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19/11/2003 | SUISSE | N°1A.201/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 19 novembre 2003, 1A.201/2003


{T 0/2}
1A.201/2003 /col

Arrêt du 19 novembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Reeb et Catenazzi.
Greffier: M. Kurz.

M.________,
la société L.________,
recourants,
tous deux représentés par Me Jean-Marc Carnicé, avocat, rue de
Beaumont 11,
case postale 554,
1211 Genève 17,

contre

Ministère public de la Confédération, Taubenstrasse 16, 3003 Berne.

Entraide judiciaire avec l'Italie,
> recours de droit administratif contre la décision du Ministère public
de la
Confédération du 11 août 2003.

Faits:

A....

{T 0/2}
1A.201/2003 /col

Arrêt du 19 novembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Reeb et Catenazzi.
Greffier: M. Kurz.

M.________,
la société L.________,
recourants,
tous deux représentés par Me Jean-Marc Carnicé, avocat, rue de
Beaumont 11,
case postale 554,
1211 Genève 17,

contre

Ministère public de la Confédération, Taubenstrasse 16, 3003 Berne.

Entraide judiciaire avec l'Italie,

recours de droit administratif contre la décision du Ministère public
de la
Confédération du 11 août 2003.

Faits:

A.
Le 23 avril 1997, le Procureur de la République près le Tribunal de
Bari a
adressé à la Suisse une demande d'entraide judiciaire dans le cadre
d'une
procédure pénale ouverte contre les dénommés A.________, B.________,
C.________ et autres, pour association de malfaiteurs de type
mafieux, trafic
d'armes et de stupéfiants, extorsions, dont le produit aurait été pour
l'essentiel transféré à l'étranger, notamment en Suisse, dans des
véhicules
aménagés à cet effet. Complétée à plusieurs reprises, la demande a été
exécutée par le Ministère public de la Confédération (cf. les arrêts
1A.326-328/2000 du 14 juin 2000, et 1A.14/2003 du 13 mars 2003).
Les 19, 21 et 25 février 2001, l'autorité requérante a, présenté de
nouveaux
compléments. L'activité mafieuse, en Italie et au Monténégro, y est
exposée
avec plus de détails, de même que les activités de recyclage des
fonds en
Suisse, par l'intervention de diverses personnes physiques et
morales, parmi
lesquelles le ressortissant français M.________ et sa société
L.________. Le
Parquet de Bari demande des perquisitions - notamment aux domiciles de
M.________ à Saint-Prex et à Lugano -, des investigations bancaires
portant
sur la période du 1er janvier 1996 au 1er avril 2001, ainsi que le
séquestre
des avoirs disponibles.

B.
Par ordonnances du 26 février 2002, le MPC est entré en matière et a
ordonné
une perquisition aux domiciles vaudois et tessinois de M.________,
ainsi que
le séquestre de tout document en rapport avec l'enquête italienne.

C.
Par ordonnance de clôture partielle du 11 août 2003, le MPC a décidé
de
transmettre aux autorités requérantes, sous la réserve de la
spécialité, les
documents saisis au domicile et au bureau de M.________ à Saint-Prex,
ainsi
qu'à l'adresse de Lugano, qui est également le siège de la société
L.________, selon les inventaires figurant en annexe à la décision.

D.
M.________ et L.________ forment un recours de droit administratif
contre les
ordonnances d'entrée en matière et de clôture. Ils concluent à
l'annulation
de ces décisions, et au rejet des demandes d'entraide,
subsidiairement au
renvoi du dossier au MPC afin qu'il invite l'autorité requérante à
compléter
son état de fait. Plus subsidiairement, ils demandent d'inviter le
MPC à
compléter la clause de réserve de la spécialité en précisant que les
renseignements transmis ne pourront pas être utilisés pour la
répression des
délits en relation avec la contrebande de cigarettes.
Le MPC et l'Office fédéral de la justice concluent au rejet du
recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Interjeté dans le délai et les formes utiles contre une décision de
clôture
partielle rendue par l'autorité fédérale d'exécution, le recours de
droit
administratif est recevable (art. 80g de la loi fédérale sur
l'entraide
internationale en matière pénale - EIMP, RS 351.1).
1.1 Les recourants ont qualité pour recourir contre la transmission de
documents saisis d'une part au domicile et au bureau de M.________ à
Saint-Prex, et d'autre part au bureau de Lugano, qui est le siège de
L.________ (art. 80h let. b et 9a let. b OEIMP).

1.2 La Confédération suisse et la République italienne sont toutes
deux
parties à la CEEJ. Les dispositions de ce traité l'emportent sur le
droit
autonome qui régit la matière, soit l'EIMP et son ordonnance
d'exécution, qui
sont applicables aux questions non réglées, explicitement ou
implicitement,
par le droit conventionnel et lorsque cette loi est plus favorable à
l'entraide que la Convention (ATF 123 II 134 consid. 1a p. 136; 122
II 140
consid. 2 p. 142; 120 Ib 120 consid. 1a p. 122/123, et les arrêts
cités). Est
réservé le respect des droits fondamentaux (ATF 123 II 595 consid. 7c
p.
617).

2.
Invoquant l'art. 28 EIMP, les recourants relèvent que la demande
d'entraide
et ses compléments ne contiennent aucune indication sur les activités
prétendument illicites de M.________ ou de la société recourante.

2.1 Selon l'art. 14 CEEJ, la demande d'entraide doit notamment
indiquer son
objet et son but (ch. 1 let. b), ainsi que l'inculpation et un exposé
sommaire des faits (ch. 2). Ces indications doivent permettre à
l'autorité
requise de s'assurer que l'acte pour lequel l'entraide est demandée
est
punissable selon le droit des Parties requérante et requise (art. 5
ch. 1
let. a CEEJ), qu'il ne constitue pas un délit politique ou fiscal
(art. 2 al.
1 let. a CEEJ), que l'exécution de la demande n'est pas de nature à
porter
atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à
d'autres
intérêts essentiels du pays (art. 2 let. b CEEJ), et que le principe
de la
proportionnalité est respecté (ATF 118 Ib 111 consid. 4b et les arrêts
cités). Le droit interne (art. 28 EIMP) pose des exigences
équivalentes, que
l'OEIMP précise en exigeant l'indication du lieu, de la date et du
mode de
commission des infractions (art. 10 OEIMP; ATF 129 II 97 consid. 3.1
p.
98-99).

2.2 La demande d'entraide n'est guère explicite quant aux agissements
qui
auraient été commis par les recourants. Cela n'entraîne toutefois pas
le
refus de l'entraide judiciaire. Le contexte dans lequel l'autorité
requérante
a été amenée à s'intéresser à différentes personnes physiques et
morales est
clairement expliqué dans les compléments des 19 février et 12 octobre
2001.
Les autorités requérantes y exposent dans le détail les résultats de
leurs
investigations. Elles évoquent la création, par les personnes
poursuivies,
d'un cartel criminel au Monténégro se livrant à des actes de violence
et de
corruption. Elles décrivent l'activité de ce cartel notamment dans les
Pouilles, ainsi que son financement par divers trafics, pour
l'acquisition
d'armes et de matériel. Les fonds destinés à alimenter le réseau
seraient
importés en Suisse dans des voitures spécialement préparées à cet
effet. Les
qualifications juridiques différentes retenues par les autorités
répressives
italiennes n'ont rien d'incohérent, l'art. 416bis CPI (associazione
di tipo
mafioso) n'étant qu'une forme qualifiée d'association criminelle
(art. 416
CPI). Cela étant, M.________ figure au nombre des personnes
soupçonnées de
faire transiter les fonds. Les autorités requérantes mentionnent, à
titre
d'exemples, plusieurs cas d'interceptions de fonds d'origine
criminelle. On
ignore certes ce qui a pu conduire les autorités requérantes à
soupçonner le
recourant, mais cela n'est pas déterminant. La demande d'entraide n'a
pas à
expliquer dans le détail en quoi pourrait consister la participation
aux
agissements décrits, pour chaque personne faisant l'objet de ses
investigations. Il suffit que l'on comprenne, de manière générale, en
quoi
consistent ces soupçons, soit essentiellement des activités de
recyclage
d'argent, sans qu'aucune autre preuve ou précision supplémentaire ne
soit
exigible de la part de l'Etat requérant (ATF 129 II 97 consid. 3.2
concernant
les infractions de blanchiment d'argent). L'entraide requise a
précisément
pour but de déterminer si, et dans quelle mesure, les recourants
peuvent se
voir imputer une participation aux activités décrites.

3.
Les recourants argumentent de la même manière sous l'angle de la
double
incrimination. Ils estiment qu'aucun fait relevant du trafic de
drogue ou
d'armes n'est imputé à M.________. Les éléments constitutifs d'une
participation à une entreprise criminelle (art. 260ter CP), soit
l'existence
d'un groupe structuré, durable et réglementé, une structure et des
effectifs
secrets, l'existence de buts particuliers, ainsi que les
caractéristiques
propres à l'auteur d'une telle infraction ne feraient pas l'objet
d'indications suffisantes. L'examen des pièces saisies révélerait une
activité parfaitement régulière dans le cadre du commerce de
cigarettes. Les
poursuites à Naples et à Bari concerneraient uniquement la
contrebande de
cigarettes, délit fiscal excluant l'entraide. L'infraction de
blanchiment
d'argent ne serait pas non plus réalisée, faute d'indication quant au
lien
entre les crimes imputés à l'organisation mafieuse et les fonds
prétendument
reçus par M.________ en Suisse.

3.1 Selon l'art. 5 al. 1 let. a CEEJ, applicable en vertu de la
réserve émise
par la Suisse, l'exécution d'une commission rogatoire aux fins de
perquisition ou de saisie d'objets est subordonnée à la condition que
l'infraction poursuivie dans l'Etat requérant soit punissable selon
la loi de
cet Etat et de la partie requise. Selon la jurisprudence, l'examen de
la
punissabilité comprend, par analogie avec l'art. 35 al. 2 EIMP
applicable en
matière d'extradition, les éléments constitutifs objectifs de
l'infraction, à
l'exclusion des conditions particulières du droit suisse en matière de
culpabilité et de répression (ATF 118 Ib 448 consid. 3a et les arrêts
cités).

3.2 La condition de la double incrimination est à l'évidence
respectée: la
demande fait état d'une vaste organisation, permanente structurée et
secrète,
ayant pour activités notamment divers trafics et des extorsions.
Indépendamment de ce qui pourrait concrètement être reproché à l'un ou
l'autre des recourants, de tels agissements tomberaient en droit
suisse sous
le coup de l'art. 260ter CP, comme l'a d'ailleurs déjà constaté le
Tribunal
fédéral dans ses arrêts précédents concernant la même procédure
d'entraide
judiciaire (arrêts 1A.326 et 327/2000 du 14 juin 2002, 1A.252/2002 du
13 mars
2003 et 1A.126/ 2003 du 30 octobre 2003). Par ailleurs, le transport
clandestin en Suisse de fonds dont la provenance criminelle est
manifeste, le
transit de ces fonds par divers comptes et leur rapatriement pour
alimenter
l'organisation criminelle sont typiquement constitutifs de blanchiment
d'argent. Comme cela est relevé ci-dessus, l'autorité n'a pas à
préciser le
rôle tenu par chacune des personnes soumises à l'enquête.

4.
Les recourants invoquent ensuite le principe de la proportionnalité.
Selon
eux, les documents bancaires saisis concerneraient des activités dans
le
commerce du tabac, mais seraient sans aucun rapport avec un quelconque
recyclage d'argent.

4.1 Le principe de la proportionnalité empêche d'une part l'autorité
requérante de demander des mesures inutiles à son enquête et, d'autre
part,
l'autorité d'exécution d'aller au-delà de la mission qui lui est
confiée (ATF
121 II 241 consid. 3a). L'autorité suisse requise s'impose une grande
retenue
lorsqu'elle examine le respect de ce principe, faute de moyens qui lui
permettraient de se prononcer sur l'opportunité de l'administration
des
preuves. Le juge de l'entraide doit lui aussi se borner à examiner si
les
renseignements à transmettre présentent, prima facie, un rapport avec
les
faits motivant la demande d'entraide. Il ne doit exclure de la
transmission
que les documents n'ayant manifestement aucune utilité possible pour
les
enquêteurs étrangers (examen limité à l'utilité "potentielle", ATF
122 II 367
consid. 2c p. 371).

4.2 La mission décrite dans la demande s'étend à l'ensemble des
comptes
détenus par M.________ et la société recourante, dans le but de
vérifier si
ces personnes ont pu prêter leur concours au transfert de fonds
d'origine
délictueuse. Compte tenu de ces soupçons, les renseignements demandés
apparaissent a priori pertinents, et si l'ensemble des documents
recueillis
se révèlent finalement à décharge, l'autorité requérante n'en a pas
moins
intérêt à en prendre connaissance. Le principe de la proportionnalité
est dès
lors respecté.

5.
Les recourants désirent encore que la clause relative au principe de
la
spécialité, mentionnée dans la décision de transmission, soit
complétée dans
le sens que les renseignements transmis ne peuvent être utilisés dans
le
cadre de poursuites ayant trait au trafic de cigarettes. Telle
qu'elle est
rappelée dans la décision de clôture, la réserve de la spécialité
empêche
l'autorité requérante d'utiliser les moyens de preuve recueillis en
Suisse
pour la poursuite d'infractions pour lesquelles la Suisse n'accorde
pas
l'entraide, en particulier pour la répression d'infractions fiscales.
Les
demandes d'entraide font état d'association de malfaiteurs, de trafic
d'armes
et de stupéfiants, d'extorsions et de délits de violence.
L'ordonnance rendue
par le juge d'instruction de Bari ne mentionne d'ailleurs qu'une
infraction à
l'art. 416bis du code pénal italien (participation, en tant que
dirigeant, à
une association criminelle de type mafieux). Le trafic de cigarettes
ne fait
donc pas l'objet d'une inculpation spécifique, et le principe de la
spécialité s'opposerait à une utilisation des documents remis par la
Suisse
pour la répression de ce type d'infraction. Cela ressort suffisamment
clairement du rappel opéré par le MPC, sans qu'il soit nécessaire de
le

préciser.

6.
Le recours de droit administratif doit par conséquent être rejeté.
Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument est mis à la charge
des
recourants, qui succombent.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 5000 fr. est mis à la charge des
recourants.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des recourants
et au
Ministère public de la Confédération ainsi qu'à l'Office fédéral de la
justice (B 96383).

Lausanne, le 19 novembre 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.201/2003
Date de la décision : 19/11/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-11-19;1a.201.2003 ?
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