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16/12/2003 | SUISSE | N°4C.263/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 16 décembre 2003, 4C.263/2003


{T 0/2}
4C.263/2003 /ech

Arrêt du 16 décembre 2003
Ire Cour civile

Mmes et MM. les Juges Corboz, président, Walter, Klett, Rottenberg
Liatowitsch et Nyffeler.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

X. ________ AG,
défenderesse et recourante, représentée par Me Peter Reinert et Me
Lukas
Glanzmann,
contre

Syndicat A.________,
Gewerkschaft B.________,
demandeurs et intimés, tous les deux représentés
par Me Jean-Michel Dolivo.

licenciements collectifs; consultation

(recours en

réforme contre l'arrêt de la Chambre des recours du
Tribunal
cantonal vaudois du 9 juillet 2003).

Faits:

A.
C...

{T 0/2}
4C.263/2003 /ech

Arrêt du 16 décembre 2003
Ire Cour civile

Mmes et MM. les Juges Corboz, président, Walter, Klett, Rottenberg
Liatowitsch et Nyffeler.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

X. ________ AG,
défenderesse et recourante, représentée par Me Peter Reinert et Me
Lukas
Glanzmann,
contre

Syndicat A.________,
Gewerkschaft B.________,
demandeurs et intimés, tous les deux représentés
par Me Jean-Michel Dolivo.

licenciements collectifs; consultation

(recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre des recours du
Tribunal
cantonal vaudois du 9 juillet 2003).

Faits:

A.
Créée en 1999 à la suite de la fusion de D.________ et E.________,
X.________
AG est active dans le conditionnement et la transformation du lait
suisse en
différents produits. Elle possédait deux sites dans le canton de
Vaud, l'un à
Y.________ et l'autre à Z.________.

X. ________ AG est liée au Gewerkschaft B.________, et au syndicat
A.________ par une convention collective de travail.

Dès sa fondation, X.________ AG a dû prévoir une stratégie
d'assainissement.
Depuis 2001, elle a souffert de graves difficultés financières. En
novembre
de cette année-là, un plan de redressement qui avait pour but une
vente
partielle de l'entreprise a été élaboré. A fin 2001, la société a dû
demander
l'aide des banques pour terminer l'année.

En 2002, la situation ne s'est pas améliorée et le plan de
redressement a
échoué. Au début du mois d'août 2002, la société se trouvait
pratiquement en
cessation de paiement. Changeant de stratégie, le conseil
d'administration de
X.________ AG a alors commencé à réfléchir à un sursis concordataire
et à
envisager l'hypothèse d'un licenciement des travailleurs de
Y.________. Au
sein de ce conseil, il a été difficile de choisir entre deux options
stratégiques, à savoir le sursis concordataire ou la poursuite de
l'activité
de la société.

Le 12 septembre 2002, X.________ AG a en définitive décidé de
demander un
sursis concordataire, ce qui entraînait la fermeture de certains
sites et, le
13 septembre 2002, le licenciement des collaborateurs de Y.________ a
été
envisagé à titre d'hypothèse.

Le 20 septembre 2002, X.________ AG a pu obtenir des banques les
assurances
financières nécessaires à un sursis et, le même jour, une demande de
sursis
concordataire provisoire a été déposée auprès du tribunal de
Berne-Laupen. Il
a été retenu que, dès cette date, la décision de fermer le site de
Y.________
était irréversible.
Le 22 septembre 2002, le sursis concordataire provisoire a été accordé
jusqu'au 22 novembre 2002 et un commissaire provisoire a été nommé.

Par communiqué de presse du 23 septembre 2002 envoyé le même jour à
A.________, X.________ AG a notamment fait état de l'existence d'un
concordat
judiciaire et de la décision de procéder à bref délai à la fermeture
de deux
établissements, dont celui de Y.________.

Le 23 septembre 2002 toujours, la commission du personnel de l'usine
de
Y.________ a été informée oralement du projet de fermeture du site.
X.________ AG a convoqué en fin de journée les commissions du
personnel des
différents sites à une séance prévue le lendemain à Ostermundigen.

Aucun représentant des sites de Y.________ et de Z.________ ne s'est
présenté
à la séance du 24 septembre 2002, lors de laquelle des informations
sur la
demande de sursis, le rôle du commissaire et les licenciements
envisagés ont
été dispensées. En revanche, ni la problématique de la consultation du
personnel ni celle d'un plan social n'ont été discutées.

Faisant suite aux explications données oralement à cette séance,
X.________
AG a confirmé à la commission générale du personnel, par courrier du
24
septembre 2002, qu'elle envisageait de fermer le plus rapidement
possible les
usines d'embouteillage de Y.________ et de R.________. Sur les 132
employés
occupés à Y.________ en septembre 2002, 8 d'entre eux étaient déjà
licenciés
et il était prévu d'annoncer 124 licenciements "en septembre encore
et dans
certains cas au courant du mois d'octobre".

La commission du personnel était invitée à soumettre à la société ses
propositions sur la manière d'éviter les licenciements ou d'en
limiter le
nombre, ainsi que d'en atténuer les effets au sens de l'art. 335f CO
d'ici au
vendredi 27 septembre 2002.

Le 25 septembre 2002, le président de la commission du personnel de
X.________ AG Romandie a contesté le délai fixé, qu'il estimait
contraire au
droit. Finalement, le délai de consultation a été prolongé au lundi 30
septembre 2002 à 8 heures du matin, ce qui permettait de signifier aux
travailleurs le même jour encore la résiliation de leurs contrats et
aux
congés de prendre effet le plus tôt possible.

Le 25 septembre 2002, le Service de l'emploi de l'État de Vaud
(ci-après: le
Service de l'emploi) a été mis au courant des mesures envisagées pour
le site
de Y.________. Le lendemain, il a formulé des observations, relevant
notamment qu'un délai de consultation aussi bref que les trois jours
accordés
jusqu'au 27 septembre 2002 était totalement inhabituel dans le canton
de
Vaud, surtout compte tenu de l'ampleur du licenciement collectif
projeté. Il
a invité l'entreprise à prolonger celui-ci.

Le 26 septembre 2002, A.________ a indiqué à X.________ AG qu'à ses
yeux, le
délai fixé pour la consultation des travailleurs, même repoussé au 30
septembre 2002, n'était pas acceptable, car trop court. Le syndicat a
proposé
un délai au 21 octobre 2002 pour fournir des propositions, ce qui a
été
refusé.

Le 27 septembre 2002, les représentants suisses-alémaniques du
personnel de
X.________ AG ont fourni leurs observations, sous forme de
propositions
sommaires et peu élaborées.

Le 30 septembre 2002, X.________ AG a remis en mains propres des
lettres de
licenciement à 76 travailleurs du site de Y.________. Dans le courant
du mois
d'octobre 2002, elle a encore résilié les contrats de 27 autres
employés.

Le 30 septembre 2002 toujours, X.________ AG a annoncé les
licenciements au
Service de l'emploi. Elle a joint à son courrier les observations des
commissions du personnel du 27 septembre 2002, en précisant que les
observations de la commission romande ne lui étaient pas encore
parvenues.

Le 1er octobre 2002, X.________ AG a remis au Service de l'emploi la
liste
des collaborateurs licenciés la veille et de ceux qu'elle envisageait
de
congédier dans le courant du mois d'octobre. Revenant sur le délai de
consultation, elle fait valoir que celui-ci avait été fixé, puis
prolongé en
fonction de l'urgence de la situation, en faisant observer que les
commissions suisses-allemandes du personnel étaient parvenues à
communiquer
leurs propositions le 27 septembre 2002.

Le 1er octobre toujours, elle a expliqué à A.________ que le délai de
la
procédure de consultation avait été bref en raison de l'urgence de la
situation et de la nécessité de réduire les coûts.

Prise au dépourvu face aux événements, la commission du personnel de
Y.________ a créé des groupes de travail et un rapport a été établi
avant le
21 octobre 2002, mais n'a été remis à X.________ AG que le 7 novembre
2002.
Le 22 novembre 2002, le juge compétent a octroyé à X.________ AG un
sursis
concordataire définitif pour une durée de six mois, jusqu'au 22 mai
2003.

Le 16 décembre 2002, X.________ AG et W.________ SA ont signé un
contrat de
reprise portant notamment sur le site de Y.________ et, le 27
décembre 2002,
X.________ AG a indiqué aux employés de l'entreprise qu'elle avait
décidé de
retirer le plan de licenciement collectif communiqué à la fin du mois
de
septembre 2002, de sorte que les congés notifiés à cette occasion
étaient
annulés. 88 collaborateurs travaillant toujours sur le site à cette
date
étaient concernés par cette annonce.

La reprise par W.________ S.A. du site de Y.________ est devenue
effective le
20 janvier 2003.

B.
Le 27 novembre 2002, A.________ et B.________ ont déposé une demande
en
justice, en concluant à ce qu'il soit constaté que la procédure de
consultation de la représentation des travailleurs en cas de
licenciements
collectifs au sens des art. 335f ss CO concernant le site de
Y.________
n'avait pas été respectée par X.________ AG.

Par jugement du 20 février 2003, le Tribunal de prud'hommes de
l'arrondissement de Lausanne a constaté que X.________ AG n'avait pas
respecté la procédure de consultation de la représentation des
travailleurs
en cas de licenciement collectif en ce qui concernait le site de
Y.________.

Le 9 juillet 2003, la Chambre des recours du Tribunal cantonal
vaudois a
rejeté le recours interjeté par X.________ AG à l'encontre du
jugement du 20
février 2003 et confirmé celui-ci.

C.
Contre l'arrêt du 9 juillet 2003, X.________ AG (la défenderesse)
interjette
un recours en réforme au Tribunal fédéral. Elle conclut à
l'annulation de
l'arrêt attaqué et du jugement du 20 février 2003, subsidiairement au
renvoi
de la procédure au Tribunal cantonal pour nouveau jugement dans le
sens des
considérants, avec suite de dépens.

Les syndicats (les demandeurs) proposent le rejet du recours dans la
mesure
de sa recevabilité et la confirmation de l'arrêt attaqué, avec suite
de frais
et dépens.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Le présent recours est dirigé contre un jugement final rendu en
dernière
instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ). Il
porte sur
le respect des droits de participation des salariés en cas de
licenciement
collectif au sens des art. 335d à 335g CO, soit sur une contestation
civile
(cf. ATF 129 III 415 consid. 2.1). La question de savoir si celle-ci
revêt un
caractère non pécuniaire au sens de l'art. 44 OJ (cf. sur cette notion
Poudret, COJ II, Berne 1990, art. 44 OJ no 1.2), auquel cas la voie du
recours en réforme devrait, sous réserve d'exceptions non réalisées en
l'espèce, être considérée comme ouverte d'emblée, peut demeurer
indécise. En
effet, même si l'on devait retenir le caractère pécuniaire d'une telle
contestation, l'ampleur des licenciements collectifs en cause
implique que la
valeur litigieuse ouvrant la voie du recours en réforme serait de
toute
manière atteinte (cf. art. 46 OJ).

1.2 Le recours a été interjeté par l'entreprise qui a succombé dans
ses
conclusions libératoires à la suite d'une action en constatation
introduite
par deux associations de travailleurs au sens de l'art. 15 al. 2 de
la loi
fédérale du 17 décembre 1993 sur l'information et la consultation des
travailleurs dans les entreprises (ci-après: LPart.; RS 822.14). La
défenderesse a donc qualité pour recourir.

1.3 Comme toute voie de droit, le recours en réforme suppose en outre
que
celui qui le dépose ait un intérêt à recourir (cf. ATF 120 Il 5
consid. 2a).
En l'occurrence, il ressort de l'arrêt attaqué qu'à la suite du
contrat de
reprise conclu le 16 décembre 2002 entre la défenderesse et une
entreprise
tierce, le plan de licenciement collectif communiqué à la fin du mois
de
septembre 2002 a finalement été retiré et les congés prononcés ont été
annulés. Il a toutefois été retenu que seuls 88 collaborateurs
travaillant
toujours sur le site à cette date ont été concernés par cette
annonce, alors
qu'avant les licenciements collectifs, ils étaient 132. Par
conséquent, la
défenderesse conserve un intérêt à ce que la constatation selon
laquelle elle
a violé la procédure de consultation en cas de licenciement collectif
soit
annulée.

1.4 Déposé en temps utile compte tenu des féries (art. 34 al. 1 let.
b et 54
al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ), le recours en
réforme est
donc en principe recevable.

2.
A l'appui de son recours, la défenderesse présente un état de fait qui
s'écarte de celui ressortant de l'arrêt attaqué et, dans son dernier
grief,
elle remet en cause certains éléments constatés, en invoquant une
violation
du principe de la maxime inquisitoire découlant de l'art. 15 al. 3
LPart.

2.1 Le Tribunal fédéral ne pouvant contrôler l'application du droit
fédéral
que sur la base d'un état de fait clairement établi, il convient
d'examiner
ces critiques en premier lieu.

2.2 Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit mener son
raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve
n'aient
été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant
sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter
les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu
compte
de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis
(art. 64
OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c et l'arrêt cité). Dans la mesure où
une partie
recourante présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu
dans la
décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des
exceptions
qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir
compte (ATF
127 III 248 consid. 2c). Il ne peut être présenté de griefs contre les
constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux
(art. 55
al. 1 let. c OJ).

L'art 15 al. 3 LPart. reprend la règle posée à l'art. 343 al. 4 CO,
selon
laquelle le juge établit d'office les faits (cf. Fritz, Loi sur la
participation,
Commentaire juridique et guides pratiques, Zurich
1994, art.
15 LPart. no 3). Ces dispositions contiennent ainsi des règles
particulières
en matière de preuve, dont la violation peut amener le Tribunal
fédéral,
saisi d'un recours en réforme, à s'écarter des faits constatés dans la
décision attaquée. Elles imposent au juge de tenir compte des faits
juridiquement pertinents, même si les parties ne les ont pas invoqués
(cf.
ATF 107 II 233 consid. 2b p. 236). L'obligation du juge d'établir
d'office
les faits ne dispense cependant pas les parties d'une collaboration
active à
la procédure. Il leur incombe de renseigner le juge sur les faits de
la cause
et de lui indiquer les moyens de preuve disponibles (ATF 107 II 233
consid.
2c p. 236; cf. s'agissant de l'art. 15 al. 3 LPart, Ilg, Kommentar
über das
Mitwirkungsgesetz, Zurich 1999, p. 99 s.). Les art. 15 al. 3 LPart.
ou 343
al. 4 CO ne peuvent toutefois servir à remettre en cause, dans une
procédure
de réforme, la façon dont le juge a établi les faits ou apprécié les
preuves
(cf. ATF 129 III 618 consid. 3; 128 III 271 consid. 2b/bb p. 277 s.).
2.3 La défenderesse soutient que la chambre des recours a méconnu
l'art. 15
al. 3 LPart, en retenant que la procédure de consultation avait
débuté le 25
septembre 2002 et non, comme elle l'avait allégué, le 24 du même
mois. En
outre, les juges auraient dû mentionner qu'un plan social avait été
conclu en
1999, lorsqu'ils ont souligné que la problématique d'un plan social
n'avait
pas été discutée lors de la séance du 24 septembre 2002.

S'agissant de la première critique, la défenderesse n'indique pas
quel moyen
de preuve la chambre des recours aurait refusé d'administrer. Elle se
contente de remettre en cause l'établissement des faits, ce qui n'est
pas
admissible. Quant à l'existence d'un plan social conclu en 1999, il
s'agit
d'un élément non pertinent dont on ne peut donc reprocher aux juges de
n'avoir pas tenu compte. Lors de la séance du 24 septembre 2002,
c'est en
effet l'absence de discussion sur la consultation du personnel qui a
été
l'élément déterminant pour la chambre des recours, et non le fait que
la
problématique du plan social n'ait pas été abordée, quelles qu'en
aient été
les raisons.

Les critiques qui auraient permis à la Cour de céans de s'écarter des
faits
ressortant de l'arrêt attaqué étant dépourvues de tout fondement, les
autres
griefs invoqués par la défenderesse seront examinés exclusivement à la
lumière des constatations cantonales.

3.
La défenderesse reproche principalement à la chambre des recours
d'avoir
violé l'art. 335e al. 2 CO en appliquant à la présente cause les
règles sur
le licenciement collectif.

3.1 Selon l'art. 335e al. 2 CO, les dispositions relatives au
licenciement
collectif ne s'appliquent pas en cas de cessation d'activité de
l'entreprise
intervenue sur ordre du juge. Dans un arrêt de principe, le Tribunal
fédéral
a examiné les cas de figure visés par cet alinéa. Suivant la
doctrine, il a
admis que les prescriptions sur le licenciement collectif ne
s'appliquent pas
en cas de faillite, car les travailleurs, en tant que créanciers,
disposent
alors de possibilités d'influence qui dépassent les droits de
participation
prévus aux art. 335d ss CO, de sorte qu'il ne fait guère de sens de
conduire
une procédure de consultation en vertu de l'art. 335f CO
parallèlement à la
procédure de faillite (ATF 123 III 176 consid. 3a p. 178 s.). En
revanche, la
jurisprudence n'a pas tranché la question controversée de savoir si
une
procédure concordataire peut également exclure l'application des art.
335d ss
CO. La Cour de céans a toutefois relevé que cette éventualité n'était
envisageable que lorsque la faculté pour les créanciers de participer
à la
procédure devenait effective. Or, dans le cadre d'un concordat, les
créanciers ne peuvent se prononcer qu'après l'octroi judiciaire du
sursis,
dans la phase d'acceptation du concordat (cf. ATF 123 III 176 consid.
3a p.
179).

La situation des créanciers en cas de sursis concordataire provisoire
n'est
pas comparable à celle prévalant lors de l'acceptation du concordat.
Il
ressort de l'art. 293 al. 3 LP (RS 281.1) qu'après avoir été saisi
d'une
demande de concordat, le juge peut, lorsque cela s'avère justifié,
décréter
un sursis provisoire de deux mois au plus et nommer un commissaire
provisoire. Ce sursis provisoire revêt ainsi les caractéristiques
d'une
mesure conservatoire, dont le but est de permettre au juge de réunir
les
éléments indispensables, afin de statuer sur la demande de concordat,
en
sauvegardant les droits des intéressés (cf. art. 293 al. 3 in fine et
294 LP;
cf. Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour
dettes et
la faillite, Lausanne 2003, art. 293 LP no 30 s.; Vollmar, SchKG III,
Commentaire bâlois, art. 293 LP no 31). Comme la décision d'ouvrir une
procédure concordataire n'est pas encore prise, on ne peut parler de
participation effective des créanciers à ce stade, de sorte que les
art. 335d
ss CO demeurent applicables (cf. Geiser, Arbeitsrechtliche Fragen bei
Sanierungen, in Sanierung der AG, Zurich 2003, p. 119 ss, 150; Meyer,
Die
Massenentlassung, thèse Bâle 1999, p. 132).

3.2 En l'espèce, la chronologie des événements fait apparaître que le
juge a
accordé, le 22 septembre 2002, un sursis concordataire provisoire
jusqu'au 22
novembre 2002. Ce n'est qu'à cette dernière date qu'une décision
judiciaire
portant sur l'octroi d'un sursis concordataire définitif pour une
durée de
six mois a été rendue. Les licenciements collectifs ont donc été
annoncés aux
représentations des travailleurs concernées et ont été signifiés
durant la
phase du sursis concordataire provisoire au sens de l'art. 293 al. 3
LP. Dès
lors qu'à ce stade, les créanciers ne disposent pas encore de
possibilités
d'influencer la procédure concordataire de nature à rendre superflue
l'application simultanée des droits de participation de l'art. 335f
CO (cf.
supra consid. 3.1), ce cas de figure ne saurait entrer dans
l'hypothèse visée
par l'art. 335e al. 2 CO, contrairement à ce qu'invoque la
défenderesse. Dans
son argumentation, celle-ci perd du reste de vue qu'au moment des
faits, le
juge ne s'était pas encore prononcé de manière définitive sur le
sursis
concordataire.

C'est donc à juste titre que la chambre des recours a fait
application des
dispositions concernant les licenciements collectifs.

4.
A titre subsidiaire, la défenderesse soutient que, dans le cas où la
procédure serait régie par les art. 335d ss CO, la chambre des
recours a
violé le droit fédéral en refusant de reconnaître que l'entreprise
avait
procédé à la consultation des représentants des travailleurs à temps
et en
estimant que le délai imparti pour qu'ils formulent leurs
observations était
trop bref.

4.1 La procédure de consultation de la représentation des
travailleurs est
réglée à l'art. 335f CO. Selon cette disposition, l'employeur qui
envisage de
procéder à un licenciement collectif est tenu de consulter la
représentation
des travailleurs ou, à défaut, les travailleurs (al. 1). Il leur
donne au
moins la possibilité de formuler des propositions sur les moyens
d'éviter les
congés ou d'en limiter le nombre, ainsi que d'en atténuer les
conséquences
(al. 2). La loi ne règle pas précisément le moment auquel l'employeur
doit
mettre en oeuvre la procédure de consultation, ni la durée dont
doivent
disposer les travailleurs ou leur représentation pour formuler leurs
propositions (Wyler, Droit du travail, Berne 2002, p. 356 ). Il
convient donc
d'examiner quelles sont les exigences posées par la pratique et si,
comme
elle le soutient, la défenderesse s'y est conformée en l'espèce.

4.2 S'agissant du moment auquel la procédure de consultation doit
être mise
en oeuvre, la jurisprudence a déduit de l'art. 335f CO que
l'employeur ne
peut attendre jusqu'à ce que le licenciement collectif soit
concrètement
décidé, car le sens de la consultation est d'accorder aux
travailleurs la
possibilité d'influer sur le processus décisionnel de l'employeur. La
consultation doit donc avoir lieu avant que l'employeur ne prenne la
décision
définitive de procéder au licenciement collectif (ATF 123 III 176
consid. 4a
p. 180). Cette condition suppose d'établir la volonté subjective de
l'employeur à un moment donné, ce qui relève du fait et lie le
Tribunal
fédéral en instance de réforme (cf. Corboz, Le recours en réforme, SJ
2000 p.
1 ss, 62; cf. ATF 123 III 165 consid. 3a in fine).

En l'espèce, il ressort des constatations cantonales que, dès le 13
septembre
2002, le conseil d'administration de la défenderesse a envisagé
l'hypothèse
d'un licenciement des collaborateurs du site de Y.________ et, le 20
septembre 2002, la décision de fermer ce site est devenue
irréversible. Ce
n'est toutefois que le 25 septembre suivant que la défenderesse a
entamé la
procédure de consultation des salariés au sens de l'art. 335f CO. Il
en
découle que la chambre des recours était fondée à admettre que la
défenderesse avait agi tardivement, dès lors qu'elle n'a consulté les
travailleurs qu'après avoir décidé, de manière irrévocable, de fermer
le
site. Lorsque la défenderesse relève que la consultation ne doit être
mise en
oeuvre qu'après la décision définitive de licencier prise par
l'employeur,
elle adopte une position clairement contraire à la jurisprudence et
qui
rendrait de plus la procédure de consultation vide de sens.

4.3 Quant à la durée de la consultation, elle n'est pas illimitée. Il
est
unanimement admis que l'employeur peut fixer aux travailleurs un
délai pour
leur prise de position (ATF 123 III 176 consid. 4b p. 181 et les
références
citées). La consultation doit en tout cas être terminée avant le
prononcé des
licenciements (Wyler, op. cit., p. 356; Müller, Die neuen
Bestimmungen über
Massenentlassungen, ArbR 1995 p. 105 ss, 126). Comme dans l'exercice
de tous
les droits de participation, la collaboration des parties en ce
domaine est
régie par le principe de la bonne foi (cf. art. 11 al. 1 LPart.; ATF
123 III
176 consid 4b p. 181; cf. également Fritz, op. cit., art. 11 LPart.
no 1;
Wyler, op. cit., loc. cit.). Les travailleurs doivent disposer du
temps
nécessaire pour étudier les renseignements fournis par l'employeur
(cf. art.
335f al. 3 CO), formuler des propositions concrètes et les porter à la
connaissance de l'employeur. Les parties ont du reste un intérêt
concordant à
ce que les propositions soient rapidement élaborées (ATF 123 III 176
consid.
4b p. 181 et les références citées). La jurisprudence n'a pas fixé
concrètement de délai minimal approprié, précisant que celui-ci
dépendait des
circonstances, en particulier de la complexité des questions à
résoudre et de
l'urgence du licenciement collectif envisagé. Toutefois, si le
licenciement
collectif est devenu urgent parce que l'employeur a entamé la
procédure de
consultation trop tard, cette urgence ne saurait justifier un
raccourcissement du délai de consultation (ATF 123 III 176 consid. 4b
p.
181). Pour le Tribunal fédéral, un délai de 24 heures s'avère
manifestement
trop bref, alors qu'une période de quatre à six semaines paraît
nettement
trop longue (cf. ATF 123 III 176 consid. 4c p. 182). Certains auteurs
ont
fixé des limites plus précises. Selon Aubert, sauf cas particuliers,
le délai
ne doit pas être inférieur à une dizaine de jours (Aubert, Commentaire
romand, art. 335f CO no 8). Wyler, sur lequel se fonde la
défenderesse,
considère que, pour une entreprise de taille moyenne (moins de 300
salariés),
un délai de consultation de sept à dix jours est adéquat (Wyler, op.
cit., p.
357). D'autres auteurs enfin sont d'avis que trois à cinq jours
ouvrables
suffisent (Geiser, Massentenlassung, in Stellenwechsel und
Entlassung, Bâle
1997, p. 106; Meyer, op. cit., p. 169; Müller, op. cit., p. 128).

L'arrêt attaqué constate que, le 25 septembre 2002, la défenderesse a
tout
d'abord imparti un délai au vendredi 27 septembre aux représentations
des
salariés pour formuler leurs observations. Le président de la
commission du
personnel pour la Romandie s'y étant opposé, la défenderesse a
finalement
prolongé ce délai au lundi 30 septembre 2002 à 8 heures du matin.

Eu égard aux circonstances, on ne peut considérer que ce délai, même
prolongé, est conforme aux exigences légales. A supposer qu'une durée
de cinq
jours pour permettre à la représentation des travailleurs de fournir
des
observations puisse être tenue pour suffisante, ce qui est fortement
douteux,
compte tenu de l'ampleur des licenciements envisagés, qui
concernaient les
132 personnes employées sur le site de Y.________, et du fait que ce
délai
comprenait un week-end, l'attitude de la défenderesse ne dénote pas
une
collaboration conforme aux règles de la bonne foi. Si l'on comprend
bien que,
pour l'entreprise, il était important de clore la procédure de
consultation
des travailleurs avant le 30 septembre 2002, afin de pouvoir
licencier une
partie du personnel dans le mois courant, celle-ci ne pouvait
accorder une
prolongation du délai initialement fixé de seulement deux jours
durant un
week-end et faire expirer celui-ci le lundi à 8 heures du matin. La
défenderesse avait alors juste le temps de procéder à la notification
à
l'office cantonal du travail exigée par l'art. 335g CO et de
communiquer leur
congé aux salariés présents sur le site
ce lundi, mais on ne peut
concevoir
que ce délai lui permettait également d'examiner de manière sérieuse
les
propositions de la représentation des travailleurs qui auraient dû lui
parvenir le jour-même. Les arguments figurant dans le recours et
tendant à
démontrer l'inverse ne sont pas concluants. Enfin, il convient de se
montrer
d'autant plus strict dans l'appréciation de la durée du délai accordé
en
l'espèce que, comme il l'a été exposé (cf. supra consid. 4.2), la
défenderesse a entamé la procédure de consultation tardivement.
Celle-ci ne
peut donc se prévaloir d'une situation d'urgence qu'elle a elle-même
générée.

Il apparaît ainsi que la chambre des recours n'a pas violé le droit
fédéral
lorsqu'elle a considéré que la défenderesse n'avait pas respecté la
procédure
de consultation au sens de l'art. 335f CO, en impartissant à la
représentation des salariés un délai de consultation de cinq jours qui
arrivait à expiration le lundi 30 septembre 2002 à 8 heures du matin.

4.4 Les arguments présentés par la défenderesse pour tenter de
démontrer
l'existence d'un délai convenable sont du reste tous dépourvus de
pertinence.

Ainsi, lorsqu'elle conteste qu'une opposition au premier délai fixé
au 27
septembre 2002 ait été présentée par les personnes compétentes, elle
oublie
que c'est elle-même qui a accepté cette requête et qui a prolongé le
délai au
30 septembre, sans formuler d'objection.

Le délai de consultation qui découle implicitement de l'art. 335f CO
commence
à courir à partir du moment où l'employeur entame formellement la
procédure
que lui impose la loi. On ne saurait admettre, comme le soutient la
défenderesse, que ce délai débute dès le moment où la commission du
personnel
a eu vent du projet de licenciement collectif.

Quant au plan social conclu en 1999, il ne justifie en rien l'octroi
d'un
délai de consultation plus court, car ce document n'empêchait pas les
travailleurs ou leurs représentants de formuler d'autres propositions
à
l'occasion de la consultation sur les licenciements collectifs.

Enfin, on a vu qu'un sursis concordataire accordé à titre provisoire
n'entrait pas dans les hypothèses visées par l'art. 335e al. 2 CO, de
sorte
que les dispositions sur les licenciements collectifs étaient
applicables
(cf. supra consid. 3). La défenderesse ne peut donc invoquer la
spécificité
propre au sursis concordataire pour se soustraire aux obligations
procédurales découlant de l'art. 335f CO.
Le recours doit par conséquent être rejeté.

5.
Le présent litige portant sur une action en constatation au sens de
l'art. 15
al. 2 LPart., la procédure est gratuite (art. 15 al. 3 LPart.). Par
analogie
avec l'art. 343 al. 3 CO, il y a lieu d'admettre que seuls les frais
de
justice sont visés (cf. consid. 5 non publié de l'ATF 123 III 176),
de sorte
que la défenderesse sera condamnée à verser des dépens aux demandeurs,
créanciers solidaires (art. 159 al. 1 OJ; ATF 115 II 30 consid. 5c p.
42 et
l'arrêt cité).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La défenderesse versera aux demandeurs, créanciers solidaires, une
indemnité
de 10'000 fr. à titre de dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Chambre
des
recours du Tribunal cantonal vaudois.

Lausanne, le 16 décembre 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.263/2003
Date de la décision : 16/12/2003
1re cour civile

Analyses

Art. 335d ss CO et loi sur la participation. Licenciement collectif; champ d'application; consultation de la représentation des travailleurs. Recevabilité du recours en réforme dans le domaine des droits de participation des salariés en cas de licenciement collectif (consid. 1). Portée de la maxime inquisitoire découlant de l'art. 15 al. 3 de la loi sur la participation (consid. 2). Le prononcé d'un sursis concordataire provisoire n'entre pas dans l'hypothèse visée par l'art. 335e al. 2 CO, de sorte que les dispositions relatives au licenciement collectif sont applicables (consid. 3). La procédure de consultation de la représentation des travailleurs prévue à l'art. 335f CO doit avoir lieu avant que l'employeur ne prenne la décision définitive de procéder au licenciement collectif et doit en tout cas être terminée avant le prononcé des licenciements. Éléments à prendre en considération pour déterminer si le délai minimal fixé par l'employeur est approprié. Délai considéré comme insuffisant en l'espèce (consid. 4).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-12-16;4c.263.2003 ?
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