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04/12/2003 | SUISSE | N°5C.174/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 04 décembre 2003, 5C.174/2003


{T 0/2}
5C.174/2003 /frs

Séance du 4 décembre 2003
IIe Cour civile

M. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Nordmann et Escher.
Greffière: Mme Mairot.

X. ________,
demandeur et recourant, représenté par Me Pierre Martin-Achard,
avocat,

contre

Y.________, Société Suisse d'assurances sur la vie,
défenderesse et intimée, représentée par Me Michel Bergmann, avocat,

Contrat d'assurance,

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de
justice
du

canton de Genève du 13 juin 2003.
Faits:

A.
X. ________, né en 1963, a travaillé auprès de Y.________ de 1984 à
1989; ...

{T 0/2}
5C.174/2003 /frs

Séance du 4 décembre 2003
IIe Cour civile

M. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Nordmann et Escher.
Greffière: Mme Mairot.

X. ________,
demandeur et recourant, représenté par Me Pierre Martin-Achard,
avocat,

contre

Y.________, Société Suisse d'assurances sur la vie,
défenderesse et intimée, représentée par Me Michel Bergmann, avocat,

Contrat d'assurance,

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de
justice
du canton de Genève du 13 juin 2003.
Faits:

A.
X. ________, né en 1963, a travaillé auprès de Y.________ de 1984 à
1989; il
a ensuite créé sa propre société dans le domaine de l'horlogerie,
société
qu'il a développée avec succès jusqu'en 1996. Pendant toute cette
période,
ses collègues, supérieurs et relations professionnelles n'ont jamais
remarqué
chez lui de signes de consommation d'alcool ou de tabagisme excessifs.
Le 2 mars 1989, X.________ a conclu auprès de son ancien employeur
une police
d'assurance sur la vie n° 11111 (ci-après: police n° 1), qui prévoyait
notamment des indemnités pour incapacité de gain allant en
décroissant.
En décembre 1993, il a contracté auprès du même assureur une seconde
police
n° 22222 (ci-après: police n° 2), dont les prestations en cas
d'incapacité de
gain consistaient en une rente annuelle de 48'000 fr. jusqu'au 30
novembre
2023, avec un délai d'attente de trois mois. En vue de la conclusion
de cette
police d'assurance, Y.________ a requis un rapport médical, qui a été
établi
le 20 décembre 1993 par le Dr M.________, médecin traitant de
l'assuré.

A.a Le 8 juin 1996, X.________ a été hospitalisé en urgence à la
clinique de
Belle-Idée, à Genève, en raison d'un état dépressif et d'une
alcoolisation
aiguë survenue le 1er juin 1996. Le rapport médical établi le 27 juin
1996
par l'Hôpital cantonal de Genève, lors du premier séjour de
l'intéressé dans
cet établissement, fait état d'une consommation excessive d'alcool
qui a été
en augmentant depuis 1992, ensuite du suicide de son amie; ce rapport
précise
que le patient est resté abstinent par périodes de deux à trois mois
et que
des difficultés professionnelles, ainsi qu'un état dépressif
important, ont
entraîné une absorption massive d'alcool ayant justifié par la suite
une
hospitalisation. Souffrant en outre de graves troubles mentaux
diagnostiqués
lors de ses nombreux séjours dans le département de psychiatrie de
l'Hôpital
cantonal de Genève entre 1996 et 1998, X.________ a été depuis lors en
incapacité de travail totale.
De 1996 à 2000, Y.________ a versé à son assuré les prestations
prévues dans
les polices nos 1 et 2, soit environ 270'000 fr. de rente et bonus de
primes.
En août 1996, l'assurance a enquêté auprès du Dr M.________. Celui-ci
a
indiqué que les premiers symptômes de la maladie (état dépressif et
alcoolisme) étaient apparus le 1er juin 1996, précisant que
l'intéressé avait
"été déclaré incapable de se soumettre à la vie militaire en raison
d'un état
d'anxiété passager, aggravé par la prise d'alcool, en novembre 1991";
ce
médecin avait ainsi établi un certificat médical, le 25 novembre
1991, aux
fins d'exempter son patient d'un cours de répétition.
Fin 1999, début 2000, Y.________ a de nouveau enquêté sur le cas de
son
assuré auprès de l'Office cantonal AI et du Groupe des affaires
sanitaires de
l'armée. Le 17 juillet 2000, l'état-major général de l'armée a
transmis à
l'assurance le dossier médical de l'intéressé. Il en ressortait,
notamment,
que selon le certificat médical établi le 25 novembre 1991 par le Dr
M.________, son patient, sous traitement médicamenteux, était
"incapable de
se soumettre à la vie militaire" en raison d'un "état d'anxiété grave,
aggravé par un éthylisme chronique", et que le 2 décembre 1991, un
médecin du
groupe des affaires sanitaires avait diagnostiqué chez lui un "état
d'anxiété
grave, une dépression et une cardio-myopathie".
Le 26 juillet, puis le 7 août 2000, Y.________ a résolu les polices
nos 1 et
2 pour cause de réticence.

Le 29 mai 2001, elle a établi un décompte relatif aux montants
réclamés en
remboursement à l'assuré et a initié une poursuite à l'encontre de
celui-ci,
pour un montant de 272'484 fr.70.

B.
Le 18 septembre 2001, X.________ a demandé au Tribunal de première
instance
du canton de Genève de constater que Y.________ était toujours liée
par les
polices nos 1 et 2 et qu'elle n'était pas fondée à les dénoncer pour
cause de
réticence.
Par jugement rendu le 7 février 2002, cette autorité a déclaré que
Y.________
était toujours liée par la police d'assurance vie n° 1 conclue le 22
octobre
1990 et qu'elle n'était pas fondée à la dénoncer pour réticence.
Toutes
autres conclusions ont été rejetées.
Les deux parties ont appelé de ce jugement, qui a été confirmé par la
Cour de
justice du canton de Genève le 13 juin 2003. Au sujet de la police n°
2,
l'autorité cantonale a retenu, en substance, que X.________ avait
commis une
réticence en déclarant, en décembre 1993, ne boire que quelques verres
d'alcool par semaine alors qu'il souffrait, en 1991 déjà, d'un
alcoolisme
pathologique qui s'était aggravé en 1992, et en omettant de signaler
le
traitement médicamenteux massif qui, selon le certificat de son
médecin
traitant du 25 novembre 1991, lui avait alors été administré.

C.
C.aX.________ demande au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt du 13
juin
2003, en ce sens que l'assurance n'était pas fondée à dénoncer pour
réticence
les polices nos 1 et 2 et qu'elle est toujours liée par celles-ci.

La défenderesse propose le rejet du recours et la confirmation de
l'arrêt
entrepris.

C.b Dans sa séance de ce jour, la cour de céans a rejeté, dans la
mesure de
sa recevabilité, le recours de droit public déposé par le demandeur
contre le
même arrêt.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la
recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 129 I 173 consid. 1
p. 174;
129 II 222 consid. 1 p. 227; 128 I 46 consid. 1a p. 48 et les
références).

1.1 Formé en temps utile - compte tenu de la suspension des délais
prévue par
l'art. 34 al. 1 let. b OJ - contre une décision finale prise par
l'autorité
suprême du canton, le recours est recevable au regard des art. 48 al.
1 et 54
al. 1 OJ. Il l'est aussi sous l'angle de l'art. 46 OJ, la valeur
litigieuse
dépassant largement 8'000 fr.

1.2 Le Tribunal de première instance a notamment déclaré que
l'assurance
était toujours liée par la police n° 1 conclue le 22 octobre 1990 et
qu'elle
n'était pas fondée à la dénoncer pour réticence. La cour cantonale a
confirmé
le jugement sur ce point. Devant le Tribunal fédéral, le demandeur
n'a donc
aucun intérêt juridique à reprendre ses conclusions en ce sens, qui
sont
ainsi irrecevables.

2.
Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral fonde son arrêt
sur les
faits tels qu'ils ont été constatés par la dernière autorité
cantonale, à
moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été
violées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations reposant
sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter
les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu
compte
de faits pertinents, régulièrement allégués et prouvés (art. 64 OJ;
ATF 127
III 248 consid. 2c p. 252 et l'arrêt cité). En dehors de ces
exceptions, les
griefs dirigés contre les constatations de fait - ou l'appréciation
des
preuves à laquelle s'est livrée l'autorité cantonale (ATF 128 III 271
consid.
2b/aa p. 277; 127 III 543 consid. 2c p. 547) - et les faits nouveaux
sont
irrecevables (art. 55 al. 1 let. c OJ).

Dans la mesure où le recourant présente un état de fait qui s'écarte
de celui
contenu dans la décision entreprise sans se prévaloir pour autant de
l'une
des exceptions susmentionnées, son recours est dès lors irrecevable.
Tel est
notamment le cas de ses allégations concernant l'évolution du chiffre
d'affaires de son entreprise entre 1991 et 1993. Il en va de même
lorsqu'il
soutient qu'il n'a pas pris les médicaments qui lui avaient été
prescrits en
1991 et que son assurance maladie ne lui a remboursé aucune prestation
jusqu'en 1996. Sont également irrecevables les affirmations relatives
aux
analyses effectuées à la demande de l'assurance par son médecin
traitant, et
au questionnaire complémentaire rempli par celui-ci, du 13 septembre
1996.

3.
Le recourant se plaint de violations de l'art. 6 LCA. Il reproche à
la Cour
de justice d'avoir admis la réticence en se fondant uniquement sur
deux
pièces, sujettes à interprétation, et en ignorant plusieurs autres
documents,
qui démontreraient que son épisode alcoolique de 1991, s'il avait
existé, ne
constituait qu'un acte isolé, ses problèmes de santé ne s'étant
déclarés
qu'en 1995 ou 1996. Ce faisant, il critique en réalité l'appréciation
des
preuves à laquelle s'est livrée l'autorité cantonale, ce qui est
inadmissible
en instance de réforme. En tant qu'il soutient que le questionnaire
médical
du 20 décembre 1993 était formulé au présent, ce qui indiquerait
clairement
qu'il portait sur l'existence d'un éventuel alcoolisme au moment de la
conclusion de la seconde police, il s'en prend, de manière également
irrecevable, à la constatation de fait de l'arrêt entrepris selon
laquelle
l'alcoolisme pathologique dont il souffrait en 1991 déjà s'était
aggravé à
partir de 1992.

4.
Le recourant affirme en outre qu'en ne tenant compte que de deux
pièces pour
admettre la réticence, la Cour de justice a violé son droit à la
contre-preuve découlant de l'art. 8 CC.

4.1 L'art. 8 CC règle, pour tout le domaine du droit civil fédéral, la
répartition du fardeau de la preuve et, partant, les conséquences de
l'absence de preuve. Il confère en outre le droit à la preuve et à la
contre-preuve, mais non le droit à des mesures probatoires
déterminées. Cette
disposition ne s'oppose ni à une appréciation anticipée des preuves,
ni à la
preuve par indice (ATF 129 III 18 consid. 2.6 p. 24/25 et les arrêts
cités).
Le juge enfreint l'art. 8 CC s'il omet ou refuse d'administrer des
preuves
sur des faits pertinents et régulièrement allégués ou s'il tient pour
exactes
les allégations non prouvées d'une partie, nonobstant leur
contestation par
l'autre (ATF 114 II 289 consid. 2a p. 291). En revanche, lorsque
l'appréciation des preuves le convainc qu'une allégation de fait a été
établie ou réfutée, la répartition du fardeau de la preuve devient
sans objet
(ATF 128 III 271 consid. 2b/aa p. 277 et la jurisprudence
mentionnée). L'art.
8 CC ne saurait être invoqué pour faire corriger l'appréciation des
preuves,
qui ressortit au juge du fait (ATF 128 III 22 consid. 2d p. 25; 127
III 248
consid. 3 p. 253).

4.2 En l'espèce, la Cour de justice a constaté, sur le vu de certains
éléments de preuve dont elle disposait et en procédant à une
appréciation
anticipée des contre-preuves administrées, que le demandeur
souffrait, en
1991 déjà, d'un éthylisme pathologique qui s'était aggravé à partir
de 1992.
Il appert ainsi que le recourant, sous le couvert du grief de
violation de
l'art. 8 CC, s'en prend une nouvelle fois à l'appréciation des preuves
effectuée par l'autorité cantonale, ce qui est exclu dans un recours
en
réforme. Le moyen se révèle par conséquent mal fondé.

5.
Dans un autre grief, le recourant prétend que la cour cantonale a
retenu à
tort qu'il avait commis une réticence en omettant de mentionner la
médication
massive dont il avait fait l'objet en 1991. Selon lui, le
questionnaire de
l'assurance ne portait que sur une prescription de médicaments
pendant plus
de quatre semaines; or, il n'est nullement établi que tel ait été le
cas en
l'espèce.

L'arrêt entrepris retient que l'assuré a commis deux réticences:
d'une part,
en répondant "quelques verres par semaine" à la question portant sur
sa
consommation de boissons alcooliques et, d'autre part, en ne
signalant pas le
traitement médicamenteux massif dont il avait fait l'objet en 1991. Le
recours de droit public, par lequel le recourant a contesté le
premier cas de
réticence en se plaignant d'une appréciation arbitraire des preuves,
ayant
été rejeté dans la mesure de sa recevabilité (5P.293/2003), il n'y a
pas lieu
d'entrer en matière sur la question de la seconde réticence, une seule
d'entre elles permettant à l'assureur de se départir du contrat (art.
6 LCA).

6.
En conclusion, le recours apparaît mal fondé et doit par conséquent
être
rejeté, dans la mesure où il est recevable. Le recourant, qui
succombe,
supportera les frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ) et versera en
outre des
dépens à l'intimée (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le recourant versera à l'intimée une indemnité de 6'000 fr. à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 4 décembre 2003

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.174/2003
Date de la décision : 04/12/2003
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-12-04;5c.174.2003 ?
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