La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/12/2003 | SUISSE | N°6A.75/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 05 décembre 2003, 6A.75/2003


{T 0/2}
6A.75/2003 /pai

Arrêt du 5 décembre 2003
Cour de cassation pénale

MM. et Mme les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger, Kolly, Karlen et Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffière: Mme Angéloz.

Département fédéral de justice et police,
3003 Berne,
recourant,

contre

Y.________,
intimé, représenté par Me Doris Leuenberger, avocate,
Commission de libération conditionnelle du canton de Genève, Greffe
de la
Cour de justice,
case postale 3108, 1211 Genève 3,
Tr

ibunal administratif de la République et canton de Genève, rue du
Mont-Blanc 18, case postale 1956,
1211 Genève 1.

Libéra...

{T 0/2}
6A.75/2003 /pai

Arrêt du 5 décembre 2003
Cour de cassation pénale

MM. et Mme les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger, Kolly, Karlen et Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffière: Mme Angéloz.

Département fédéral de justice et police,
3003 Berne,
recourant,

contre

Y.________,
intimé, représenté par Me Doris Leuenberger, avocate,
Commission de libération conditionnelle du canton de Genève, Greffe
de la
Cour de justice,
case postale 3108, 1211 Genève 3,
Tribunal administratif de la République et canton de Genève, rue du
Mont-Blanc 18, case postale 1956,
1211 Genève 1.

Libération conditionnelle,

recours de droit administratif contre l'arrêt du Tribunal
administratif de la
République et canton de Genève
du 23 juillet 2003.

Faits:

A.
Ressortissant tunisien né en 1961, Y.________ a été condamné en 1991
par la
Cour d'assises de Genève, pour cinq assassinats, un délit manqué
d'assassinat, sept brigandages aggravés, trois vols et une mise en
danger de
la vie d'autrui, à la réclusion à vie ainsi qu'à l'expulsion à vie. Sa
culpabilité a été qualifiée d'extrêmement grave, en relevant
notamment qu'il
avait tué trois de ses victimes dans des circonstances
particulièrement
sordides, que sa manière d'agir dénotait une absence totale de
scrupules et
qu'il n'avait manifesté aucun regret ou remords.

B.
Le 24 novembre 1997, Y.________ a demandé une première fois sa
libération
conditionnelle, qui lui a été refusée par décision du 13 janvier 1998
de la
Commission genevoise de libération conditionnelle (ci-après: la
Commission de
libération). Le recours qu'il a formé contre cette décision a été
rejeté par
le Tribunal administratif genevois le 21 avril 1998. Saisi d'un
recours de
l'intéressé, le Tribunal fédéral l'a partiellement admis par arrêt du
10
juillet 1998 (arrêt 6A.38/1998), au motif que le refus de réexaminer
le cas
avant 2002 violait le droit fédéral. Il a en revanche écarté le
recours en
tant qu'il portait sur le refus de la libération conditionnelle.

Le 16 novembre 1998, Y.________ a renouvelé sa requête, que la
Commission de
libération a écartée par décision du 12 janvier 1999, confirmée le 20
avril
1999 par le Tribunal administratif genevois, puis par arrêt du
Tribunal
fédéral du 26 juillet 1999 (arrêt 6A.44/1999).

Le 15 mai 2000, Y.________ a demandé derechef sa libération
conditionnelle.
Se fondant sur une expertise du 6 juillet 2000 du Dr A.________,
médecin-chef
du Service intégré de psychiatrie médico-légale de l'Université de
Berne, la
Commission de libération a refusé, le 12 décembre 2000, d'accorder la
libération conditionnelle. Ce refus a été confirmé sur recours le 13
février
2001 par le Tribunal administratif genevois, qui a considéré, en
substance,
que le pronostic quant au comportement futur de l'intéressé en
liberté était
défavorable, l'expert, dont l'avis était compatible avec les
observations de
deux autres médecins-psychiatres, n'excluant pas la commission de
nouveaux
actes de violence. Saisi d'un recours de l'intéressé, le Tribunal
fédéral l'a
écarté par arrêt du 30 avril 2001 (arrêt 6A.31/2001); en bref, il a
jugé que,
compte tenu du risque de récidive qui subsistait à dire d'expert, le
refus
contesté ne violait pas le droit fédéral, fût-ce sous la forme d'un
excès ou
d'un abus du pourvoir d'appréciation.

C.
Le 29 septembre 2002, Y.________ a demandé une nouvelle fois sa
libération
conditionnelle. Il faisait valoir qu'il avait passé près de 20 ans en
prison,
avait pris conscience de ses actes et avait tout mis en oeuvre,
suivant
notamment une formation en informatique, pour préparer son retour
dans son
pays, où il envisageait de s'établir avec sa compagne. Il ajoutait
que sa
famille était prête à l'entourer. Il produisait un contrat de travail
non
daté, établi entre lui et son frère, entrepreneur à Hammamet, aux
termes
duquel il pourrait être engagé comme maçon à partir du 15 mai 2002,
ainsi
qu'un certificat d'hébergement légalisé.

Dans un rapport du 28 juin 2002, le centre de sociothérapie de La
Pâquerette,
où Y.________ était détenu en milieu fermé depuis le 4 décembre 2001,
a émis
un pronostic favorable quant à sa libération conditionnelle. Il
soulignait
les efforts entrepris par l'intéressé pour poursuivre sa formation en
informatique et entretenir un contact régulier avec sa famille ainsi
qu'avec
sa compagne, relevant également une amélioration de son comportement
en
détention.

Pour des motifs similaires, le service genevois d'application des
peines et
mesures (SAPEM) a préavisé favorablement la requête le 17 octobre
2002.

Entendu le 1er novembre 2002 par une délégation de la Commission de
libération, Y.________ a confirmé ses explications, maintenant
cependant
toujours n'avoir tué qu'une seule personne.

Le 29 novembre 2002, le Procureur général a émis un préavis négatif. A
l'appui, il exposait que le constat d'amélioration du centre de
sociothérapie
de La Pâquerette était insuffisant pour conclure que l'intéressé ne
présentait plus un danger pour la sécurité publique, aucun élément
nouveau ne
venant infirmer les conclusions de l'expertise A.________.

Par décision du 5 décembre 2002, la Commission de libération a rejeté
la
requête de libération conditionnelle. Elle a admis que l'intéressé
poursuivait une évolution globalement favorable, mais a considéré
que, comme
le relevait le Procureur général, il n'était pas établi que le
potentiel de
violence qui subsistait selon l'expertise A.________ ait diminué,
nonobstant
les mesures de sociothérapie auxquelles l'intéressé avait été soumis,
au
demeurant pendant une année seulement. Elle a ajouté que l'intéressé
n'avait
toujours pas présenté les garanties exigées de lui quant à une prise
en
charge en Tunisie. Dans ces conditions, la libération conditionnelle
devait
être refusée, selon la Commission de libération, qui précisait que le
cas
serait réexaminé au mois de décembre 2003.

D.
Le 12 février 2003, Y.________ a recouru contre cette décision au
Tribunal
administratif genevois.

A la demande du juge délégué, la mandataire de l'intéressé a fait
savoir, le
2 mai 2003 que, selon un téléphone avec l'ambassade de Tunisie,
celui-ci, au
bénéfice d'un laissez-passer, pourrait évidemment rentrer dans son
pays.
Souhaitant disposer d'un avis médical actualisé, le juge délégué
s'est par
ailleurs adressé, le 14 mai 2003, au Dr A.________, sans toutefois
obtenir de
réponse de celui-ci, dont il s'est finalement avéré qu'il avait quitté
l'Université de Berne pour s'établir en Allemagne. Le juge délégué a
alors
pris contact avec le Professeur B.________, médecin-chef de la
division de
médecine pénitentiaire, lui demandant un certificat médical actualisé
et un
rapport complémentaire de la direction de La Pâquerette.

Le Professeur B.________ a déposé son rapport le 19 juin 2003,
accompagné de
divers certificats médicaux établis entre le 12 septembre 1988 et le
4 mars
1997. En substance, ce rapport constate une évolution favorable de
l'intéressé depuis vingt ans et préconise une prise en charge après
sa sortie
du centre de sociothérapie, comportant des entretiens de soutien par
un
médecin ainsi qu'un appui psycho-social.

Le rapport complémentaire du centre de sociothérapie La Pâquerette a
été
déposé le 23 juin 2003. Il évoque le découragement de l'intéressé
face au
nouveau refus de lui accorder la libération conditionnelle, tout en
relevant
qu'il poursuit sa participation au programme du centre et son projet
de
réinsertion en Tunisie. Il estime que l'évolution de l'intéressé est
globalement positive. Il précise en outre que, par l'intermédiaire du
service
social international, la directrice du centre a pu mettre en place un
encadrement social en Tunisie s'apparentant à celui d'un service de
patronage.
Par arrêt du 23 juillet 2003, le Tribunal administratif genevois a
admis le
recours de Y.________, annulé le décision qui lui était déférée et
ordonné la
libération conditionnelle de l'intéressé pour le 29 octobre 2003. Il a
observé que, sauf celui du Procureur général, tous les préavis
recueillis
étaient favorables à une libération conditionnelle de l'intéressé et
que
toutes les personnes qui l'avaient côtoyé avaient constaté une
évolution
positive, ajoutant qu'il était par ailleurs établi que l'intéressé
avait
acquis en détention une formation professionnelle qui lui permettrait
de
travailler dans son pays. Certes, l'expertise A.________, établie
lors de
l'examen de la précédente requête de libération conditionnelle,
considérait
que le risque de récidive subsistait. Cependant, un risque de
récidive ne
peut jamais être complètement exclu et le rapport complémentaire
établi
depuis lors par le Professeur B.________ constatait une évolution
favorable
de l'état psychique et comportemental de l'intéressé depuis vingt
ans. Enfin,
il était désormais établi que, dans son pays, l'intimé pourrait être
soumis à
un contrôle similaire à celui d'un patronage.

E.
Par mémoire remis à la poste le 15 octobre 2003, le Département
fédéral de
justice et police (DFJP) forme un recours de droit administratif au
Tribunal
fédéral. Préliminairement, il expose que, par erreur, l'arrêt attaqué
ne lui
a pas été notifié, qu'informé par la suite de l'octroi de la
libération
conditionnelle à Y.________, il a requis la notification de cet arrêt
et que
celle-ci est intervenue le 16 septembre 2003, de sorte que son
recours est
déposé avant l'échéance du délai de 30 jours dès la réception de
l'arrêt
attaqué. Au fond, il invoque une violation de l'art. 38 ch. 1 CP et
conclut à
l'annulation de l'arrêt attaqué, subsidiairement au renvoi de la
cause à
l'autorité cantonale pour nouvelle décision. Il sollicite par ailleurs
l'effet suspensif et demande en outre que le départ de l'intimé pour
son
pays, fixé au 29 octobre 2003, soit empêché à titre superprovisionnel.

Par ordonnance du 21 octobre 2003, le recours a été muni
superprovisoirement
de l'effet suspensif, les autorités cantonales et l'intimé étant
simultanément invités à se déterminer.

Dans sa réponse, l'intimé conclut au refus de l'effet suspensif et au
rejet
du recours, en produisant diverses pièces et en sollicitant par
ailleurs
l'assistance judiciaire.

La Commission de libération a renoncé à déposer des observations,
indiquant
qu'elle ne s'opposait évidemment pas à l'octroi de l'effet suspensif.

Le Tribunal administratif genevois a également renoncé à déposer des
observations et s'en remet à justice quant à la requête d'effet
suspensif.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
L'arrêt attaqué a été rendu par une autorité cantonale statuant en
dernière
instance (art. 98 let. g OJ) en matière de libération conditionnelle
(art. 38
CP), qui relève de l'exécution des peines et peut donc faire l'objet
d'un
recours de droit administratif au Tribunal fédéral (art. 97 al. 1 OJ).
Conformément à l'art. 103 let. b OJ, le DFJP a qualité pour former un
tel
recours et l'arrêt attaqué devait donc lui être communiqué. Comme cela
ressort du dernier alinéa de son dispositif, l'arrêt attaqué n'a
toutefois
pas été notifié à cette autorité. La cour cantonale ne nie d'ailleurs
pas
avoir omis de le faire et ne conteste en rien l'argumentation du
recourant
selon laquelle, à sa demande, l'arrêt attaqué lui a finalement été
notifié le
16 septembre 2003. Déposé dans le délai de 30 jours dès cette
notification
(art. 106 al. 1 OJ), le recours du DFJP a donc été déposé en temps
utile.

2.
Le recours de droit administratif peut être formé pour violation du
droit
fédéral, y compris l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art.
104 let.
a OJ). Lorsque, comme en l'espèce, la décision attaquée a été rendue
par une
autorité judiciaire, le Tribunal fédéral est lié par les faits
constatés,
sauf s'ils sont manifestement inexacts ou incomplets ou s'ils ont été
établis
au mépris de règles essentielles de la procédure (art. 105 al. 2 OJ).

3.
A l'appui de sa réponse, l'intimé produit un courrier du Professeur
B.________ daté du 28 octobre 2003, accompagné de deux rapports
médicaux de
cet expert, datés respectivement du 28 octobre 2003 et du 3 novembre
2003.
Ces pièces, postérieures à l'arrêt attaqué, n'ont pas été soumises à
l'autorité cantonale et sont donc nouvelles.

3.1 La question de savoir si et dans quelle mesure des moyens de
preuve
nouveaux sont admissibles dans un recours de droit administratif doit
être
tranchée au regard de l'art. 105 al. 2 OJ. En effet, selon la
jurisprudence
constante relative à cette disposition, lorsque, comme en l'espèce, la
décision attaquée émane d'une autorité judiciaire, l'invocation de
moyens de
preuve nouveaux n'est permise que dans une mesure très restreinte.
Dans ce
cas, seuls sont admissibles les preuves que l'autorité inférieure
aurait dû
retenir d'office et dont le défaut d'administration constitue une
violation
des règles essentielles de la procédure (ATF 128 III 454 consid. 1 p.
456 et
les arrêts cités). Des moyens de preuve visant à établir une
modification de
l'état de fait postérieure à l'arrêt attaqué ne peuvent en principe
être pris
en considération, car on ne saurait reprocher à l'autorité inférieure
de
n'avoir pas tenu compte d'une situation de fait qui s'est modifiée
après sa
décision
(ATF 121 II 97 consid. 1c p. 99; 107 Ib 167 consid. 1b p.
169). Par
ailleurs, les parties ne peuvent invoquer devant le Tribunal fédéral
des
faits ou moyens de preuve qu'elles auraient été en mesure - ou qu'il
leur
appartenait, en vertu de leur devoir de collaborer à l'instruction de
la
cause - de faire valoir devant la juridiction inférieure déjà. De tels
allégués ou moyens de preuve tardifs ne permettent pas de faire
admettre que
les faits auraient été constatés de manière imparfaite au sens de
l'art. 105
al. 2 OJ (ATF 121 II 97 consid. 1c p. 100).

3.2 En l'espèce, les nouvelles pièces produites à l'appui de la
réponse
consistent en un courrier du Professeur B.________ accompagné de deux
rapports médicaux concernant l'intimé, qui les a sollicités et
obtenus de cet
expert après lui avoir communiqué le présent recours. Or, avant de
statuer,
le tribunal administratif avait mandaté le Professeur B.________ pour
qu'il
établisse un rapport médical actualisé concernant l'intimé, que cet
expert a
déposé le 19 juin 2003 en produisant en annexe divers certificats
médicaux.
Un rapport médical avait donc été recueilli et l'intimé n'a pas
contesté ce
rapport ni n'a sollicité de rapport complémentaire au motif que celui
établi
serait insuffisant ou incomplet. Dans ces conditions, l'intimé ne
saurait
être admis à produire à l'appui de sa réponse un nouvel avis médical
qu'il
aurait pu solliciter au cours de la procédure cantonale, lors de
laquelle il
s'est accommodé de celui qui avait été établi, d'autant moins qu'il ne
prétend pas que l'autorité cantonale aurait dû faire compléter
d'office le
rapport du 19 juin 2003 et aurait omis de le faire en violation de
règles
essentielles de la procédure. Autrement dit, les avis médicaux
produits à
l'appui de la réponse sont tardifs et, partant, irrecevables.
Au demeurant, les pièces litigieuses ne visent pas réellement à
établir que
la situation de fait se serait modifiée depuis que l'arrêt attaqué a
été
rendu, notamment qu'une nouvelle évolution favorable de l'intimé
serait
intervenue depuis lors. Il s'agit bien plutôt de pièces dans lesquels
l'expert défend et étaye l'opinion de son rapport du 19 juin 2003,
qu'elles
tendent donc essentiellement et même exclusivement à confirmer.
L'intimé
l'admet d'ailleurs lui-même, puisqu'il justifie la production de ces
pièces
en précisant que l'expert y a "explicité l'opinion qu'il avait donné
au
Tribunal administratif". Dès lors, fussent-elles prises en
considération, que
ces pièces n'apporteraient en définitive rien de nouveau.

4.
Le recourant soutient que l'octroi de la libération conditionnelle à
l'intimé
viole l'art. 38 ch. 1 CP. Il fait valoir que le rapport B.________ du
19 juin
2003 ne permet pas de retenir une diminution du "potentiel criminel"
de
l'intimé depuis l'expertise A.________ du 6 juillet 2000, qui
n'excluait pas
la commission de nouveaux actes de violence. Il ne serait dès lors
pas établi
que l'une des conditions de l'octroi de la libération conditionnelle,
à
savoir que l'on puisse prévoir que le condamné se conduira bien en
liberté,
soit réalisée.

4.1 Les conditions auxquelles un condamné à vie ayant commis de
nombreux
crimes très graves peut être libéré conditionnellement ont été
exposés dans
l'ATF 125 IV 113 consid. 2, soit dans l'arrêt 6A.44/1999 déjà rendu
dans la
présente cause (cf. supra, let. B al. 2), auquel on peut donc se
référer. Il
suffit ici de rappeler que la possibilité d'émettre un pronostic
favorable
quant à la conduite future de l'intéressé en liberté constitue une
condition
essentielle de l'octroi de la libération conditionnelle et qu'il se
justifie
de faire preuve d'une exigence accrue lorsqu'il s'agit de libérer
conditionnellement un condamné à vie ayant commis de nombreux crimes
très
graves. En pareil cas, la libération conditionnelle ne peut être
envisagée
que si une expertise psychiatrique, émanant d'un expert neutre, a
permis
d'établir que le danger spécifique révélé par les actes qui sont à
l'origine
de la condamnation n'existe plus (ATF 125 IV 113 consid. 2 p. 115 ss).

4.2 Au vu de cette jurisprudence, est déterminante en l'espèce la
question de
savoir si, depuis l'expertise A.________ du 6 juillet 2000, selon
laquelle un
risque de récidive subsistait, il est possible d'admettre, sur la
base d'un
nouvel avis médical, que ce risque a clairement et notablement
diminué, au
point qu'il puisse être considéré comme infime, voire inexistant. Or,
le
rapport B.________ du 19 juin 2003 ne permet pas de retenir une telle
diminution du risque de récidive, dont l'arrêt attaqué ne constate
d'ailleurs
pas qu'il se serait considérablement réduit depuis l'expertise
A.________.

Le rapport B.________ rappelle en effet les constatations médicales
faites
quant à l'état psychique et comportemental de l'intimé depuis 1992
jusqu'en
2003 et en conclut que l'on observe ainsi chez celui-ci "une évolution
favorable de l'état psychique et comportemental ... depuis 20 ans", se
traduisant par une maturation psychologique, une maîtrise de soi sans
recours
à des provocations et à des menaces, une absence d'impulsivité dans
les
situations de groupe et en entretien individuel et une "élaboration
intrapsychique sur le plan de son image de soi autour de ses relations
familiales, relation d'amitié personnelle et compétences
professionnelles".
Il ne constate en revanche pas de diminution nette du risque de
récidive
depuis l'expertise A.________, qu'il n'évoque même pas. En
définitive, le
rapport B.________, dressant un bilan de l'évolution de l'intimé
depuis vingt
ans, l'estime globalement positive, sur la base d'éléments qui
dénotent
certes des améliorations sur le plan psychique et comportemental,
mais qui
sont manifestement insuffisants pour que l'on puisse conclure que le
risque
de récidive - qui subsistait en juillet 2000 - a clairement et
notablement
diminué, au point que l'on puisse admettre que ce risque est désormais
infime, voire inexistant.

Dans ces conditions, l'arrêt attaqué ne pouvait admettre qu'un
pronostic
favorable peut désormais être posé quant au comportement futur de
l'intimé en
liberté et, partant, que les conditions de l'art. 38 ch. 1 CP sont
réalisées.
Même si elles ont été perpétrées entre 1981 et 1987 et remontent donc
à plus
de quinze ans, voire de vingt ans, les nombreuses infractions
commises par
l'intimé sont d'une extrême gravité. En juillet 2000 encore,
l'expertise
A.________ admettait qu'il subsistait un risque de récidive,
notamment de
commission de nouveaux actes de violence, donc d'atteintes à des biens
juridiques importants. En pareil cas, il est justifié de se montrer
strict
lorsqu'il s'agit de déterminer si l'on peut prendre le risque d'une
libération conditionnelle, compte tenu des conséquences très graves
qui
résulteraient d'une récidive, et, partant, de n'accorder la libération
conditionnelle qu'aux conditions posées dans l'ATF 125 IV 113
précité. Il
doit donc être clair que l'intimé ne saurait être libéré
conditionnellement
aussi longtemps qu'on ne dispose pas d'une expertise psychiatrique,
émanant
d'un expert neutre et expérimenté, qui constate que le danger
spécifique
révélé par les actes réprimés n'existe plus.

En l'espèce et en l'état, ces conditions ne sont manifestement pas
réalisées.
Le rapport médical sur lequel se fonde l'arrêt attaqué est clairement
insuffisant à le faire admettre. On peut au demeurant s'interroger
sur la
neutralité de l'expert lorsque l'on constate que, sur requête de la
mandataire de l'intimé, qui lui a remis une copie du présent recours,
il lui
a adressé de nouveaux rapports, dans lesquels il défend son point de
vue et
critique le recours avec une certaine véhémence. Enfin, on peut
s'étonner que
l'autorité cantonale ait choisi de désigner comme expert le
médecin-chef de
la division de médecine pénitentiaire, qui a été amené à suivre
l'évolution
de l'intimé depuis 1982. A cet égard, il apparaît opportun de
rappeler que,
conformément à l'ATF 125 IV 113, l'expertise devrait dans toute la
mesure du
possible être confiée à un expert qui n'ait pas été amené auparavant à
traiter ou à examiner le cas de l'intimé (cf. ATF 125 IV 113 consid.
2b p.
117).

Au vu de ce qui précède, l'arrêt attaqué viole le droit fédéral en
tant qu'il
accorde la libération conditionnelle à l'intimé.

4.3 Dans sa réponse, l'intimé objecte vainement que le principe de la
confiance et l'interdiction des traitements inhumains et dégradants
consacré
par l'art. 3 CEDH s'opposent à ce que l'on revienne sur l'octroi d'une
libération conditionnelle qu'il pouvait tenir pour acquise à
l'échéance du
délai de recours contre l'arrêt attaqué.

L'arrêt attaqué accorde la libération conditionnelle à l'intimé sous
réserve
d'un recours déposé en temps utile à son encontre. Ce n'est donc qu'à
cette
condition que l'intimé pouvait tenir sa libération pour acquise. Or,
même
s'il a été déposé plus de trente jours après la communication de
l'arrêt
attaqué aux autres destinataires, le présent recours a été formé, par
une
autorité habilitée à le faire en vertu de la loi, dans les trente
jours dès
sa notification à cette autorité et, partant, en temps utile (cf.
supra,
consid. 1). Au demeurant, sous réserve d'un recours, la libération
conditionnelle était accordée à l'intimé pour le 29 octobre 2003 et,
comme
cela ressort d'une lettre datée du 20 octobre 2003 que sa mandataire a
adressée au Tribunal fédéral, l'intimé a su à cette date au plus tard
que
l'arrêt attaqué était frappé d'un recours. Dans ces conditions,
l'intimé ne
peut se prévaloir du principe de la confiance pour s'opposer au
réexamen de
l'arrêt attaqué. Pour le surplus, il est manifeste que la déception
que peut
éprouver le recourant du fait que la libération conditionnelle que lui
accorde l'arrêt attaqué doit, sur recours, lui être refusée, parce
qu'elle
viole le droit fédéral, n'est pas assimilable à un traitement
inhumain ou
dégradant prohibé par l'art. 3 CEDH (cf. ATF 124 I 231 consid. 2b p.
236).

5.
Le recours doit ainsi être admis et l'arrêt attaqué annulé. En pareil
cas, le
Tribunal fédéral peut soit statuer lui-même sur le fond, soit
renvoyer la
cause pour nouvelle décision à l'autorité inférieure, voire à
l'autorité qui
a statué en première instance (art. 114 al. 2 OJ). En l'espèce, il
résulte du
considérant qui précède qu'un pronostic favorable quant au
comportement de
l'intimé en liberté ne peut en l'état être posé, de sorte que sa
requête de
libération conditionnelle devait être écartée, en confirmation de la
décision
de première instance. Comme le recourant conclut à la confirmation de
cette
décision, il se justifie de renoncer à un renvoi qui constituerait un
inutile
détour procédural et de prononcer immédiatement le rejet de la
requête de
libération conditionnelle de l'intimé.

6.
L'arrêt attaqué a mis l'intimé en situation de devoir se défendre.
Comme son
indigence est au reste suffisamment établi, il se justifie d'admettre
sa
requête d'assistance judiciaire (art. 152 al. 1 OJ). En conséquence,
il
n'aura pas à supporter de frais et une indemnité sera allouée à sa
mandataire.

Il n'y a pas non plus lieu de mettre des frais à la charge du canton
de
Genève (art. 156 al. 2 OJ) ni d'allouer des dépens à l'autorité
recourante
(art. 159 al. 2 OJ).

La cause étant tranchée, la requête d'effet suspensif devient sans
objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt rendu le 23 juillet 2003 par le
Tribunal
administratif du canton de Genève est annulé.

2.
La requête de libération conditionnelle de l'intimé est rejetée.

3.
La requête d'assistance judiciaire de l'intimé est admise.

4.
Il n'est pas perçu de frais.

5.
La Caisse du Tribunal fédéral versera une indemnité de 3'000 francs à
la
mandataire de l'intimé.

6.
Il n'est pas alloué de dépens à l'autorité recourante.

7.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties, à la Commission
de
libération conditionnelle du canton de Genève et au Tribunal
administratif de
la République et canton de Genève.

Lausanne, le 5 décembre 2003

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6A.75/2003
Date de la décision : 05/12/2003
Cour de cassation pénale

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-12-05;6a.75.2003 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award