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05/12/2003 | SUISSE | N°1A.213/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 05 décembre 2003, 1A.213/2003


{T 0/2}
1A.213/2003 /col

Arrêt du 5 décembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Reeb et Féraud.
Greffier: M. Zimmermann.

R. ________,
recourante, représentée par Me Bruno de Preux, avocat,

contre

Office fédéral de la justice, Division des affaires internationales,
Section
de l'entraide judiciaire internationale, Bundesrain 20, 3003 Berne.

entraide judiciaire internationale en matière pénale
à l'Allema

gne,

recours de droit administratif contre les décisions
de l'Office fédéral de la justice des 20 août 2002 et
2...

{T 0/2}
1A.213/2003 /col

Arrêt du 5 décembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Reeb et Féraud.
Greffier: M. Zimmermann.

R. ________,
recourante, représentée par Me Bruno de Preux, avocat,

contre

Office fédéral de la justice, Division des affaires internationales,
Section
de l'entraide judiciaire internationale, Bundesrain 20, 3003 Berne.

entraide judiciaire internationale en matière pénale
à l'Allemagne,

recours de droit administratif contre les décisions
de l'Office fédéral de la justice des 20 août 2002 et
27 août 2003.

Faits:

A.
La République fédérale du Nigeria (ci-après: la République fédérale) a
demandé l'entraide judiciaire à la Suisse pour les besoins de
l'enquête
ouverte au Nigeria au sujet des détournements de fonds publics dont se
seraient rendus coupables feu Sani Abacha, chef de l'Etat de novembre
1993 à
novembre 1998, ainsi que ses proches.
Parallèlement, le Procureur général du canton de Genève a, dans le
même
complexe de faits, ordonné l'ouverture d'une information pénale des
chefs
d'organisation criminelle (art. 260ter CP) et de blanchiment d'argent
(art.
305bis CP). Dans le cadre de cette procédure (désignée sous la
rubrique
P/12983/99), le Juge d'instruction a fait saisir auprès de la banque
W.________ la documentation relative au compte n°xxx ouvert le 18
septembre
1996 et clos le 23 juin 1998 par la société nigériane R.________. Les
ressortissants nigérians A.________ et B.________ étaient les ayants
droit de
ce compte, sur lequel le ressortissant allemand d'origine nigériane
U.________ détenait une procuration.

B.
Le 11 juillet 2002, le Procureur général ("Leitender
Oberstaatsanwalt") de
Bochum a adressé à l'Office fédéral de la justice (ci-après: l'Office
fédéral) une demande d'entraide fondée sur la Convention européenne
d'entraide judiciaire en matière pénale (CEEJ; RS 0.351.1), entrée en
vigueur
le 1er janvier 1977 pour l'Allemagne et le 20 mars 1967 pour la
Suisse, ainsi
que sur l'accord bilatéral complétant cette Convention, entré en
vigueur le
1er janvier 1977 (l'Accord complémentaire; RS 0.351.913.61). La
demande était
présentée pour les besoins de la procédure ouverte contre les
ressortissants
allemands M.________, L.________, E.________, U.________ et
D.________,
soupçonnés de complicité d'abus de confiance ("Beihilfe zur Untreue")
au sens
de l'art. 266 du Code pénal allemand (dStGB), en relation avec l'art.
27 de
la même loi. Ces délits auraient été commis en relation avec des
paiements
effectués par la société F.________, en faveur de ressortissants
nigérians.
M.________ et L.________ faisaient partie de la direction de
F.________, dont
l'une des sociétés sous-traitante était dirigée par E.________. Le 17
octobre
1989, la société nigériane N.________, dont la République fédérale
détient
70% du capital, avait conclu avec F.________ un contrat portant sur la
construction d'une usine de fabrication de l'aluminium au Nigeria,
pour un
prix de 2,4 milliards DEM. Après son accession au pouvoir, Sani
Abacha aurait
exigé de profiter de la réalisation du projet. Entre le 17 novembre
1994 et
le 9 juin 1998, F.________ aurait versé un montant total de
747'950'000 DEM à
diverses sociétés et fondations contrôlées par Abacha et ses proches,
sous le
couvert de prestations fictives attestées par de fausses factures.
Une partie
de ces fonds aurait été virée sur le compte ouvert par R.________
auprès de
la banque W.________. Les autorités allemandes soupçonnent les
prévenus
d'avoir aidé Abacha et ses proches à commettre des abus de confiance
au
détriment de N.________ et de la République fédérale. La demande
tendait à la
remise de la documentation utile pour l'enquête que détiendrait le
Juge
d'instruction genevois, ainsi qu'à la consultation de son dossier par
un
membre du Parquet de Bochum.
Le 20 août 2002, l'Office fédéral a rendu une décision d'entrée en
matière au
sens de l'art. 80a de la loi fédérale sur l'entraide internationale en
matière pénale, du 20 mars 1981 (EIMP; RS 351.1). Il a chargé le Juge
d'instruction de procéder au tri des pièces se trouvant en sa
possession, qui
pourraient être utiles à la procédure ouverte dans l'Etat requérant,
en
présence d'Ekkehart Carl, Procureur auprès du Parquet de Bochum. Cette
décision a été notifiée au Juge d'instruction uniquement. Elle a été
communiquée pour information au Procureur général de Bochum.
Le 21 août 2002, l'Office fédéral a requis le Procureur Carl de lui
confirmer
qu'il n'établirait pas de copie des documents triés, et qu'aucune
utilisation
n'en serait faite avant l'entrée en force d'une décision de clôture
de la
procédure d'entraide. Le 23 août 2002, ces assurances ont été données.
Parmi les documents jugés utiles à la procédure allemande figurent les
pièces, relatives au compte n°xxx, versées au dossier de la procédure
P/12983/99 (classeur n°82), dont l'autorité requérante a demandé la
remise,
le 23 septembre 2002.
Le 8 juillet 2003, l'Office fédéral a notifié au mandataire de
R.________ sa
décision du 20 août 2002 et l'a invité à se déterminer sur une
éventuelle
remise simplifiée, au sens de l'art. 80c EIMP, du classeur n°82, ce à
quoi
R.________ s'est opposée, le 4 août 2003.
Le 27 août 2003, l'Office fédéral a rendu une décision de clôture
selon
l'art. 80d EIMP, portant sur la transmission du classeur n°82.

C.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, R.________
demande
principalement au Tribunal fédéral d'annuler les décisions des 27
août 2003
et 20 août 2002. A titre subsidiaire, elle conclut au renvoi de la
cause à
l'Office fédéral avec l'injonction de procéder, avec elle, au tri des
pièces
du classeur n°82. Elle invoque les art. 9 et 29 al. 2 Cst., 3 et 5
al. 1 let.
a CEEJ, 64 et 80m al. 1 EIMP, ainsi que l'art. 9 de l'ordonnance
d'exécution
de l'EIMP (OEIMP; RS 351.11).
L'Office fédéral propose le rejet du recours dans la mesure de sa
recevabilité.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Les dispositions de la CEEJ et de l'Accord complémentaire
l'emportent sur
le droit autonome qui régit la matière, soit en l'occurrence l'EIMP et
l'OEIMP. Celles-ci restent applicables aux questions non réglées,
explicitement ou implicitement, par le droit conventionnel, et
lorsqu'elles
sont plus favorables à l'entraide (ATF 123 II 134 consid. 1a p. 136;
122 II
140 consid. 2 p. 142; 120 Ib 120 consid. 1a p. 122/123, 189 consid.
2a p.
191/192, et les arrêts cités). Le respect des droits fondamentaux est
réservé
(ATF 123 II 595 consid. 7c p. 617).

1.2 La décision ordonnant la transmission de la documentation
bancaire à
l'Etat requérant est attaquable par la voie du recours de droit
administratif
(cf. art. 25 al. 1 EIMP), qui est ouverte, simultanément contre la
décision
de clôture et les décisions incidentes antérieures (ATF 125 II 356
consid. 5c
p. 363).

1.3 Les conclusions qui vont au-delà de l'annulation de la décision
sont
recevables (art. 25 al. 6 EIMP; art. 114 OJ; ATF 122 II 373 consid.
1c p.
375; 118 Ib 269 consid. 2e p. 275; 117 Ib 51 consid. 1b p. 56, et les
arrêts
cités). Le Tribunal fédéral examine librement si les conditions pour
accorder
l'entraide sont remplies et dans quelle mesure la coopération
internationale
doit être prêtée (ATF 123 II 134 consid. 1d p. 136/137; 118 Ib 269
consid. 2e
p. 275).

1.4 Selon l'art. 80h let. b EIMP, mis en relation avec l'art. 9a let.
a
OEIMP, la recourante a qualité pour agir contre la transmission de la
documentation relative au compte n°xxx dont elle est titulaire (ATF
127 II
198 consid 2d p. 205; 126 II 258 consid. 2d/aa p. 260; 125 II 356
consid.
3b/bb p. 362, et les arrêts cités).

1.5 Dans les domaines qui, comme en l'espèce, relèvent de la
juridiction
administrative fédérale, comme la coopération judiciaire en matière
pénale,
le recours de droit administratif permet aussi de soulever le grief
de la
violation des droits constitutionnels, en relation avec l'application
du
droit fédéral (ATF 124 II 132 consid. 2a p. 137, et les arrêts cités).

2.
La recourante reproche à l'Office fédéral de ne pas lui avoir notifié
immédiatement sa décision d'entrée en matière et d'avoir communiqué
celle-ci
à l'autorité requérante.

2.1 Le droit du particulier de recevoir la décision qui le concerne
découle
de son droit d'être entendu (ATF 124 II 124 consid. 2a p. 127; 107 Ib
170
consid. 3 p. 175/176, et les arrêts cités). En application de ce
principe,
l'autorité d'exécution notifie ses décisions à l'ayant droit résidant
à
l'étranger qui a élu domicile en Suisse (art. 80m al. 1 let. b EIMP).
La décision du 20 août 2002 confie au Juge d'instruction la tâche de
procéder, avec l'aide d'un représentant de l'autorité de poursuite
étrangère,
au tri des pièces contenues dans le dossier de la procédure pénale
interne,
en vue de repérer celles qui présenteraient un lien avec les faits
décrits
dans la demande d'entraide. Compte tenu de ce que le cercle des
personnes
touchées par l'exécution de cette tâche était indéterminé, l'Office
fédéral a
décidé de différer la notification de la décision d'entrée et d'y
procéder
conjointement avec la décision de clôture.
Lorsque l'objet des mesures requises est défini de manière aussi
générale
qu'en l'espèce, l'autorité d'exécution n'est pas en mesure de désigner
exactement à l'avance les personnes touchées. Il n'était de surcroît
guère
envisageable de notifier la décision d'entrée en matière aux
nombreuses
personnes (physiques et morales) parties à la procédure P/12983/99.
De ce
point de vue, le choix opéré par l'Office fédéral paraît raisonnable.
La recourante objecte toutefois qu'elle est citée nommément dans la
demande
du 11 juillet 2002. L'Office fédéral connaissait son implication dans
les
péripéties précédentes de l'affaire Abacha en Suisse, où elle avait
élu
domicile auprès de son mandataire genevois. Sachant cela, l'Office
fédéral
aurait dû lui notifier sa décision du 20 août 2002. Cet argument, non
dénué
de poids, n'est cependant pas déterminant. Le 21 août 2002, l'Office
fédéral
a pris la précaution de prévenir tout risque d'utilisation
intempestive des
renseignements obtenus par le Procureur Carl lors du tri des pièces
effectué
avec le concours du Juge d'instruction. Il convient de considérer en
outre
que si des tiers avaient été touchés, il aurait fallu procéder à
plusieurs
notifications espacées dans le temps, ce qui aurait pu créer des
incertitudes
et nuire à la sécurité du droit. Quoi qu'il en soit, la solution
retenue par
l'Office fédéral, même critiquable, n'a de toute manière pas porté à
conséquence, puisqu'aucune information n'a été divulguée
prématurément, ni la
recourante empêchée d'agir.

2.2 Hormis des exceptions non réalisées en l'espèce, l'Etat requérant
n'est
pas partie à la procédure d'entraide. Il n'a pas à recevoir les
décisions
rendues par les autorités d'exécution et de recours (cf. l'arrêt
1A.43/2003,
consid. 3.2). L'Office fédéral a méconnu cette règle en communiquant
sa
décision du 20 août 2002 à l'autorité requérante, défaut qu'il devra
corriger
pour ce qui concerne la notification de la décision de clôture, une
fois
celle-ci entrée en force. Cela étant, la recourante ne peut pas
prétendre
avoir subi un quelconque préjudice à cet égard. La décision du 20
août 2002
ne renferme rien que les autorités allemandes ne savaient déjà au
moment où
elles l'ont reçue.

3.
La recourante soutient que la condition de la double incrimination ne
serait
pas remplie.

3.1 Selon l'art. 5 al. 1 let. a CEEJ, applicable en vertu de la
réserve émise
par la Suisse, l'exécution d'une commission rogatoire aux fins de
perquisition ou de saisie d'objets est subordonnée à la condition que
l'infraction poursuivie dans l'Etat requérant soit punissable selon
la loi de
cet Etat et de la Partie requise. L'examen de la punissabilité selon
le droit
suisse comprend, par analogie avec l'art. 35 al. 2 EIMP applicable en
matière
d'extradition, les éléments constitutifs objectifs de l'infraction, à
l'exclusion des conditions particulières du droit suisse en matière de
culpabilité et de répression (ATF 124 II 184 consid. 4b p. 186-188;
122 II
422 consid. 2a p. 424; 118 Ib 448 consid. 3a p. 451, et les arrêts
cités). Il
n'est ainsi pas nécessaire que les faits incriminés revêtent, dans
les deux
législations concernées, la même qualification juridique, qu'ils
soient
soumis aux mêmes conditions de punissabilité ou passibles de peines
équivalentes; il suffit qu'ils soient réprimés dans les deux Etats
comme des
délits donnant lieu ordinairement à la coopération internationale
(ATF 124 II
184 consid. 4b/cc p. 188; 117 Ib 337 consid. 4a p. 342; 112 Ib 225
consid. 3c
p. 230 et les arrêts cités). En règle générale, l'Etat requis ne peut
se
prononcer sur la réalité des faits qui y sont invoqués, mais
seulement en
vérifier la punissabilité. Des preuves ne sont pas nécessaires et il
n'est
pas toujours possible d'exiger de l'Etat requérant un exposé
absolument
complet des faits; la collaboration internationale de la Suisse ne
peut être
refusée que si la demande présente des erreurs, des lacunes ou des
contradictions manifestes (ATF 118 Ib 111 consid. 5b p. 121/122; 117
Ib 64
consid. 5c p. 88, et les arrêts cités).

3.2 Selon l'exposé des faits
présenté à l'appui de la demande du 11
juillet
2002, les prévenus auraient, sous couvert de contre-prestations
fictives qui
ont fait l'objet de fausses factures, reversé à Abacha et ses proches
des
montants importants payés par N.________ pour l'exécution du contrat
conclu
le 17 octobre 1989. En cela, ils auraient aidé Abacha à commettre des
abus de
confiance au détriment de N.________.
Pour l'Office fédéral, ces faits seraient assimilables aux chefs
d'acceptation d'avantage (art. 322sexies CP) et de corruption active
d'agents
publics étrangers (art. 322septies CP). Cette dernière disposition,
sur
laquelle se fonde la réponse du 27 octobre 2003, a la teneur suivante:
"Celui qui aura offert, promis ou octroyé un avantage indu à une
personne
agissant pour un Etat étranger ou une organisation internationale en
tant que
membre d'une autorité judiciaire ou autre, en tant que fonctionnaire,
en tant
qu'expert, traducteur ou interprète commis par une autorité, ou en
tant
qu'arbitre ou militaire, en faveur de cette personne ou d'un tiers,
pour
l'exécution ou l'omission d'un acte en relation avec son activité
officielle
et qui soit contraire à ses devoirs ou dépende de son pouvoir
d'appréciation,
sera puni de la réclusion pour cinq ans ou plus ou de
l'emprisonnement".
L'Office fédéral semble considérer que les prévenus auraient versé des
pots-de-vin à Abacha et ses complices, en échange de la poursuite du
projet
qui a donné lieu au contrat du 17 octobre 1989. Sous l'angle de l'art.
322septies CP, cette conception soulève un certain nombre de
difficultés. Les
actes reprochés à Abacha n'ont pas été commis directement dans
l'exercice de
ses fonctions officielles de chef d'Etat. Il ressort en effet de la
demande
d'entraide que celui-ci serait intervenu dans la conduite des
affaires de
N.________ comme entreprise privée dont la majorité du capital est
détenu par
la République fédérale. Si l'on peut encore à la rigueur admettre
qu'à ce
titre le rôle d'Abacha est assimilable à celui d'un agent public
étranger, il
est douteux en revanche que son action dans la gestion de N.________
entrait
dans le cadre de ses fonctions officielles. A cela s'ajoute que les
prévenus
n'ont pas spontanément offert, promis ou octroyé à Abacha un avantage
indu au
sens de l'art. 322septies CP. Ils ont agi en faveur d'Abacha, mais à
sa
demande. Cela aurait consisté pour eux à présenter de fausses
factures se
rapportant à des prestations fictives, en obtenir le paiement par
N.________,
pour reverser ensuite les montants à des personnes morales dominées
par
Abacha. Un tel comportement paraît difficilement assimilable au délit
réprimé
par l'art. 322septies CP.
Cette question souffre toutefois de rester indécise, car la condition
de la
double incrimination est de toute manière réalisée au regard de
l'art. 158 CP
réprimant la gestion déloyale.

3.3 Il ne fait guère de doute qu'au regard de la situation prévalant
au
Nigeria sous le gouvernement d'Abacha, celui-ci disposait des moyens
d'interférer dans la gestion des entreprises publiques et, comme en
l'espèce,
semi-publiques. Il détenait ainsi sur les biens de N.________ un
pouvoir de
disposition effectif (cf. ATF 123 IV 17 consid. 3b; 120 IV 190
consid. 2b p.
192/193; 118 IV 244 consid. 2b p. 246/247). En faisant dépendre la
bonne
exécution du contrat du 17 octobre 1989 du versement en sa faveur de
pots-de-vin, Abacha est intervenu dans la gestion de N.________ au
détriment
des intérêts de celle-ci, en violation de son devoir de fidélité (cf.
ATF 120
IV 190 consid. 2b p. 193). Il est en effet présupposé que le montant
des
versements effectués par N.________ à F.________ au profit d'Abacha
et de ses
complices a ou bien été compris dans le prix convenu de 2,4 milliards
DEM ou
bien, plus vraisemblablement, ajouté à celui-ci, lésant ainsi, dans
un cas
comme dans l'autre, le patrimoine de N.________. Abacha a pu faire
pression
sur les dirigeants de F.________ parce qu'il disposait des moyens de
suspendre ou de retarder l'exécution du contrat, voire amener
N.________ à
s'en départir. Peu importe qu'Abacha ait agi en vertu de la loi, d'un
mandat
officiel ou d'un acte juridique, puisque le gérant d'affaires sans
mandat
tombe aussi sous le coup de la gestion déloyale selon l'art. 158 ch.
1 al. 2
CP. C'est d'ailleurs sur un terrain analogue que se sont placées les
autorités de l'Etat étranger en ouvrant l'action pénale du chef
d'"Untreue"
au sens de l'art. 266 dStGB, incrimination correspondant à celle de
gestion
déloyale selon l'art. 158 CP (ATF 104 Ia 49 consid. 3 p. 52/53; cf.
aussi
l'arrêt 1A.84/1991 du 27 octobre 1993, consid. 2b/cc).

4.
Le recourante se plaint de la violation du principe de la
proportionnalité.

4.1 Ne sont admissibles, au regard des art. 3 CEEJ et 64 EIMP, que les
mesures de contrainte conformes au principe de la proportionnalité.
L'entraide ne peut être accordée que dans la mesure nécessaire à la
découverte de la vérité recherchée par les autorités pénales de l'Etat
requérant. La question de savoir si les renseignements demandés sont
nécessaires ou simplement utiles à la procédure pénale instruite dans
l'Etat
requérant est en principe laissée à l'appréciation des autorités de
poursuite. L'Etat requis ne disposant généralement pas des moyens lui
permettant de se prononcer sur l'opportunité de l'administration des
preuves
déterminées au cours de l'instruction menée à l'étranger, il ne
saurait sur
ce point substituer sa propre appréciation à celle du magistrat
chargé de
l'instruction. La coopération internationale ne peut être refusée que
si les
actes requis sont sans rapport avec l'infraction poursuivie et
manifestement
impropres à faire progresser l'enquête, de sorte que la demande
apparaît
comme le prétexte à une recherche indéterminée de moyens de preuve
(ATF 122
II 367 consid. 2c p. 371; 121 II 241 consid. 3a p. 242/243; 120 Ib 251
consid. 5c p. 255). Lorsque la demande vise à éclaircir le
cheminement de
fonds d'origine délictueuse, il convient d'informer l'Etat requérant
de
toutes les transactions opérées au nom des sociétés et des comptes
impliqués
dans l'affaire (ATF 121 II 241 consid. 3c p. 244).

4.2 Dans un premier moyen, la recourante reproche à l'Office fédéral
de
n'avoir pas procédé au tri des pièces à transmettre.
Pour effectuer le tri des documents et informations recueillis,
l'autorité
d'exécution s'appuie sur le détenteur (ATF 127 II 151 consid. 4c/aa p.
155/156; 126 II 258 consid. 9b/aa p. 262). Il incombe à celui-ci, qui
connaît
le contenu des documents saisis, d'indiquer à l'autorité d'exécution
les
pièces qu'il n'y aurait pas lieu de transmettre, ainsi que les motifs
précis
qui commanderaient d'agir de la sorte (ATF 126 II 258 consid. 9c p.
264). Il
ne lui suffit pas d'affirmer péremptoirement qu'une pièce est sans
rapport
avec l'affaire; une telle assertion doit être étayée avec soin (ATF
126 II
258 consid. 9c p. 264). Est incompatible avec le principe de la bonne
foi le
procédé consistant à abandonner le tri des pièces à l'autorité
d'exécution,
sans lui prêter son concours, pour lui reprocher après coup d'avoir
méconnu
le principe de la proportionnalité (ATF 126 II 258 consid. 9b/aa p.
262). Le
droit d'être entendu se dédouble ainsi en un devoir de coopération,
dont
l'inobservation est punie par le fait que le détenteur ne peut plus
soulever
devant l'autorité de recours les arguments qu'il aurait négligé de
soumettre
à l'autorité d'exécution (ATF 126 II 258 consid. 9b p. 262-264).
Le 8 juillet 2003, l'Office fédéral a demandé à la recourante de se
déterminer sur une éventuelle remise simplifiée des documents
contenus dans
le classeur n°82, ce qu'elle a refusé. Contrairement à ce que soutient
l'Office fédéral, la recourante n'avait pas à supposer qu'elle était
invitée,
simultanément et de manière implicite, à se prononcer sur le tri des
pièces.
L'Office fédéral aurait dû adresser à la recourante une injonction
précise à
ce sujet, avec l'avertissement qu'à défaut de prise de position dans
le délai
prescrit, il procéderait seul à ce tri. Le vice affectant la
procédure peut
cependant être considéré comme réparé, car la recourante s'oppose
uniquement
à la transmission des pièces antérieures au 14 janvier 1997, grief
qui doit
de toute manière être écarté (consid. 4.4 ci-dessous).

4.3 Dans un deuxième moyen, la recourante s'en prend à la décision
d'entrée
en matière, en tant qu'elle a autorisé la présence d'un représentant
de
l'Etat requérant lors du tri des pièces. Or, l'art. 65a al. 2 prévoit
expressément une telle participation, lorsqu'elle est de nature à
faciliter
l'exécution de la demande. Tel était bien le cas en l'espèce. Dès
lors que
des fonds d'origine suspecte avaient été acheminés sur le compte
n°xxx, les
autorités allemandes avaient un intérêt manifeste à prendre
connaissance de
la documentation y relative. Cela justifiait d'autoriser un
représentant de
l'autorité de poursuite étrangère à participer à l'exécution des
mesures
requises. Pour le surplus, l'affirmation selon laquelle les autorités
d'exécution auraient abandonné le tri des pièces au représentant de
l'Etat
requérant est gratuite. Le Procureur Carl a assisté à l'examen du
dossier de
la procédure P/12983/99 sous la direction du Juge d'instruction.
L'Office
fédéral comme autorité d'exécution a eu l'occasion de vérifier le
contenu des
pièces triées avant d'ordonner leur transmission à l'Etat requérant.

4.4 La recourante fait valoir qu'il n'y aurait pas lieu de
transmettre les
pièces antérieures au 14 janvier 1997, puisque tous les délits commis
avant
cette date seraient prescrits.
Supposé recevable, ce troisième moyen devrait être écarté. Selon la
demande,
F.________ a effectué des versements suspects entre le 17 novembre
1994 et le
9 juin 1998. Le compte n°xxx a été ouvert le 18 septembre 1996 pour
être clos
le 23 juin 1998. Indépendamment du délai de prescription, les
autorités
allemandes doivent examiner tous les mouvements de fonds opérés sur
le compte
pendant la période critique (soit en l'occurrence, celle allant du 18
septembre 1996 au 9 juin 1998), pour prouver les virements litigieux.
Il leur
est aussi nécessaire de connaître les mouvements effectués entre le 9
et le
23 juin 1998, afin de déterminer le sort ultérieur des fonds.
L'intégralité
de la documentation saisie doit partant être remise.

5.
Le recours doit ainsi être rejeté. Les frais en sont mis à la charge
de la
recourante (art. 156 OJ). Il n'est pas alloué de dépens (art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 5000 fr. est mis à la charge de la
recourante.

3.
Il n'est pas alloué de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la
recourante et à
l'Office fédéral de la justice (B 114025).

Lausanne, le 5 décembre 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.213/2003
Date de la décision : 05/12/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-12-05;1a.213.2003 ?
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