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09/12/2003 | SUISSE | N°1P.656/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 09 décembre 2003, 1P.656/2003


{T 0/2}
1P.656/2003 /col

Arrêt du 9 décembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Thélin.

A. ________,
recourant,

contre

B.________ SA,
SI C.________
SI D.________,
SI E.________,
SI F.________,
SI G.________,
représentées par Me Guy Fontanet, avocat,

H.________,
I.________ AG,
représentés par Me Jean-Marc Carnicé, avocat,

J.________ AG,<

br> K.________ SA,
représentées par Me Olivier Carrard, avocat,
L.________, représenté par Me Nicolas Gagnebin, avocat,
Juge d'instructi...

{T 0/2}
1P.656/2003 /col

Arrêt du 9 décembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Thélin.

A. ________,
recourant,

contre

B.________ SA,
SI C.________
SI D.________,
SI E.________,
SI F.________,
SI G.________,
représentées par Me Guy Fontanet, avocat,

H.________,
I.________ AG,
représentés par Me Jean-Marc Carnicé, avocat,

J.________ AG,
K.________ SA,
représentées par Me Olivier Carrard, avocat,
L.________, représenté par Me Nicolas Gagnebin, avocat,
Juge d'instruction du canton de Genève,
case postale 3344, 1211 Genève 3,
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale
3565, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre d'accusation, place du
Bourg-de-Four 1, case postale 3108, 1211 Genève 3.

détention préventive

recours de droit public contre l'ordonnance de la Chambre
d'accusation du 3
octobre 2003.

Faits:

A.
Dès février 2002, les autorités judiciaires genevoises ont été
saisies de
plaintes pénales dirigées contre A.________, auquel ses partenaires en
affaires reprochent de nombreuses infractions telles que faux dans les
titres, escroquerie, abus de confiance, gestion déloyale et
banqueroute
frauduleuse. En bref, A.________ est prévenu d'avoir remis en
sous-location
des locaux auxquels il n'avait aucun droit, et d'avoir détourné les
loyers
encaissés. Pour induire les sous-locataires en erreur, il aurait
présenté un
bail principal falsifié ou se serait prétendu l'avocat des
propriétaires. Il
est aussi prévenu d'avoir détourné à des fins personnelles un prêt
bancaire
consenti à l'une des sociétés qu'il gérait. Dans l'enquête
consécutive à ces
plaintes, A.________ a été inculpé dès le 28 mars 2002, puis arrêté
et placé
en détention préventive le 28 mars 2003.
La Chambre d'accusation du canton de Genève a autorisé la
prolongation de la
détention, chaque fois pour trois mois, par ordonnances du 4 avril,
du 20
mai, du 4 juillet et du 3 octobre 2003. L'ordonnance du 20 mai a
remplacé
celle du 4 avril que, sur recours de l'inculpé, le Tribunal fédéral a
annulée
parce que ce plaideur n'avait pas pu consulter le dossier avant de
prendre
position sur la demande de prolongation de la détention (arrêt
1P.222/2003 du
14 mai 2003). Selon ces ordonnances, le maintien de l'incarcération
est
motivé, en particulier, par des risques de collusion et de fuite.

B.
A.________ a lui-même exercé la profession d'avocat. Sans le concours
de son
défenseur d'office désigné pour les besoins du procès pénal, il agit
par la
voie du recours de droit public contre l'ordonnance du 3 octobre
2003, pour
violation, notamment, des art. 9, 29 et 31 Cst. Il requiert le
Tribunal
fédéral d'annuler ce prononcé et d'ordonner sa mise en liberté
immédiate.
L'acte de recours est un mémoire de plus de quarante pages dans
lequel son
auteur élève de nombreux reproches contre les autorités intimées. A
son avis,
l'ordonnance attaquée ne répond pas aux arguments qu'il a développés
dans un
mémoire de cinquante-six pages adressé à la Chambre d'accusation, et
exposés
oralement à l'audience, de sorte qu'il tient ce prononcé pour
insuffisamment
motivé. Il affirme que ni les plaintes dirigées contre lui, ni les
résultats
de l'enquête ne mettent en évidence aucun indice de culpabilité. Il
prétend
collaborer activement aux recherches du Juge d'instruction et conteste
catégoriquement le comportement qui, selon la Chambre d'accusation,
justifie
de redouter un risque de collusion. Il conteste aussi les risques de
fuite et
de nouvelles infractions.
Au titre de l'assistance judiciaire, le recourant demande d'être
dispensé
d'émolument s'il n'obtient pas gain de cause.
Invités à répondre, le Procureur général, le Juge d'instruction, les
intimées
représentées par Me Fontanet et celles représentées par Me Carrard
proposent
l'irrecevabilité ou le rejet du recours; les autres parties et
autorités ont
renoncé à déposer des observations.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public ne peut en principe tendre qu'à
l'annulation de la
décision attaquée. La personne qui recourt contre une décision
ordonnant ou
prolongeant sa détention préventive, ou contre une décision rejetant
une
demande de mise en liberté provisoire, peut cependant requérir du
Tribunal
fédéral d'ordonner lui-même sa mise en liberté ou d'inviter l'autorité
cantonale à le faire après avoir, au besoin, fixé certaines
conditions (ATF
124 I 327 consid. 4b/aa p. 332/333, 115 Ia 293 consid. 1a, 107 Ia 257
consid.
1). Les conclusions présentées par le recourant sont ainsi recevables.
Certaines des critiques présentées, qui se rapportent à des décisions
ou
mesures antérieures à l'ordonnance attaquée, sont d'emblée inaptes à
établir
l'inconstitutionnalité de l'incarcération; elles sont donc
irrecevables dans
la présente contestation.

2.
Les intimées représentées par Me Fontanet contestent la recevabilité
du
recours en ce qui concerne le délai à observer pour le dépôt de
l'acte et le
nombre des exemplaires à fournir.
L'acte de recours a été remis à la poste, à l'intention du Tribunal
fédéral,
le 31 octobre 2003. Le délai de trente jours prévu par l'art. 89 al.
1 OJ est
donc observé.
Les exemplaires de ce document n'ont pas été fournis en nombre
suffisant
selon l'art. 30 al. 1 OJ. Cela n'entraîne cependant pas
l'irrecevabilité du
recours car en pareil cas, la chancellerie du Tribunal fédéral établit
elle-même les copies nécessaires. Cette façon de faire a été prévue
dès 1945
par l'art. 30 al. 2 OJ, dans sa teneur en vigueur jusqu'au 14 février
1992
(RS 3 p. 529); actuellement, bien qu'elle ne soit plus consacrée par
une
disposition spécifique, elle continue de s'imposer au regard des
principes de
la proportionnalité et de l'économie de la procédure
(Poudret/Sandoz-Monod,
Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciaire, vol. 1, ch.
2 ad
art. 30 OJ).

3.
La détention préventive est une restriction de la liberté personnelle
qui est
actuellement garantie, notamment, par l'art. 31 al. 1 Cst. A ce
titre, elle
n'est admissible que dans la mesure où elle repose sur une base
légale,
répond à un intérêt public et respecte le principe de la
proportionnalité
(art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 124 I 203 consid. 2b p. 204/205; 123 I
268
consid. 2c p. 270, 120 Ia 147 consid. 2b p. 150, 119 Ia 221 p. 233 in
medio).
Dans le canton de Genève, la détention préventive est régie par les
art. 17 à
19 et 25 à 27 Cst. gen., et 33 à 40 CPP gen. En l'espèce, l'existence
de la
base légale n'est d'ailleurs pas contestée.
La détention préventive ne répond à un intérêt public que si, entre
autres
conditions, il existe des raisons plausibles de soupçonner la personne
concernée d'avoir commis une infraction (art. 5 par. 1 let. c CEDH).
En
outre, l'incarcération doit être justifiée par les besoins de
l'instruction
ou du jugement de la cause pénale, ou par la sauvegarde de l'ordre
public. Il
faut qu'en raison des circonstances, l'élargissement du prévenu fasse
naître
un risque concret de fuite, de collusion ou de récidive. La gravité de
l'infraction ne peut pas, à elle seule, justifier la prolongation de
la
détention, même si elle permet souvent de présumer un danger de fuite
en
raison de l'importance de la peine dont le prévenu est menacé (ATF
125 I 60
consid. 3a p. 62, 117 Ia 69 consid. 4a p. 70, 108 Ia 64 consid. 3 p.
67).
Le principe de la proportionnalité confère au prévenu le droit d'être
libéré
lorsque la durée de son incarcération se rapproche de la peine
privative de
liberté susceptible d'être prononcée. Celle-ci doit être évaluée avec
la plus
grande prudence, car il faut éviter que le juge de l'action pénale ne
soit
incité à prononcer une peine excessive pour la faire coïncider avec la
détention préventive à imputer (ATF 124 I 208 consid. 6 p. 215; voir
aussi
ATF 125 I 60 consid. 3d p. 64).

4.
Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. confère à
toute
personne le droit d'exiger, en principe, qu'un jugement ou une
décision
défavorable à sa cause soit motivé. Cette garantie tend à donner à la
personne touchée les moyens d'apprécier la portée du prononcé et de le
contester efficacement, s'il y a lieu, devant une instance
supérieure. Elle
tend aussi à éviter que l'autorité ne se laisse guider par des
considérations
subjectives ou dépourvues de pertinence; elle contribue, par là, à
prévenir
une décision arbitraire. L'objet et la précision des indications à
fournir
dépend de la nature de l'affaire et des circonstances particulières
du cas;
néanmoins, en règle générale, il suffit que l'autorité mentionne au
moins
brièvement les motifs qui l'ont guidée, sans qu'elle soit tenue de
répondre à
tous les arguments présentés (ATF 112 Ia 107 consid. 2b p. 109; voir
aussi
ATF 126 I 97 consid. 2b p. 102, 125 II 369 consid. 2c p. 372, 124 II
146
consid. 2a p. 149). Cela concerne notamment les décisions
consécutives à une
demande de prolongation de la détention, sur laquelle l'autorité doit
statuer
à bref délai; il est d'ailleurs admis que celle-ci peut se borner à
adhérer
aux motifs de la demande ou à ceux d'une décision antérieure (ATF 123
I 31
consid. 2 p. 33).

5.
L'ordonnance présentement attaquée est, en partie, motivée par renvoi
à
celles du 20 mai et du 4 juillet 2003, auxquelles la Chambre
d'accusation "se
réfère intégralement". La plus récente de ces décisions a censément
"détaillé
et motivé l'existence de charges suffisantes à l'encontre du prévenu".
L'autorité ajoute que depuis lors, la comptabilité des sociétés par
lesquelles le recourant a agi, examinée par le Juge d'instruction, a
révélé
que celles-ci ont assumé des dépenses hors de proportion avec leur
chiffre
d'affaires et, dans une certaine mesure, sans contrepartie
économique; en
particulier, leur trésorerie a pourvu aux dépenses somptuaires de
certaines
des amies du recourant.
L'ordonnance du 4 juillet 2003, à laquelle il est ainsi renvoyé, ne
contient
pas d'indication relative aux faits imputés au recourant ni aux
indices de
culpabilité relevés contre lui. Cette décision et celle du 20 mai 2003
énumèrent simplement les plaintes pénales et les infractions entrant
en
considération pour chacune d'elles, en précisant l'identité des
plaignants et
la date de l'inculpation correspondante. Ces dates permettent de
consulter
les procès-verbaux d'audience du Juge d'instruction, où les
inculpations sont
consignées en lettres grasses avec une description des faits, le plus
souvent
très sommaire ou allusive. L'une d'elles renvoie encore à la plainte
concernée.
Pour le surplus, on ne trouve aucune mention précise des résultats de
l'enquête sur la base desquels la Chambre d'accusation soupçonne le
recourant
d'avoir effectivement perpétré les infractions décrites. Une
vérification
directe de ces indices est donc impossible; une analyse complète du
dossier -
dont la partie "information générale" occupe neuf classeurs - serait
indispensable. Cette situation rend très difficile, pour le
recourant, toute
tentative de réfuter les préventions de façon topique et efficace;
elle a
aussi pour effet de reporter sur la juridiction constitutionnelle la
tâche et
l'appréciation qui incombent, en principe, seulement à l'autorité
cantonale
de contrôle de la détention. La Chambre d'accusation pourrait se
borner à ne
retenir et mentionner que certains des actes punissables imputés au
recourant, avec les indices de culpabilité qui s'y rattachent, pour
autant
qu'à eux seuls déjà, par les peines privatives de liberté entrant en
considération, ces actes paraissent assez graves pour justifier le
maintien
de l'incarcération. Selon les circonstances, un exposé complet des
préventions en cause et des indices correspondants n'est donc pas
indispensable. En l'espèce toutefois, un exposé de ce genre fait
entièrement
défaut, de sorte que le recourant se plaint à bon droit d'une
motivation
insuffisante de l'ordonnance attaquée.
Une ordonnance de prolongation de la détention doit aussi indiquer les
circonstances concrètes qui conduisent l'autorité à redouter les
risques de
fuite, de collusion ou de réitération. A première vue, toujours par
renvoi
aux ordonnances antérieures intervenues dans la même cause,
l'ordonnance du 3
octobre 2003 fournit des éléments propres à permettre un contrôle
approprié
au regard de la garantie de la liberté personnelle.

6.
Lorsque le Tribunal fédéral constate que la procédure de prolongation
de la
détention n'a pas satisfait aux garanties constitutionnelles
relatives à
cette procédure, il n'en résulte pas obligatoirement que le prévenu
doive
être immédiatement remis en liberté (ATF 116 Ia 60 consid. 3b p. 64;
115 Ia
293 consid. 5g p. 308; 114 Ia 88 consid. 5d p. 93; CourEDH, arrêt
Minjat c.
Suisse du 28 octobre 2003, ch. 37 à 49). Dans la présente affaire, il
s'impose d'annuler l'ordonnance attaquée, mais, dans l'intérêt de la
poursuite pénale, la cause doit être renvoyée à la Chambre
d'accusation afin
que cette autorité statue à nouveau sur la demande de prolongation de
la
détention, à bref délai et par un prononcé suffisamment motivé. Les
conclusions tendant à la mise en liberté immédiate du recourant
seront donc
rejetées.


7.
L'émolument judiciaire incombe aux intimées qui ont pris des
conclusions
défavorables au recours (art. 156 al. 1 OJ), de sorte qu'il n'est pas
nécessaire de statuer sur la demande d'assistance judiciaire. Le
recourant
ayant procédé sans le concours d'un mandataire, il ne lui sera pas
alloué de
dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est partiellement admis, dans la mesure où il est
recevable, en ce
sens que l'ordonnance attaquée est annulée et la cause renvoyée à la
Chambre
d'accusation pour nouvelle ordonnance.
Le recours est rejeté pour le surplus.

2.
Les intimées représentées par Me Fontanet acquitteront, solidairement
entre
elles, un émolument judiciaire de 1'000 fr.

3.
Les intimées représentées par Me Carrard acquitteront, solidairement
entre
elles, un émolument judiciaire de 1'000 fr.

4.
Il n'est pas alloué de dépens.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie au recourant, aux
mandataires des
intimés, au Juge d'instruction, au Procureur général et à la Cour de
justice
du canton de Genève.

Lausanne, le 9 décembre 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.656/2003
Date de la décision : 09/12/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-12-09;1p.656.2003 ?
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