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09/12/2003 | SUISSE | N°U.328/02

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 09 décembre 2003, U.328/02


{T 7}
U 328/02

Arrêt du 9 décembre 2003
IVe Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Rüedi et Ferrari.
Greffier : M.
Beauverd

1. B.________,
2. C.________ et D.________ , agissant par leur mère B.________,
recourants, tous représentés par Me Marie-Séverine Courvoisier,
avocate,
cours des Bastions 15, 1205 Genève,

contre

Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents, Service
juridique,
Fluhmattstrasse 1, 6004 Lucerne, intimée

Tribunal administratif de

la République et canton de Genève, Genève

(Jugement du 8 octobre 2002)

Faits:

A.
A. ________, né en 1958,...

{T 7}
U 328/02

Arrêt du 9 décembre 2003
IVe Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Rüedi et Ferrari.
Greffier : M.
Beauverd

1. B.________,
2. C.________ et D.________ , agissant par leur mère B.________,
recourants, tous représentés par Me Marie-Séverine Courvoisier,
avocate,
cours des Bastions 15, 1205 Genève,

contre

Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents, Service
juridique,
Fluhmattstrasse 1, 6004 Lucerne, intimée

Tribunal administratif de la République et canton de Genève, Genève

(Jugement du 8 octobre 2002)

Faits:

A.
A. ________, né en 1958, époux de B.________, travaillait en qualité
de
contremaître au Service X.________. A ce titre, il était assuré
contre le
risque d'accident auprès de la Caisse nationale suisse d'assurance en
cas
d'accidents (CNA).

Le 14 mars 1998, l'assuré a été retrouvé mort au cimetière
Y.________. Selon
un rapport de la gendarmerie cantonale du 30 mars suivant, le corps
avait été
découvert par une personne qui se rendait au cimetière précité et qui
l'avait
trouvé pendu à un arbre. Les gendarmes ont retrouvé les vêtements de
ville du
défunt et sa carte d'identité. Une autopsie a été pratiquée par les
docteurs
E.________ et F.________, médecins à l'Institut Z.________. Dans un
rapport
du 14 mai 1998, ces médecins ont conclu que le décès était la
conséquence
d'un processus asphyxique par pendaison, une intoxication concomitante
n'étant pas exclue. A l'issue d'examens complémentaires, ils ont
indiqué que
le sang du défunt ne contenait pas d'alcool et que l'analyse
toxicologique
systématique s'était révélée négative.

Par décision du 22 décembre 2000, la CNA a refusé d'allouer des
prestations,
à l'exception de l'indemnité pour frais funéraires, motif pris que le
défunt
s'était donné la mort volontairement.

B. ________a fait opposition à cette décision en concluant à
l'octroi, à elle
et à ses deux enfants C.________ et D.________, de rentes de
survivants.
Préalablement, elle demandait l'ouverture d'une enquête approfondie
sur les
circonstances du décès de A.________. Elle alléguait notamment que le
dossier
ne contenait aucune indication au sujet de la période du 10 mars
1998, date
de la disparition du prénommé, au 14 mars suivant, jour de la
découverte du
corps.

A la demande de la CNA, le procureur général de la République et
canton de
Genève a communiqué son dossier et indiqué que la procédure pénale
avait été
classée faute de prévention suffisante. Le 21 juin 2001, le docteur
G.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, qui avait
administré un traitement lors d'un épisode dépressif majeur, a
adressé à
l'assureur une copie de ses notes personnelles.

Après avoir requis l'avis du docteur H.________, spécialiste en
psychiatrie
et psychothérapie, et membre de l'équipe de médecine des accidents de
la CNA
(rapport du 21 août 2001), celle-ci a rejeté l'opposition par
décision du 20
septembre 2001.

B.
B.________et ses enfants C.________ et D.________ ont recouru contre
cette
décision devant le Tribunal administratif du canton de Genève
(aujourd'hui,
en matière d'assurance sociale : Tribunal cantonal des assurances
sociales,
Genève).

Après avoir entendu les parties en audience de comparution
personnelle et
procédé à une audition de témoins, la juridiction cantonale a rejeté
le
recours par jugement du 8 octobre 2002.

C.
B.________et ses enfants interjettent recours de droit administratif
contre
ce jugement, dont ils demandent l'annulation, en concluant, sous
suite de
dépens, au renvoi de la cause à la juridiction cantonale pour nouveau
jugement après complément d'instruction sous la forme notamment d'une
expertise confiée à un médecin spécialiste des cas de suicide pour
qu'il se
prononce sur la capacité de discernement du défunt au moment de l'acte
hypothétique de suicide. Subsidiairement, les recourants concluent à
l'octroi
de rentes de survivants.

La CNA conclut implicitement au rejet du recours. L'Office fédéral des
assurances sociales a renoncé à se déterminer sur celui-ci.

Considérant en droit:

1.
La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances
sociales du 6
octobre 2000 (LPGA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2003,
entraînant la
modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine de
l'assurance-accidents. Cependant, le cas d'espèce reste régi par les
dispositions de la LAA en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002, eu égard
au
principe selon lequel les règles applicables sont celles en vigueur
au moment
où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 127 V
467
consid. 1). En outre, le Tribunal fédéral des assurances apprécie la
légalité
des décisions attaquées, en règle générale, d'après l'état de fait
existant
au moment où la décision litigieuse a été rendue (ATF 121 V 366
consid. 1b).

2.
2.1Selon l'art. 6 al. 1 LAA, les prestations d'assurance sont
allouées en cas
d'accident professionnel, d'accident non professionnel et de maladie
professionnelle. Par accident, on entend toute atteinte dommageable,
soudaine
et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure
extraordinaire (art. 9 al. 1 OLAA).

Si l'assuré a provoqué intentionnellement l'atteinte à la santé ou le
décès,
aucune prestation d'assurance n'est allouée, sauf l'indemnité pour
frais
funéraires (art. 37 al. 1 LAA). Aux termes de l'art. 48 OLAA, même
s'il est
prouvé que l'assuré entendait se mutiler ou se donner la mort, l'art.
37 al.
1 LAA n'est pas applicable si, au moment où il a agi, l'assuré était,
sans
faute de sa part, totalement incapable de se comporter
raisonnablement, ou si
le suicide, la tentative de suicide ou l'automutilation est la
conséquence
évidente d'un accident couvert par l'assurance.

2.2 Le litige porte sur le point de savoir si le décès de l'assuré
est dû à
un suicide et, le cas échéant, si, au moment où elle a agi, la
victime était,
sans faute de sa part, totalement incapable de se comporter
raisonnablement.

3.
3.1Selon la jurisprudence, celui qui prétend des prestations
d'assurance doit
apporter la preuve de l'existence d'un accident, donc aussi la preuve
du
caractère involontaire de l'atteinte et, en cas de suicide, la preuve
de
l'incapacité de discernement au moment de l'acte au sens de l'art. 16
CC
(arrêt A. du 19 juin 1998 [U 182/96], in SVZ/RSA 68/2000 p. 201; RAMA
1996 no
U 247 p. 171 consid. 2a, 1988 no U 55 p. 362 consid. 1b). Dans la
procédure
en matière d'assurance sociale, régie par le principe inquisitoire,
les
parties ne supportent pas le fardeau de la preuve au sens de l'art. 8
CC.
L'obligation des parties d'apporter la preuve des faits qu'elles
allèguent
signifie seulement qu'à défaut, elles risquent de devoir supporter les
conséquences de l'absence de preuve. Cette règle de preuve ne
s'applique
toutefois que lorsqu'il est impossible, en se fondant sur
l'appréciation des
preuves conformément au principe inquisitoire, d'établir un état de
fait qui
apparaisse au moins vraisemblablement correspondre à la réalité (ATF
117 V
264 consid. 3b et la référence; SVZ/RSA 68/2000 p. 202).

Lorsqu'il y a doute sur le point de savoir si la mort est due à un
accident
ou à un suicide, il faut se fonder sur la force de l'instinct de
conservation
de l'être humain et poser comme règle générale la présomption
naturelle du
caractère involontaire de la mort, ce qui conduit à admettre la thèse
de
l'accident. Le fait que l'assuré s'est volontairement enlevé la vie
ne sera
considéré comme prouvé que s'il existe des indices sérieux excluant
toute
autre explication qui soit conforme aux circonstances. Il convient
donc
d'examiner dans de tels cas si les circonstances sont suffisamment
convaincantes pour que soit renversée la présomption du caractère
involontaire de la mort (RAMA 1996 no U 247 p. 172 consid. 2b et les
références). Lorsque les indices parlant en faveur d'un suicide ne
sont pas
suffisamment convaincants pour renverser objectivement la présomption
qu'il
s'est agi d'un accident, c'est à l'assureur-accidents d'en supporter
les
conséquences (arrêt A. du 19 juin 1998 [U 182/96], in SVZ/RSA 68/2000
p. 201;
Bühler, Der Unfallbegriff, in Haftpflicht- und
Versicherungsrechtstagung
1995, St-Gall, Verlag Institut für Versicherungswirtschaft der
Universität
St. Gallen, p. 223).

3.2 Il convient d'abord d'examiner si le décès de l'assuré est dû à un
accident - en l'occurrence un homicide - ou à un suicide.

3.2.1 La juridiction cantonale a considéré que le défunt n'avait pas
été
victime d'un homicide mais qu'il avait mis volontairement fin à ses
jours.
Certes, le rapport de la gendarmerie et les premières constatations
des
médecins légistes sont incomplets, de sorte qu'il existe des doutes
quant à
la chronologie des événements qui ont conduit au décès. Il n'en
demeure pas
moins, selon les premiers juges, que les constatations de la
gendarmerie et
les conclusions des médecins permettent de constater, au degré de la
vraisemblance prépondérante, que le décès résulte d'un suicide. En
effet, les
recourants n'ont apporté aucun élément de fait permettant de mettre
en doute
le bien-fondé de la décision de classement de la procédure pénale ou
l'exactitude des conclusions des médecins légistes.

De leur côté, les recourants sont d'avis que le décès est dû à un
homicide.
Ils reprochent aux premiers juges d'avoir admis la thèse du suicide
en se
fondant sur les rapports de la gendarmerie et de l'Institut
Z.________, quand
bien même ceux-ci ne permettent pas de connaître les faits qui se sont
déroulés durant la période du 10 mars 1998 - jour de la disparition de
l'assuré - et le 14 mars suivant - date à laquelle le corps a été
retrouvé.

3.2.2 On peut certes concéder aux recourants que tous les détails au
sujet du
décès de l'assuré n'ont pas été élucidés. Il n'en demeure pas moins
que les
éléments ressortant du dossier sont suffisants pour conclure à
l'existence
d'un suicide. En particulier, il n'existe pas de trace d'intervention
extérieure. Or, il n'est pas vraisemblable que la commission d'un acte
consistant en l'exécution, par pendaison à la branche d'un arbre,
d'une
personne de quatre-vingt kilos, sans son consentement, ne laisse pas
la
moindre trace d'intervention de tiers. Par ailleurs, les médecins
légistes
ont attesté que le sang du défunt ne contenait ni alcool ni produit
toxique,
de sorte qu'il est exclu que des tiers aient pu agir en mettant à
profit le
fait qu'il était inconscient. Au demeurant, les conclusions de la
police et
du procureur général quant à la cause du décès sont claires. Enfin,
des
explications à ce geste ne manquent pas si l'on considère que
l'assuré a fait
part à différentes personnes de ses problèmes relationnels dans sa
vie privée
et dans ses rapports de travail.

3.3
3.3.1Selon la jurisprudence, le suicide comme tel n'est un accident
assuré,
conformément à l'art. 48 OLAA, que s'il a été commis dans un état de
totale
incapacité de discernement au sens de l'art. 16 CC. Par conséquent,
il faut,
pour entraîner la responsabilité de l'assureur-accidents, qu'au
moment de
l'acte et compte tenu de l'ensemble des circonstances objectives et
subjectives, l'intéressé ait été privé de toute possibilité de se
déterminer
raisonnablement, en raison notamment d'une maladie mentale ou d'une
faiblesse
d'esprit, ou encore d'un grave trouble de la conscience (ATF 113 V 63
s.
consid. 2c; RAMA 1996 no U 267 p. 310 consid. 2b; 1990 no U 96 p. 185
consid.
2). L'existence d'un trouble de ce genre doit être établie
conformément à la
règle du degré de vraisemblance prépondérante. Il doit s'agir de
symptômes
psychopathologiques comme la folie, les hallucinations, la stupeur
profonde,
le raptus, etc. Le motif qui a conduit au suicide ou à la tentative de
suicide doit être en relation avec les symptômes psychopathologiques.
L'acte
doit apparaître « insensé ». Un simple geste disproportionné, au
cours duquel
le suicidaire apprécie unilatéralement et précipitamment sa situation
dans un
moment de dépression et de désespoir ne suffit pas (RAMA 1996 no U
267 p. 310
consid. 2b; arrêt non publié F. du 22 mai 1996 [U 223/94]; Kind,
Suizid oder
« Unfall », Die psychiatrischen Voraussetzungen für die Anwendung von
Art. 48
UVV, RSAS 1993 p. 291).

Pour établir l'absence de capacité de discernement, il ne suffit pas
de
considérer l'acte de suicide et, partant, d'examiner si cet acte est
déraisonnable, inconcevable ou encore insensé. Il convient bien plutôt
d'examiner, compte tenu de l'ensemble des circonstances, en
particulier du
comportement et des conditions d'existence de l'assuré avant le
suicide, s'il
était raisonnablement en mesure d'éviter ou non de mettre fin ou de
tenter de
mettre fin à ses jours. Le fait que le suicide en soi s'explique
seulement
par un état pathologique excluant la libre formation de la volonté ne
constitue qu'un indice d'une incapacité de discernement (RAMA 1996 no
U 267
p. 311 consid. 2b et les références).

3.3.2 En l'espèce, l'assuré a subi deux épisodes dépressifs : le
premier à la
suite du décès de son père en 1994 et le second en raison de problèmes
relationnels dans sa vie privée et ses rapports de travail. Pour le
second,
il a été soigné à l'aide d'une médication antidépressive (Seropram) et

d'entretiens psychothérapeutiques par le docteur G.________ dès le
mois
d'octobre 1996. Ce médecin a mis fin au traitement le 7 juillet 1997
en
raison de l'amélioration de l'état de santé. De son côté, le docteur
I.________, médecin de famille, a confirmé que l'assuré était guéri à
l'issue
du traitement administré par le docteur G.________ (rapport du 22
septembre
2000). Dans une note du 20 août 2001 à l'attention du docteur
H.________, le
docteur I.________ a indiqué avoir prescrit un emballage de Deanxit
le 8
janvier 1998, parce que l'assuré souffrait d'anxiété modérée. Il a
cependant
indiqué que celui-ci ne se sentait plus du tout dépressif.

Cela étant, en l'absence de toute maladie psychique au moment de
l'acte, on
ne saurait conclure, au degré de la vraisemblance prépondérante, à
l'absence
de capacité de discernement. D'ailleurs, il n'existe pas d'éléments
en faveur
de la thèse d'un acte insensé. Le mode avec lequel l'assuré a mis fin
à ses
jours ne constitue pas un indice permettant d'admettre l'existence
d'un acte
fatal spontané. Le point de vue du docteur H.________, selon lequel la
capacité de discernement était peut-être altérée mais très
probablement pas
absente est à cet égard convaincant.

3.4 Après avoir entendu un certain nombre de témoins, le juge délégué
à
l'instruction de la cause en instance cantonale a informé les
recourants
qu'il ne procéderait pas à d'autres auditions (lettre du 2 juillet
2002).
Bien que ceux-ci n'aient pas réagi à cette décision, ils réitèrent
toutefois
leur demande de preuve en instance fédérale.

La Cours de céans ne saurait toutefois faire suite à cette requête.
Plus de
cinq ans après les faits litigieux, les preuves requises ne sont pas
pertinentes, face aux constatations médico-légales ci-dessus
mentionnées,
pour trancher le point de savoir si le décès est dû à un suicide ou à
un
homicide. Par ailleurs, une expertise au sujet de la capacité de
discernement
de l'assuré n'apporterait pas de renseignements complémentaires qui ne
figurent déjà dans les avis médicaux versés au dossier.

3.5 Vu ce qui précède, force est de considérer que le décès de
l'assuré est
dû à un suicide et qu'au moment où il a agi, le prénommé n'était pas
incapable de se comporter raisonnablement. L'intimée était dès lors
en droit,
par sa décision sur opposition du 20 septembre 2001, de refuser
l'octroi de
ses prestations, à l'exception de l'indemnité pour frais funéraires.
Le
recours se révèle ainsi mal fondé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances sociales du canton de Genève et à l'Office fédéral des
assurances
sociales.

Lucerne, le 9 décembre 2003
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

La Présidente de la IVe Chambre: Le Greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : U.328/02
Date de la décision : 09/12/2003
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-12-09;u.328.02 ?
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