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05/12/2003 | SUISSE | N°1A.214/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 05 décembre 2003, 1A.214/2003


{T 0/2}
1A.214/2003 /col

Arrêt du 5 décembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Reeb et Féraud.
Greffier: M. Zimmermann.

R. ________,
I.________,
H.________,
P.________,
recourantes,
toutes représentées par Me Bruno de Preux, avocat,

contre

Office fédéral de la justice, Division des affaires internationales,
Section
de l'entraide judiciaire internationale, Bundesrain 20, 3003 Berne.

entrai

de judiciaire internationale en matière pénale
à l'Allemagne,

recours de droit administratif contre les décisions
de l...

{T 0/2}
1A.214/2003 /col

Arrêt du 5 décembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Reeb et Féraud.
Greffier: M. Zimmermann.

R. ________,
I.________,
H.________,
P.________,
recourantes,
toutes représentées par Me Bruno de Preux, avocat,

contre

Office fédéral de la justice, Division des affaires internationales,
Section
de l'entraide judiciaire internationale, Bundesrain 20, 3003 Berne.

entraide judiciaire internationale en matière pénale
à l'Allemagne,

recours de droit administratif contre les décisions
de l'Office fédéral de la justice des 20 août 2002 et
27 août 2003.

Faits:

A.
La République fédérale du Nigeria (ci-après: la République fédérale) a
demandé l'entraide judiciaire à la Suisse pour les besoins de
l'enquête
ouverte au Nigeria au sujet des détournements de fonds publics dont se
seraient rendus coupables feu Sani Abacha, chef de l'Etat de novembre
1993 à
novembre 1998, ainsi que ses proches.
Parallèlement, le Procureur général du canton de Genève a, dans le
même
complexe de faits, ordonné l'ouverture d'une information pénale des
chefs
d'organisation criminelle (art. 260ter CP) et de blanchiment d'argent
(art.
305bis CP). Dans le cadre de cette procédure (désignée sous la
rubrique
P/12983/99), le Juge d'instruction a, le 14 août 2000, adressé une
demande
d'entraide au Grand-Duché du Luxembourg, tendant à la remise de la
documentation relative à des comptes bancaires ouverts auprès de la
banque
W.________ au Luxembourg. A cette demande, complétée le 11 janvier
2001,
étaient joints des extraits de la documentation relative au compte
n°aaa
(compte n°1) ouvert auprès de la banque V.________ à Genève, dont la
société
nigériane I.________ est la titulaire, ainsi qu'une pièce extraite de
la
documentation relative au compte n°xxx (compte n°2) ouvert auprès de
la
banque W.________ à Zurich, dont la société nigériane R.________ est
la
titulaire. En exécution de ces requêtes, les autorités
luxembourgeoises ont
fait parvenir au Juge d'instruction les pièces concernant les comptes
suivants:
3) n°bbb, ouvert le 12 janvier 1998, dont la société H.________,
domiciliée
aux Iles Vierges britanniques, est la titulaire et les ressortissants
nigérians A.________ et B.________ les ayants droit;
4) n°ccc, ouvert le 9 août 1996, dont la société P.________,
domiciliée aux
Iles Vierges britanniques, est la titulaire et les ressortissants
nigérians
A.________ et B.________ les ayants droit.

B.
Le 11 juillet 2002, le Procureur général ("Leitender
Oberstaatsanwalt") de
Bochum a adressé à l'Office fédéral de la justice (ci-après: l'Office
fédéral) une demande d'entraide fondée sur la Convention européenne
d'entraide judiciaire en matière pénale (CEEJ; RS 0.351.1), entrée en
vigueur
le 1er janvier 1977 pour l'Allemagne et le 20 mars 1967 pour la
Suisse, ainsi
que sur l'accord bilatéral complétant cette Convention, entré en
vigueur le
1er janvier 1977 (l'Accord complémentaire; RS 0.351.913.61). La
demande était
présentée pour les besoins de la procédure ouverte contre les
ressortissants
allemands M.________, L.________, E.________, U.________ et
D.________,
soupçonnés de complicité d'abus de confiance ("Beihilfe zur Untreue")
au sens
de l'art. 266 du Code pénal allemand (dStGB), en relation avec l'art.
27 de
la même loi. Ces délits auraient été commis en relation avec des
paiements
effectués par la société F.________, en faveur de ressortissants
nigérians.
M.________ et L.________ faisaient partie de la direction de
F.________, dont
l'une des sociétés sous-traitante était dirigée par E.________. Le 17
octobre
1989, la société nigériane N.________, dont la République fédérale
détient
70% du capital, avait conclu avec F.________ un contrat portant sur la
construction d'une usine de fabrication de l'aluminium au Nigeria,
pour un
prix de 2,4 milliards DEM. Après son accession au pouvoir, Sani
Abacha aurait
exigé de profiter de la réalisation du projet. Entre le 17 novembre
1994 et
le 9 juin 1998, F.________ aurait versé un montant total de
747'950'000 DEM à
diverses sociétés et fondations contrôlées par Abacha et ses proches,
sous le
couvert de prestations fictives attestées par de fausses factures.
Une partie
de ces fonds aurait été virée sur le compte ouvert par R.________
auprès de
W.________. Les autorités allemandes soupçonnent les prévenus d'avoir
aidé
Abacha et ses proches à commettre des abus de confiance au détriment
de
N.________ et de la République fédérale. La demande tendait à la
remise de la
documentation utile pour l'enquête que détiendrait le Juge
d'instruction
genevois, ainsi qu'à la consultation de son dossier par un membre du
Parquet
de Bochum.
Le 20 août 2002, l'Office fédéral a rendu une décision d'entrée en
matière au
sens de l'art. 80a de la loi fédérale sur l'entraide internationale en
matière pénale, du 20 mars 1981 (EIMP; RS 351.1). Il a chargé le Juge
d'instruction de procéder au tri des pièces se trouvant en sa
possession, qui
pourraient être utiles à la procédure ouverte dans l'Etat requérant,
en
présence d'Ekkehart Carl, Procureur auprès du Parquet de Bochum. Cette
décision a été notifiée au Juge d'instruction uniquement. Elle a été
communiquée pour information au Procureur général de Bochum.
Le 21 août 2002, l'Office fédéral a requis le Procureur Carl de lui
confirmer
qu'il n'établirait pas de copie des documents triés, et qu'aucune
utilisation
n'en serait faite avant l'entrée en force d'une décision de clôture
de la
procédure d'entraide. Le 23 août 2002, ces assurances ont été données.
Parmi les documents jugés utiles à la procédure allemande figurent les
pièces, relatives aux comptes n° 1 à 4 (classeur désigné sous la
rubrique
"Pièces remises par le Luxembourg"), dont l'autorité requérante a
demandé la
remise, le 23 septembre 2002.
Le 10 juillet 2003, l'Office fédéral a notifié aux mandataires de
R.________,
de I.________, de H.________ et de P.________, sa décision du 20 août
2002,
en les invitant à se déterminer sur une éventuelle remise simplifiée
des
documents les concernant, ce à quoi elles se sont opposées, le 4 août
2003.
Le 27 août 2003, l'Office fédéral a rendu une décision de clôture
selon
l'art. 80d EIMP, portant sur la transmission des pièces en question.

C.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, les sociétés
R.________, I.________, H.________ et P.________ demandent
principalement au
Tribunal fédéral d'annuler les décisions des 27 août 2003 et 20 août
2002. A
titre subsidiaire, elles concluent au renvoi de la cause à l'Office
fédéral
avec l'injonction de procéder, avec elles, au tri des pièces à
tansmettre.
Elles invoquent les art. 9 et 29 al. 2 Cst., 3 et 5 al. 1 let. a et
14 CEEJ,
28, 64 et 80m al. 1 EIMP, ainsi que l'art. 9 de l'ordonnance
d'exécution de
l'EIMP (OEIMP; RS 351.11).
L'Office fédéral propose le rejet du recours dans la mesure de sa
recevabilité.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Les dispositions de la CEEJ et de l'Accord complémentaire
l'emportent sur
le droit autonome qui régit la matière, soit en l'occurrence l'EIMP et
l'OEIMP. Celles-ci restent applicables aux questions non réglées,
explicitement ou implicitement, par le droit conventionnel, et
lorsqu'elles
sont plus favorables à l'entraide (ATF 123 II 134 consid. 1a p. 136;
122 II
140 consid. 2 p. 142; 120 Ib 120 consid. 1a p. 122/123, 189 consid.
2a p.
191/192, et les arrêts cités). Le respect des droits fondamentaux est
réservé
(ATF 123 II 595 consid. 7c p. 617).

1.2 La décision ordonnant la transmission de la documentation
bancaire à
l'Etat requérant est attaquable par la voie du recours de droit
administratif
(cf. art. 25 al. 1 EIMP), qui est ouverte, simultanément contre la
décision
de clôture et les décisions incidentes antérieures (ATF 125 II 356
consid. 5c
p. 363).

1.3 Les conclusions qui vont au-delà de l'annulation de la décision
sont
recevables (art. 25 al. 6 EIMP; art. 114 OJ; ATF 122 II 373 consid.
1c p.
375; 118 Ib 269 consid. 2e p. 275; 117 Ib 51 consid. 1b p. 56, et les
arrêts
cités). Le Tribunal fédéral examine librement si les conditions pour
accorder
l'entraide sont remplies et dans quelle mesure la coopération
internationale
doit être prêtée (ATF 123 II 134 consid. 1d p. 136/137; 118 Ib 269
consid. 2e
p. 275).

1.4 Selon l'art. 80h let. b EIMP, mis en relation avec l'art. 9a let.
a
OEIMP, les recourantes ont qualité pour agir contre la transmission
de la
documentation relative aux comptes dont elles sont les titulaires
(ATF 127 II
198 consid 2d p. 205; 126 II 258 consid. 2d/aa p. 260; 125 II 356
consid.
3b/bb p. 362, et les arrêts cités).

1.5 La transmission de la pièce extraite de la documentation relative
au
compte n°2 a d'ores et déjà été confirmée à la suite du rejet du
recours de
droit administratif formé par R.________ contre une décision de
clôture
rendue parallèlement dans la même procédure (cause 1A.213/ 2003). En
tant
qu'il est formé par R.________, le présent recours a perdu son objet.

1.6 Dans les domaines qui, comme en l'espèce, relèvent de la
juridiction
administrative fédérale, comme la coopération judiciaire en matière
pénale,
le recours de droit administratif permet aussi de soulever le grief
de la
violation des droits constitutionnels, en relation avec l'application
du
droit fédéral (ATF 124 II 132 consid. 2a p. 137, et les arrêts cités).

2.
Les recourantes soutiennent que la demande ne respecterait pas les
exigences
formelles posées par les art. 14 CEEJ et 28 EIMP.

2.1 La demande d'entraide doit indiquer l'organe dont elle émane et
le cas
échéant, l'autorité pénale compétente (art. 14 al. 1 let. a CEEJ et
28 al. 2
let. a EIMP), son objet et ses motifs (art. 14 al. 1 let. b CEEJ et
28 al. 2
let. b EIMP), la qualification juridique des faits (art. 14 al. 2
CEEJ et 28
al. 2 let. c EIMP) et la désignation aussi précise et complète que
possible
de la personne poursuivie (art. 14 al. 1 let. c CEEJ et 28 al. 2 let.
d
EIMP). Les indications fournies à ce titre doivent simplement suffire
pour
vérifier que la demande n'est pas d'emblée inadmissible (ATF 116 Ib 96
consid. 3a p. 101; 115 Ib 68 consid. 3b/aa p. 77). Lorsque la demande
tend,
comme en l'espèce, à la remise de documents bancaires, l'Etat
requérant ne
peut se borner à communiquer une liste des personnes recherchées et
des
sommes qui auraient été détournées; il lui faut joindre à la demande
des
éléments permettant de déterminer, de manière minimale, que les
comptes en
question ont été utilisés dans le déroulement des opérations
délictueuses
poursuivies dans l'Etat requérant.

2.2 Les recourantes exposent que la demande du 11 juillet 2002 et son
complément du 23 septembre suivant ne mentionnent pas I.________,
H.________
et P.________, dont il serait partant impossible de discerner
l'implication
dans la procédure pénale ouverte en Allemagne. Ce fait s'explique par
la
particularité du cas où, comme en l'espèce, un représentant de l'Etat
requérant est autorisé à participer à l'exécution de la demande. Le
Procureur
Carl, examinant avec le Juge d'instruction le dossier de la procédure
P/12983/99, y a découvert des pièces en relation avec les faits
poursuivis en
Allemagne, et dont il ignorait jusque là l'existence. On ne saurait
dès lors
reprocher aux autorités de l'Etat requérant de n'avoir pas mentionné
dans la
demande initiale du 11 juillet 2002 des faits, des documents et des
personnes
morales qui leur étaient inconnus. Quant au complément du 23
septembre 2002,
il se borne à demander la remise des documents inspectés par le
Procureur
Carl, sans aucune indication quant à leur lien avec la procédure
ouverte en
Allemagne. Eu égard aux circonstances de l'espèce, les autorités de
l'Etat
requérant n'avaient toutefois pas de motifs de préciser le rôle joué
par les
recourantes dans l'affaire, ni l'importance pour celle-ci des
documents
réclamés, puisque ces éléments avaient précisément été dévoilés lors
de
l'examen du dossier de la procédure P/12983/99. Des explications
exhaustives
à ce sujet auraient été parfaitement inutiles pour l'autorité suisse
d'exécution, qui connaissait la documentation à transmettre. Les
prescriptions de forme des art. 14 CEEJ et 28 EIMP ont pour but de
protéger,
en première ligne, les intérêts de l'Etat requérant. En l'occurrence,
l'Office fédéral savait parfaitement à quoi s'en tenir au moment de
décider.
Quant aux recourantes, elle n'ont pu se méprendre sur la portée de la
demande
et de son complément, notamment lorsqu'elles ont été invitées à se
prononcer
sur une éventuelle remise simplifiée de la documentation saisie.

3.
Les recourantes reprochent à l'Office fédéral de ne pas leur avoir
notifié
immédiatement sa décision d'entrée en matière et d'avoir communiqué
celle-ci
à l'autorité requérante.

3.1 Le droit du particulier de recevoir la décision qui le concerne
découle
de son droit d'être entendu (ATF 124 II 124 consid. 2a p. 127; 107 Ib
170
consid. 3 p. 175/176, et les arrêts cités). En application de ce
principe,
l'autorité d'exécution notifie ses décisions à l'ayant droit résidant
à
l'étranger qui a élu domicile en Suisse (art. 80m al. 1 let. b EIMP).
La décision du 20 août 2002 confie au Juge d'instruction la tâche de
procéder,
avec l'aide d'un représentant de l'autorité de poursuite
étrangère,
au tri des pièces contenues dans le dossier de la procédure pénale
interne,
en vue de repérer celles qui présenteraient un lien avec les faits
décrits
dans la demande d'entraide. Compte tenu de ce que le cercle des
personnes
touchées par l'exécution de cette tâche était indéterminé, l'Office
fédéral a
décidé de différer la notification de la décision d'entrée et d'y
procéder
conjointement avec la décision de clôture.
Lorsque l'objet des mesures requises est défini de manière aussi
générale
qu'en l'espèce, l'autorité d'exécution n'est pas en mesure de désigner
exactement à l'avance les personnes touchées. Il n'était de surcroît
guère
envisageable de notifier la décision d'entrée en matière aux
nombreuses
personnes (physiques et morales) parties à la procédure P/12983/99.
De ce
point de vue, le choix opéré par l'Office fédéral paraît raisonnable.

R. ________ objecte toutefois qu'elle est citée nommément dans la
demande du
11 juillet 2002. L'Office fédéral connaissait son implication dans les
péripéties précédentes de l'affaire Abacha en Suisse, où elle avait
élu
domicile auprès de son mandataire genevois. Sachant cela, l'Office
fédéral
aurait dû lui notifier sa décision du 20 août 2002. Cet argument, non
dénué
de poids, n'est cependant pas déterminant. Le 21 août 2002, l'Office
fédéral
a pris la précaution de prévenir tout risque d'utilisation
intempestive des
renseignements obtenus par le Procureur Carl lors du tri des pièces
effectué
avec le concours du Juge d'instruction. Il convient de considérer en
outre
que si des tiers avaient été touchés, il aurait fallu procéder à
plusieurs
notifications espacées dans le temps, ce qui aurait pu créer des
incertitudes
et nuire à la sécurité du droit. Quoi qu'il en soit, la solution
retenue par
l'Office fédéral, critiquable, n'a de toute manière pas porté à
conséquence,
puisqu'aucune information n'a été divulguée prématurément, ni
R.________
empêchée d'agir.
Les autres recourantes ne sauraient reprocher à l'Office fédéral de
ne pas
leur avoir notifié la décision d'entrée en matière, puisqu'au moment
du
prononcé de celle-ci, leur implication dans l'exécution de la demande
n'était
pas encore connue.

3.2 Hormis des exceptions non réalisées en l'espèce, l'Etat requérant
n'est
pas partie à la procédure d'entraide. Il n'a pas à recevoir les
décisions
rendues par les autorités d'exécution et de recours (cf. l'arrêt
1A.43/2003
consid. 3.2). L'Office fédéral a méconnu cette règle en communiquant
sa
décision du 20 août 2002 à l'autorité requérante, défaut qu'il devra
corriger
pour ce qui concerne la notification de la décision de clôture, une
fois
celle-ci entrée en force. Cela étant, les recourantes ne peuvent pas
prétendre avoir subi un quelconque préjudice à cet égard. La décision
du 20
août 2002 ne renferme rien que les autorités allemandes ne savaient
déjà au
moment où elles l'ont reçue.

4.
Les recourantes prétendent que la condition de la double
incrimination ne
serait pas remplie.

4.1 Selon l'art. 5 al. 1 let. a CEEJ, applicable en vertu de la
réserve émise
par la Suisse, l'exécution d'une commission rogatoire aux fins de
perquisition ou de saisie d'objets est subordonnée à la condition que
l'infraction poursuivie dans l'Etat requérant soit punissable selon
la loi de
cet Etat et de la Partie requise. L'examen de la punissabilité selon
le droit
suisse comprend, par analogie avec l'art. 35 al. 2 EIMP applicable en
matière
d'extradition, les éléments constitutifs objectifs de l'infraction, à
l'exclusion des conditions particulières du droit suisse en matière de
culpabilité et de répression (ATF 124 II 184 consid. 4b p. 186-188;
122 II
422 consid. 2a p. 424; 118 Ib 448 consid. 3a p. 451, et les arrêts
cités). Il
n'est ainsi pas nécessaire que les faits incriminés revêtent, dans
les deux
législations concernées, la même qualification juridique, qu'ils
soient
soumis aux mêmes conditions de punissabilité ou passibles de peines
équivalentes; il suffit qu'ils soient réprimés dans les deux Etats
comme des
délits donnant lieu ordinairement à la coopération internationale
(ATF 124 II
184 consid. 4b/cc p. 188; 117 Ib 337 consid. 4a p. 342; 112 Ib 225
consid. 3c
p. 230 et les arrêts cités). En règle générale, l'Etat requis ne peut
se
prononcer sur la réalité des faits qui y sont invoqués, mais
seulement en
vérifier la punissabilité. Des preuves ne sont pas nécessaires et il
n'est
pas toujours possible d'exiger de l'Etat requérant un exposé
absolument
complet des faits; la collaboration internationale de la Suisse ne
peut être
refusée que si la demande présente des erreurs, des lacunes ou des
contradictions manifestes (ATF 118 Ib 111 consid. 5b p. 121/122; 117
Ib 64
consid. 5c p. 88, et les arrêts cités).

4.2 Selon l'exposé des faits présenté à l'appui de la demande du 11
juillet
2002, les prévenus auraient, sous couvert de contre-prestations
fictives qui
ont fait l'objet de fausses factures, reversé à Abacha et ses proches
des
montants importants payés par N.________ pour l'exécution du contrat
conclu
le 17 octobre 1989. En cela, ils auraient aidé Abacha à commettre des
abus de
confiance au détriment de N.________.
Pour l'Office fédéral, ces faits seraient assimilables aux chefs
d'acceptation d'avantage (art. 322sexies CP) et de corruption active
d'agents
publics étrangers (art. 322septies CP). Cette dernière disposition sur
laquelle se fonde la réponse du 27 octobre 2003, a la teneur suivante:
"Celui qui aura offert, promis ou octroyé un avantage indu à une
personne
agissant pour un Etat étranger ou une organisation internationale en
tant que
membre d'une autorité judiciaire ou autre, en tant que fonctionnaire,
en tant
qu'expert, traducteur ou interprète commis par une autorité, ou en
tant
qu'arbitre ou militaire, en faveur de cette personne ou d'un tiers,
pour
l'exécution ou l'omission d'un acte en relation avec son activité
officielle
et qui soit contraire à ses devoirs ou dépende de son pouvoir
d'appréciation,
sera puni de la réclusion pour cinq ans ou plus ou de
l'emprisonnement".
L'Office fédéral semble considérer que les prévenus auraient versé des
pots-de-vin à Abacha et ses complices, en échange de la poursuite du
projet
qui a donné lieu au contrat du 17 octobre 1989. Sous l'angle de l'art.
322septies CP, cette conception soulève un certain nombre de
difficultés. Les
actes reprochés à Abacha n'ont pas été commis directement dans
l'exercice de
ses fonctions officielles de chef d'Etat. Il ressort en effet de la
demande
d'entraide que celui-ci serait intervenu dans la conduite des
affaires de
N.________ comme entreprise privée dont la majorité du capital est
détenu par
la République fédérale. Si l'on peut encore à la rigueur admettre
qu'à ce
titre le rôle d'Abacha est assimilable à celui d'un agent public
étranger, il
est douteux en revanche que son action dans la gestion de N.________
entrait
dans le cadre de ses fonctions officielles. A cela s'ajoute que les
prévenus
n'ont pas spontanément offert, promis ou octroyé à Abacha un avantage
indu au
sens de l'art. 322septies CP. Ils ont agi en faveur d'Abacha, mais à
sa
demande. Cela aurait consisté pour eux à présenter de fausses
factures se
rapportant à des prestations fictives, en obtenir le paiement par
N.________,
pour reverser ensuite les montants à des personnes morales dominées
par
Abacha. Un tel comportement paraît difficilement assimilable au délit
réprimé
par l'art. 322septies CP.
Cette question souffre toutefois de rester indécise, car la condition
de la
double incrimination est de toute manière réalisée au regard de
l'art. 158 CP
réprimant la gestion déloyale.

4.3 Il ne fait guère de doute qu'au regard de la situation prévalant
au
Nigeria sous le gouvernement d'Abacha, celui-ci disposait des moyens
d'interférer dans la gestion des entreprises publiques et, comme en
l'espèce,
semi-publiques. Il détenait ainsi sur les biens de N.________ un
pouvoir de
disposition effectif (cf. ATF 123 IV 17 consid. 3b; 120 IV 190
consid. 2b p.
192/193; 118 IV 244 consid. 2b p. 246/247). En faisant dépendre la
bonne
exécution du contrat du 17 octobre 1989 du versement en sa faveur de
pots-de-vin, Abacha est intervenu dans la gestion de N.________ au
détriment
des intérêts de celle-ci, en violation de son devoir de fidélité (cf.
ATF 120
IV 190 consid. 2b p. 193). Il est en effet présupposé que le montant
des
versements effectués par N.________ à F.________ au profit d'Abacha
et de ses
complices a ou bien été compris dans le prix convenu de 2,4 milliards
DEM ou
bien, plus vraisemblablement, ajouté à celui-ci, lésant ainsi, dans
un cas
comme dans l'autre, le patrimoine de N.________. Abacha a pu faire
pression
sur les dirigeants de F.________ parce qu'il disposait des moyens de
suspendre ou de retarder l'exécution du contrat, voire amener
N.________ à
s'en départir. Peu importe qu'Abacha ait agi en vertu de la loi, d'un
mandat
officiel ou d'un acte juridique, puisque le gérant d'affaires sans
mandat
tombe aussi sous le coup de la gestion déloyale selon l'art. 158 ch.
1 al. 2
CP. C'est d'ailleurs sur un terrain analogue que se sont placées les
autorités de l'Etat étranger en ouvrant l'action pénale du chef
d'"Untreue"
au sens de l'art. 266 dStGB, incrimination correspondant à celle de
gestion
déloyale au sens de l'art. 158 CP (ATF 104 Ia 49 consid. 3 p. 52/53;
cf.
aussi l'arrêt 1A.84/1991 du 27 octobre 1993, consid. 2b/cc).

5.
Les recourantes se plaignent de la violation du principe de la
proportionnalité.

5.1 Ne sont admissibles, au regard des art. 3 CEEJ et 64 EIMP, que les
mesures de contrainte conformes au principe de la proportionnalité.
L'entraide ne peut être accordée que dans la mesure nécessaire à la
découverte de la vérité recherchée par les autorités pénales de l'Etat
requérant. La question de savoir si les renseignements demandés sont
nécessaires ou simplement utiles à la procédure pénale instruite dans
l'Etat
requérant est en principe laissée à l'appréciation des autorités de
poursuite. L'Etat requis ne disposant généralement pas des moyens lui
permettant de se prononcer sur l'opportunité de l'administration des
preuves
déterminées au cours de l'instruction menée à l'étranger, il ne
saurait sur
ce point substituer sa propre appréciation à celle du magistrat
chargé de
l'instruction. La coopération internationale ne peut être refusée que
si les
actes requis sont sans rapport avec l'infraction poursuivie et
manifestement
impropres à faire progresser l'enquête, de sorte que la demande
apparaît
comme le prétexte à une recherche indéterminée de moyens de preuve
(ATF 122
II 367 consid. 2c p. 371; 121 II 241 consid. 3a p. 242/243; 120 Ib 251
consid. 5c p. 255). Lorsque la demande vise à éclaircir le
cheminement de
fonds d'origine délictueuse, il convient d'informer l'Etat requérant
de
toutes les transactions opérées au nom des sociétés et des comptes
impliqués
dans l'affaire (ATF 121 II 241 consid. 3c p. 244).

5.2 Dans un premier moyen, les recourantes reprochent à l'Office
fédéral de
n'avoir pas procédé au tri des pièces à transmettre.
Pour effectuer le tri des documents et informations recueillis,
l'autorité
d'exécution s'appuie sur le détenteur (ATF 127 II 151 consid. 4c/aa p.
155/156; 126 II 258 consid. 9b/aa p. 262). Il incombe à celui-ci, qui
connaît
le contenu des documents saisis, d'indiquer à l'autorité d'exécution
les
pièces qu'il n'y aurait pas lieu de transmettre, ainsi que les motifs
précis
qui commanderaient d'agir de la sorte (ATF 126 II 258 consid. 9c p.
264). Il
ne lui suffit pas d'affirmer péremptoirement qu'une pièce est sans
rapport
avec l'affaire; une telle assertion doit être étayée avec soin (ATF
126 II
258 consid. 9c p. 264). Est incompatible avec le principe de la bonne
foi le
procédé consistant à abandonner le tri des pièces à l'autorité
d'exécution,
sans lui prêter son concours, pour lui reprocher après coup d'avoir
méconnu
le principe de la proportionnalité (ATF 126 II 258 consid. 9b/aa p.
262). Le
droit d'être entendu se dédouble ainsi en un devoir de coopération,
dont
l'inobservation est punie par le fait que le détenteur ne peut plus
soulever
devant l'autorité de recours les arguments qu'il aurait négligé de
soumettre
à l'autorité d'exécution (ATF 126 II 258 consid. 9b p. 262-264).
Le 8 juillet 2003, l'Office fédéral a demandé aux recourantes de se
déterminer sur une éventuelle remise simplifiée des documents les
concernant,
ce qu'elles ont refusé. Contrairement à ce que soutient l'Office
fédéral, les
recourantes n'avaient pas à supposer qu'elles étaient invitées,
simultanément
et de manière implicite, à se prononcer sur le tri des pièces.
L'Office
fédéral aurait dû adresser aux recourantes une injonction précise à
ce sujet,
avec l'avertissement qu'à défaut de prise de position dans le délai
prescrit,
il procéderait seul à ce tri. Le vice affectant la procédure peut
cependant
être considéré comme réparé, car les recourantes s'opposent
uniquement à la
transmission des pièces antérieures au 14 janvier 1997, grief qui
doit de
toute manière être écarté (consid. 5.4 ci-dessous).

5.3 Dans un deuxième moyen, les recourantes s'en prennent à la
décision
d'entrée en matière, en tant qu'elle a autorisé la présence d'un
représentant
de l'Etat requérant lors du tri des pièces. Or, l'art. 65a al. 2

prévoit
expressément une telle participation, lorsqu'elle est de nature à
faciliter
l'exécution de la demande. Tel était bien le cas en l'espèce. Dès
lors que
des fonds d'origine suspecte avaient été acheminés sur les comptes des
recourantes, les autorités allemandes avaient un intérêt manifeste à
prendre
connaissance de la documentation y relative. Cela justifiait
d'autoriser un
représentant de l'autorité de poursuite étrangère à participer à
l'exécution
des mesures requises. Pour le surplus, l'affirmation selon laquelle
les
autorités d'exécution auraient abandonné le tri des pièces au
représentant de
l'Etat requérant est gratuite. Le Procureur Carl a assisté à l'examen
du
dossier de la procédure P/12983/99 sous la direction du Juge
d'instruction.
L'Office fédéral comme autorité d'exécution a eu l'occasion de
vérifier le
contenu des pièces triées avant d'ordonner leur transmission à l'Etat
requérant.

5.4 Les recourantes font valoir qu'il n'y aurait pas lieu de
transmettre les
pièces antérieures au 14 janvier 1997, puisque tous les délits commis
avant
cette date seraient prescrits.
Supposé recevable, ce troisième moyen devrait être écarté. Selon la
demande,
F.________ a effectué des versements suspects entre le 17 novembre
1994 et le
9 juin 1998. Le compte n°3 a été ouvert le 12 janvier 1998, le compte
n°4 le
9 août 1996. Indépendamment du délai de prescription, les autorités
allemandes doivent examiner tous les mouvements de fonds opérés sur
le compte
pendant la période critique (soit en l'occurrence, celle allant du 18
septembre 1996 au 9 juin 1998), pour prouver les virements litigieux.
Il leur
est aussi nécessaire de connaître les mouvements postérieurs au 9
juin 1998,
afin de déterminer le sort ultérieur des fonds. L'intégralité de la
documentation saisie doit partant être remise.

6.
Le recours doit ainsi être rejeté. Les frais en sont mis à la charge
des
recourantes (art. 156 OJ). Il n'est pas alloué de dépens (art. 159
OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 5000 fr. est mis à la charge des
recourantes.

3.
Il n'est pas alloué de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des
recourantes et à
l'Office fédéral de la justice (B 114025).

Lausanne, le 5 décembre 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.214/2003
Date de la décision : 05/12/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-12-05;1a.214.2003 ?
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