toujours de comprendre
quelle est
la critique sous-jacente et à quoi elle se rapporte. Les reproches de
l'expert reposent sur des éléments scientifiques ou factuels
précisément
indiqués, ou sur des silences de la documentation, que les prévenus
pourront
donc discuter et contester. Dans ces conditions, contrairement à
l'opinion du
recourant, le style inhabituel du rapport ne permet pas de mettre en
doute
l'impartialité de son auteur. En effet, il est normal que les experts
émettent des appréciations sur les sujets qui relèvent de leur
spécialité,
pour autant qu'elles soient motivées; le prévenu est alors en mesure
de les
réfuter et, s'il y a lieu, de requérir à cette fin des mesures
d'instruction
complémentaires.
Il reste qu'en quelques endroits, très brièvement, l'expert
coordinateur
exprime des appréciations sans rapport avec les questions techniques.
Avec
raison, le recourant stigmatise une insinuation à l'égard de
personnes qui
n'ont, semble-t-il, répondu qu'avec réticence aux questions qui leur
étaient
posées par ledit expert, ou ont déclaré ne pas se souvenir des faits
(p. 54).
Le rapport n'indique pas de qui il s'agit, de sorte que personne
n'est visé
en particulier. Ailleurs, on trouve une conjecture sur les mobiles
qui ont
déterminé les constructeurs à ne pas effectuer l'un des deux essais de
pression requis par le cahier des charges (p. 227: "coût, délai?"),
puis à ne
pas élucider complètement le processus à l'origine des fissures
découvertes
en été 2000 (p. 191 et, dans les mêmes termes, p. 231: "... tout cela
à cause
de la pression tant d'une remise en exploitation au plus vite que
financière!"). Ces propos sont étrangers à l'étude scientifique des
causes de
la catastrophe et ils n'ont donc pas leur place dans les rapports
d'expertise; ils devront être absolument évités dans les documents
ultérieurs. Toutefois, compte tenu de leur impact insignifiant dans un
travail considérable, qui semble par ailleurs tout à fait sérieux,
ils ne
sont pas suffisamment graves pour entraîner une récusation.

5.5 Les constatations et appréciations contenues dans le rapport de
synthèse
ont entraîné la mise en prévention du recourant. Celui-ci soutient
qu'en
raison de cette circonstance, l'expert coordinateur ne peut plus
prendre part
aux expertises complémentaires. Cette opinion n'est pas fondée. Il
est vrai
que l'appréciation des experts, exprimée dans le rapport, est
désormais
connue sur de nombreux points, mais on peut néanmoins prévoir que ces
spécialistes répondront de façon objective et scientifique aux
questions
suscitées par leurs premiers travaux. On peut également compter sur
une étude
impartiale des approches ou points de vue que les experts n'auraient
pas
encore envisagés, et qui leurs seraient soumis par des questions
complémentaires. Il est d'ailleurs classique que de telles questions
soient
posées après l'accomplissement d'une mission d'expertise; la mise en
prévention du recourant ou d'autres prévenus, survenue entre-temps,
est sans
pertinence à ce sujet. Le refus de récuser l'expert coordinateur
échappe
donc, en définitive, au grief que le recourant pourrait tirer de
l'art. 30
al. 1 Cst.

6.
A titre de partie qui succombe, le recourant doit acquitter
l'émolument
judiciaire (art. 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs, vu l'art. 36a OJ, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Les recours sont rejetés, dans la mesure où ils sont recevables.

2.
Le recourant acquittera un émolument judiciaire de 3'000 fr.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant,
au Juge
d'instruction pénale du Valais central, au Procureur général et au
Tribunal
cantonal du canton du Valais.

Lausanne, le 19 décembre 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.651/2003
Date de la décision : 19/12/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-12-19;1p.651.2003 ?
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