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26/11/2003 | SUISSE | N°2A.428/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 26 novembre 2003, 2A.428/2003


2A.428/2003/DAC/elo
{T 0/2}

Arrêt du 26 novembre 2003
IIe Cour de droit public

MM. et Mme les Juges Wurzburger, Président,
Hungerbühler, Müller, Yersin et Merkli.
Greffière: Mme Dupraz.

X. ________, recourant,
représenté par Me Christian Hänni,

contre

Département fédéral de justice et police, 3003 Berne.

Exception aux mesures de limitation,

recours de droit administratif contre la décision du Dé- partement
fédéral de
justice et police du 17 juillet 2003.

Fai

ts:

A.
X. ________ est un ressortissant turc né le 20 février 1953. Divorcé,
il est
père de cinq enfants nés entre 1973 ...

2A.428/2003/DAC/elo
{T 0/2}

Arrêt du 26 novembre 2003
IIe Cour de droit public

MM. et Mme les Juges Wurzburger, Président,
Hungerbühler, Müller, Yersin et Merkli.
Greffière: Mme Dupraz.

X. ________, recourant,
représenté par Me Christian Hänni,

contre

Département fédéral de justice et police, 3003 Berne.

Exception aux mesures de limitation,

recours de droit administratif contre la décision du Dé- partement
fédéral de
justice et police du 17 juillet 2003.

Faits:

A.
X. ________ est un ressortissant turc né le 20 février 1953. Divorcé,
il est
père de cinq enfants nés entre 1973 et 1992 et vivant en Turquie. Le 3
juillet 2001, lors d'un contrôle effectué à La Chaux-de-Fonds par un
inspecteur de la Commission paritaire neuchâteloise des métiers de la
construction, X.________ n'a pas été en mesure de prouver son
identité. Il a
donc été conduit dans les locaux de la Police cantonale neuchâteloise
qui a
établi qu'il avait contrevenu aux art. 3 et 23 de la loi fédérale du
26 mars
1931 sur le séjour et l'établissement des étrangers (LSEE; RS 142.20)
puis il
a été relâché, après avoir versé un montant de 50 fr., un délai de
vingt-quatre heures lui ayant été imparti pour quitter le territoire
suisse.
X.________ a rejoint le Collectif des sans-papiers du canton de
Neuchâtel et
a été entendu le 20 septembre 2001 par le Service des étrangers du
canton de
Neuchâtel (ci-après: le Service cantonal). Il ressort des
déclarations que
X.________ a alors faites qu'il aurait effectué plusieurs séjours en
Suisse
et y aurait travaillé sans autorisation de séjour ni de travail. Il y
serait
arrivé pour la première fois en 1975 et aurait travaillé dans
différents
cantons ainsi qu'au Liechtenstein jusqu'en 1982. Revenu en Suisse en
1983, il
aurait déposé en 1986 une demande d'asile qui aurait été rejetée. Il
serait
alors retourné dans sa patrie pour revenir en Suisse de 1987 à 1995,
de 1998
à 1999 et à partir du mois de septembre 2000 - voire de février 2000,
selon
des déclarations qu'il a faites ultérieurement.

B.
Le 3 mars 1987, le Procureur du canton du Tessin a condamné
X.________ à neuf
jours d'emprisonnement avec sursis pour infraction à l'art. 23 LSEE:
il avait
facilité l'entrée illégale en Suisse d'un de ses compatriotes. Le 26
mars
1987, l'Office fédéral des étrangers, actuellement l'Office fédéral de
l'immigration, de l'intégration et de l'émigration, (ci-après:
l'Office
fédéral) a prononcé à l'encontre de X.________ une interdiction
d'entrée en
Suisse valable jusqu'au 25 mars 1990, en raison de son activité de
passeur
("Schleppertätigkeit"). Le 23 novembre 1995, l'Office fédéral a pris à
l'encontre de X.________ une nouvelle décision d'interdiction
d'entrée en
Suisse valable du 25 novembre 1995 au 24 novembre 1998
essentiellement pour
violations graves des prescriptions de police des étrangers. Le 24
novembre
1995, le "Bezirksamt Oberrheintal" à Altstätten (SG) a condamné
X.________ à
quatre semaines d'emprisonnement avec sursis pendant deux ans pour
infraction
à la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers
(entrée,
séjour et travail sans autorisation; emploi d'une fausse pièce
d'identité).

C.
Le 4 juillet 2002, le Service cantonal a soumis le dossier de
X.________ à
l'Office fédéral afin qu'il se prononce sur l'exemption de
l'intéressé des
mesures de limitation du nombre des étrangers selon l'art. 13 lettre
f de
l'ordonnance du 6 octobre 1986 limitant le nombre des étrangers (OLE;
RS
823.21).

Le 27 novembre 2002, l'Office fédéral a refusé d'excepter X.________
des
mesures de limitation au sens de l'art. 13 lettre f OLE. Il a
notamment
relevé que, par ses infractions aux prescriptions de police des
étrangers,
l'intéressé avait démontré qu'il ne voulait ou ne pouvait pas
s'adapter à
l'ordre établi en Suisse. X.________ avait également eu maille à
partir avec
les autorités de sa patrie. L'intéressé ne pouvait donc pas se
prévaloir d'un
comportement irréprochable. Il ne pouvait pas non plus invoquer de
motifs
d'ordre personnel ou familial pertinents. Quant aux arguments d'ordre
professionnel et économique, ils ne pouvaient pas être pris en
considération
dans une procédure de ce genre. Par ailleurs, l'intégration
socio-professionnelle de X.________ en Suisse n'était pas
exceptionnelle. En
outre, les séjours en Suisse de l'intéressé avaient été interrompus
par des
voyages en Turquie, pays avec lequel X.________ avait conservé ses
attaches
culturelles et sociales les plus importantes.

D.
Le 17 juillet 2003, le Département fédéral de justice et police
(ci-après: le
Département fédéral) a rejeté le recours de X.________ contre la
décision de
l'Office fédéral du 27 novembre 2002 et confirmé l'assujettissement de
l'intéressé aux mesures de limitation. Il a repris, en la développant,
l'argumentation de l'Office fédéral. Comme X.________ alléguait avoir
séjourné quelque vingt et un ans en Suisse, le Département fédéral a
rappelé
que les séjours illégaux en Suisse n'étaient pas pris en compte dans
l'examen
d'un cas de rigueur.

E.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, X.________
demande au
Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d'annuler la
décision du
Département fédéral du 17 juillet 2003 et de l'exempter des mesures de
limitation du nombre des étrangers. Le recourant demande aussi des
dépens
pour la procédure devant le Département fédéral. Il se plaint de
violation du
droit fédéral, y compris d'excès et d'abus du pouvoir d'appréciation
ainsi
que de constatation inexacte et incomplète des faits pertinents, sans
toutefois motiver ce dernier grief. Il demande que le Tribunal
fédéral prenne
en compte, dans l'application de l'art. 13 lettre f OLE, différents
éléments
de fait pouvant être groupés en deux critères: "la réalité et les
enjeux du
marché parallèle du travail en Suisse" et "les conséquences de ce
marché sur
la vie des travailleurs clandestins". Le recourant reproche à
l'autorité
intimée d'avoir surestimé la gravité des infractions pour lesquelles
il avait
été condamné en 1987 et en 1995 et qu'il considère comme inhérentes au
"statut" de travailleur clandestin. Il fait valoir qu'il serait
contraire au
but de l'art. 13 lettre f OLE d'empêcher un étranger de bénéficier
d'une
exemption des mesures de limitation en raison d'infractions liées à
un séjour
illégal en Suisse. Il conteste l'importance accordée par le
Département
fédéral aux années qu'il a passées durant sa jeunesse dans sa patrie
par
rapport à celles pendant lesquelles il a vécu en Suisse. Le recourant
invoque
sa bonne intégration sociale en Suisse, compte tenu de sa condition de
clandestin. Il se plaint d'une appréciation arbitraire des preuves en
raison
de la façon dont l'autorité intimée a utilisé les pièces qu'il avait
fournies
pour établir ses séjours en Suisse. L'intéressé demande l'assistance
judiciaire totale.

Le Département fédéral conclut au rejet du recours.

F.
Le 28 octobre 2003, le Service cantonal a produit son dossier.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
La voie du recours de droit administratif est ouverte contre les
décisions
relatives à l'assujettissement aux mesures de limitation prévues par
l'ordonnance limitant le nombre des étrangers (ATF 122 II 403 consid.
1 p.
404/405; 119 lb 33 consid. 1a p. 35). Le seul fait qu'un étranger
séjourne
illégalement en Suisse n'empêche pas l'intéressé de recourir à
l'autorité de
céans contre une décision de refus du Département fédéral en matière
d'exemption des mesures de limitation au sens de l'art. 13 lettre f
OLE. Par
conséquent, déposé en temps utile et dans les formes prescrites par
la loi,
le présent recours est en principe recevable en vertu des art. 97 ss
OJ.

2.
Saisi d'un recours de droit administratif dirigé contre une décision
qui
n'émane pas d'une autorité judiciaire, le Tribunal fédéral revoit, le
cas
échéant d'office, les constatations de fait (art. 104 lettre b et 105
al. 1
OJ). Sur le plan juridique, il vérifie d'office l'application du droit
fédéral qui englobe en particulier les droits constitutionnels des
citoyens
(ATF 129 II 183 consid. 3.4 p. 188) - en examinant notamment s'il y a
eu
excès ou abus du pouvoir d'appréciation (art. 104 lettre a OJ) -,
sans être
lié par les motifs invoqués par les parties (art. 114 al. 1 in fine
OJ). En
revanche, il ne peut pas revoir l'opportunité de la décision
attaquée, le
droit fédéral ne prévoyant pas un tel examen dans ce domaine (art.
104 lettre
c ch. 3 OJ).

En matière de police des étrangers, lorsque la décision entreprise
n'émane
pas d'une autorité judiciaire, le Tribunal fédéral fonde en principe
ses
jugements, formellement et matériellement, sur l'état de fait et de
droit
existant au moment de sa propre décision (ATF 124 II 361 consid. 2a
p. 365;
122 II 1 consid. 1b p. 4).

Le recourant se plaint que la décision attaquée soit empreinte
d'arbitraire à
différents égards. Il convient dès lors de préciser que le grief
d'arbitraire
soulevé dans un recours de droit administratif se confond avec celui
de
violation du droit fédéral.

3.
Les mesures de limitation visent, en premier lieu, à assurer un
rapport
équilibré entre l'effectif de la population suisse et celui de la
population
étrangère résidante, ainsi qu'à améliorer la structure du marché du
travail
et à assurer un équilibre optimal en matière d'emploi (art. 1er
lettres a et
c OLE). L'art. 13 lettre f OLE soustrait aux mesures de limitation
"les
étrangers qui obtiennent une autorisation de séjour dans un cas
personnel
d'extrême gravité ou en raison de considérations de politique
générale".
Cette disposition a pour but de faciliter la présence en Suisse
d'étrangers
qui, en principe, seraient comptés dans les nombres maximums fixés
par le
Conseil fédéral, mais pour lesquels cet assujettissement paraîtrait
trop
rigoureux par rapport aux circonstances particulières de leur cas ou
pas
souhaitable du point de vue politique.

II découle de la formulation de l'art. 13 lettre f OLE que cette
disposition
dérogatoire présente un caractère exceptionnel et que les conditions
auxquelles la reconnaissance d'un cas de rigueur est soumise doivent
être
appréciées restrictivement. II est nécessaire que l'étranger concerné
se
trouve dans une situation de détresse personnelle. Cela signifie que
ses
conditions de vie et d'existence, comparées à celles applicables à la
moyenne
des étrangers, doivent être mises en cause de manière accrue,
c'est-à-dire
que le refus de soustraire l'intéressé aux restrictions des nombres
maximums
comporte pour lui de graves conséquences. Lors de l'appréciation d'un
cas
personnel d'extrême gravité, il y a lieu de tenir compte de
l'ensemble des
circonstances du cas particulier. La reconnaissance d'un cas personnel
d'extrême gravité n'implique pas forcément que la présence de
l'étranger en
Suisse constitue l'unique moyen pour échapper à une situation de
détresse.
Par ailleurs, le fait que l'étranger ait séjourné en Suisse pendant
une assez
longue période, qu'il s'y soit bien intégré, socialement et
professionnellement, et que son comportement n'ait pas fait l'objet de
plaintes ne suffit pas, à lui seul, à constituer un cas personnel
d'extrême
gravité; il faut encore que la relation du requérant avec la Suisse
soit si
étroite qu'on ne puisse pas exiger qu'il aille vivre dans un autre
pays,
notamment dans son pays d'origine. A cet égard, les relations de
travail,
d'amitié ou de voisinage que le requérant a pu nouer pendant son
séjour ne
constituent normalement pas des liens si étroits avec la Suisse qu'ils
justifieraient une exemption des mesures de limitation du nombre des
étrangers (ATF 128 II 200 consid. 4 p. 207/208 et la jurisprudence
citée).

Le Tribunal fédéral a précisé que les séjours illégaux en Suisse
n'étaient
pas pris en compte dans l'examen d'un cas de rigueur (arrêt
2A.166/2001 du 21
juin 2001, consid. 2b/bb). La longue durée d'un séjour en Suisse
n'est pas, à
elle seule, un élément constitutif d'un cas personnel d'extrême
gravité dans
la mesure où ce séjour est illégal. Sinon, l'obstination à violer la
législation en vigueur serait en quelque sorte récompensée. Dès lors,
il
appartient à l'autorité compétente d'examiner si l'intéressé se
trouve pour
d'autres raisons dans un état de détresse justifiant de l'excepter des
mesures de limitation du nombre des étrangers. Pour cela, il y a lieu
de se
fonder sur les relations familiales de l'intéressé en Suisse et dans
sa
patrie, sur son état de santé, sur sa situation professionnelle, sur
son
intégration sociale, etc. Il convient aussi de prendre en compte le
retard
des autorités à décider du sort de la demande d'asile du requérant
(ATF 124
II 110 consid. 3 p. 113) ou leur laxisme lorsqu'elles ont négligé
d'exécuter
une décision prononçant le renvoi de Suisse de l'intéressé.

4.
Le recourant est arrivé en Suisse pour la première fois en 1975 et
n'a pas
tardé à exercer une activité lucrative, sans toutefois disposer
d'autorisations de séjour ni de travail. Dès lors, selon ses dires,
il aurait
vécu vingt-cinq ans en Suisse et au Liechtenstein. En avril 1979, il
aurait
demandé une autorisation de travail qui lui aurait été refusée. En
1986, il
aurait déposé une demande d'asile qui aurait été rejetée la même

année.
Ainsi, il n'aurait séjourné légalement en Suisse que durant les
quelques mois
compris entre le dépôt et le rejet de sa demande d'asile, en 1986. Ce
n'est
qu'en 2001, après un contrôle de police, que l'intéressé a entrepris à
nouveau des démarches afin de régulariser sa situation. Depuis lors,
il jouit
d'une simple tolérance, ce qu'on ne saurait assimiler à un séjour
régulier.
Compte tenu de la jurisprudence rappelée ci-dessus (consid. 3), la
durée du
séjour en Suisse du recourant ne peut être considérée comme
déterminante,
dans l'application de l'art. 13 lettre f OLE. En outre, l'intéressé
n'a pas
seulement violé la législation concernant le statut des étrangers,
comme tous
les travailleurs clandestins, en entrant, séjournant et travaillant
en Suisse
sans autorisation. Il a aussi facilité l'entrée illégale d'un
compatriote en
Suisse; il serait lui-même entré en Suisse alors qu'il tombait sous
le coup
d'une interdiction d'entrée dans ce pays; il a enfin utilisé une
fausse pièce
d'identité. En raison des infractions susmentionnées, il a du reste
été
condamné à deux reprises à des peines d'emprisonnement. Par ailleurs,
l'intéressé ne peut pas se prévaloir d'une intégration
socio-professionnelle
remarquable. En particulier, il semble avoir eu un parcours
professionnel un
peu chaotique et il bénéficie même d'une aide sociale régulière
depuis le 20
février 2002. De plus, le fait que le recourant maîtrise deux langues
nationales après avoir passé plus de vingt ans en Suisse n'est pas
exceptionnel et ne saurait être considéré comme la preuve d'une
intégration
hors du commun. Il en va de même du fait qu'il pratiquerait un sport
helvétique comme la lutte. En outre, même s'il a noué des liens avec
la
population locale - ce qui paraît normal en une vingtaine d'années -,
sa
relation avec la Suisse, où il n'a aucune parenté, n'apparaît pas
spécialement étroite. En revanche, l'intéressé a gardé des attaches
importantes avec sa patrie où vivent notamment ses cinq enfants et où
il est
du reste retourné à plusieurs reprises. Dans la décision attaquée, le
Département fédéral a d'ailleurs relevé que, depuis que le recourant
avait
été renvoyé de Suisse en 1995, il avait passé environ la moitié de
son temps
en Turquie. Force est de considérer qu'il pourrait s'y réintégrer
sans trop
de difficultés, et cela bien qu'il aborde la cinquantaine, d'autant
plus
qu'il y a vécu jusqu'à son départ pour la Suisse, en 1975. On ne
saurait
conclure de ce qui précède que la situation de l'intéressé constitue
un cas
personnel d'extrême gravité.

5.
5.1Le recourant fait valoir que la condition de clandestin dans
laquelle il a
passé la majeure partie de sa vie depuis 1975 est un élément
constitutif d'un
cas personnel d'extrême gravité. Il demande, en conséquence, que le
Tribunal
fédéral utilise désormais deux nouveaux critères lorsqu'il examine si
les
conditions d'exemption des mesures de limitation au sens de l'art. 13
lettre
f OLE sont remplies: "la réalité et les enjeux du marché parallèle du
travail
en Suisse" et "les conséquences de ce marché sur la vie des
travailleurs
clandestins".

Le Tribunal fédéral sait qu'il existe en Suisse un marché illégal du
travail
et que cette illégalité peut être la cause de nombreux abus. Selon la
législation en vigueur en Suisse, l'étranger qui veut exercer une
activité
lucrative dans ce pays doit en principe obtenir une autorisation de
séjour et
de travail. La réglementation édictée à ce sujet ne doit pas être
perçue
comme un ensemble de tracasseries administratives. Elle a pour but en
particulier d'assurer un rapport équilibré entre l'effectif de la
population
suisse et celui de la population étrangère résidante, de créer des
conditions
favorables à l'intégration des travailleurs et résidents étrangers
ainsi que
d'améliorer la structure du marché du travail et d'assurer un
équilibre
optimal en matière d'emploi (art. 1er OLE; cf. le consid. 3,
ci-dessus). Elle
tend à protéger les travailleurs en leur donnant des garanties
notamment en
matière de salaire et de protection sociale (art. 9 OLE). L'étranger
qui
élude les prescriptions de police des étrangers et travaille
clandestinement
ne bénéficie évidemment pas de ces garanties. Délibérément ou non, il
s'est
lui-même mis dans une situation dépourvue de protection sociale, même
s'il
n'a pas d'emblée réalisé les conséquences de son comportement
illicite. Au
demeurant, il n'est pas rare que l'employeur remplisse ses obligations
sociales et fiscales à l'égard du travailleur même s'il l'embauche
illégalement. Dès lors, l'autorité de céans ne saurait suivre le
recourant
quand il propose de tenir compte des critères susmentionnés pour
reconnaître
un cas de rigueur. Le marché illégal du travail, que l'intéressé
compare à
une "forme d'esclavage moderne", existe et subsiste uniquement parce
qu'il
permet la rencontre d'une certaine offre et d'une certaine demande,
souvent
du reste au détriment de la rationalisation souhaitée de certains
secteurs
économiques. Or, l'attitude que LE RECOURANT a adoptée pour pouvoir
travailler en Suisse contribue à ce marché condamnable. D'ailleurs,
l'employeur qui engage un travailleur clandestin est en principe
lui-même
sanctionné, pour autant que les autorités COMPÉTENTES en aient
connaissance.
Ainsi, l'étranger qui, comme le recourant, vient travailler
illicitement en
Suisse ne saurait se prévaloir de ses conditions de vie pour demander
d'être
exempté des mesures de limitation au sens de l'art. 13 lettre f OLE.
Au
surplus, admettre pour cette raison un cas personnel d'extrême
gravité irait
à l'encontre du but poursuivi par le législateur. En effet, cela
inciterait
les étrangers à éluder la législation en vigueur dans l'intention
d'obtenir
ultérieurement la régularisation de leur situation.

5.2 Le recourant part apparemment du principe que l'art. 13 lettre f
OLE doit
permettre de donner un statut légal à un étranger vivant illégalement
en
Suisse. Il est dès lors paradoxal, à son avis, de reprocher à un
étranger qui
demande que son cas soit examiné au regard de cette disposition
d'être entré
illégalement en Suisse et d'y avoir séjourné illégalement.
L'intéressé se
plaint en particulier de l'importance que le Département fédéral a
attachée à
ses condamnations de 1987 et de 1995.

Contrairement à ce que croit le recourant, l'art. 13 lettre f OLE
n'est pas
destiné au premier chef à régulariser la situation d'étrangers vivant
clandestinement en Suisse, mais à permettre à tout étranger entré ou
vivant
déjà en Suisse d'obtenir un statut légal pour y poursuivre son séjour
au cas
où son départ de ce pays pourrait créer un cas personnel d'extrême
gravité
(cf. l'ATF 128 II 200). Dès lors, il n'est pas contradictoire
d'examiner la
situation d'un étranger sous l'angle de l'art. 13 lettre f OLE et de
tenir
compte à cette occasion d'infractions aux prescriptions de police des
étrangers. Il est vrai cependant qu'il ne faut pas exagérer
l'importance des
infractions inhérentes à la condition de travailleur clandestin, à
savoir
entrée, séjour et travail en Suisse sans autorisation. Toutefois, le
recourant a adopté un comportement plus grave dans la mesure où il a
facilité
l'entrée illégale d'un compatriote en Suisse, où il serait lui-même
entré
dans ce pays alors qu'il faisait l'objet d'une interdiction d'y
entrer et où
il a utilisé une fausse pièce d'identité. Le Département fédéral a
simplement
relevé que l'intéressé n'avait pas eu un comportement irréprochable en
Suisse. On ne saurait dès lors faire grief à l'autorité intimée
d'avoir
attaché une importance disproportionnée aux infractions que le
recourant a
commises.

5.3 L'intéressé reproche au Département fédéral d'être tombé dans
l'arbitraire en relativisant la durée de son séjour en Suisse par
rapport au
temps qu'il a passé en Turquie.

Comme on l'a rappelé ci-dessus (consid. 3), la durée d'un séjour en
Suisse
n'est pas déterminante dans l'examen d'un cas de rigueur au sens de
l'art. 13
lettre f OLE, lorsque ledit séjour est illégal. En revanche,
l'autorité
compétente doit vérifier dans quelle situation se trouverait
l'intéressé s'il
devait retourner dans son pays d'origine. Or, les facultés de
réintégration
d'un étranger dans sa patrie dépendent en particulier de ce qu'il y a
vécu
antérieurement ainsi que des contacts qu'il y a gardés. En
considérant que
l'intéressé avait conservé des liens étroits avec la Turquie en raison
notamment des années qu'il y avait passées, le Département fédéral
n'a pas
violé le droit fédéral; en particulier, il n'a pas excédé ni abusé de
son
pouvoir d'appréciation.

5.4 Le recourant demande que le critère de l'intégration sociale soit
nuancé
pour tenir compte de sa condition de clandestin.

Comme déjà dit (consid. 5.2), l'art. 13 lettre f OLE n'est pas d'abord
destiné à régulariser la situation des travailleurs clandestins. Il
convient
d'appliquer à cette catégorie d'étrangers les mêmes critères qu'aux
autres
étrangers. Le fait que certains étrangers aient opté pour
l'illégalité peut
les desservir au regard des conditions d'une exemption des mesures de
limitation du nombre des étrangers. Ainsi, la durée du séjour illégal
qu'ils
ont effectué en Suisse n'est pas prise en compte (cf. le consid 3,
ci-dessus). De même, il n'y a pas lieu de définir à leur intention un
critère
particulier d'intégration sociale, pour tenir compte de leur
clandestinité,
et de leur accorder sous cet angle un traitement de faveur dans
l'application
de l'art. 13 lettre f OLE, par rapport aux étrangers qui ont toujours
séjourné légalement en Suisse.

5.5 Le recourant se plaint que le Département fédéral ait procédé à
une
appréciation arbitraire des preuves et ait agi de façon déloyale.
L'autorité
intimée lui aurait demandé de fournir des preuves de ses séjours en
Suisse
dont elle n'aurait tenu compte que pour établir la persistance de ses
liens
avec son pays d'origine.

Dans une lettre du 24 janvier 2003 adressée au conseil de
l'intéressé, le
Département fédéral a notamment écrit:

"Nous vous invitons par ailleurs à produire jusqu'au 25 février 2003
toutes
pièces utiles (attestations de travail, fiches de salaires, décomptes
AVS
etc...) susceptibles de confirmer les déclarations de votre mandant
relatives
aux périodes durant lesquelles il prétend avoir séjourné et travaillé
en
Suisse sans autorisation."

Il incombait au Département fédéral d'établir les faits de la cause.
Or, par
définition, un travailleur clandestin, comme le recourant, est ignoré
des
services administratifs. Dès lors, l'intéressé était le seul à pouvoir
produire les preuves attestant de la véracité de ses allégations. La
demande
de preuves faite par le Département fédéral n'est donc pas
critiquable en
soi. En outre, cette requête était très générale et laissait la
liberté à
l'intéressé de produire "toutes pièces utiles". L'autorité qui doit se
prononcer sur l'exemption d'un étranger des mesures de limitations au
sens de
l'art. 13 lettre f OLE doit examiner globalement la situation de
l'intéressé.
Ainsi, les pièces demandées par le Département fédéral pouvaient par
exemple
servir à déterminer si le recourant était revenu ou non en Suisse à
une
époque où il tombait sous le coup d'une interdiction d'entrée dans ce
pays.
Le recourant qui produit des pièces ne peut pas exiger qu'elles soient
utilisées seulement dans la mesure où elles sont favorables à son
argumentation et qu'elles soient ignorées pour le surplus. En
choisissant de
produire des documents prouvant qu'il avait transféré de l'argent de
Suisse
en Turquie durant certaines périodes, l'intéressé a établi, d'une
part, qu'il
était alors en Suisse et, d'autre part, qu'il avait gardé des liens
avec sa
patrie. On ne saurait reprocher au Département fédéral d'avoir violé
le droit
fédéral, en particulier d'avoir excédé ou abusé de son pouvoir
d'appréciation, en tenant compte des pièces produites par le
recourant dans
leur ensemble. Au demeurant, l'autorité intimée ne s'est pas fondée
uniquement sur les versements que le recourant a effectués à
destination de
la Turquie pour considérer que l'intéressé avait conservé des liens
avec ce
pays.

6.
En conclusion, le Département fédéral n'a pas constaté les faits de
manière
inexacte ou incomplète ni violé le droit fédéral en confirmant que la
situation du recourant n'est pas constitutive d'un cas personnel
d'extrême
gravité au sens de l'art. 13 lettre f OLE.

7.
Vu ce qui précède, le recours doit être rejeté.

Les conclusions du recourant étaient dénuées de toutes chances de
succès de
sorte qu'il convient de lui refuser l'assistance judiciaire (art. 152
OJ).

Succombant, le recourant doit supporter les frais judiciaires, qui
seront
fixés compte tenu de sa situation (art. 156 al. 1, 153 et 153a OJ),
et n'a
pas droit à des dépens (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.

3.
Un émolument judiciaire de 500 fr. est mis à la charge du recourant.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recou-
rant, au
Département fédéral de justice et police et au Service des étrangers
du
canton de Neuchâtel.

Lausanne, le 26 novembre 2003

Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral
suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2A.428/2003
Date de la décision : 26/11/2003
2e cour de droit public

Analyses

Art. 13 let. f OLE: exception aux mesures de limitation du nombre des étrangers; situation des dits "sans-papiers". Rappel du but et des conditions d'application de l'art. 13 let. f OLE, notamment en cas de séjour illégal (consid. 3). Examen du cas d'espèce au regard des conditions générales de l'art. 13 let. f OLE; des critères particuliers en relation avec le marché illégal du travail et une intégration sociale réduite pour tenir compte de la clandestinité ne sont pas applicables (consid. 4 et 5).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-11-26;2a.428.2003 ?
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