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12/11/2003 | SUISSE | N°4P.220/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 12 novembre 2003, 4P.220/2002


{T 0/2}
4P.220/2002 /ech

Arrêt du 12 novembre 2003
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Walter et Rottenberg
Liatowitsch.
Greffière: Mme de Montmollin

A.________, (anciennement dénommée Z.________),
recourante, représentée par Me Shelby du Pasquier et Me Daniel Tunik,

contre

Groupe B.________,
intimée, représentée par Me Patrick Schellenberg,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case
postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9, 29 al. 2 Cst.

(appréciation arbitraire des preuves en
procédure
civile; droit d'être entendu)

recours de droit public contre l...

{T 0/2}
4P.220/2002 /ech

Arrêt du 12 novembre 2003
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Walter et Rottenberg
Liatowitsch.
Greffière: Mme de Montmollin

A.________, (anciennement dénommée Z.________),
recourante, représentée par Me Shelby du Pasquier et Me Daniel Tunik,

contre

Groupe B.________,
intimée, représentée par Me Patrick Schellenberg,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case
postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9, 29 al. 2 Cst. (appréciation arbitraire des preuves en
procédure
civile; droit d'être entendu)

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la
Cour de
justice du canton de Genève du 13 septembre 2002.

Faits:

A.
Groupe B.________ (ci-après: B.________) est une société de droit
libanais
active dans dans le domaine des travaux publics et privés ainsi que
de leur
financement.

Z. ________, actuellement A.________ (ci-après: Z.________), est une
société
de droit X.________ qui exploite divers gisements pétroliers dans la
République de X.________. Elle est au bénéfice d'une concession pour
laquelle
elle verse mensuellement une redevance minière dont le montant dépend
de la
production réalisée.

Durant les années 90, la République X.________ a mis en oeuvre un
programme
de construction d'équipements publics. Plusieurs chantiers ont été
exécutés
par l'une des filiales de B.________,C.________ SA.

Par conventions des 27 avril 1992 (n° 560) et 9 mars 1993 (n° 569),
B.________ a accordé des prêts à la République X.________ en vue de la
réalisation d'ouvrages de travaux publics. Le remboursement devait
intervenir
par versements semestriels, échelonnés selon deux échéanciers
déterminés.
Afin d'assurer le service des prêts à ces échéances, la République
X.________
a instruit Z.________ de verser à due concurrence le montant des
redevances
minières à B.________. Il était précisé que ces paiements vaudraient
pleine
et entière libération de Z.________ à l'égard de la République
X.________ et
que les instructions étaient irrévocables. Les 5 juin 1992 et 16
avril 1993,
Z.________ a confirmé à B.________ qu'elle appliquerait les
"instructions
irrévocables" données par la République X.________.

Z. ________ a régulièrement versé les montants dus pour couvrir les
échéances
arrivées à terme jusqu'en mai 1995. Les parties ont alors reporté
certaines
échéances et confirmé la teneur des conventions n°s 560 et 569, par
accords
du 19 janvier 1996 pour la République X.________ et B.________, et du
24
janvier 1996 pour Z.________. Les parties ont notamment rappelé que
les
paiements honorés par Z.________ étaient effectués à concurrence des
montants
dont elle était redevable envers la République X.________ à titre de
redevances minières et que l'exécution des instructions susdécrites
était
indépendante de l'exécution des conventions n°s 560 et 569.

Alors qu'elle avait régulièrement rempli ses engagements jusque-là,
Z.________ n'a effectué qu'un versement partiel à l'échéance de mai
1998.

Le 26 mai 1998, elle a informé B.________ qu'elle ne pouvait plus
honorer
l'intégralité du service du crédit en raison de la baisse du prix du
pétrole
et d'un tassement de sa production qui l'obligeaient à répartir les
redevances au prorata entre divers ayants droit.

Le même jour, le président du Tribunal de commerce de Y.________,
dans la
République de X.________, a rendu une ordonnance de référé
interdisant à
Z.________ de prélever une partie de la redevance minière pour la
virer à
B.________.

Le 25 mars 1999, la République X.________ a saisi la Cour
internationale
d'arbitrage d'une demande dirigée contre B.________ concernant
l'exécution
des conventions n°s 560 et 569.

B.
Le 1er septembre 1998, B.________ a assigné Z.________ en paiement du
solde
de l'échéance du 30 mai 1998, amplifiant régulièrement sa demande des
montants du remboursement dû pour chaque échéance, dont la
défenderesse ne
s'acquittait plus. Par jugement du 20 septembre 2001, le Tribunal de
première
instance du canton de Genève a condamné Z.________ à verser à
B.________ 64
219 030 fr. 88, intérêts en sus. La société pétrolière a recouru
contre cette
décision. En cours de procédure, B.________ a de nouveau amplifié ses
conclusions en raison du non-respect d'une échéance de paiement, et la
République X.________ est intervenue afin d'appuyer les conclusions
prises
par Z.________.

Le tribunal arbitral a rendu une sentence partielle le 4 juin 2002.

Par arrêt du 13 septembre 2002, la Cour de justice du canton de
Genève a
confirmé le jugement de première instance et fait droit aux
conclusions
additionnelles de B.________, par 8 041 989 fr. avec intérêts. En
substance,
la Cour de justice a retenu que les parties étaient liées par un
rapport
d'assignation se rapprochant d'un accréditif, en raison du caractère
irrévocable des instructions. L'ordonnance de référé rendue par le
président
du Tribunal de commerce de Y.________ ne constituait pas un cas
d'impossibilité au sens de l'art. 119 CO libérant Z.________ de son
obligation d'honorer les échéances de paiement. Cet arrêt précise que
doit
être écartée une demande de suspension de la procédure jusqu'à droit
connu
sur la procédure arbitrale, car il n'est pas établi que celle-ci soit
de
nature à influencer le sort du litige et qu'on ne dispose d'aucune
information concrète sur sa durée qui n'en est qu'au stade d'une
sentence
partielle dont il vient d'être demandé l'interprétation. Pour la même
raison,
il n'y a pas lieu de donner suite aux requêtes tendant à rouvrir
l'instruction de la cause.

C.
L'arrêt du 13 septembre 2002 a fait l'objet d'une demande en révision
sur le
plan cantonal, ainsi que de deux recours en réforme et un recours de
droit
public au Tribunal fédéral. Les procédures ouvertes devant le Tribunal
fédéral ont été suspendues jusqu'à droit connu sur le recours en
révision
cantonal, formé par l'intervenante.

D.
La Cour de justice genevoise a déclaré le pourvoi en révision
irrecevable en
date du 16 mai 2003. Par arrêt de ce jour, le Tribunal fédéral a
rejeté le
recours de droit public interjeté contre cette décision.

E.
Dans le recours de droit public qu'elle a déposé contre l'arrêt du 13
septembre 2002, Z.________ fait valoir qu'elle est victime d'une
violation de
son droit d'être entendue et d'application arbitraire des règles de la
procédure civile genevoise. Elle reproche à la cour cantonale d'avoir
refusé
de prendre en considération la sentence arbitrale rendue le 4 juin
2002 ainsi
qu'une décision d'interprétation de celle-ci datée du 19 juillet 2002
dans le
litige séparant la République X.________ et B.________. La recourante
soutient également que les conditions permettant d'amplifier les
conclusions
de la demande n'étaient manifestement pas réalisées et que la décision
attaquée est insuffisamment motivée sur l'admission de ces conclusions
additionnelles. Elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué avec
le renvoi
de la cause à la juridiction cantonale.

B. ________ conclut au rejet du recours de droit public.

La cour cantonale se réfère à ses considérants.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Conformément à la règle générale, il y a lieu d'examiner le recours
de droit
public en premier lieu (art. 57 al. 5 OJ).

2.
Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que
les
moyens expressément soulevés et motivés dans l'acte de recours (art.
90 al. 1
let. b OJ).

3.
Le premier moyen invoqué par la recourante est une violation de son
droit
d'être entendue garanti par l'art. 29 al. 2 Cst.

Tel qu'il est reconnu par l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d'être
entendu
comprend en particulier le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves
pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit
donné
suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à
l'administration
des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son
résultat
lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF
126 I 15
consid. 2a/aa p. 16 et les références).

Le droit d'être entendu n'existe que si la preuve a été offerte ou
fournie en
temps utile (ATF 106 II 170 consid. 6b) et dans les formes
prescrites, si
elle se rapporte à un fait pertinent qui n'est pas déjà établi et si
le moyen
proposé est apte à apporter la démonstration nécessaire (arrêt
4P.79/2002 du
2 juillet 2002 consid. 3.1).

Pour des raisons à exposer dans le cadre du recours en réforme,
s'agissant de
questions de droit relevant de cette dernière procédure, la sentence
arbitrale rendue dans le contexte du litige opposant l'intimée à
l'intervenante ne constitue pas un élément déterminant pour juger
l'issue du
présent procès. Le grief tiré de la violation de l'art. 29 al. 2 Cst.
doit
par conséquent être écarté.

4.
Le second moyen soulevé par la recourante a trait à l'application
arbitraire
de l'art. 312 de la loi de procédure civile genevoise (ci-après:
LPC/GE) qui
permet la formulation de nouvelles conclusions en instance d'appel
dans
certaines circonstances.

4.1 Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle
est
manifestement insoutenable, qu'elle méconnaît gravement une norme ou
un
principe juridique clair et indiscuté, ou encore qu'elle heurte de
manière
choquante le sentiment de la justice ou de l'équité. Il ne suffit pas
que la
motivation soit arbitraire; encore faut-il que la décision soit
arbitraire
dans son résultat. A cet égard, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la
solution retenue que si celle-ci apparaît insoutenable, en
contradiction
manifeste avec la situation effective, adoptée sans motif objectif et
en
violation d'un droit certain. Il n'y a pas arbitraire du seul fait
qu'une
autre solution paraît également concevable, voire préférable (ATF 129
I 8
consid. 2.1 et les arrêts cités).

4.2 L'art. 312 LPC/GE dispose que la Cour ne peut statuer sur aucun
chef de
demande qui n'a pas été soumis aux premiers juges, à moins qu'il ne
s'agisse
de compensation pour cause postérieure au jugement de première
instance (a);
d'intérêts, loyers et autres accessoires échus depuis ce jugement
(b), de
dommages et intérêts pour le préjudice subi après le jugement (c); de
demande
provisionnelle pendant la litispendance (d). En l'occurrence, le
montant de
35 912 580 FF pour lequel l'intimée a amplifié ses conclusions devant
la Cour
d'appel correspond à l'échéance du 30 novembre 2001. La recourante
fait
valoir que la lettre b, invoquée par l'intimée pour justifier
l'augmentation
de ses conclusions en appel, ne vaut que dans l'hypothèse où les
conclusions
nouvelles portent sur un poste qui présente une nature accessoire par
rapport
aux postes de première instance, car, explique-t-elle, il faut que les
demandes formulées en appel soient identiques par leur cause aux
prétentions
soumises aux premiers juges; à lire la recourante, dès lors que
l'échéance de
novembre 2001, bien qu'ayant le même fondement juridique, ne
constitue en
aucune manière un accessoire des échéances précédentes, elle ne
pourrait être
réclamée en appel.

A l'appui de son argumentation, la recourante cite un arrêt reproduit
in SJ
1979 p. 672 (et non 173) expliquant qu'en procédure civile genevoise,
dans
l'instance d'appel, la demande doit être identique par sa cause à la
prétention soumise aux premiers juges - la cause étant "le fait
juridique qui
forme le fondement direct et immédiat du droit (...) qu'une des
parties fait
valoir par voie d'action ou de défense ou d'exception (...)". Dans la
mesure
où la recourante reconnaît elle-même que l'échéance litigieuse avait
"le même
fondement juridique" que celles réclamées en première instance, on ne
voit
pas en quoi la Cour civile aurait versé dans l'arbitraire en
assimilant
l'échéance litigieuse aux créances d'intérêts et de loyers
expressément
mentionnées à l'art. 312 let. b LPC/GE. On comprend du reste mal
comment le
texte de cette dernière disposition pourrait se concilier avec
l'interprétation qu'en donne la recourante (se référant à une note
renvoyant
à Bellot, in SJ 1942 p. 256) selon laquelle il faudrait limiter la
faculté
ouverte à l'art. 312 let. b LPC/GE aux purs accessoires.
C'est en vain également que la recourante se plaint de violation de
son droit
d'être entendue en raison de la motivation insuffisante de
l'admission des
conclusions additionnelles de la demande. L'obligation faite à
l'autorité de
motiver sa décision a pour but de permettre à l'intéressé de la
comprendre,
de l'attaquer utilement s'il y a lieu et de mettre l'autorité de
recours en
mesure d'exercer son contrôle; pour répondre à ces exigences, il
suffit que
l'autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont
guidée et sur
lesquels elle a fondé sa décision (ATF 126 I 97 consid. 2b 122 IV 8
consid.
2c; 112 Ia 107 consid. 2b et les références). En l'espèce, même s'il
se
distingue par sa concision, le considérant 5, mis en relation avec le
reste
de l'arrêt attaqué, répond aux exigences minimales de motivation
déduites de
la Constitution fédérale.

5.
Le recours est mal fondé. Vu l'issue de la cause, la recourante
supportera
les frais de justice et versera une indemnité de dépens à l'intimée
(art. 156
al. 1,
159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 70 000 fr. est mis à la charge de la
recourante.

3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 80 000 fr. à titre
de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 12 novembre 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.220/2002
Date de la décision : 12/11/2003
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-11-12;4p.220.2002 ?
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