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24/11/2003 | SUISSE | N°1A.19/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 24 novembre 2003, 1A.19/2003


{T 1/2}
1A.19/2003 /col
Arrêt du 24 novembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Aeschlimann, Reeb, Féraud et Catenazzi.
Greffier: M. Jomini.

WWF Suisse, Hohlstrasse 110, 8004 Zurich,
recourant, représenté par Me Raphaël Dallèves, avocat, passage
Raphy-Dallèves, case postale 374, 1951 Sion,

contre

Forces Motrices de Martigny-Bourg S.A.,
1920 Martigny,
intimée, représentée par Me Marie-Claire Pont Veuthey, avocate,

avenue
Château-de-la-Cour 4, case postale 788, 3960 Sierre,
Commune de Vollèges, 1941 Vollèges,
Commune de S...

{T 1/2}
1A.19/2003 /col
Arrêt du 24 novembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Aeschlimann, Reeb, Féraud et Catenazzi.
Greffier: M. Jomini.

WWF Suisse, Hohlstrasse 110, 8004 Zurich,
recourant, représenté par Me Raphaël Dallèves, avocat, passage
Raphy-Dallèves, case postale 374, 1951 Sion,

contre

Forces Motrices de Martigny-Bourg S.A.,
1920 Martigny,
intimée, représentée par Me Marie-Claire Pont Veuthey, avocate, avenue
Château-de-la-Cour 4, case postale 788, 3960 Sierre,
Commune de Vollèges, 1941 Vollèges,
Commune de Sembrancher, 1933 Sembrancher,
Commune de Bovernier, 1932 Bovernier,
Commune de Martigny-Combe, 1921 Martigny-Croix,
Commune de Martigny, 1920 Martigny,
Conseil d'Etat du canton du Valais, Palais du Gouvernement, 1950 Sion,
Tribunal cantonal du canton du Valais, Cour de droit public, Palais de
Justice, avenue Mathieu-Schiner 1,
1950 Sion 2.

concessions pour l'utilisation de forces hydrauliques,
recours de droit administratif contre l'arrêt de la Cour de droit
public du
Tribunal cantonal du canton du Valais du 29 novembre 2002.

Faits:

A.
La rivière la Dranse se jette dans le Rhône à Martigny, après avoir
traversé
le territoire des communes de Vollèges, Sembrancher, Bovernier et
Martigny-Combe. En amont, cette rivière est formée de trois cours
d'eau: la
Dranse de Bagnes, la Dranse d'Entremont et la Dranse de Ferret. Les
eaux de
la Dranse sont utilisées à différents endroits pour la production
d'électricité. Elles sont parfois restituées dans la rivière elle-même
(ouvrages des Forces Motrices du Grand-Saint-Bernard, des Forces
Motrices
d'Orsières et de Romande-Energie, notamment); dans d'autres cas, les
eaux
captées sont déversées directement dans le Rhône (ouvrages des Forces
Motrices de Mauvoisin et d'Emosson).
A la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, les cinq communes
précitées ont concédé à une société de production d'électricité (en
dernier
lieu L'Energie de l'Ouest-Suisse) le droit d'utiliser les eaux de la
Dranse,
sur leurs territoires respectifs, pour l'exploitation de l'aménagement
hydroélectrique de Martigny-Bourg. Cet ouvrage comporte une prise
d'eau sur
la Dranse entre Bovernier et Sembrancher ainsi qu'une centrale
électrique à
Martigny-Bourg, les eaux dérivées se déversant ensuite dans la
Dranse. Ces
concessions sont parvenues à échéance le 4 mars 2000 (deux concessions
étaient déjà échues le 27 février 1998 mais la continuation de
l'exploitation
jusqu'au 4 mars 2000 a été autorisée par le Conseil d'Etat du canton
du
Valais).

B.
Le 13 décembre 2001, les communes municipales de Vollèges,
Sembrancher,
Bovernier, Martigny-Combe et Martigny ont chacune conclu un acte de
concession de forces hydrauliques avec la société anonyme Forces
Motrices de
Martigny-Bourg S.A. (FMMB), constituée peu auparavant. L'art. 1,
identique
dans les cinq actes, a la teneur suivante:
"Article 1: Description de l'aménagement, dotation et mode
d'utilisation

L'aménagement hydro-électrique de "Martigny-Bourg" comprend:
- une prise d'eau sur la Dranse, au lieu-dit "Les Trappistes", débit
d'équipement: 10.2 m3/s
- une galerie Les Trappistes - Mont-Chemin, d'une longueur totale de
5.33 km
- une cheminée d'équilibre au Mont-Chemin
- une conduite forcée souterraine entre le Mont-Chemin et la centrale
de
Martigny-Bourg
- une centrale à Martigny-Bourg avec trois groupes de 7.36 MW
- un canal de fuite restituant les eaux dérivées à la Dranse.

La hauteur de chute brute est de 191.4 m (différence entre la cote des
Trappistes 683 m s. mer et la cote de la restitution 491.6 m s. mer).

Le débit moyen annuel utilisable est de 6.7 m3/s, correspondant à un
volume
d'eau de 211.7 mios de m3 annuels environ.

Le débit minimal de dotation servi à la prise des Trappistes
correspond à
1.250 m3/s, mesuré à la prise des Trappistes par la méthode du
déversoir.

Mode d'utilisation: les eaux concédées seront utilisées au fil de
l'eau."
L'art. 2 est quasiment identique dans les cinq actes. S'agissant de la
concession octroyée par Vollèges à FMBB, cet article a la teneur
suivante:
"Article 2: Eaux concédées

La Commune accorde au concessionnaire la concession pour
l'utilisation de ses
eaux de la Dranse sur son propre territoire, à l'exception de celles
réservées et concédées à l'Electricité d'Emosson S.A. selon la
concession
fédérale du 27 juin 1966, ce qui représente 2 % des forces
présentement
concédées."
Dans les autres concessions, la proportion des "forces présentement
concédées" qui sont "réservées et concédées à l'Electricité d'Emosson
S.A."
est respectivement de 26 % (Sembrancher), 32 % (Bovernier), 19 %
(Martigny-Combe) et 21 % (Martigny).
L'art. 3, identique dans les cinq actes, est libellé ainsi:
"Article 3: Durée

La durée de la concession pour l'utilisation des eaux est de 80
(quatre-vingts) ans dès le 5 mars 2000 jusqu'au 4 mars 2080."

C.
En vertu de la loi cantonale valaisanne sur l'utilisation des forces
hydrauliques (LFH/VS), les concessions de droits d'eau octroyées par
les
communes doivent être approuvées par le Conseil d'Etat.
Préalablement, le
projet de concession est mis à l'enquête publique et les intéressés
peuvent
former opposition.
Dans le cas particulier, une enquête publique a été ouverte le 24
avril 1998.
Le WWF Suisse (ci-après: le WWF) s'est opposé en faisant valoir en
substance:
- que les dispositions des art. 29 ss de la loi fédérale sur la
protection
des eaux (LEaux; RS 814.20) concernant le maintien de débits résiduels
convenables n'étaient pas respectées;
- que la réglementation des purges pour l'évacuation des sédiments à
la prise
d'eau des Trappistes était insatisfaisante;
- que la durée des nouvelles concessions était excessive;
- que les mesures de réduction des impacts - ou de compensation des
impacts
résiduels - de l'aménagement hydroélectrique sur l'environnement, la
nature
et le paysage étaient insuffisantes.
Le Conseil d'Etat a finalement approuvé le 16 janvier 2002 les cinq
nouvelles
concessions en les assortissant de diverses conditions et charges. Il
a ainsi
imposé des mesures qui avaient été proposées dans le rapport d'impact
sur
l'environnement (RIE) déposé par les auteurs du projet. L'opposition
du WWF a
été rejetée.

D.
Le WWF a recouru auprès du Tribunal cantonal contre la décision du
Conseil
d'Etat en développant les griefs de son opposition.
La Cour de droit public du Tribunal cantonal a rendu son arrêt le 29
novembre
2002. Elle a admis le recours, annulé la décision attaquée et renvoyé
l'affaire au Conseil d'Etat pour nouvelle décision dans le sens des
considérants (ch. 1 du dispositif). Selon cet arrêt, les normes du
droit
fédéral et du droit cantonal sur la durée des concessions
hydroélectriques
n'ont pas été violées. En ce qui concerne les purges du "bassin des
Trappistes", l'arrêt retient que les mesures proposées dans le rapport
d'impact (étalement dans le temps des purges, ouverture en priorité
des
vannes de la rive droite de la Dranse dès lors que la passe à
poissons se
trouve sur la rive gauche, creusement d'une gouille reliée à la Dranse
destinée à servir de lieu de repli aux poissons du bassin)
permettraient d'en
pallier les effets négatifs. Pour le Conseil d'Etat et son service
spécialisé, ces opérations devraient être entreprises à un rythme
tenant
compte des risques pour la faune aquatique, et elles devraient faire
l'objet
d'autorisations cantonales ultérieures; il n'y avait ainsi pas lieu
de régler
cette question de manière plus détaillée lors de la procédure
d'approbation
des concessions. Les griefs du WWF concernant le maintien de débits
résiduels
convenables dans la Dranse après le prélèvement ont été admis car le
Conseil
d'Etat n'avait pas examiné la possibilité d'une augmentation du débit
minimal
conformément à l'art. 33 al. 1 LEaux (débit supérieur au seuil
calculé selon
l'art. 31 al. 1 LEaux). Le Tribunal cantonal a enfin reproché au
Conseil
d'Etat une constatation incomplète des faits au sujet des mesures de
protection des biotopes ou de compensation fondées sur l'art. 18 de
la loi
fédérale sur la protection de la nature et du paysage (LPN; RS 451).

E.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, le WWF Suisse
demande
au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du Tribunal cantonal "sur les
points
sur lesquels il a été attaqué" et de renvoyer l'affaire au Conseil
d'Etat
pour nouvelle décision dans le sens des considérants avec les
instructions
suivantes:
- limiter la concession de droits d'eau octroyée à la société Forces
Motrices
de Martigny-Bourg S.A. (FMMB) à une durée n'excédant pas quarante
ans, à
compter du 5 mars 2000;
- renvoyer au stade de la deuxième étape de l'étude d'impact et de
l'autorisation de construire d'une part les études et le choix du mode
d'élimination des sédiments s'accumulant à la prise d'eau des
Trappistes,
sans tenir compte du chiffre 4.1, alinéa 1, du dispositif de la
décision
d'approbation des concessions du 16 janvier 2002, et d'autre part
l'étude et
l'adoption des mesures de réduction et/ou de compensation des impacts
négatifs de l'aménagement hydroélectrique litigieux.
La société Forces Motrices de Martigny-Bourg S.A. conclut au rejet du
recours. Le Conseil d'Etat propose le rejet du recours, dans la
mesure où il
est recevable.
Aucune des cinq communes concédantes n'a répondu au recours.
Le Département fédéral des transports, de l'énergie et de la
communication
(DETEC) a été invité à donner son avis sur le recours. L'Office
fédéral de
l'environnement, des forêts et du paysage (OFEFP) a déposé des
observations
et l'Office fédéral des eaux et de la géologie (OFEG) a renoncé à se
déterminer. Ces écritures ont été communiquées aux parties; le WWF a
déposé
des observations à ce sujet.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Selon l'art. 97 OJ en relation avec l'art. 5 PA, la voie du recours
de droit
administratif est ouverte contre les décisions fondées sur le droit
public
fédéral - ou qui auraient dû l'être -, à condition qu'elles émanent
d'autorités énumérées à l'art. 98 OJ et pour autant qu'aucune des
exceptions
prévues aux art. 99 à 102 OJ ou dans la législation spéciale ne soit
réalisée
(ATF 129 II 183 consid. 3.1 et les arrêts cités).

1.1 La contestation porte sur l'octroi de concessions de droits d'eau
au sens
des art. 38 ss de la loi fédérale sur l'utilisation des forces
hydrauliques
(LFH; RS 721.80). La décision attaquée, prise en dernière instance
cantonale
par une autorité judiciaire (cf. art. 98 let. g OJ en relation avec
l'art.
98a al. 1 OJ), est fondée sur des prescriptions du droit public
fédéral
relatives à l'utilisation des forces hydrauliques, à la protection
des eaux,
à la pêche et à la protection de la nature et du paysage, notamment;
elle
concerne un aménagement hydroélectrique dont la construction et la
modification sont soumises à une étude de l'impact sur
l'environnement (ch.
21.3 de l'annexe de l'ordonnance relative à l'étude de l'impact sur
l'environnement [OEIE; RS 814.011]). L'application de ces
prescriptions
fédérales est en jeu; aussi la voie du recours de droit administratif
est-elle ouverte conformément aux art. 97 ss OJ (cf. en particulier
art. 99
al. 1 let. d et al. 2 let. a OJ).

1.2 Le WWF Suisse a qualité pour recourir sur la base de l'art. 103
let. c OJ
et des dispositions de la législation fédérale accordant un droit de
recours
à cette organisation d'importance nationale, soit l'art. 55 LPE et
l'art. 12
LPN (en relation avec l'art. 1 et le ch. 3 de l'annexe de l'ordonnance
relative à la désignation des organisations habilitées à recourir
dans les
domaines de la protection de l'environnement ainsi que de la
protection de la
nature et du paysage [ODO; RS 814.076]; cf. notamment ATF 119 Ib 254
consid.
1c p. 263).

1.3 L'arrêt attaqué est une décision d'annulation de l'approbation de
concessions, avec renvoi à l'autorité administrative pour nouvelle
décision.
Le Tribunal cantonal n'a donc pas mis fin à la procédure cantonale;
formellement, son arrêt constitue une décision incidente. En vertu de
l'art.
101 let. a OJ, le recours de droit administratif est en principe
recevable
contre les décisions incidentes, lorsqu'il est aussi ouvert contre la
décision finale; il faut toutefois encore, selon la jurisprudence,
que le
recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision
attaquée
soit immédiatement annulée ou modifiée (cf. ATF 129 II 183 consid.
3.2 p. 187
et les arrêts cités).
L'organisation recourante ne conteste pas tous les éléments de la
décision
attaquée. Ses griefs se rapportent en effet seulement à trois
questions
traitées par le Tribunal cantonal: la durée des nouvelles
concessions; les
modalités des purges à la prise d'eau des Trappistes; les mesures de
réduction et de compensation des impacts de l'aménagement
hydroélectrique.
Elle prétend que, sur ces points, l'arrêt attaqué équivaudrait à un
décision
finale partielle, tranchant définitivement des questions relatives à
l'application du droit public fédéral. En pareil cas, la
jurisprudence admet
la recevabilité du recours de droit administratif, nonobstant le
régime
particulier s'appliquant aux décisions incidentes (cf. ATF 129 II 286
consid.
4.2 p. 291, 384 consid. 2.3 p. 385; 120 Ib 97 consid. 1b p. 99; 118
Ib 196
consid. 1b p. 198
et les arrêts cités). Il convient donc de vérifier
si, sur
les trois points litigieux, on se trouve en présence d'une décision
finale
partielle.

1.3.1 En rejetant l'objection de l'organisation recourante qui
qualifiait
d'excessive la durée des concessions, le Tribunal cantonal a statué
définitivement sur l'application, en l'espèce, de l'art. 58 LFH. Les
griefs
du recours de droit administratif sont recevables à ce propos.

1.3.2 A propos de l'évacuation des sédiments (purges), l'arrêt attaqué
représente également une décision finale partielle d'application de la
législation fédérale sur la protection des eaux et sur la pêche. Le
Tribunal
cantonal a examiné les questions à traiter au stade de l'approbation
des
concessions, tout en réservant les décisions à prendre dans une phase
ultérieure. Il est admissible, en l'état, de contester cette décision
partielle par la voie du recours de droit administratif.

1.3.3 En ce qui concerne enfin les mesures de protection des biotopes
ou les
mesures de compensation à ordonner conformément à l'art. 18 LPN, le
Tribunal
cantonal s'est borné à renvoyer l'affaire au Conseil d'Etat pour
qu'il statue
à nouveau en tenant compte de tous les faits pertinents et en
imposant, le
cas échéant, des mesures supplémentaires. On ne voit pas, dans l'arrêt
attaqué, de décision de principe sur la portée de l'art. 18 LPN dans
le cas
d'espèce ni de restriction du pouvoir d'appréciation du Conseil
d'Etat. La
nouvelle décision sur l'approbation des concessions pourra derechef
faire
l'objet d'un recours au Tribunal cantonal. L'organisation recourante
n'a donc
aucun intérêt digne de protection à demander, sur ce point,
l'annulation de
l'arrêt attaqué. Le recours de droit administratif est à cet égard
irrecevable.

1.4 Il y a donc lieu d'entrer partiellement en matière. Dans le cadre
de la
contestation, conformément à l'art. 114 al. 1 OJ, le Tribunal fédéral
peut
admettre le recours pour d'autres raisons que celles avancées par le
recourant ou, au contraire, confirmer l'arrêt attaqué pour d'autres
motifs
que ceux retenus par l'autorité intimée (ATF 129 II 183 consid. 3.4
p. 188).

2.
L'organisation recourante fait valoir que l'arrêt attaqué est
contradictoire
au sujet de l'élimination des sédiments à la prise d'eau des
Trappistes. Elle
conclut à ce que le choix du mode d'élimination soit renvoyé à une
phase
ultérieure de la procédure (deuxième étape de l'étude d'impact et
autorisation de construire). Dans son argumentation, elle déclare
toutefois
ne pas être "fondamentalement opposée" à la décision prise à ce
propos par le
Tribunal cantonal. Elle soutient malgré tout que la logique aurait
commandé
l'annulation du ch. 4.1 al. 1 du dispositif de la décision du 16
janvier 2002
par laquelle le Conseil d'Etat a approuvé les concessions. Ce dernier
argument n'est cependant pas concluant dès lors que la décision
d'approbation
a été annulée dans son ensemble, y compris le ch. 4.1 (conditions et
charges
en matière de protection de la nature et du paysage).
En renvoyant l'affaire au gouvernement cantonal pour nouvelle
décision "dans
le sens des considérants", le Tribunal cantonal n'a pas donné
d'instructions
précises au sujet de l'élimination des sédiments. Il a constaté pour
l'essentiel que le rapport d'impact sur l'environnement avait traité
la
question des purges à la prise d'eau (en proposant notamment un
étalement
dans le temps pour réduire le débit instantané et l'ouverture en
priorité des
vannes les plus éloignées de la passe à poissons - p. B.19 du RIE) et
que les
mesures proposées avaient été admises par l'administration cantonale
lors de
la première étape de l'étude d'impact. Cette solution a été qualifiée
par la
Cour cantonale de raisonnable. Cette appréciation - que l'organisation
recourante ne met pas en doute car elle ne prétend pas s'opposer par
principe
à des purges périodiques - n'exclut pas d'autres mesures ou
modalités, qui
pourront le cas échéant être étudiées et ordonnées ultérieurement.
L'arrêt
attaqué prévoit en effet, sans que cela soit critiqué dans le
recours, des
autorisations ultérieures à ce sujet, indépendantes de l'approbation
des
concessions. Le droit fédéral prescrit pour ces projets
hydroélectriques une
étude d'impact en deux étapes, la première dans la procédure d'octroi
de la
concession et la seconde dans une procédure à déterminer par le droit
cantonal (art. 6 OEIE et ch. 21.3 annexe OEIE). Il n'y a pas lieu
d'examiner
ici quel devra être le fondement légal des décisions à prendre au
terme de
cette seconde étape car, d'après le recours de droit administratif, la
contestation ne porte pas sur ce point. En outre, comme le Conseil
d'Etat
doit encore se prononcer (dans la phase d'approbation des
concessions) sur le
débit résiduel à garantir dans la Dranse après le prélèvement, il est
possible que sa nouvelle décision influence partiellement le régime
des
purges ou les mesures à ordonner, à la prise d'eau des Trappistes,
pour la
protection de la faune aquatique.
En définitive, la solution de la juridiction cantonale n'est pas
contradictoire, formellement ou matériellement. Elle n'est pas
susceptible de
compromettre la mise en oeuvre des prescriptions fédérales de
protection de
la nature ou de l'environnement. Les conclusions du recours à ce
propos
doivent être rejetées.

3.
L'organisation recourante fait valoir qu'en approuvant des
concessions d'une
durée de quatre-vingts ans, le Conseil d'Etat a violé l'art. 4 al. 2
LFH car
il aurait insuffisamment tenu compte de l'intérêt public ainsi que de
l'obligation de garantir une utilisation rationnelle du cours d'eau.

3.1 L'art. 4 al. 1 LFH prévoit que les communes qui disposent de la
force
hydraulique ne peuvent la céder à des tiers sans l'approbation de
l'autorité
cantonale. Dans le canton du Valais, il appartient au Conseil d'Etat
de se
prononcer (art. 9 al. 2 LFH/VS). En vertu de l'art. 4 al. 2 LFH,
l'autorité
cantonale est tenue de refuser l'approbation si le projet
d'utilisation est
contraire à l'intérêt public ou à l'utilisation rationnelle du cours
d'eau
(l'art. 20 LFH/VS contient une clause analogue).
La concession est un acte mixte, composé de clauses bilatérales et de
clauses
unilatérales ou décisionnelles. Ces dernières clauses résultent
directement
ou impérativement de la loi (les modalités d'utilisation de la force
hydraulique telles que les débits utilisables, de dotation et
résiduels,
notamment - cf. art. 54 let. b et c LFH), tandis que le contenu des
clauses
bilatérales est négocié par les parties. Cela n'engage en principe
que leurs
intérêts propres; en d'autres termes, l'intérêt public n'est pas
concerné au
même degré. La clause fixant la durée de la concession est
typiquement une
clause bilatérale, la loi se contentant généralement de définir une
limite à
l'autonomie de la volonté de l'autorité concédante et du
concessionnaire en
fixant un maximum qu'ils ne sauraient dépasser (cf. Pierre Moor, Droit
administratif, vol. III, Berne 1992, p. 124/125; André Grisel, Traité
de
droit administratif, Neuchâtel 1984, vol. I p. 284; Michel Hanhardt,
La
concession de service public, thèse Lausanne 1977, p. 81 ss; Jacques
Fournier, Vers un nouveau droit des concessions hydroélectriques,
thèse
Fribourg 2002 p. 150 ss, 154). L'approbation cantonale doit porter
sur tous
les éléments de la concession. Pour les clauses bilatérales, le
pouvoir
d'appréciation et de décision de l'autorité cantonale est cependant
par
principe plus limité, vu les intérêts en jeu.

3.2 Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal cantonal s'est référé aux
règles du
droit fédéral et du droit cantonal sur la durée maximale des
concessions
hydroélectriques, en considérant qu'elles n'avaient pas été violées
dans le
cas particulier.
L'art. 58 LFH dispose que la durée de la concession est de
quatre-vingts ans
au plus, à compter de la mise en service de l'aménagement
hydroélectrique;
cette règle est reprise, en droit cantonal, à l'art. 49 al. 1 LFH/VS.
La
durée légale maximale vaut aussi en cas de renouvellement d'une
concession.
Si la concession est renouvelée avant son échéance, l'art. 58a al. 4
LFH
permet aux parties de fixer la date de l'entrée en vigueur de la
nouvelle
concession au maximum vingt-cinq ans après la décision de
renouvellement, ce
qui diffère d'autant l'échéance de cette concession (cf. Message du
Conseil
fédéral relatif à la révision de la loi fédérale sur l'utilisation
des forces
hydrauliques, FF 1995 IV 986).
La durée maximale des concessions est une limite à l'autonomie des
parties
que le législateur fédéral a introduite pour des motifs d'intérêt
public, car
une concession perpétuelle ou de trop longue durée priverait la
collectivité
concédante de la maîtrise du domaine public (cf. ATF 127 II 69
consid. 4c p.
74 et 5b p. 77). Le cadre légal a été défini de manière à permettre la
sauvegarde des intérêts économiques du concessionnaire, en
particulier en vue
de l'amortissement de ses investissements; cela nécessite la fixation
d'une
durée maximale suffisamment longue (cf. ATF 127 II 69 consid. 5b p.
76). La
concession confère en effet au concessionnaire un droit stable:
pendant la
durée de la concession, l'art. 43 al. 2 LFH prévoit que le droit
d'utilisation ne peut être retiré ou restreint sauf pour cause
d'utilité
publique et moyennant indemnité. Néanmoins, l'intérêt public à
réaliser les
objectifs de la protection des eaux, de la pêche ou de la nature -
ceux que
défend généralement l'organisation recourante - n'est pas en soi
compromis
dans le cas d'une concession d'une durée correspondant au maximum
légal,
puisque des mesures complémentaires à celles fixées dans les clauses
unilatérales peuvent, à certaines conditions, être encore ordonnées
après
coup, avec ou sans indemnité selon que l'on atteint ou non la
substance des
droits acquis du concessionnaire (cf. ATF 127 II 69 consid. 5a p. 75;
126 II
171 consid. 3c p. 179; 119 Ib 254 consid. 5a p. 268; 107 Ib 140
consid. 4 p.
146 et 6b p. 150; arrêt A.188/1987 du 11 juillet 1988, in ZBl 90/1989
p. 83
consid. 4d).

3.3 A raison, l'organisation recourante ne prétend pas que les règles
impératives sur la durée des concessions auraient été violées. Elle
fait en
revanche valoir que l'autorité cantonale d'approbation aurait dû
imposer une
durée inférieure à quatre-vingts ans pour mieux tenir compte de
l'intérêt
public et de l'impératif d'utilisation rationnelle de la Dranse.
Comme cela vient d'être exposé (supra, consid. 3.2), le législateur
fédéral a
lui-même effectué une pesée des intérêts en fixant la durée maximale
à l'art.
58 LFH. En soi, il n'est donc pas contraire à l'intérêt public de
convenir,
entre parties, d'une durée conforme à cette disposition légale. En
cas de
renouvellement d'une concession pour des installations existantes, ou
de
changement de concessionnaire à l'échéance de la première concession,
les
intérêts économiques du nouveau concessionnaire ne sont pas
sensiblement
différents, dans la situation actuelle, de ceux que pourrait invoquer
le
concessionnaire d'un nouvel aménagement hydroélectrique. L'arrêt
attaqué
mentionne l'évolution récente du marché de l'électricité, qui rend
plus
aléatoires les perspectives de rendement commercial des ouvrages
hydroélectriques. Dans sa réponse au recours, la société intimée
donne en
outre un aperçu convaincant de ses charges financières prévisibles,
non
négligeables, à cause notamment du renouvellement nécessaire de
certains
équipements.
L'organisation recourante fait cependant valoir que l'autorité
cantonale
n'aurait pas dû approuver des concessions de quatre-vingts ans car,
avec
l'évolution des circonstances et des connaissances, on pourrait
concevoir à
moyen terme une utilisation plus rationnelle du cours d'eau concerné.
Elle
invoque la situation particulière résultant des concessions des eaux
de la
Dranse, ou de la Dranse de Bagnes, octroyées par les cinq mêmes
communes à la
société anonyme Forces Motrices de Mauvoisin S.A. (FMM). Ces
concessions,
approuvées en 1948 et 1951, parviendront à échéance en 2040 ou 2041
(voir
l'extrait du registre cantonal des concessions reproduit in: Hans
Wyer,
Rechtsfragen der Wasserkraftnutzung, thèse Berne 2000, annexes p.
35). A ce
propos, l'organisation recourante prétend que la superposition,
jusqu'en
2040, des droits d'utilisation de FMMB, d'une part, et de FMM,
d'autre part,
serait contraire au droit fédéral. Quoi qu'il en soit, elle prône une
unification des dates d'échéance de ces différentes concessions - ce
qui
entraînerait une réduction de moitié de la durée des concessions
litigieuses
-, de façon à garantir ensuite une utilisation mieux coordonnée et
plus
rationnelle des forces hydrauliques de la Dranse. Cela étant,
l'organisation
recourante ne soutient pas que l'aménagement en cause, dans son mode
d'exploitation actuel, serait peu rationnel.
Dans sa réponse au recours de droit administratif, la société intimée
expose
que son droit d'eau est défini dans les concessions en fonction du
débit
utilisable. Le volume d'eau annuel mentionné (art. 1 al. 3: 211.7
mios de m3
au total, ou 6.7 m3/s) équivaudrait aux quantités d'eau disponibles
dans la
Dranse à la prise des Trappistes, compte tenu des concessions déjà
accordées
aux sociétés Electricité d'Emosson (pour ses prélèvements dans la
Dranse de
Ferret) et FMM (pour ses prélèvements dans la Dranse
de Bagnes). En
outre,
avec un débit résiduel futur de 1.25 m3/s (art. 1 al. 4 des
concessions), le
volume d'eau annuel prélevé pour l'usine de Martigny-Bourg
correspondrait aux
droits d'eaux concédés (permettant une production de 78 mio de kWh,
soit la
production future annoncée de l'usine). Dans ces conditions, il n'y
aurait
pas concrètement de superposition des droits d'eau de FMM et FMMB.
Il arrive, dans le canton du Valais, que les droits d'utilisation de
la force
hydraulique d'un cours d'eau soient concédés successivement à deux
sociétés,
le second concessionnaire pouvant alors s'engager à fournir au premier
concessionnaire des prestations compensatoires (cf. Wyer, op. cit.,
p. 43 ss
- le droit fédéral évoque ces prestations compensatoires à l'art. 54
let. l
LFH). En l'occurrence, dès la mise en service du barrage de
Mauvoisin, les
installations de FMM - historiquement le second concessionnaire - ont
permis
une utilisation rationnelle des eaux de la Dranse prélevées en amont
(le
bassin de retenue se trouve à une altitude proche de 2'000 m et la
restitution des eaux s'effectue directement dans le Rhône - cf. Wyer,
op.
cit., annexes p. 6). Cela n'a pas empêché l'exploitation, dont le
caractère
rationnel n'est pas contesté, de l'usine de Martigny-Bourg par
l'Energie de
l'Ouest-Suisse puis par FMMB.
L'art. 39 LFH dispose qu'en statuant sur les demandes de concession,
les
communes concédantes doivent tenir compte de l'intérêt public, de
l'utilisation rationnelle du cours d'eau et des intérêts existants.
Ces
critères légaux, formulés de manière indéterminée, confèrent aux
communes un
large pouvoir d'appréciation dans ce domaine. En approuvant les
nouvelles
concessions litigieuses, le Conseil d'Etat ne pouvait pas substituer
son
pouvoir d'appréciation à celui des communes. Il lui appartenait
cependant de
veiller à ce que les différents concessionnaires de la Dranse
puissent tous
utiliser rationnellement le cours d'eau. Dans la mesure où elle doit
garantir
une coordination adéquate de l'utilisation des forces hydrauliques sur
différents tronçons d'un cours d'eau, l'autorité cantonale dispose
elle
aussi, à ce sujet, d'un certain pouvoir d'appréciation. Dans le cas
de la
Dranse, on ne peut certes pas exclure des difficultés ou des
problèmes de
coordination à l'échéance de certaines concessions, mais il s'agit là
de
pures spéculations et l'utilisation rationnelle du cours d'eau ne
serait a
priori pas fondamentalement compromise. Au reste, si l'évolution des
circonstances révélait la nécessité de prendre de nouvelles mesures de
protection des eaux ou de l'environnement, la longue durée des
concessions
n'y ferait en principe pas obstacle (cf. supra, consid. 3.2). D'une
façon
générale, sur la base du dossier, il apparaît que ni les communes
concédantes, ni le Conseil d'Etat n'ont commis un abus ou un excès de
leur
pouvoir d'appréciation en admettant, pour les concessions
litigieuses, une
durée correspondant au maximum de l'art. 58 LFH. Le grief de
violation du
droit fédéral (cf. art. 104 let. a OJ) est par conséquent mal fondé.

4.
Il s'ensuit que le recours de droit administratif doit être rejeté,
dans la
mesure où il est recevable.
Selon une jurisprudence constante, les organisations de protection de
la
nature, du paysage ou de l'environnement sont normalement dispensées
du
paiement des frais judiciaires lorsqu'elles succombent dans la
procédure du
recours de droit administratif (cf. ATF 123 II 337 consid. 10a p.
357). Le
WWF aura cependant à payer à la société concessionnaire une indemnité
à titre
de dépens; quant aux communes concédantes, qui n'ont pas procédé, et
aux
autorités cantonales, elles n'ont pas droit à des dépens (art. 159
al. 1 et 2
OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit administratif est rejeté, dans la mesure où il est
recevable.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3.
Une indemnité de 3'000 fr., à payer à la société anonyme Forces
Motrices de
Martigny-Bourg S.A., à titre de dépens, est mise à la charge du WWF
Suisse.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires de
l'organisation
recourante et de la société anonyme Forces Motrices de Martigny-Bourg
S.A., à
la Commune de Vollèges, à la Commune de Sembrancher, à la Commune de
Bovernier, à la Commune de Martigny-Combe, à la Commune de Martigny,
au
Conseil d'Etat et au Tribunal cantonal du canton du Valais, ainsi
qu'au
Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie
et de la
communication (pour l'Office fédéral de l'environnement, des forêts
et du
paysage et l'Office fédéral des eaux et de la géologie).

Lausanne, le 24 novembre 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.19/2003
Date de la décision : 24/11/2003
1re cour de droit public

Analyses

Durée d'une concession pour l'utilisation des forces hydrauliques; art. 4, 39 et 58 LFH. Portée de l'approbation cantonale d'une concession octroyée par une commune; examen de la clause fixant la durée de la concession, dans le cadre prévu par le droit fédéral (consid. 3).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-11-24;1a.19.2003 ?
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