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17/12/2003 | SUISSE | N°1A.218/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 17 décembre 2003, 1A.218/2003


{T 0/2}
1A.218/2003 /col

Arrêt du 17 décembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Reeb et Féraud.
Greffier: M. Kurz.

A. ________,
recourant, représenté par Maîtres Marc Bonnant et
Jean-François Ducrest, avocats,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève,
case postale 3344, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève,
Chambre d'accusation, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108,
1211


Genève 3.

Entraide judiciaire internationale en matière pénale avec le Koweït,

recours de droit administratif c...

{T 0/2}
1A.218/2003 /col

Arrêt du 17 décembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Reeb et Féraud.
Greffier: M. Kurz.

A. ________,
recourant, représenté par Maîtres Marc Bonnant et
Jean-François Ducrest, avocats,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève,
case postale 3344, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève,
Chambre d'accusation, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108,
1211
Genève 3.

Entraide judiciaire internationale en matière pénale avec le Koweït,

recours de droit administratif contre l'ordonnance de la Chambre
d'accusation
du 26 août 2003.

Faits:

A.
Le 9 février 1994, le Procureur général de l'Etat du Koweït a adressé
à
l'Office fédéral de la police une demande d'entraide judiciaire pour
les
besoins d'une enquête pénale dirigée contre les dénommés B.________,
Q.________, M.________, S.________ et A.________ (Ministre du pétrole
de 1981
à 1989). Il leur est reproché des infractions contre le patrimoine et
des
délits de faux au préjudice de la société K.________, société détenue
par la
P.________, appartenant elle-même à l'Etat du Koweït. Hauts
responsables de
K.________, les inculpés se seraient enrichis de manière illégitime
entre
1986 et 1992, au détriment de cette société, pour un montant total de
quelque
66 millions de dollars. Ils auraient conclu des contrats de transport
à des
conditions trop onéreuses avec des intermédiaires qui sous-traitaient
à des
conditions plus avantageuses, les auteurs s'appropriant la différence
de
prix; à l'occasion d'achats, de ventes ou de commandes de navires,
ils se
seraient fait remettre des commissions auxquelles ils n'avaient pas
droit;
ils auraient injustement perçu une partie des indemnités d'assurance
payées
en raison de la réalisation du risque de guerre lors de la guerre du
Golfe.
L'autorité requérante désirait obtenir des renseignements sur
différentes
opérations dans des établissements bancaires, ainsi que le séquestre
d'avoirs.
Le 2 mai 1994, le Juge d'instruction genevois, auquel l'OFP avait
confié
l'exécution de cette demande, est entré en matière, en ordonnant
auprès de
banques genevoises la saisie des avoirs appartenant aux personnes
physiques
et morales désignées dans la requête, ainsi que la production des
documents
bancaires.
Par ordonnances du 31 août 1994, la Chambre d'accusation du canton de
Genève
(ci-après: la Chambre d'accusation) a rejeté divers recours formés
contre la
décision d'entrée en matière. Par arrêts du 22 décembre 1994, le
Tribunal
fédéral a confirmé ces décisions, en écartant en particulier les
griefs
relatifs à la compétence du Procureur général requérant et en
considérant que
la question de la conformité de la procédure étrangère à la CEDH
pourrait
être examinée par la suite.

B.
Le 24 mars 1995, le Consulat général de l'Etat du Koweït à Genève a
produit
des renseignements sur les règles de procédure applicables dans l'Etat
requérant.
Le 24 février 1997, le Procureur général a fourni un mémorandum sur
l'état
des procédures. La cause avait été soumise le 22 décembre 1993 à la
Cour
d'assises, devant laquelle seuls Q.________ et A.________ s'étaient
présentés. Diverses exceptions avaient été soulevées, mais la cour
avait
décidé de poursuivre la procédure. Toutefois, la cause avait été
renvoyée le
21 novembre 1995 au Tribunal spécial des Ministres, en vertu d'une
loi n°
88/95 adoptée entre-temps, pour le chef d'accusation d'enrichissement
illégitime à l'encontre de l'ancien Ministre et de ses comparses.
Pour le
surplus, la Cour d'assises avait rendu un verdict de culpabilité
partielle,
frappé d'appel. L'exécution de la commission rogatoire de 1994 était
toujours
requise. Le Procureur rappelait les termes de l'art. 6 CEDH; il
relevait
notamment que B.________ avait été assigné en bonne et due forme, ce
qui
permettait de poursuivre la procédure par défaut.
Le 12 mai 1998, le Procureur général a confirmé qu'il n'était plus
compétent
pour poursuivre l'ancien Ministre A.________, selon décision du 22
avril
1997, confirmée par la Cour de cassation. Le Procureur déclarait
renoncer aux
mesures d'entraide concernant les comptes de A.________ en Suisse,
faute de
compétence pour ordonner de telles mesures. La cause était toujours
pendante
à l'encontre des autres accusés, et l'exécution des mesures
d'entraide était
requise.
Par pli daté du 13 juillet 1999, le Président de la Commission
d'enquête du
Tribunal des Ministres (ci-après: la Commission d'enquête) a fait
savoir
qu'il était saisi de la cause relative à l'ancien Ministre, que la
Cour
d'assises avait décidé de suspendre sa procédure et qu'il souhaitait
la
transmission des documents requis.
Dans un mémoire commun du 14 mars 2001, transmis le 11 avril suivant,
le
Procureur général et le Président de la Commission d'enquête ont
réaffirmé
leurs compétences respectives, en demandant la levée partielle du
blocage de
certains comptes bancaires afin de permettre l'exécution d'un
jugement civil
rendu à Londres en faveur de K.________, ainsi que le maintien "des
mesures
prises dans le cadre de l'entraide judiciaire précédente".

C.
Par ordonnances de clôture du 15 octobre 2001, le juge d'instruction a
ordonné la transmission à l'autorité requérante, notamment, des
documents
remis par la banque Y.________ de Genève le 30 juin 1994, concernant
des
comptes et dépôts-titres détenus par B.________ et les sociétés dont
il était
l'ayant droit. Le juge d'instruction a aussi confirmé la saisie des
comptes
visés. Il a retenu que dans sa communication complémentaire du 11
avril 2001,
le Procureur de l'Etat du Koweït avait maintenu sa demande et
confirmé que,
conformément à la nouvelle législation, il était compétent pour
poursuivre
les quatre inculpés, à l'exclusion de l'ancien ministre dont la cause
relevait de la Commission d'enquête. Compte tenu du retrait de la
demande à
l'égard de ce dernier, le juge d'instruction a levé la saisie des
comptes
dont il était titulaire ou ayant droit, et refusé de transmettre la
documentation bancaire.

B. ________ et les sociétés impliquées ont recouru contre l'octroi de
l'entraide judiciaire; l'Office fédéral de la justice (ci-après:
l'OFJ) a
recouru contre le refus. Dans ses observations à ce dernier recours,
le juge
d'instruction a admis avoir mal apprécié la communication du 11 avril
2001,
et a annoncé qu'il rendrait de nouvelles ordonnances de clôture.
Par ordonnance du 18 avril 2002, la Chambre d'accusation a déclaré le
recours
de l'OFJ sans objet, compte tenu des nouvelles ordonnances de clôture
que le
juge d'instruction allait rendre. Le même jour, elle a rejeté le
recours de
B.________ et consorts: tant la Commission d'enquête que le Parquet
avaient
reconnu la compétence répressive de ce dernier; selon les décisions
figurant
au dossier, les accusés auraient tous été renvoyés devant le Tribunal
des
Ministres, mais ce dernier n'était pas lié par ce renvoi. La question
de la
compétence n'était donc pas définitivement tranchée. Le cas échéant,
l'entraide pouvait être accordée pour les besoins de la procédure
menée
devant la Commission d'enquête. Les sociétés recourantes ne pouvaient
se
prévaloir de l'art. 2 EIMP, pas plus que B.________, car ce dernier
résidait
à Londres et se trouvait, en l'état, à l'abri des poursuites
intentées contre
lui. Le principe de la proportionnalité était respecté.
Par arrêt du 11 septembre 2002, le Tribunal fédéral a confirmé cette
dernière
ordonnance, en substance pour les mêmes motifs: l'existence d'un
conflit
positif de compétences dans l'Etat requérant était sans incidence sur
l'octroi de l'entraide; les arguments de B.________ à propos des
défauts de
la procédure étaient insuffisamment étayés.

D.
Le 4 mars 2003, le juge d'instruction a rendu une nouvelle ordonnance
de
clôture (remplaçant une décision prise le 21 février précédent)
confirmant la
saisie de deux comptes détenus par A.________ auprès de la banque
Y.________
de Genève et ordonnant la transmission à l'autorité requérante des
documents
remis par la banque en 1994 relativement à ces comptes.
Par ordonnance du 26 août 2003, la Chambre d'accusation a confirmé
cette
décision. A.________ avait une connaissance suffisante des pièces du
dossier
auxquelles il demandait l'accès. En dépit de l'annulation de la
procédure par
le Tribunal des Ministres et du retrait annoncé par le Procureur, la
Commission d'enquête avait repris à son compte la demande d'entraide
formée
initialement par le Parquet, et en avait requis l'exécution. La
demande
d'entraide était suffisamment motivée, et les documents transmis
correspondaient à la mission confiée. S'agissant de la procédure
étrangère,
le Koweit avait ratifié le Pacte ONU II et le Procureur avait donné,
le 24
mars 1995, des assurances sur le respect des principes de procédure.
Toutefois, compte tenu des décisions rendues entre-temps dans l'Etat
requérant, en particulier du renvoi du recourant devant une
juridiction
spéciale, ces garanties n'étaient plus d'actualité. L'Etat requérant
devait
donner les garanties suivantes pour le cas où A.________ devrait être
arrêté
ou renvoyé en jugement:

a) le détenu ne sera soumis à aucun traitement portant atteinte à son
intégrité physique et psychique (art. 7, 10 et 17 Pacte ONU II);

b) aucun tribunal d'exception ne pourra être saisi des actes
délictueux qui
lui sont imputés;

c) le prévenu disposera du temps et des facilités nécessaires pour
préparer
sa défense (art. 14 par. 3 let. b Pacte ONU II) et du droit de se
faire
assister et de communiquer avec le défenseur de son choix (art. 14
par. 3
let. b Pacte ONU II);

d) il aura le droit d'être jugé publiquement, dans un délai
raisonnable, par
un tribunal indépendant et impartial (art. 14 par. 3 let c Pacte ONU
II);

e) la présomption d'innocence sera respectée (art. 14 par. 2 Pacte
ONU II);

f) la représentation diplomatique de la Suisse pourra en tout temps
s'enquérir de l'état d'avancement de la procédure pénale, assister
aux débats
lors du jugement sur le fond et obtenir un exemplaire de la décision
mettant
fin au procès; elle pourra rendre visite, en tout temps et sans
surveillance,
à l'accusé; celui-ci pourra s'adresser à elle en tout temps, que ce
soit au
stade de l'instruction ou lors de l'exécution d'une peine privative de
liberté qui serait infligée.
L'OFJ était invité à communiquer ces conditions, et à rendre une
décision
formelle sur le vu de la réponse fournie par l'autorité requérante.

E.
A.________ forme un recours de droit administratif contre cette
dernière
ordonnance. Il en demande l'annulation, ainsi que le refus de
l'entraide
judiciaire.
La Chambre d'accusation se réfère aux considérants de son arrêt. L'OFJ
conclut au rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Interjeté dans le délai et les formes utiles contre une décision de
clôture
confirmée en dernière instance cantonale, le recours de droit
administratif
est recevable (art. 80e let. a et 80f al. 1 de la loi fédérale sur
l'entraide
internationale en matière pénale - EIMP, RS 351.1). Indépendamment de
sa
qualité de personne poursuivie, le recourant est titulaire des deux
comptes
au sujet desquels le juge d'instruction a ordonné la transmission de
renseignements, de sorte qu'il a qualité pour recourir (art. 80h let.
b EIMP
et 9a let. a OEIMP).

2.
En l'absence d'une convention liant la Suisse et l'Etat requérant,
l'entraide
judiciaire est entièrement régie par l'EIMP et son ordonnance
d'exécution
(OEIMP, RS 351.11).

3.
Invoquant l'art. 2 let. d EIMP, le recourant conteste la compétence de
l'autorité requérante. Il relève que le Procureur général était
l'auteur de
la demande du 9 février 1994, ainsi que des précisions fournies
ultérieurement. Selon l'arrêt de la Cour d'appel du 16 mai 2001, il
serait
établi que le Procureur n'était pas compétent pour instruire à
l'encontre de
l'ancien ministre, ce qui entraînerait la nullité de la procédure "ab
ovo", y
compris de la demande d'entraide. Cela ressortirait aussi de la
communication
du 12 mai 1998 par laquelle le Procureur déclarait retirer la demande
relative au recourant. Les communications ultérieures du Procureur ne
concernaient plus le recourant, de même que l'intervention commune du
14
avril 2001, limitée à l'exécution d'un jugement rendu à Londres et au
transfert des actifs détenus par les autres accusés. L'intervention,
par
simple courrier, du Président de la Commission d'enquête, ne
constituerait
pas une demande d'entraide formelle et indépendante, susceptible de
pallier
le retrait de la demande initiale. En outre, les autorités suisses
n'auraient
pas été informées des derniers développements de la procédure pénale
au
Koweït, en particulier de la décision du 16 mai 2001 par laquelle le
Tribunal
des Ministres a rejeté la plainte dirigée contre le recourant. Ce
jugement
aurait également pour effet d'annuler la requête d'entraide, à
supposer que
celle-ci ait été reprise par la Commission d'enquête. Dans ses
dernières
communications, le Tribunal des Ministres "espérait" l'exécution des
mesures
d'enquête, sans pour autant se prononcer sur sa propre compétence, ni
fournir
d'indications propres à étayer une demande d'entraide
en sa faveur.

3.1 Selon la jurisprudence constante, l'autorité suisse requise doit
certes
s'assurer de la compétence répressive de l'Etat requérant (cf.
notamment
l'art. 5 EIMP); elle s'interdit en revanche d'examiner la compétence
de
l'autorité requérante au regard des normes d'organisation ou de
procédure de
l'Etat étranger. Ce n'est qu'en cas d'incompétence manifeste, faisant
apparaître la demande comme un abus caractéristique - voire comme un
défaut
grave de la procédure étrangère au sens de l'art. 2 EIMP -, que
l'entraide
peut être refusée (ATF 116 Ib 89 consid. 2c/aa p. 92 et la
jurisprudence
citée).

3.2 Le Tribunal fédéral a relevé, dans son arrêt du 11 septembre
2002, que si
la situation procédurale dans l'Etat requérant n'était pas dénuée
d'ambiguïtés, il n'en résultait pas pour autant que l'incompétence du
Procureur général serait manifeste: la commission d'enquête avait
manifesté,
à plusieurs reprises, sa volonté de voir exécuter les actes
d'entraide requis
par le Procureur. La question de savoir s'il y avait eu annulation de
toute
la procédure, avec effet ex tunc, relevait du droit de l'Etat
requérant. Du
point de vue de l'Etat requis, l'entraide judiciaire demandée par une
autorité qui se révèle par la suite incompétente, pouvait encore être
accordée lorsque l'autorité compétente manifeste sa volonté d'obtenir
les
renseignements recueillis. Cette déclaration avait un effet
réparateur, et
les actes d'entraide exécutés jusque-là n'en étaient pas affectés
(cf. art.
28 al. 6 EIMP). La Suisse n'avait donc pas à s'interroger sur les
effets,
selon la procédure de l'Etat requérant, du dessaisissement de la
première
autorité. S'il y avait conflit de compétence, celui-ci était positif
et
n'avait pas d'influence sur l'octroi de l'entraide.

3.3 Ces considérations s'appliquaient aux précédents recours,
notamment de
B.________, lequel n'avait pas la qualité d'ancien ministre. En ce qui
concerne le recourant, le Procureur général a fait savoir, le 12 mai
1998,
qu'il retirait sa demande et renonçait aux procédures dirigées contre
A.________ concernant la transmission de renseignements bancaires, le
Tribunal des Ministres (par arrêt du 22 avril 1997) et la Cour de
cassation
(par arrêt du 22 décembre 1997) ayant estimé qu'il n'avait pas la
compétence
d'interroger cette personne, de la soumettre à des saisies ou de la
renvoyer
en jugement. Toutefois, même s'il y a bien eu, dans le cas d'espèce,
retrait
de la demande d'entraide initiale par son auteur, cela n'empêche pas
l'autorité déclarée compétente d'obtenir pour son compte l'exécution
des
mesures d'entraide requises, sans qu'elle soit obligée de présenter
une
nouvelle demande. Si le seul vice affectant la demande d'entraide
initiale
est le défaut de compétence de son auteur, l'intervention de
l'autorité
compétente peut ainsi revêtir un effet guérisseur. Il faut toutefois
que
cette autorité affirme sans ambages sa volonté de ratifier la demande
initiale, et d'obtenir ainsi l'exécution de l'entraide requise.
Par lettre du 13 juillet 1999, le Président de la Commission
d'enquête a
rappelé la teneur des décisions rendues en 1997, la saisine de la Cour
d'assises s'agissant des quatre premiers accusés, et du Tribunal des
Ministres s'agissant de A.________. Le Président "espère que la
requête de
commission rogatoire susmentionnée bénéficiera de [votre] entière
coopération
et que les dossiers relatifs aux comptes bancaires des individus
figurant au
paragraphe 4 de la demande de coopération judiciaire, lui seront
transmis".
Or, l'ancien ministre A.________ figure en tête des personnes
mentionnées
dans ce document. Dans leur mémoire commun du 14 mars 2001, le
Procureur
général et le Président de la Commission d'enquête font état des
décisions
rendues à Londres en faveur de K.________, et de la nécessité
d'obtenir la
levée des saisies pénales pour l'exécution des séquestres civils. Le
déroulement de la procédure y est rappelé, et il est précisé que le
parquet
serait compétent pour prendre les mesures conservatoires nécessaires,
"y
compris le maintien de la requête en matière d'entraide judiciaire",
jusqu'à
la clôture de l'enquête de la commission. En contradiction apparente
avec sa
précédente communication, le Procureur prie les autorités suisses de
maintenir les mesures prises dans le cadre de l'entraide judiciaire
ainsi que
la saisie des avoirs, et demande la levée partielle des saisies afin
de
permettre l'exécution des séquestres civils. Pour sa part, la
Commission
d'enquête "approuve toutes les mesures conservatoires mentionnées".
Contrairement à ce que prétend le recourant, cette dernière requête
n'est pas
limitée à l'exécution du jugement rendu à Londres, mais s'étend à
l'ensemble
des mesures d'entraide.

3.4 Il ressort de ce qui précède qu'à plusieurs reprises, la
commission
chargée de l'enquête à l'encontre du recourant s'est adressée à la
Suisse
afin d'obtenir les renseignements qui étaient requis dans la demande
d'entraide du 30 mars 1994. La volonté de cette autorité de se
substituer au
Procureur général pour ce qui est des investigations contre l'ancien
ministre
ne fait dès lors pas de doute. Le recourant ne saurait prétendre que
la
démarche de la commission est insuffisamment motivée; comme le relève
la cour
cantonale, les motifs exposés dans la demande initiale à l'égard du
recourant
apparaissent suffisants au regard des exigences posées par les art.
28 al. 3
EIMP et 10 al. 2 EIMP; le Tribunal fédéral l'avait d'ailleurs déjà
constaté
dans ses arrêts du 22 décembre 1994. Pour le surplus, l'autorité
suisse
d'entraide n'a pas à rechercher si, en vertu du droit de l'Etat
requérant, la
déclaration d'incompétence de l'autorité de poursuite implique la
nullité de
tous les actes de procédure effectués jusque-là, et à quelles
conditions
certains d'entre eux pourraient subsister. Sur le vu d'une demande
d'entraide
adressée en bonne et due forme, l'autorité suisse ne peut que prendre
acte de
la déclaration de l'autorité compétente d'en obtenir l'exécution pour
la part
échappant aux compétences de la première autorité.

3.5 Le recourant se réfère à un jugement rendu le 15 mai 2001 par la
Commission d'enquête, selon lequel la plainte formulée au mois de
décembre
1998 par K.________ aurait été jugée insuffisamment motivée quant aux
faits
qui sont reprochés à l'ancien ministre. Cette décision ajoute certes
un
élément d'incertitude à la procédure pénale dans l'Etat requérant.
Elle ne
constitue toutefois pas non plus un motif d'irrecevabilité au sens de
l'art.
5 EIMP. En effet, cette disposition ne vise que les décisions rendues
par le
juge du fond, qu'il s'agisse d'acquittement, de non-lieu ou d'une
renonciation provisoire à une sanction (al. 1 let. a ch. 1 et 2). Or,
le
jugement invoqué est une décision rendue par l'autorité d'instruction
du
Tribunal des Ministres, qui constate l'invalidité de la plainte
formée par
K.________. Rien ne permet de penser que cette décision mette un terme
définitif à la procédure pénale; au contraire, l'absence de plainte -
ou une
irrégularité entachant celle-ci - ne constitue en règle générale qu'un
obstacle relatif à la procédure pénale. Le recourant relève lui-même
qu'aucune décision sur le fond n'a encore été rendue le concernant.
Valablement saisie d'une demande d'entraide judiciaire, l'autorité
suisse n'a
pas à interpréter les décisions intervenues entre-temps dans l'Etat
requérant. Dans la mesure où la demande d'entraide n'a pas été
retirée par
l'autorité devenue compétente, il y a lieu d'en achever l'exécution.

4.
Invoquant ensuite l'art. 2 let. a EIMP, le recourant relève que divers
rapports d'organisations non gouvernementales mettent en évidence de
nombreuses violations des droits de l'homme commises dans l'Etat
requérant.
Les juges, nommés par l'Emir, n'auraient pas d'indépendance, et le
droit à un
procès équitable (art. 14 du Pacte ONU II) ne serait toujours pas
garanti,
compte tenu en particulier de la loi martiale, de la peine de mort et
de la
torture, et des discriminations à l'égard des femmes et des bédouins.
Le
recourant invoque plus précisément son droit à être jugé dans un délai
raisonnable; il relève que les faits poursuivis portent sur la
période de
1986 à 1993 et qu'en dépit de plusieurs décisions favorables, de
nouvelles
procédures surgiraient à chaque fois, suite à des pressions
politiques. Le
Tribunal des Ministres serait un tribunal d'exception au sens de
l'art. 14
al. 3 let. c Pacte ONU II. Les nouvelles garanties demandées à l'Etat
requérant seraient insuffisantes à ce propos.

4.1 Selon l'art. 2 EIMP, la demande d'entraide est irrecevable s'il y
a lieu
d'admettre que la procédure à l'étranger [a] n'est pas conforme aux
principes
de procédure fixés par la CEDH ou par le Pacte ONU II, ou [d] présente
d'autres défauts graves. Cette disposition a pour but d'éviter que la
Suisse
ne prête son concours à des procédures qui ne satisferaient pas aux
exigences
des deux instruments précités. Saisie d'un grief de ce genre,
l'autorité
suisse requise n'a pas à se livrer d'office à un examen exhaustif du
niveau
de protection des droits de l'homme dans l'Etat requérant; elle doit
se
concentrer sur l'évaluation des incidences prévisibles de cette
situation sur
la position concrète de la personne poursuivie (ATF 129 II 268
consid. 6.1 et
la jurisprudence citée). Il ne suffit donc pas que la personne
poursuivie à
l'étranger se prétende menacée du fait d'une situation
politico-juridique
donnée; il lui appartient de rendre vraisemblable l'existence d'un
risque
sérieux et objectif d'une grave violation des droits de l'homme dans
l'Etat
requérant, susceptible de la toucher de manière concrète (ATF 129 II
précité;
125 II 356 consid. 8a p. 364, 123 II 161 consid. 6b, 122 II 373
consid. 2a p.
376-377 et les arrêts cités).

4.2 Le Tribunal fédéral a déjà répondu à l'essentiel de ces
objections, dans
ses arrêts du 11 septembre 2002 précité, et du 12 septembre suivant
(cause
1A.147/2002). La nomination des juges par le Chef de l'Etat, sur
recommandation du Ministère de la justice, n'est pas un élément
suffisant à
lui seul pour douter de l'indépendance des magistrats. En effet, cette
question doit être résolue non seulement sur le vu du mode de
désignation,
mais aussi compte tenu de la durée des mandats, de l'existence d'une
protection contre les pressions extérieures et du point, central, de
savoir
s'il y a ou non apparence d'indépendance. Les tribunaux doivent
statuer sans
recevoir d'instructions ou de recommandations (ATF 123 II 511 consid.
5c p.
517 et la jurisprudence citée). Le fait que l'engagement des
magistrats,
salariés, soit de durée déterminée et qu'il s'agisse souvent de
ressortissants étrangers ne constitue pas des motifs de douter de leur
indépendance. Par ailleurs, si les différents rapports produits par le
recourant font état de sérieux problèmes dans l'Etat requérant
(maintien de
la loi martiale de 1991, arrestations illégales, cas de torture,
discriminations à l'égard des femmes, situation des bédouins et des
apatrides, maintien de la peine de mort, violations de la liberté
d'expression), aucun d'entre eux ne mentionnent l'indépendance des
magistrats
comme un motif de préoccupation particulier. Il n'est jamais prétendu
que le
Chef de l'Etat serait, d'une manière ou d'une autre, intervenu afin
d'influencer l'issue d'un procès déterminé.
Les différentes décisions de justice qui figurent au dossier font au
contraire ressortir que les objections soulevées après le premier
arrêt de la
Cour d'assises ont été examinées avec sérieux et indépendance. Les
seuls
procès inéquitables dont il est fait état concernent des délits
politiques
jugés par la Cour martiale ou la Cour de sûreté de l'Etat (arrêt du 11
septembre 2002, consid. 4.4). Quant au Tribunal des Ministres, le
recourant
ne fait valoir aucun élément propre à mettre en cause son
impartialité ou son
indépendance: sa dernière décision classant la plainte de K.________,
faute
d'une motivation suffisante, est au contraire favorable au recourant.

4.3 L'Etat requérant, qui a ratifié le 21 mai 1996 le Pacte ONU II, a
été
interpellé une première fois le 14 février 1995 par l'OFP, notamment
à propos
du respect des garanties judiciaires figurant aux art. 6-8 CEDH. Dans
sa
réponse, du 24 mars 1995, transmise par le Ministère de la justice, le
Procureur général expose les règles relatives à la légalité des
peines, à la
publicité des débats, à la présomption d'innocence, au principe
d'accusation
et aux droits de la défense, en particulier le droit de faire
entendre les
témoins à décharge. La Chambre d'accusation a estimé que ces garanties
remontaient à 1995, et devaient être renouvelées compte tenu du
changement de
juridiction intervenu depuis lors.
Le recourant ne prétend pas que les nouvelles garanties exigées
devraient
être complétées sur un point ou un autre. Il soutient que la
procédure pénale
aurait déjà duré trop longtemps au regard des exigences des art. 6
CEDH et 14
Pacte ONU II. Même s'il s'est écoulé un temps considérable depuis les
faits
poursuivis, on ne saurait en déduire que le droit d'être jugé dans un
délai
raisonnable serait d'ores et déjà violé. L'exigence du délai
raisonnable doit
être interprétée in concreto, compte tenu de la gravité et de la
complexité
de l'affaire, et des comportements respectifs de l'accusé et des
autorités de
poursuite. On ignore ainsi à quel moment
précis l'accusation pénale a
été
formulée de manière déterminante à l'encontre du recourant, et si ce
dernier
s'est trouvé détenu. Par ailleurs, la remise des documents bancaires
concernant le recourant pourrait constituer une étape importante dans
le
cours de la procédure, propre à en accélérer le déroulement. Faute de
connaître suffisamment les détails de la procédure étrangère, il
n'est pas
possible de déterminer si les exigences de célérité ont été respectées
jusqu'ici. Par ailleurs, le droit d'être jugé dans un délai
raisonnable
figure parmi les règles de procédure au respect desquelles l'Etat
requérant
devra s'engager. Le droit de regard qui devra aussi être accordé à la
représentation suisse constitue une garantie importante sur ce point.
Pour le
surplus, les garanties formulées par la Chambre d'accusation
correspondent à
ce qui est exigé dans des cas similaires (cf. ATF 129 II 268 consid.
6.4.3 p.
275).

5.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit administratif doit
être
rejeté. Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument judiciaire
est mis à
la charge du recourant, qui succombe.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 5000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires du
recourant, au
Juge d'instruction et à la Chambre d'accusation de la Cour de justice
du
canton de Genève, ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice (B 94512)

Lausanne, le 17 décembre 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.218/2003
Date de la décision : 17/12/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-12-17;1a.218.2003 ?
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