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17/12/2003 | SUISSE | N°1A.199/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 17 décembre 2003, 1A.199/2003


{T 0/2}
1A.199/2003 /col

Arrêt du 17 décembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Reeb et Féraud.
Greffier: M. Kurz.

la société W.________,
la société I.________,
la société J.________,
K.________,
recourants,
tous représentés par Me Shelby du Pasquier, avocat,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève,
case postale 3344, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève,
Chambre

d'accusation, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108,
1211
Genève 3.

Entraide judiciaire internationale en matière péna...

{T 0/2}
1A.199/2003 /col

Arrêt du 17 décembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Reeb et Féraud.
Greffier: M. Kurz.

la société W.________,
la société I.________,
la société J.________,
K.________,
recourants,
tous représentés par Me Shelby du Pasquier, avocat,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève,
case postale 3344, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève,
Chambre d'accusation, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108,
1211
Genève 3.

Entraide judiciaire internationale en matière pénale avec le Koweït,

recours de droit administratif contre l'ordonnance de la Chambre
d'accusation du 18 juillet 2003.

Faits:

A.
Le 9 février 1994, le Procureur général de l'Etat du Koweït a adressé
à
l'Office fédéral de la police une demande d'entraide judiciaire pour
les
besoins d'une enquête pénale dirigée contre les dénommés B.________,
Q.________, M.________, S.________ et A.________ (Ministre du pétrole
de 1981
à 1989). Il leur est reproché des infractions contre le patrimoine et
des
délits de faux au préjudice de la société K.________, société détenue
par la
P.________, appartenant elle-même à l'Etat du Koweït. Hauts
responsables de
K.________, les inculpés se seraient enrichis de manière illégitime
entre
1986 et 1992, au détriment de cette société, pour un montant total de
quelque
66 millions de dollars. Ils auraient conclu des contrats de transport
à des
conditions trop onéreuses avec des intermédiaires qui sous-traitaient
à des
conditions plus avantageuses, les auteurs s'appropriant la différence
de
prix; à l'occasion d'achats, de ventes ou de commandes de navires,
ils se
seraient fait remettre des commissions auxquelles ils n'avaient pas
droit;
ils auraient injustement perçu une partie des indemnités d'assurance
payées
en raison de la réalisation du risque de guerre lors de la guerre du
Golfe.
L'autorité requérante désirait obtenir des renseignements sur
différentes
opérations dans des établissements bancaires, ainsi que le séquestre
d'avoirs
détenus par les personnes impliquées; sont notamment mentionnées les
sociétés
W.________, I.________ et J.________.
Le 2 mai 1994, le Juge d'instruction genevois, chargé de l'exécution
de cette
demande, est entré en matière, en ordonnant auprès de banques
genevoises la
saisie des avoirs appartenant aux personnes physiques et morales
désignées
dans la requête, ainsi que la production des documents bancaires. Par
ordonnances du 31 août 1994, la Chambre d'accusation du canton de
Genève
(ci-après: la Chambre d'accusation) a rejeté divers recours formés
contre la
décision d'entrée en matière. Par arrêts du 22 décembre 1994, le
Tribunal
fédéral a confirmé ces décisions, en écartant en particulier les
griefs
relatifs à la compétence du Procureur général requérant et en
considérant que
la question de la conformité de la procédure étrangère à la CEDH
pourrait
être examinée par la suite.

B.
Le 24 mars 1995, le Consulat général de l'Etat du Koweït à Genève a
produit
des renseignements sur les règles de procédure applicables dans l'Etat
requérant.
Le 24 février 1997, le Procureur général a fourni un mémorandum sur
l'état
des procédures. La cause avait été soumise le 22 décembre 1993 à la
Cour
d'assises, devant laquelle seuls Q.________ et A.________ s'étaient
présentés. La cause avait été renvoyée le 21 novembre 1995 au Tribunal
spécial des Ministres, en vertu d'une loi n° 88/95 adoptée
entre-temps, pour
le chef d'accusation d'enrichissement illégitime à l'encontre de
l'ancien
Ministre et de ses comparses. Pour le surplus, la Cour d'assises
avait rendu
un verdict de culpabilité partielle, frappé d'appel. L'exécution de la
commission rogatoire de 1994 était toujours requise.
Le 12 mai 1998, le Procureur général a confirmé qu'il n'était plus
compétent
pour poursuivre l'ancien Ministre A.________, selon décision du 22
avril
1997, confirmée par la Cour de cassation. Le Procureur déclarait
renoncer aux
mesures d'entraide concernant les comptes de A.________ en Suisse,
faute de
compétence pour ordonner de telles mesures. La cause était toujours
pendante
à l'encontre des autres accusés, et l'exécution des mesures
d'entraide était
requise.
Par pli daté du 13 juillet 1999, le Président de la Commission
d'enquête du
Tribunal des Ministres (ci-après: la Commission d'enquête) a fait
savoir
qu'il était saisi de la cause relative à l'ancien Ministre, que la
Cour
d'assises avait décidé de suspendre sa procédure et qu'il souhaitait
la
transmission des documents requis.
Dans un mémoire commun du 14 mars 2001, transmis le 11 avril suivant,
le
Procureur général et le Président de la Commission d'enquête ont
réaffirmé
leurs compétences respectives, en demandant la levée partielle du
blocage de
certains comptes bancaires afin de permettre l'exécution d'un
jugement civil
rendu à Londres en faveur de K.________, ainsi que le maintien "des
mesures
prises dans le cadre de l'entraide judiciaire précédente".

C.
Par ordonnances de clôture du 15 octobre 2001, le juge d'instruction a
ordonné la transmission à l'autorité requérante, notamment, des
documents
remis par la banque X.________ concernant trois comptes détenus par
W.________, I.________ et J.________, dont l'ayant droit était
K.________. Le
même jour, d'autres ordonnances de clôture ont été rendues, portant
sur la
transmission de documents bancaires, mais aussi sur le refus de
l'entraide
judiciaire à l'égard de l'ancien ministre, compte tenu du retrait de
la
demande du 12 mai 1998. Les personnes impliquées ont recouru contre
l'octroi
de l'entraide judiciaire; l'Office fédéral de la justice (OFJ) a
recouru
contre le refus. Dans ses observations à ce dernier recours, le juge
d'instruction a admis avoir mal apprécié la communication du 11 avril
2001,
et a annoncé qu'il rendrait de nouvelles ordonnances de clôture.
Par ordonnance du 18 avril 2002, la Chambre d'accusation a déclaré le
recours
de l'OFJ sans objet, compte tenu des nouvelles ordonnances de clôture
que le
juge d'instruction allait rendre. Par ordonnance du même jour, elle a
rejeté
le recours de B.________ et consorts: tant la Commission d'enquête
que le
Parquet avaient reconnu la compétence répressive de ce dernier; selon
les
décisions figurant au dossier, les accusés auraient tous été renvoyés
devant
le Tribunal des Ministres, mais ce dernier n'était pas lié par ce
renvoi. La
question de la compétence n'était donc pas définitivement tranchée.
Le cas
échéant, l'entraide pouvait être accordée pour les besoins de la
procédure
menée devant la Commission d'enquête.
Par arrêt du 11 septembre 2002, le Tribunal fédéral a confirmé cette
dernière
ordonnance, en substance pour les mêmes motifs: l'existence d'un
conflit
positif de compétences dans l'Etat requérant était sans incidence sur
l'octroi de l'entraide.

D.
Le 21 février 2003, le juge d'instruction a rendu une nouvelle
ordonnance de
clôture portant sur la transmission de la documentation relative aux
comptes
détenus par W.________, I.________ et J.________, tout en constatant
que ces
comptes avaient été clôturés, de sorte que la saisie des valeurs était
infructueuse.
Par ordonnance du 18 juillet 2003, la Chambre d'accusation a confirmé
cette
décision. Le recours était irrecevable en tant qu'il émanait de
K.________,
ayant droit des sociétés. En dépit de l'annulation de la procédure
par le
Tribunal des Ministres et du retrait annoncé par le Procureur, la
Commission
d'enquête avait repris à son compte la demande d'entraide formée
initialement
par le Parquet, et en avait requis l'exécution. La demande d'entraide
était
suffisamment motivée. Même si K.________ n'était pas impliqué dans
les faits
poursuivis, la condition de la double incrimination était remplie,
s'agissant
de faux dans les titres et de détournements de fonds qualifiables en
droit
suisse de gestion déloyale. La question de la prescription selon le
droit
suisse n'avait pas à être examinée. Le principe de la
proportionnalité était
respecté, les recourants n'ayant pas présenté d'objections motivées à
ce
propos.

E.
W.________, I.________ et J.________, ainsi que K.________ forment un
recours
de droit administratif. Ils concluent à l'annulation de l'ordonnance
de la
Chambre d'accusation et de la décision de clôture et à
l'irrecevabilité de la
demande d'entraide judiciaire et de son complément du 11 avril 2001,
subsidiairement au renvoi de la cause au juge d'instruction afin
qu'il statue
sur l'entrée en matière suite à la demande du 11 avril 2001, au tri
des
informations à transmettre et au caviardage de la documentation
bancaire dans
la mesure où sa transmission est admise.
La Chambre d'accusation se réfère aux considérants de son arrêt. L'OFJ
conclut au rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Interjeté dans le délai et les formes utiles contre une décision de
clôture
confirmée en dernière instance cantonale, le recours de droit
administratif
est recevable (art. 80e let. a et 80f al. 1 de la loi fédérale sur
l'entraide
internationale en matière pénale - EIMP, RS 351.1).
1.1 Les sociétés recourantes sont chacune titulaire d'un compte
bancaire au
sujet duquel le juge d'instruction a ordonné la transmission de
renseignements; elles ont ainsi qualité pour recourir (art. 80h let.
b EIMP
et 9a let. a OEIMP). K.________ s'est vu dénier la qualité pour agir,
en tant
qu'ayant droit économique; il a lui aussi qualité pour contester ce
prononcé
(ATF 122 I 130 consid. 1).

1.2 En l'absence d'une convention liant la Suisse et l'Etat requérant,
l'entraide judiciaire est entièrement régie par l'EIMP et son
ordonnance
d'exécution (OEIMP, RS 351.11).

2.
K.________ considère que la qualité pour recourir aurait dû lui être
reconnue, compte tenu des conséquences qui pourraient découler de la
révélation de son identité à l'Etat requérant. La Chambre
d'accusation aurait
omis d'examiner cette question. On ne saurait toutefois reprocher à
la cour
cantonale, comme semble le faire implicitement le recourant, une
violation de
l'obligation de motiver: la décision attaquée rappelle en effet le
texte
clair de la loi, ainsi que la jurisprudence constante, qui ne
reconnaissent
la qualité pour agir qu'à la personne (physique ou morale) titulaire
du
compte dont la documentation doit être remise à l'Etat requérant, et
la
dénient à l'ayant droit économique, quand bien même ce dernier se
trouverait
exposé à la révélation de son identité (cf. en dernier lieu, ATF 129
II 268
consid. 2.3.3; 127 II 323 consid. 3b/cc p. 330; 125 II 65 consid. 1
et les
arrêts cités; 122 II 130 consid. 2b p. 133). L'on ne se trouve pas
dans un
cas où la qualité pour recourir est reconnue à l'ayant droit parce
que le
titulaire des comptes se trouverait dans l'impossibilité d'agir (cf.
ATF 123
II 153 consid. 2c et dd p. 157/158). L'irrecevabilité du recours de
K.________ ne viole donc ni le droit fédéral, ni le droit d'être
entendu.

3.
Invoquant l'art. 2 let. d EIMP, les recourants estiment que l'autorité
requérante serait incompétente pour requérir l'entraide. Cette
incompétence,
attestée par les jugements rendus par le Tribunal des Ministres, puis
par la
Cour de cassation de l'Etat du Koweït, serait manifeste, et ne
pouvait être
ignorée par la Chambre d'accusation en application de l'art. 75 EIMP.

3.1 Selon la jurisprudence constante rappelée par la cour cantonale,
l'autorité suisse requise doit certes s'assurer de la compétence
répressive
de l'Etat requérant (cf. notamment l'art. 5 EIMP); elle s'interdit en
revanche d'examiner la compétence de l'autorité requérante au regard
des
normes d'organisation ou de procédure de l'Etat étranger. Ce n'est
qu'en cas
d'incompétence manifeste, faisant apparaître la demande comme un abus
caractéristique - voire comme un défaut grave de la procédure
étrangère au
sens de l'art. 2 EIMP -, que l'entraide peut être refusée (ATF 116 Ib
89
consid. 2c/aa p. 92 et la jurisprudence citée).

3.2 Le Tribunal fédéral a déjà relevé, dans son arrêt du 11 septembre
2002,
que si la situation procédurale dans l'Etat requérant n'était pas
dénuée
d'ambiguïtés, il n'en résultait pas pour autant que l'incompétence du
Procureur général serait manifeste: la Commission d'enquête avait
manifesté,
à plusieurs reprises, sa volonté de voir exécuter les actes
d'entraide requis
par le Procureur. La question de savoir s'il y avait eu annulation de
toute
la procédure, avec effet ex tunc, relevait du droit de l'Etat
requérant. Du
point de vue de l'Etat requis, l'entraide judiciaire demandée par une
autorité qui se révèle par la suite incompétente, pouvait encore être
accordée lorsque l'autorité compétente manifeste sa volonté d'obtenir
les
renseignements recueillis. Cette déclaration avait un effet
réparateur, et
les actes d'entraide exécutés jusque-là n'en étaient pas affectés
(cf. art.
28 al. 6 EIMP). La Suisse n'avait donc pas à s'interroger sur les
effets,
selon la procédure de l'Etat requérant, du dessaisissement de la
première
autorité. S'il y avait conflit de compétence, celui-ci était positif
et
n'avait pas d'influence sur l'octroi de l'entraide.

3.3 Le Procureur général a fait savoir, le 12 mai 1998, qu'il
retirait sa
demande et renonçait aux
procédures dirigées contre A.________
concernant la
transmission de renseignements bancaires, le Tribunal des Ministres
(par
arrêt du 22 avril 1997) et la Cour de cassation (par arrêt du 22
décembre
1997) ayant estimé qu'il n'avait pas la compétence d'interroger cette
personne, de la soumettre à des saisies ou de la renvoyer en
jugement. Ce
retrait de la demande est toutefois limité au cas de l'ancien
ministre, et
non à l'ensemble des autres personnes accusées. En outre, même s'il y
a bien
eu retrait de la demande d'entraide initiale par son auteur, cela
n'empêche
pas l'autorité déclarée compétente d'obtenir pour son compte
l'exécution des
mesures d'entraide requises, sans qu'elle soit obligée de présenter
une
nouvelle demande. Si le seul vice affectant la demande d'entraide
initiale
est le défaut de compétence de son auteur, l'intervention de
l'autorité
compétente peut ainsi revêtir un effet guérisseur. Il faut toutefois
que
cette autorité affirme sans ambages sa volonté de ratifier la demande
initiale, et d'obtenir ainsi l'exécution de l'entraide requise.
Par lettre du 13 juillet 1999, le Président de la Commission
d'enquête a
rappelé la teneur des décisions rendues en 1997, la saisine de la Cour
d'assises s'agissant des quatre premiers accusés, et du Tribunal des
Ministres s'agissant de A.________. Le Président "espère que la
requête de
commission rogatoire susmentionnée bénéficiera de [votre] entière
coopération
et que les dossiers relatifs aux comptes bancaires des individus
figurant au
paragraphe 4 de la demande de coopération judiciaire, lui seront
transmis".
Dans leur mémoire commun du 14 mars 2001, le Procureur général et le
Président de la Commission d'enquête font état des décisions rendues à
Londres en faveur de K.________, et de la nécessité d'obtenir la
levée des
saisies pénales pour l'exécution des séquestres civils. Le
déroulement de la
procédure y est rappelé, et il est précisé que le parquet serait
compétent
pour prendre les mesures conservatoires nécessaires, "y compris le
maintien
de la requête en matière d'entraide judiciaire", jusqu'à la clôture de
l'enquête de la commission. Le Procureur prie les autorités suisses de
maintenir les mesures prises dans le cadre de l'entraide judiciaire
ainsi que
la saisie des avoirs, et demande la levée partielle des saisies afin
de
permettre l'exécution des séquestres civils. Pour sa part, la
Commission
d'enquête "approuve toutes les mesures conservatoires mentionnées".

3.4 Il ressort de ce qui précède que l'incompétence du Procureur
général est
limitée au cas de l'ancien ministre et qu'à plusieurs reprises, la
commission
chargée de l'enquête contre A.________ s'est adressée à la Suisse afin
d'obtenir les renseignements qui étaient requis dans la demande
d'entraide du
30 mars 1994. La volonté de cette autorité de se substituer au
Procureur
général pour ce qui est des investigations contre l'ancien ministre
ne fait
dès lors pas de doute. Sur le vu d'une demande d'entraide adressée en
bonne
et due forme, l'autorité suisse ne peut que prendre acte de la
déclaration de
l'autorité compétente d'en obtenir l'exécution pour la part échappant
aux
compétences de la première autorité. On ne saurait, dans ces
circonstances,
parler d'incompétence manifeste, ni de défaut grave entachant la
procédure
pénale étrangère.

4.
Les recourants invoquent ensuite l'art. 28 EIMP en soutenant que
l'exposé des
faits ne comporterait pas d'indications suffisantes quant au rôle de
chaque
protagoniste, alors que l'enquête dure depuis maintenant sept ans.
L'implication des sociétés recourantes ne serait pas non plus
démontrée.

4.1 La demande d'entraide doit indiquer l'organe dont elle émane et,
le cas
échéant, l'autorité pénale compétente (art. 28 al. 2 let. a EIMP),
son objet
et ses motifs (art. 28 al. 2 let. b EIMP), la qualification juridique
des
faits (art. 28 al. 2 let. c EIMP), ainsi que la désignation aussi
précise et
complète que possible de la personne poursuivie (art. 28 al. 2 let. d
EIMP).
L'art. 10 OEIMP exige pour sa part l'indication du lieu, de la date
et du
mode de commission des infractions. On ne saurait toutefois se
montrer trop
exigeant quant à l'exposé joint à la demande. Il faut en effet tenir
compte
de ce que l'enquête ouverte - même depuis un certains temps - dans
l'Etat
requérant n'est pas terminée, puisque l'entraide est demandée
précisément
pour éclaircir certains faits. Les indications fournies à ce titre
doivent
simplement suffire pour vérifier que la demande n'est pas d'emblée
inadmissible (cf. ATF 129 II 97 consid. 3.2 s'agissant d'infractions
de
blanchiment; ATF 116 Ib 96 consid. 3a p. 101; 115 Ib 68 consid. 3b/aa
p. 77).

4.2 En l'espèce, les faits poursuivis ressortent clairement de la
demande
d'entraide initiale. Les personnes poursuivies sont précisément
mentionnées,
ainsi que les différentes malversations commises au détriment de
K.________,
pour un total de 66 millions de dollars. L'autorité requérante expose
les
trois types d'opérations litigieuses: les inculpés auraient conclu des
contrats de transport à des conditions trop onéreuses avec des
sociétés
libériennes qui sous-traitaient à des conditions plus avantageuses,
les
auteurs s'appropriant la différence de prix; à l'occasion d'achats,
de ventes
ou de commandes de navires, ils se seraient fait remettre des
commissions
auxquelles ils n'avaient pas droit; ils auraient injustement perçu
une partie
des indemnités d'assurance payées en raison de la réalisation du
risque de
guerre lors de la guerre du Golfe. Les sociétés recourantes sont
mentionnées
à propos du deuxième complexe de faits; elles seraient contrôlées par
les
inculpés, et auraient servi à recevoir différents versements de
commissions
fictives facturées à un courtier maritime anglais (p. 5-7 de la
demande). Ces
indications sont manifestement suffisantes pour juger du bien-fondé
de la
demande d'entraide judiciaire.

4.3 Elles permettent notamment d'affirmer, comme l'a fait le juge
d'instruction, que le principe de la double incrimination est
respecté:
l'usage de faux documents serait constitutif de faux dans les titres,
les
détournements à grande échelle d'abus de confiance ou de gestion
déloyale et
de corruption (en ce qui concerne en particulier l'intervention de
l'ancien
ministre); l'infraction d'escroquerie pourrait aussi être retenue en
ce qui
concerne les commissions fictives facturées à un courtier maritime
anglais.
Contrairement à ce que semblent soutenir les recourants, il n'y a
pas, dans
l'examen du principe de la double incrimination, à rechercher une
correspondance entre les infractions poursuivies à l'étranger et les
dispositions du droit pénal suisse. Le fait que l'essentiel des
accusations
se rapporte à des délits de corruption, et l'éventuelle violation du
principe
de non-rétroactivité de la loi au Koweït sont donc sans pertinence.
Par
ailleurs, le principe de la double incrimination s'examine au regard
de
l'ensemble des faits décrits, et non de manière spécifique pour
chacune des
personnes soumises aux investigations de l'Etat requérant. Ainsi, il
est sans
importance, comme l'a relevé la cour cantonale, que K.________ n'ait
jamais
été fonctionnaire ou employé d'un organisme de droit public.
Les recourants estiment encore que les infractions de faux dans les
titres et
de gestion déloyale seraient atteintes de prescription absolue selon
le droit
suisse (art. 70 CP), les agissements ayant été commis jusqu'en 1992.
Certes,
la Chambre d'accusation a retenu à tort que la prescription selon le
droit
suisse ne devait pas être examinée. Cela est vrai à l'égard des pays
liés
avec la Suisse par une convention d'entraide judiciaire, dans la
mesure où la
prescription n'est pas prévue par cette convention comme motif de
refus de
l'entraide (ATF 117 Ib 53 concernant la CEEJ; 118 Ib 266 concernant
le traité
d'entraide avec les USA). En revanche, en l'absence de convention,
l'art. 5
al. 1 let. c EIMP impose de déclarer la demande irrecevable si des
mesures de
contrainte sont requises et que la prescription empêche, en droit
suisse,
d'ouvrir une action pénale ou d'exécuter une sanction. Si la cour
cantonale
s'est trompée sur ce point, cela ne porte pas à conséquence car
l'argument
relatif à la prescription doit de toute façon être écarté: les
infractions de
corruption (art. 322ter ss CP), de faux dans les titres (art. 251 CP),
d'escroquerie (art. 146 CP) et d'abus de confiance (art. 138 CP),
toutes
passibles de la réclusion, connaissent une prescription absolue de
quinze ans
(art. 73 ch. 1 et 72 ch. 1 al. 2 CP).

5.
Les recourants invoquent enfin le principe de la proportionnalité. Ils
rappellent que l'autorité d'exécution doit s'assurer de l'existence
d'un lien
effectif entre les pièces à transmettre et les faits poursuivis, et
estiment
qu'il appartenait au juge d'instruction de limiter la transmission de
renseignements aux seules opérations spécifiques aux personnes
poursuivies,
et de caviarder les documents pour le surplus.

5.1 Le principe de la proportionnalité empêche d'une part l'autorité
requérante de demander des mesures inutiles à son enquête et, d'autre
part,
l'autorité d'exécution d'aller au-delà de la mission qui lui est
confiée (ATF
121 II 241 consid. 3a). L'autorité suisse requise s'impose une grande
retenue
lorsqu'elle examine le respect de ce principe, car elle ne dispose
pas des
moyens qui lui permettraient de se prononcer sur l'opportunité de
l'administration des preuves. Saisi d'un recours contre une décision
de
transmission, le juge de l'entraide doit lui aussi se borner à
examiner si
les renseignements à transmettre présentent, prima facie, un rapport
avec les
faits motivant la demande d'entraide. Il ne doit exclure de la
transmission
que les documents n'ayant manifestement aucune utilité possible pour
les
enquêteurs étrangers (examen limité à l'utilité "potentielle", ATF
122 II 367
consid. 2c p. 371).

5.2 Compte tenu de l'ampleur des malversations, il n'est pas exagéré
de
requérir, comme l'a fait le Procureur du Koweït en p. 16 de sa
demande,
l'ensemble de la documentation relative aux comptes bancaires détenus
par les
sociétés recourantes, lesquelles auraient, selon la demande
d'entraide, servi
à recueillir une partie des fonds litigieux. Les recourants désirent
limiter
les renseignements aux "transactions spécifiques" aux personnes
poursuivies,
mais ils s'abstiennent de préciser quelles seraient ces transactions.
En
outre, l'autorité requérante veut manifestement connaître dans le
détail la
manière dont les comptes des recourants ont été gérés, et en
particulier
découvrir l'utilisation qui a pu être faite des fonds litigieux;
seule une
documentation bancaire complète pourra permettre cet examen.

5.3 Les recourants invoquent l'obligation de procéder au tri des
pièces, mais
méconnaissent que, comme le rappelle la cour cantonale, il leur
incombait de
coopérer avec l'autorité d'exécution en lui indiquant les pièces
qu'il n'y
aurait pas lieu de transmettre, ainsi que les motifs précis qui
commanderaient d'agir de la sorte (ATF 127 II 151 consid. 4c/aa p.
155/156;
126 II 258 consid. 9b/aa p. 262; 126 II 258 consid. 9c p. 264). En se
contentant d'affirmations générales, les recourants ont failli à leur
devoir
de collaboration de sorte qu'ils sont forclos.

6.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit administratif doit
être
rejeté, dans la mesure où il est recevable. Conformément à l'art. 156
al. 1
OJ, un émolument judiciaire est mis à la charge des recourants, qui
succombent.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 5000 fr. est mis à la charge des
recourants.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des
recourants, au
Juge d'instruction et à la Chambre d'accusation de la Cour de justice
du
canton de Genève, ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice (B 94512).

Lausanne, le 17 décembre 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.199/2003
Date de la décision : 17/12/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-12-17;1a.199.2003 ?
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