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17/11/2003 | SUISSE | N°1P.650/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 17 novembre 2003, 1P.650/2003


{T 0/2}
1P.650/2003 /col

Arrêt du 17 novembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Reeb et Catenazzi.
Greffier: M. Zimmermann.

A. ________,
recourante, représentée par Me Anne-Louise Gillièron, avocate, rue du
Lac 7,
case postale 1356, 1400 Yverdon-les-Bains,

contre

B.________,
intimé, représenté par Me Patrick Stoudmann, avocat, place de la
Palud 13,
case postale 2208, 1002 Lausanne,
Juge d'instructio

n de l'arrondissement du Nord vaudois, rue du
Valentin 18,
1400 Yverdon-les-Bains,
Ministère public du canton de Va...

{T 0/2}
1P.650/2003 /col

Arrêt du 17 novembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Reeb et Catenazzi.
Greffier: M. Zimmermann.

A. ________,
recourante, représentée par Me Anne-Louise Gillièron, avocate, rue du
Lac 7,
case postale 1356, 1400 Yverdon-les-Bains,

contre

B.________,
intimé, représenté par Me Patrick Stoudmann, avocat, place de la
Palud 13,
case postale 2208, 1002 Lausanne,
Juge d'instruction de l'arrondissement du Nord vaudois, rue du
Valentin 18,
1400 Yverdon-les-Bains,
Ministère public du canton de Vaud, rue de l'Université 24, case
postale,
1014 Lausanne,
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud, route
du Signal
8, 1014 Lausanne.

art. 29 al. 2 Cst. et 6 CEDH (procédure pénale),

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du
Tribunal
cantonal du canton de Vaud du 24 avril 2003.

Faits:

A.
A. ________ et le ressortissant bulgare B.________ se sont mariés le
14
janvier 1993. Deux enfants sont issus de leur union: C.________, né
le 20
avril 1993, et D.________, né le 23 mars 1998. Le couple est séparé
depuis
1998. Une procédure de divorce est en cours.
Le 23 octobre 2001, A.________ a porté plainte contre B.________, en
exposant
que son fils C.________ lui avait confié avoir été l'objet
d'attouchements
sexuels de la part de son père. Celui-ci a contesté ces accusations.
Entendu le même jour seul par un agent de la police de sûreté,
C.________ n'a
pas évoqué les faits dénoncés par sa mère. Cette audition a été
enregistrée.
Le 7 novembre 2001, X.________ et Y.________, médecin et psychologue
auprès
du Service de psychiatrie pour enfants et adolescents du canton de
Vaud
(secteur Nord) se sont adressés au Juge d'instruction de
l'arrondissement du
Nord Vaudois, en charge de la plainte, en lui indiquant avoir procédé
à
l'audition enregistrée de C.________. Celui-ci avait déclaré à
Y.________
qu'à l'époque où sa mère se trouvait à la maternité pour la naissance
de
D.________, son père lui avait mis le sexe dans la bouche. Y.________
a
indiqué ne pas être en mesure d'établir la véracité des dires de
l'enfant,
mais ne pas avoir de raison d'en douter, compte tenu de son
comportement
perturbé.
Lors d'une nouvelle audition enregistrée, effectuée par la police le
21
novembre 2001, C.________ a déclaré que lors d'un séjour en Bulgarie,
son
père l'avait obligé à lui "sucer le zizi".
Le 12 février 2002, le Juge d'instruction a ordonné une expertise
pédopsychiatrique de C.________.
Dans son rapport établi le 22 août 2002, Z.________, médecin
psychiatre
auprès du Service universitaire de psychiatrie de l'enfant et de
l'adolescent
du canton de Vaud, se fondant sur les enregistrements des trois
auditions de
C.________, a conclu que le récit de l'enfant, fortement exagéré,
était
"proche de la fabulation" et ne semblait pas décrire correctement les
faits.
Invitée à se déterminer à ce sujet, A.________ a demandé un complément
d'expertise, voire une seconde expertise. Elle a critiqué les
conclusions du
rapport du 22 août 2002, contredites par l'avis de X.________ et
Y.________.
Elle a en outre reproché à l'expert de n'avoir pas procédé à
l'audition de
l'enfant.
Le 8 octobre 2002, le Juge d'instruction a refusé de faire compléter
le
rapport d'expertise.
Le 13 décembre 2002, le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du
canton
de Vaud a rejeté le recours formé par A.________ contre cette
décision, qu'il
a confirmée.
Le 4 mars 2003, A.________ a requis l'audition de cinq témoins, dont
Y.________, requête que le Juge d'instruction a rejetée, le 11 mars
2003.
Le 13 mars 2003, il a prononcé un non-lieu.

A. ________ a entrepris cette décision devant le Tribunal
d'accusation, qui
l'a déboutée le 24 avril 2003.

B.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler les arrêts des 13 décembre 2002 et 24
avril 2003.
Elle invoque les art. 29 al. 2 Cst. et 6 CEDH. Elle requiert
l'assistance
judiciaire.
Il n'a pas été demandé de réponse au recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
En principe, le lésé n'a pas qualité, au regard de l'art. 88 OJ, pour
recourir contre la décision cantonale de dernière instance prononçant
un
acquittement et mettant fin à l'action pénale (ATF 128 I 218 consid.
1.1 p.
219/220, et les arrêts cités). La loi fédérale sur l'aide aux victimes
d'infractions, du 4 octobre 1991 (LAVI; RS 312.5), a toutefois
renforcé la
situation procédurale du lésé, qui peut notamment, selon l'art. 8 al.
1 let.
c LAVI, former contre le jugement les mêmes recours que le prévenu,
s'il
était déjà partie à la procédure et que la sentence touche ses
prétentions
civiles ou peut avoir des effets sur le sort de celles-ci. Cette
norme, comme
règle spéciale, déroge à l'art. 88 OJ, et confère à la victime le
droit de
contester par la voie du recours de droit public la décision de
classement ou
d'acquittement (ATF 128 I 218 consid. 1.1 p. 220; 120 Ia 157 consid.
2c p.
161/162). Dans ce cadre, le recourant est habilité à se plaindre de la
violation des droits formels que lui reconnaît le droit cantonal de
procédure
ou qui découlent directement de la Constitution ou de l'art. 6 CEDH,
s'agissant notamment du droit d'être entendu et de participer à
l'administration des preuves (ATF 128 I 218 consid. 1.1 p. 219/220;
126 I 97
consid. 1a p. 99; 125 I 253 consid. 1b p. 255).
Assimilée à la victime, la recourante est recevable à agir selon
l'art. 2 al.
2 let. b LAVI, mis en relation avec l'al. 1 de la même disposition
(cf. ATF
120 Ia 157 consid. 2d p. 162).
Il y a lieu d'entrer en matière.

2.
La recourante reproche aux autorités cantonales d'avoir refusé un
complément
d'expertise et l'audition de témoins. Elle y voit une violation de
son droit
d'être entendue.

2.1 Les parties ont le droit de s'expliquer avant qu'une décision ne
soit
prise à leur détriment, de fournir des preuves quant aux faits de
nature à
influer sur la décision, d'avoir accès au dossier, de participer à
l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se
déterminer à
leur propos (art. 29 al. 2 Cst.; ATF 129 I 85 consid. 4.1 p. 88/89;
127 I 54
consid. 2b p. 56; 126 V 130 consid. 2 p. 130-132, et les arrêts
cités).

2.2 Dans sa décision du 13 décembre 2002 - à laquelle renvoie celle
du 24
avril 2003 -, le Tribunal d'accusation a confirmé le refus d'une
nouvelle
expertise parce que cette mesure était superflue et incompatible avec
l'art.
10c LAVI.

2.2.1 Interrogé à trois reprises par des personnes différentes dans
des
conditions qui n'étaient pas idéales du point de vue méthodologique,
C.________ a fait des déclarations contradictoires. S'il a
effectivement
affirmé que son père l'avait contraint à des fellations, soit à
l'époque de
la naissance de son frère, soit lors d'un séjour en Bulgarie, il n'a
porté
ces accusations qu'après que les personnes qui l'interrogeaient
l'aient
invité à parler de choses graves ou dégoûtantes qui se seraient
passées. De
l'avis de l'expert Z.________, cette "dramatisation des événements" a
perturbé le récit de l'enfant, au point de lui enlever toute
crédibilité. A
cela s'est superposé le conflit de loyauté auquel l'enfant, partagé
entre ses
parents, a été confronté. Enfin, Z.________ a souligné les
incohérences
émotionnelles du récit. Son rapport à cet égard est si clair et
convainquant
que les autorités cantonales, par une appréciation anticipée,
pouvaient
dénier toute valeur probante aux indications contraires émises par
Y.________. Dans sa prise de position du 7 novembre 2001, celle-ci
n'est au
demeurant pas aussi catégorique que ne le pense la recourante.
Y.________ a
en effet indiqué ne pas être en mesure de confirmer la véracité des
propos de
l'enfant, sans toutefois avoir des raisons d'en douter. S'il est
vraisemblable que le comportement perturbé de C.________ à cette
époque se
trouve en rapport avec le grave conflit opposant ses parents, cela ne
suffit
pas pour autant à accréditer des accusations de mauvais traitements,
sans
autres éléments de preuve. Dans les circonstances du cas, les
autorités
cantonales pouvaient estimer inutile de faire compléter le rapport
établi par
Z.________.

2.2.2 A teneur de l'art. 10c al. 1 LAVI, introduit selon la loi
fédérale du
23 mars 2001, l'enfant (par quoi on entend la victime âgée de moins de
dix-huit ans au moment de l'ouverture de la procédure pénale, art.
10a LAVI)
ne doit en principe pas être soumis à plus de deux auditions sur
l'ensemble
de la procédure. Cette disposition s'applique aussi lorsque le juge
ordonne
une expertise de crédibilité (ATF 129 IV 179 consid. 2.4 p. 183ss). En
l'espèce, C.________ a été entendu à trois reprises (soit le 23
octobre,
ainsi que les 7 et 11 novembre 2001), avant la mise en oeuvre de
l'expertise
de crédibilité. Les possibilités qu'offre l'art. 10c LAVI pour
l'audition de
l'enfant étaient dès lors épuisées. L'arrêt du 9 août 1999 (cause
1P.304/1999) que cite la recourante ne conduit pas à une conclusion
différente. Dans cette affaire - antérieure à l'adoption de l'art.
10c LAVI
-, la victime n'avait été entendue qu'une seule fois par l'expert,
qui avait
estimé les accusations non crédibles. Si le recours avait été admis,
c'était
en raison des défauts intrinsèques au rapport d'expertise.

3.
Le recours doit ainsi être rejeté. La recourante demande l'assistance
judiciaire, dont les conditions sont remplies (art. 152 OJ). Il est
statué
sans frais. Me Anne-Louise Gillièron, avocate à Yverdon-les-Bains, est
désignée comme avocate d'office. Une indemnité lui est allouée à titre
d'honoraires. Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens (art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La demande d'assistance judiciaire est admise. Me Anne-Louise
Gillièron,
avocate à Yverdon-les-Bains, est désignée comme avocate d'office de la
recourante. Une indemnité de 2000 fr. à titre d'honoraires est
allouée à Me
Gillièron.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire, ni alloué de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties,
au Juge
d'instruction de l'arrondissement du Nord vaudois, au Ministère
public et au
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 17 novembre 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.650/2003
Date de la décision : 17/11/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-11-17;1p.650.2003 ?
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