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12/11/2003 | SUISSE | N°4C.344/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 12 novembre 2003, 4C.344/2002


{T 0/2}
4C.344/2002 /ech

Arrêt du 12 novembre 2003
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, président, Walter, Rottenberg
Liatowitsch,
Nyffeler et Favre.
Greffière: Mme de Montmollin.

A. ________ (anciennement dénommée Z.________), défenderesse et
recourante,
représentée par Me Shelby du Pasquier et Me Daniel Tunik,
La République X.________, intervenante et recourante, représentée par
Me
Manuel Bianchi Della Porta,

contre

Groupe B.________,
demanderesse et intimée, repr

ésentée par Me Patrick Schellenberg.

assignation

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Co...

{T 0/2}
4C.344/2002 /ech

Arrêt du 12 novembre 2003
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, président, Walter, Rottenberg
Liatowitsch,
Nyffeler et Favre.
Greffière: Mme de Montmollin.

A. ________ (anciennement dénommée Z.________), défenderesse et
recourante,
représentée par Me Shelby du Pasquier et Me Daniel Tunik,
La République X.________, intervenante et recourante, représentée par
Me
Manuel Bianchi Della Porta,

contre

Groupe B.________,
demanderesse et intimée, représentée par Me Patrick Schellenberg.

assignation

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de
justice
du canton de Genève du 13 septembre 2002.

Faits:

A.
Groupe B.________ (ci-après: B.________) est une société de droit
libanais
active dans le domaine des travaux publics et privés ainsi que de leur
financement.

Z. ________ SA, actuellement A.________ (ci-après: Z.________), est
une
société de droit X.________ qui exploite divers gisements pétroliers
dans la
République de X.________. Elle est au bénéfice d'une concession pour
laquelle
elle verse mensuellement une redevance minière dont le montant dépend
de la
production réalisée.

Durant les années 90, la République X.________ a mis en oeuvre un
programme
de construction d'équipements publics. Plusieurs chantiers ont été
exécutés
par l'une des filiales de B.________, C.________ SA.

Par conventions des 27 avril 1992 (n° 560) et 9 mars 1993 (n° 569),
B.________ a accordé des prêts à la République X.________ en vue de la
réalisation d'ouvrages de travaux publics. Le remboursement devait
intervenir
par versements semestriels, échelonnés selon deux échéanciers
déterminés.
Afin d'assurer le service des prêts à ces échéances, la République
X.________
a instruit Z.________ de verser à due concurrence le montant des
redevances
minières à B.________. Il était précisé que ces paiements vaudraient
pleine
et entière libération de Z.________ à l'égard de la République
X.________ et
que les instructions étaient irrévocables. Les 5 juin 1992 et 16
avril 1993,
Z.________ a confirmé à B.________ qu'elle appliquerait les
"instructions
irrévocables" données par la République X.________.

Z. ________ a régulièrement versé les montants dus pour couvrir les
échéances
arrivées à terme jusqu'en mai 1995. Les parties ont alors reporté
certaines
échéances et confirmé la teneur des conventions n°s 560 et 569, par
accords
du 19 janvier 1996 pour la République X.________ et B.________, et du
24
janvier 1996 pour Z.________. Les parties ont notamment rappelé que
les
paiements honorés par Z.________ étaient effectués à concurrence des
montants
dont elle était redevable envers la République X.________ à titre de
redevances minières et que l'exécution des instructions susdécrites
était
indépendante de l'exécution des conventions n°s 560 et 569.

Alors qu'elle avait régulièrement rempli ses engagements jusque-là,
Z.________ n'a effectué qu'un versement partiel à l'échéance de mai
1998.

Le 26 mai 1998, elle a informé B.________ qu'elle ne pouvait plus
honorer
l'intégralité du service du crédit en raison de la baisse du prix du
pétrole
et d'un tassement de sa production, qui l'obligeaient à répartir les
redevances au prorata entre divers ayants droit.

Le même jour, le président du Tribunal de commerce de Y.________,
dans la
République de X.________, a rendu une ordonnance de référé
interdisant à
Z.________ de prélever une partie de la redevance minière pour la
virer à
B.________.

Le 25 mars 1999, la République X.________ a saisi la Cour
internationale
d'arbitrage d'une demande dirigée contre B.________ concernant
l'exécution
des conventions n°s 560 et 569.

B.
Le 1er septembre 1998, B.________ a assigné Z.________ en paiement du
solde
de l'échéance du 30 mai 1998, amplifiant régulièrement sa demande des
montants du remboursement dû pour chaque échéance, dont la
défenderesse ne
s'acquittait plus. Par jugement du 20 septembre 2001, le Tribunal de
première
instance du canton de Genève a condamné Z.________ à verser à
B.________
64'219'030 fr. 88, intérêts en sus. La société pétrolière a recouru
contre
cette décision. En cours de procédure, B.________ a de nouveau
amplifié ses
conclusions en raison du non-respect d'une échéance de paiement, et la
République X.________ est intervenue afin d'appuyer les conclusions
prises
par Z.________.

Le Tribunal arbitral a rendu une sentence partielle le 4 juin 2002.

Par arrêt du 13 septembre 2002, la Cour de justice du canton de
Genève a
confirmé le jugement de première instance et fait droit aux
conclusions
additionnelles de B.________, par 8'041'989 fr. avec intérêts. En
substance,
la Cour de justice a retenu que les parties étaient liées par un
rapport
d'assignation se rapprochant d'un accréditif, en raison du caractère
irrévocable des instructions. L'ordonnance de référé rendue par le
président
du Tribunal de commerce de Y.________ ne constituait pas un cas
d'impossibilité au sens de l'art. 119 CO libérant Z.________ de son
obligation d'honorer les échéances de paiement. Cet arrêt précise que
doit
être écartée une demande de suspension de la procédure jusqu'à droit
connu
sur la procédure arbitrale, car il n'est pas établi que celle-ci soit
de
nature à influencer le sort du litige et qu'on ne dispose d'aucune
information concrète sur sa durée qui n'en est qu'au stade d'une
sentence
partielle dont il vient d'être demandé l'interprétation. Pour la même
raison,
il n'y a pas lieu de donner suite aux requêtes tendant à rouvrir
l'instruction de la cause.

C.
L'arrêt du 13 septembre 2002 a fait l'objet d'une demande en révision
sur le
plan cantonal, ainsi que de deux recours en réforme et d'un recours
de droit
public au Tribunal fédéral. Les procédures ouvertes devant le Tribunal
fédéral ont été suspendues jusqu'à droit connu sur le recours en
révision
cantonal, formé par l'intervenante.

D.
La Cour de justice genevoise a déclaré le pourvoi en révision
irrecevable en
date du 16 mai 2003. Par arrêt de ce jour, le Tribunal fédéral a
rejeté le
recours de droit public interjeté contre cette décision.

E.
Z.________ est l'auteur de l'un des deux recours en réforme, ainsi
que du
recours de droit public - lui aussi rejeté par arrêt de ce jour -,
dirigés
contre l'arrêt du 13 septembre 2002. Dans le recours en réforme,
Z.________
conclut principalement au déboutement de B.________, subsidiairement
au
renvoi de la cause à l'instance précédente. Selon elle, la cour
cantonale a
violé l'art. 119 CO en n'admettant pas que ses obligations envers
B.________
étaient devenues impossibles en raison de l'ordonnance rendue par le
tribunal
de Y.________; la cour cantonale consacrerait également un abus de
droit
prohibé par l'art. 2 al. 2 CC en permettant au groupe libanais
d'obtenir par
le biais du rapport d'assignation des montants considérablement
supérieurs à
ceux qui lui sont dus en vertu du rapport de valeur.

Le second recours en réforme interjeté contre l'arrêt du 13 septembre
2002
émane de la République X.________. Reprenant les conclusions de
Z.________,
l'intervenante invoque une inadvertance manifeste et une violation de
l'art.
2 CC.

B. ________ conclut au rejet du recours de la défenderesse, à
l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet, de celui de
l'intervenante.
La Cour de justice du canton de Genève ne formule pas d'observations.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Aux termes de l'art. 53 al. 1 OJ, les garants et les intervenants ont
aussi
le droit de recourir en réforme ou de faire un recours joint, si la
législation cantonale leur confère les mêmes droits qu'aux parties et
s'ils
ont pris part au procès devant la dernière juridiction cantonale. La
législation cantonale détermine leur rôle dans la procédure.

En droit genevois, l'intervention est réglée aux art. 109 ss de la
loi de
procédure civile genevoise (ci-après: LPC/GE). Selon l'art 111, si
l'intervention est admise, comme en l'espèce, l'intervenant - sans
que l'on
ne distingue à cet égard s'il s'agit d'une intervention à titre
principal ou,
dans notre cas, d'une intervention à caractère accessoire - peut
demander la
communication des écritures et des pièces produites jusqu'alors par
les
parties principales. L'instruction postérieure et le jugement lui
deviennent
commun avec elles. Autrement dit, aussitôt que sa démarche a été
admise,
l'intervenant participe, comme les autres parties, au déroulement de
la
procédure en cours (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, Commentaire de la
LPC/GE, n° 1 ad art. 111; cf. aussi Tevini Du Pasquier, Le crédit
documentaire en droit suisse, note de pied de page 220 et ss, p. 274).

Il s'ensuit que le recours de l'intervenante est admissible du chef
de l'art.
53 OJ.

Déposés pour le reste dans les formes et délai légaux, les recours en
réforme
sont recevables.

2.
A l'instar de la cour cantonale, les plaideurs ne discutent ni
l'existence
d'un for en Suisse, ni le fait que les contrats en cause comme les
actes des
intéressés doivent être analysés, interprétés et qualifiés à la
lumière du
droit suisse. Même en l'absence de constatations dans la décision
attaquée à
propos d'une éventuelle attache du litige, de nature patrimoniale - en
l'occurrence le siège genevois des établissements bancaires
intervenant dans
les divers paiements litigieux -, il faudrait admettre l'existence
d'un for
et l'applicabilité du droit suisse, dans la mesure où ces points ne
sont pas
contestés par les parties (cf. arrêt 4P.263/1989 du 17 avril 1990
consid. 3c;
art. 116, 5 al. 3 et 6 LDIP).

3.
La qualification des relations entre les parties de rapport
d'assignation au
sens des art. 466 ss CO n'est pas davantage remise en question par les
plaideurs, ce avec raison. Ceux-ci ne reviennent pas non plus, à
juste titre,
sur l'opinion des instances cantonales selon laquelle les accords
résultant
des courriers de confirmation adressés par la défenderesse à la
demanderesse
les 5 juin 1992 et 16 avril 1993, comme la confirmation rédigée par la
défenderesse le 24 janvier 1996, constituent des engagements de
paiement
irrévocables et indépendants de la part de la défenderesse à l'égard
de la
demanderesse (art. 468 al.1, 470 al. 2 CO).

4.
4.1L'ordonnance que le président du Tribunal de commerce de
Y.________ a
rendu le 26 mai 1998 fait interdiction à la défenderesse de "prélever
une
partie de la redevance minière proportionnelle payée en vertu de la
convention d'établissement du 17 octobre 1968 pour la virer sur le
compte
spécial ouvert dans les livres de la banque CIBC pour règlement en
faveur de
(la demanderesse)". La cour cantonale a considéré qu'elle ne
constituait pas
un cas d'impossibilité au sens de l'art. 119 CO. Pour elle en effet,
une
prestation de genre, notamment d'argent, n'est jamais impossible;
ensuite,
l'art. 119 CO ne s'applique pas en cas d'impossibilité temporaire, et
de
toute façon la jurisprudence n'a admis que très rarement l'existence
de
circonstances non imputables au débiteur. La cour souligne encore
qu'en
l'occurrence, les parties avaient stipulé que les instructions
données à la
défenderesse, assignée, étaient irrévocables quels que soient les
événements
qui pourraient intervenir pendant la vie du prêt; la décision dite "de
Y.________" n'est enfin qu'une décision provisionnelle rendue sans
instruction et sans que le fond de l'affaire ne soit abordé.

4.2 Selon l'art. 119 al. 1 CO, l'obligation s'éteint lorsque
l'exécution
devient impossible par suite de circonstances non imputables au
débiteur.
Cette disposition régit l'impossibilité subséquente, par opposition à
l'impossibilité originaire, qui rend le contrat nul en vertu de
l'art. 20 al.
1 CO. L'impossibilité subséquente peut être matérielle - par exemple
le décès
d'un cheval dont le débiteur devait assurer l'entretien et le
dressage (ATF
107 II 144 consid. 3) - ou juridique - ainsi une interdiction
d'exportation
qui empêche le débiteur de fournir la prestation (ATF 111 II 352
consid. 2a);
certains distinguent également selon que l'impossibilité est
objective,
c'est-à-dire que ni le débiteur ni des tiers ne sont en mesure
d'effectuer la
prestation contractuelle (Pascal Pichonnaz, Impossibilité et
exorbitance,
thèse Fribourg 1997, n° 325 et les références; Thévenoz, Commentaire
romand,
n° 4 ad art. 119 CO) ou subjective, lorsqu'une prestation devient
impossible
parce qu'elle se heurte à un obstacle insurmontable pour le débiteur
(Pichonnaz, op. cit., n° 340; Wiegand, Commentaire bâlois, 3e éd., n°
1 ad
art. 119 CO, n° 11 ss ad art. 97 CO; contre cette distinction: cf.
Pichonnaz,
op. cit., n° 508 ss; von Tuhr/Escher, Allgemeiner Teil des
Schweizerischen
Obligationenrechts, Band II, 3e éd., § 68 p. 94; cf. aussi Aepli,
Commentaire
zurichois, n° 49 ad art.119 CO, qui exclut les cas d'impossibilité
subjective
du champ d'application de l'art. 119 CO). Le Tribunal fédéral adopte
quant à
lui une position plutôt large (ATF 57 II 532; 82 II 332 consid. 5;
116 II 512
consid. 2; cf. aussi 126 III 75 consid. 2 b et c; arrêt 4C.378/2000
du 5 mars
2001 in SJ 2001 I 445, consid. 3b). En soi, une décision judiciaire
est donc
susceptible de constituer un motif d'impossibilité, pour autant qu'on
ne
puisse en rendre le débiteur responsable - ce
que rien ne permet de
retenir
dans les constatations de fait des magistrats cantonaux, qui lient le
Tribunal fédéral (art. 63 al. 2 OJ).

Si l'unanimité règne en doctrine pour dire que l'insolvabilité ou le
manque
d'argent ne tombe jamais sous le coup de l'art. 119 CO (von
Tuhr/Escher, op.
cit., p. 96; cf. aussi Thévenoz, op. cit., n° 6 ad art. 119 CO),
certains se
montrent plus nuancés s'agissant de l'exclusion du champ
d'application de
l'art. 119 CO des prestations portant sur des choses de genre en
général
(Aepli, op. cit., n° 49 et 50 ad art. 119 CO, et les références). De
son
côté, le Tribunal fédéral, saisi d'une affaire présentant beaucoup de
similitudes avec le présent litige, a motivé son refus de mettre en
oeuvre
l'art. 119 CO non pas en raison de l'objet de la dette, mais par le
manque de
sanction en Suisse d'une interdiction, prononcée en France pendant la
première guerre mondiale, d'exécuter toute obligation pécuniaire au
profit de
ressortissants allemands (ATF 42 II 179 consid. 4). Mais peu importe
en
l'espèce; il n'y a pas besoin de trancher le point de savoir si la
cour
cantonale a considéré à juste titre ou non que, par définition, une
obligation portant sur le paiement d'une somme d'argent ne peut
jamais tomber
sous le coup de l'art. 119 CO, ou alors si, comme la défenderesse le
prétend,
l'impossibilité matérielle de la prestation n'est pas déterminante du
moment
que l'empêchement est juridique. Il n'est également pas nécessaire
d'examiner
quels sont les effets d'une ordonnance rendue à l'étranger sur une
obligation
exécutoire en Suisse. En effet, il est constant dans la présente
affaire que
la décision invoquée comme source d'impossibilité est de nature
provisoire.
Quand bien même la durée de validité de l'ordonnance litigieuse ne
ressort
pas des constatations de fait de la Cour de justice genevoise, il
n'est pas
allégué qu'elle doive dépasser le dernier terme de remboursement,
prévu pour
le 30 mai 2004. On ne se trouve donc pas dans la situation d'une durée
imprévisible assimilable à un empêchement durable décrite par les
auteurs
(Wiegand, op. cit., n° 16 ad art. 97 CO; Aepli, op. cit., n° 121 ss
ad art.
119 CO; Pichonnaz, op. cit., n° 698 ss; von Tuhr/Escher, op. cit., p.
96). En
ne faisant pas application de l'art. 119 CO, la cour cantonale n'a
pas violé
le droit fédéral.

5.
Les instances cantonales ont jugé que la défenderesse ne pouvait
invoquer à
son profit la procédure arbitrale pendante entre la demanderesse et
l'intervenante. D'une part, on ne disposait d'aucune information
concrète
quant à cette procédure, qui n'en était qu'au stade d'une sentence
partielle
venant de faire l'objet d'une demande d'interprétation. D'autre part,
il
n'était pas établi qu'elle soit de nature à influencer le sort du
litige, vu
l'indépendance des rapports entre la défenderesse et la demanderesse,
relativement au litige qui oppose la demanderesse à l'intervenante. La
défenderesse et l'intervenante voient là une violation de l'art. 2 CC.
Reconnaissant qu'en droit suisse l'assignation a un caractère
abstrait, elles
font valoir que cette particularité reste toujours soumise à la
limite de
l'abus de droit, et elles invoquent à ce propos un arrêt rendu le 28
mars
2001 par le Tribunal fédéral (4C.172/2000 reproduit in PJA 4/2002 p.
464 ss),
ainsi que la pratique en matière de crédit documentaire et de
garanties
bancaires.

L'intervenante soulève de plus le moyen tiré de l'inadvertance
manifeste,
pour reprocher à la cour cantonale de n'avoir pas pris en
considération le
fait que la décision sur la demande d'interprétation formulée à
l'encontre de
la sentence d'arbitrage a été rendue et régulièrement versée à la
procédure
avant le prononcé de l'arrêt attaqué.

5.1 Le principe est bien établi que l'assigné qui a accepté sans
réserve
l'assignation ne peut pas refuser de s'exécuter envers l'assignataire
en
soulevant des exceptions tirées de ses relations avec l'assignant
(rapport de
provision) ou avec l'assignataire (rapport de valeur) (ATF 127 III 553
consid. 2e/bb; 124 III 253 consid. 3b; 122 III 237 consid. 1b; 121
III 109
consid. 3a). L'assigné peut uniquement faire valoir des objections
concernant
ses relations personnelles avec l'assignataire ou le contenu de
l'assignation, à l'exclusion de celles qui dérivent de ses rapports
avec
l'assignant (art. 468 al. 1 CO). Cette limitation est conforme au
système et
tient compte du caractère relatif des droits de créance (ATF 124 III
253
consid. 3b).
Il en découle que la défenderesse est en principe tenue d'effectuer
les
versements litigieux, sauf à admettre que la demanderesse commette un
abus de
droit à exiger l'exécution du rapport d'assignation.

Selon l'art. 2 al. 2 CC, l'abus manifeste d'un droit n'est pas
protégé par la
loi. L'existence d'un abus de droit se détermine selon les
circonstances
concrètes du cas (ATF 121 III 60 consid. 3d), en s'inspirant des
diverses
catégories mises en évidence par la jurisprudence et la doctrine (ATF
129 III
493 consid. 5.1, et les nombreuses références). Les cas typiques sont
l'absence d'intérêt à l'exercice d'un droit, l'utilisation d'une
institution
juridique contrairement à son but, la disproportion manifeste des
intérêts en
présence, l'exercice d'un droit sans ménagement ou l'attitude
contradictoire
(ATF 120 II 105 consid. 3a). S'agissant de l'assignation, le Tribunal
fédéral
a récemment précisé, comme les recourantes l'invoquent, les
conditions dans
lesquelles l'assigné peut se prévaloir d'un abus de droit et refuser
de
s'exécuter du fait d'un vice affectant le rapport de valeur - en
l'occurrence
l'immoralité de celui-ci (4C.172/2000, déjà cité, consid. 4b et c,
commenté
par Koller in PJA 4/2002 p. 467 ss; cf. aussi, en matière bancaire,
ATF 124
III 253 consid. 3b et c, commenté par Tevini Du Pasquier, op. cit.,
n° 12 et
13 ad art. 468 CO). Selon cet arrêt, le recours à l'art. 2 CC ne se
justifie
que dans une situation particulièrement grave. Il faut que
l'illicéité ou la
contrariété aux moeurs de la créance litigieuse soit évidente; le
vice doit
être patent sur le plan juridique, et sa démonstration doit pouvoir
être
apportée de façon immédiate en fait; le moment déterminant pour juger
de la
réalisation de ces conditions est celui où l'assignataire réclame
l'exécution
de l'assignation; on ne prendra donc pas, dans la règle, en
considération les
objections résultant de la fixation d'un délai, de la prescription,
de la
compensation, de même que les vices du consentement éventuellement
allégués
par l'assignant pour mettre en doute la créance résultant d'un
rapport de
valeur. On admet en revanche que l'assignataire abuse de son droit
lorsqu'il
sait ou doit savoir qu'il ne dispose d'aucun droit actuel ou futur en
vertu
du rapport de valeur, sur la base de preuves immédiatement
disponibles.

Il suit de ce qui précède que, pour que l'on puisse invoquer
l'extinction de
la créance résultant du rapport de base, il faut que celle-ci soit
manifeste,
établie sans aucun doute possible. En doctrine également, on insiste
sur le
caractère évident de l'extinction alléguée (par exemple Schütze, Das
Dokumentenakkreditiv im internationalen Handelsverkehr, 5e éd., n°
427 ss;
Schönle, in RSJ 1983 p. 74; Nicolas de Gottrau, Le crédit
documentaire et la
fraude, thèse, Genève, 1999, p. 194 ss).
En l'occurrence, les recourantes soutiennent que l'extinction résulte
de la
sentence arbitrale du 4 juin 2002. Elles allèguent que cette décision
tranche
l'essentiel des prétentions de l'assignataire et fixe des règles
précises
pour régler les deux points qui restent ouverts, à savoir les
intérêts dus
sur la convention n° 569 et la question de dommages de guerre
réclamés à
l'assignante par l'assignataire, étrangers au rapport d'assignation.
L'examen
de la sentence arbitrale, notamment à la lumière de la décision en
interprétation, aurait conduit la Cour de justice à constater que
l'exécution
de sa décision procurait à l'assignataire un enrichissement
illégitime pour
des montants considérables.

La simple lecture de cette argumentation laisse voir que les
conditions
strictes permettant de reconnaître l'existence d'un abus de droit ne
sont pas
réalisées, du seul fait déjà que la sentence alléguée n'est que
partielle. En
refusant d'en ordonner la production au dossier, la cour cantonale
n'a pas
violé l'art. 8 CC, ni l'art. 2 CC. Les plaideurs, y compris les
recourantes,
se livrent dans leurs écritures à de longues considérations sur la
signification de la sentence et ses implications financières,
notamment en ce
qui concerne l'imputabilité des dommages de guerre sur la convention
569. Le
calcul des intérêts dus dans le cadre de la convention 569 doit
encore être
validé par le tribunal arbitral, et l'établissement des dommages de
guerre -
sur lesquels le Tribunal arbitral a admis sa compétence à statuer
dans le
cadre du litige portant sur les conventions de prêt soumises à son
jugement -
faire l'objet d'une expertise. C'est dire que les conditions d'un
abus de
droit à exiger l'exécution de l'assignation ne sont pas remplies. Que
la Cour
de justice se soit peut être rendue coupable d'inadvertance manifeste
en
omettant de prendre en considération la décision rendue sur la demande
d'interprétation dirigée contre la sentence du 4 juin 2002 ne change
rien au
caractère partiel de celle-ci (sans compter l'éventualité d'un
recours contre
la sentence finale que rendra le tribunal arbitral). Le moyen soulevé
à cet
égard par l'intervenante dans son recours s'avère dès lors également
vain,
dans la mesure où il porte sur un fait dénué de pertinence.

6.
Les deux recours en réforme sont mal fondés. Les recourantes
supporteront les
frais de justice à parts égales. Elles verseront aussi chacune une
indemnité
de dépens à l'intimée qui a répondu aux deux recours. Dans la mesure
où ces
derniers soulevaient des griefs se recoupant en partie, l'indemnité
de dépens
sera réduite de moitié.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Les recours de la défenderesse et de l'intervenante sont rejetés.

2.
Un émolument judiciaire de 70'000 fr. est mis à la charge des
recourantes,
solidairement entre elles.

3.
Les recourantes verseront chacune à l'intimée B.________ une
indemnité de
40'000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 12 novembre 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.344/2002
Date de la décision : 12/11/2003
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-11-12;4c.344.2002 ?
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