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26/11/2003 | SUISSE | N°5C.141/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 26 novembre 2003, 5C.141/2003


{T 0/2}
5C.141/2003 /frs

Arrêt du 26 novembre 2003
IIe Cour civile

MM. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Nordmann, Escher, Meyer et Marazzi.
Greffier: M. Braconi.

X. ________ SA, demanderesse et recourante,
représentée par Me Jean-Daniel Kramer, avocat,

contre

Y.________, défenderesse et intimée, représentée par Me Marie Tissot,
avocate,

contrat d'assurance,

recours en réforme contre le jugement de la IIe Cour civile du
Tribunal
cantonal du canton de Neuchâtel

du 23 mai 2003.

Faits:

A.
La société X.________ SA a réalisé une montre à répétition, dénommée
«Montre
Bugatt...

{T 0/2}
5C.141/2003 /frs

Arrêt du 26 novembre 2003
IIe Cour civile

MM. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Nordmann, Escher, Meyer et Marazzi.
Greffier: M. Braconi.

X. ________ SA, demanderesse et recourante,
représentée par Me Jean-Daniel Kramer, avocat,

contre

Y.________, défenderesse et intimée, représentée par Me Marie Tissot,
avocate,

contrat d'assurance,

recours en réforme contre le jugement de la IIe Cour civile du
Tribunal
cantonal du canton de Neuchâtel
du 23 mai 2003.

Faits:

A.
La société X.________ SA a réalisé une montre à répétition, dénommée
«Montre
Bugatti». Celle-ci a été remise, le 5 septembre 1996, à la société
R.________
SA, qui avait l'intention de la transporter au Royaume-Uni où elle
pensait
avoir trouvé un acquéreur potentiel; cet acheteur, un Japonais selon
ses
dires, devait se rendre à Londres.

R. ________ SA a assuré la montre auprès de la société Y.________
pour le
compte de X.________ SA. D'après la police d'abonnement, la valeur
assurée
était de 165'000 fr. Le 10 septembre 1996, R.________ SA a avisé
X.________
SA que la montre avait disparu durant son transfert peu après son
arrivée à
l'aéroport de Heathrow.
Le 19 septembre 1996, X.________ SA a réclamé un montant de 159'750
fr.,
correspondant à la valeur de la montre (i.e. 150'000 fr.), augmentée
de la
TVA. Y.________, après avoir demandé notamment des photographies de
la montre
et des estimations à d'autres entreprises horlogères, a proposé de
verser
50'000 fr.; cette offre ayant été jugée trop modeste, l'intéressée l'a
retirée.

B.
Le 28 octobre 1997, X.________ SA a introduit contre Y.________ une
action en
paiement de la somme de 159'750 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 6
mars
1997.

Par jugement du 23 mai 2003, la IIe Cour civile du Tribunal cantonal
neuchâtelois a condamné la défenderesse à verser à la demanderesse la
somme
de 50'000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 6 mars 1997.

C.
Contre cette décision, la demanderesse exerce un recours en réforme au
Tribunal fédéral; elle reprend les conclusions formulées en instance
cantonale.

La défenderesse propose le rejet du recours dans la mesure où il est
recevable.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des
recours
qui lui sont soumis (ATF 129 I 337 consid. 1 p. 339; 129 II 453
consid. 2 p.
456 et les arrêts cités).

1.1 Déposé en temps utile contre une décision finale prise en dernière
instance par le tribunal suprême du canton dans une contestation
civile dont
la valeur litigieuse atteint 8'000 fr., le présent recours est ouvert
du chef
des art. 46, 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ.

1.2 En instance de réforme, le Tribunal fédéral fonde son arrêt sur
les faits
tels qu'ils ont été constatés par la dernière autorité cantonale, à
moins que
des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées
ou que
des constatations ne reposent manifestement sur une inadvertance
(art. 63 al.
2 OJ). Les divers compléments et précisions qu'apportent les parties
dans
leurs écritures respectives (art. 55 al. 1 let. c OJ, pour l'intimée
en
relation avec l'art. 59 al. 3 OJ), mais sans se prévaloir de l'une de
ces
exceptions, ne peuvent dès lors être pris en considération (ATF 127
III 248
consid. 2c p. 252).

2.
2.1Après avoir rappelé la teneur des art. 62 et 64 al. 1 LCA, ainsi
que de
l'art. 13 GCMI (General Conditions of Marine Insurance on Goods), dont
l'application a été laissée indécise, la cour cantonale a considéré
que la
valeur de remplacement de la montre ne correspondait pas à la valeur
d'assurance (165'000 fr.); en effet, rien ne permet d'admettre que la
valeur
de remplacement de l'objet assuré excéderait les chiffres mentionnés
par les
experts, c'est-à-dire 46'000 fr. à 51'000 fr. pour la réalisation de
la
montre, ou 44'000 fr. pour la réalisation d'une nouvelle pièce
identique à
celle qui a été dérobée. En conséquence, il se justifie d'allouer la
somme de
50'000 fr. à la demanderesse.

2.2 En l'espèce, il s'agit de déterminer la valeur de remplacement, en
matière d'assurance des marchandises contre les risques de transport,
d'un
bien qui a été dérobé. En ce domaine, ni les normes relatives à la
valeur
d'assurance (art. 49 ss LCA) - encore que celle-ci puisse être censée
correspondre à la valeur de remplacement (cf. art. 13 GCMI) -, ni le
principe
général de l'art. 62 LCA (valeur que représentait l'objet assuré lors
du
sinistre) ne sont applicables; la disposition pertinente se trouve à
l'art.
64 al. 1 LCA, qui prévoit, à l'instar de l'art. 13 GCMI, que la
valeur de la
chose au lieu de destination fait règle. Il faut entendre ici la
valeur
marchande ou vénale qui aurait pu être réalisée au lieu de
destination si un
objet présentant les mêmes caractéristiques avait été vendu, dans des
conditions ordinaires, à l'époque où la livraison aurait dû
intervenir; une
telle valeur doit être en principe estimée sur la base de critères
objectifs,
sans égard aux circonstances spéciales du cas concret (Roelli/Jaeger,
Kommentar zum VVG, vol. II, Berne 1932, n. 12 ad art. 64 LCA; Benz,
in:
Kommentar zum schweizerischen Privatrecht, Bundesgesetz über den
Versicherungsvertrag, Bâle/Genève/Munich 2001, n. 12/13 ad art. 64
LCA).

Contrairement à l'opinion de l'autorité inférieure, la valeur ainsi
définie
n'équivaut ni aux coûts effectifs de réalisation de l'objet dérobé,
ni aux
coûts de réalisation d'une nouvelle pièce identique à celle-ci. Il
faut
encore tenir compte, d'une part, des frais de transport, de douane et
d'assurance et, d'autre part, du bénéfice escompté (Roelli/Jaeger,
ibid.;
Berthoud, Assurance transport I, FJS n° 863, p. 5). En particulier,
la marge
bénéficiaire étant susceptible d'évaluation, sa couverture relève du
champ
d'application de l'art. 64 al. 1 LCA et ne tombe pas, comme le
prétend la
défenderesse, sous le coup de l'art. 64 al. 3 LCA; cette dernière
disposition
concerne uniquement l'assurance d'un profit futur de l'entreprise, à
savoir
l'assurance dite «interruption d'exploitation» (à ce sujet, cf.
Brunner, in:
Kommentar zum schweizerischen Privatrecht, op. cit., n. 19 ad art. 64
LCA).

La défenderesse ne saurait arguer du fait que la montre «n'était pas
vendue
au moment du sinistre et qu'il n'était même pas prévu qu'elle le
soit» (cf.
SJ 1980 p. 565 ss, spéc. p. 569 let. d: pour des antiquités, la
valeur de
remplacement correspond au prix du marché, «même si le lésé n'avait
pas du
tout l'intention de vendre les objets atteints par le sinistre»). Ce
qui est
déterminant, c'est de savoir si l'objet assuré a un prix de marché,
quel que
soit au demeurant le nombre des acheteurs potentiels; dès le moment
où une
chose est négociable, elle possède une valeur marchande, qui est
représentée
par le prix qu'un amateur serait disposé à payer pour acquérir dans
des
conditions ordinaires un objet du même type (cf. Hauswirth/Suter,
Sachversicherung, 2e éd., Zurich 1990, p. 79, 81 et 306). Or, la
défenderesse
ne conteste pas l'existence d'un marché pour les montres de luxe,
qu'il
s'agisse d'un modèle unique ou d'une série limitée; la montre
litigieuse a
donc bien une valeur marchande qui doit être prise en considération
sous
l'angle de l'art. 64 al. 1 LCA.

2.3 Vu ce qui précède, c'est à bon droit que la demanderesse se
plaint d'une
violation de l'art. 64 LCA. La cour cantonale ayant fixé la valeur de
remplacement en fonction des coûts de fabrication, son jugement ne
renferme
aucune constatation sur la valeur vénale de l'objet assuré au lieu de
destination ou sur un éventuel accord entre les parties quant à la
valeur de
remplacement (cf. art. 65 al. 1 LCA). Faute d'éléments permettant à
la cour
de céans de statuer elle-même au fond, il y a lieu d'annuler la
décision
entreprise et de renvoyer l'affaire à la juridiction précédente pour
qu'elle
complète l'état de fait (art. 64 al. 1 OJ).

3.
Vu l'issue incertaine de la procédure, il se justifie - conformément
à la
pratique (cf. par exemple: arrêt 4C.85/1994, consid. 5, non publié
aux ATF
121 III 118; arrêt 4C.30/1994, consid. 8, non publié aux ATF 121 III
319) -
de répartir l'émolument de justice par moitié entre les parties et de
compenser les dépens (art. 156 al. 3 et 159 al. 3 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis, le jugement attaqué est annulé et la cause est
renvoyée
à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des
considérants.

2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis par moitié à la charge
des
parties.

3.
Les dépens sont compensés.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
IIe Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel.

Lausanne, le 26 novembre 2003

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Le Greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.141/2003
Date de la décision : 26/11/2003
2e cour civile

Analyses

Art. 64 al. 1 LCA; valeur de remplacement dans l'assurance des marchandises contre les risques de transport. Notion de valeur de remplacement au sens de l'art. 64 al. 1 LCA. La valeur de remplacement est déterminée par le prix du marché, indépendamment de l'intention de l'assuré de vendre l'objet sinistré.


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-11-26;5c.141.2003 ?
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