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06/11/2003 | SUISSE | N°4C.194/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 06 novembre 2003, 4C.194/2003


{T 0/2}
4C.194/2003 /ech

Arrêt du 6 novembre 2003
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, Président, Walter et Favre.
Greffier: M. Carruzzo.

A.________,
demandeur et recourant, représenté par Me Philippe Girod, avocat, rue
Plantamour 42, 1201 Genève,

contre

B.________,
défendeur et intimé, représenté par Me Antoine Herren, avocat, rue
De-Candolle 36, case postale 5274,
1211 Genève 11.

contrat de gérance libre; droit de préemption; dommages-intérêts,

recours en réfor

me contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de
justice
du canton de Genève du 16 mai 2003.

Faits:

A.
A.a P...

{T 0/2}
4C.194/2003 /ech

Arrêt du 6 novembre 2003
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, Président, Walter et Favre.
Greffier: M. Carruzzo.

A.________,
demandeur et recourant, représenté par Me Philippe Girod, avocat, rue
Plantamour 42, 1201 Genève,

contre

B.________,
défendeur et intimé, représenté par Me Antoine Herren, avocat, rue
De-Candolle 36, case postale 5274,
1211 Genève 11.

contrat de gérance libre; droit de préemption; dommages-intérêts,

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de
justice
du canton de Genève du 16 mai 2003.

Faits:

A.
A.a Par contrat du 28 mai 1998, B.________ a confié à A.________, à
compter
du 1er juin 1998, la gérance du café-restaurant qu'il exploitait dans
des
locaux pris à bail, à Genève. Le contrat était conclu pour la durée
du bail;
celui-ci arrivait à échéance le 30 septembre 2001, mais le
propriétaire de
l'immeuble avait consenti par avance à son renouvellement pour cinq
ans.
Pendant la période des travaux d'aménagement des locaux, le nouvel
exploitant
ne devait verser que le montant du loyer, soit 1'866 fr. par mois.
Une fois
les transformations achevées, il était tenu d'acquitter, loyer et
redevance
de gérance confondus, un montant mensuel de 3'000 fr. pour le premier
semestre d'activité, puis de 4'000 fr. Une clause du contrat
prévoyait que le
coût des travaux de transformation serait assumé exclusivement par
A.________, sous réserve d'une imputation ultérieure en cas de rachat
du
fonds de commerce par l'intéressé. En outre, le contrat conférait à
A.________ un droit de préemption pendant toute sa durée et
B.________ s'y
obligeait, au cas où il déciderait de vendre l'établissement public, à
communiquer à l'exploitant son intention par lettre recommandée en lui
donnant un délai de 15 jours pour faire usage de son droit de
préemption et
payer un montant égal à l'offre ferme et sérieuse faite par
l'acquéreur
potentiel.

A. ________ a pris possession des locaux le 17 juin 1998. Les travaux
de
transformation ont été achevés le 15 août 1998; ils auraient coûté
67'409 fr.
aux dires de l'exploitant.

Le 27 juillet 1998, les cocontractants ont signé une nouvelle
convention en
vertu de laquelle l'établissement public serait vendu à A.________ au
prix de
120'000 fr. La convention prévoyait également, entre autres
modalités, que
toutes les transformations entreprises par l'acheteur seraient
discutées et
leur coût déduit du prix de vente, sur présentation des factures.

A.b Le 25 janvier 1999, B.________ a mis en demeure A.________ de lui
verser
la somme de 7'900 fr. à titre d'arriérés partiels de loyers et
redevances de
gérance pour la période de juin 1998 à janvier 1999. Il l'a relancé,
le 24
février 1999, pour le paiement de ladite somme et du montant de 4'000
fr.
correspondant au loyer-redevance afférent au mois de février 1999.
A.________
lui a répondu, le 2 mars 1999, que, par rapport à la marche des
affaires, le
loyer-redevance ne pouvait pas excéder 3'000 fr. par mois et il s'est
engagé
à lui verser la somme de 9'900 fr. en trois fois. Par lettre
recommandée du
25 mars 1999, B.________ a rappelé à A.________ la promesse de
paiement qu'il
lui avait faite et l'a invité, dès lors, à s'exécuter jusqu'à la fin
du mois.
Il l'a, en outre, informé de la mise en vente du café-restaurant au
prix de
80'000 fr. et l'a prié de lui remettre un jeu de clés.

Les affaires n'ont apparemment jamais marché à la satisfaction de
A.________,
lequel n'avait plus de personnel fixe depuis la fin février 1999.

Le 21 avril 1999, à l'occasion d'une rencontre dans l'établissement
avec
B.________ et un repreneur potentiel, A.________ a fait part de son
intention
de quitter les lieux à fin mai 1999.

Les cocontractants se sont encore rencontrés le 4 mai 1999. Au cours
de cette
entrevue, A.________ a confirmé son intention de quitter
l'établissement à la
fin dudit mois. Par courrier recommandé du 6 mai 1999, B.________ a
pris note
de ce départ anticipé, le fixant au samedi 29 mai 1999, à 10 h. Il a
sommé
A.________ de laisser l'établissement en l'état et lui a demandé de
lui faire
parvenir ses factures concernant d'éventuels travaux, afin de lui
permettre
d'établir le décompte final.

A.c Le 9 mai 1999, B.________ a vendu l'établissement public aux époux
C.________ sans en informer A.________.

Le samedi 29 mai 1999, à 10 h., A.________ ne s'est pas présenté au
rendez-vous qui lui avait été fixé. Les personnes présentes - soit le
vendeur
et les acheteurs de l'établissement ainsi qu'un créancier de
l'exploitant -
ont pu constater que le téléphone, le gaz et l'électricité étaient
coupés,
alors que les frigos étaient encore pleins de marchandises. Après
vérification, ils ont appris que les abonnements avaient été résiliés
par
A.________.

Par lettre recommandée du 31 mai 1999, B.________ a avisé A.________
qu'en
raison de son absence au rendez-vous précité et du désintérêt qu'elle
impliquait, il avait changé le cylindre de la porte d'entrée. Il le
priait,
par ailleurs, de lui remettre les clés de la porte d'entrée et de la
boîte
aux lettres, tout en l'informant qu'il lui ferait parvenir
ultérieurement le
décompte final.
En date du 1er juin 1999, le conseil de A.________ a mis B.________ en
demeure de restituer, dans les deux jours, les locaux à son client.
Puis, le
8 du même mois, il a introduit, contre B.________, une réintégrande
que les
tribunaux genevois ont rejetée par jugement du 21 juillet 1999 et
arrêt du 14
octobre 1999.

B.
Par demande du 15 septembre 1999, A.________ a assigné B.________ en
paiement
d'un montant de 243'409 fr., avec intérêts à 5% dès le 1er septembre
1999, au
titre des frais d'aménagement (67'409 fr.), de la perte de chiffre
d'affaires
(126'000 fr.) et de la valeur de la clientèle (50'000 fr.). Ces trois
postes
constituaient le dommage que le demandeur alléguait avoir subi du
fait que le
défendeur, en reprenant possession des locaux sans droit et de manière
abrupte, l'avait privé de la possibilité d'exercer le droit de
préemption
stipulé dans le contrat de gérance.

Dans son mémoire de réponse du 31 août 2000, le défendeur a conclu au
rejet
de la demande. Selon lui, les parties avaient décidé d'un commun
accord de
mettre un terme au contrat de gérance à la fin mai 1999, de sorte que
la
clause relative au droit de préemption était devenue caduque. Aussi le
défendeur contestait-il que le demandeur ait subi un quelconque
dommage du
fait de l'extinction des rapports contractuels.

Dans ses conclusions après enquêtes, le demandeur a ramené ses
prétentions au
total de 181'409 fr., le poste "perte de chiffre d'affaires" étant
réduit à
64'000 fr. Quant au défendeur, il a persisté dans ses conclusions
libératoires.

Par jugement du 21 juin 2002, le Tribunal de première instance du
canton de
Genève a débouté le demandeur de toutes ses conclusions.

Le demandeur a appelé de ce jugement, en concluant au paiement d'une
somme
équitable de 150'000 fr., plus intérêts, pour les frais d'aménagement
(67'409
fr.), la valeur de l'établissement telle qu'elle résultait du prix
encaissé
par le défendeur (46'795 fr. 55) et la perte du chiffre d'affaires
(50'000
fr.). Statuant par arrêt du 16 mai 2003, la Chambre civile de la Cour
de
justice du canton de Genève a confirmé le jugement de première
instance. Cet
arrêt repose, en substance, sur les motifs suivants: le demandeur n'a
pas
droit au remboursement du coût des travaux d'installation, car la
condition à
laquelle ce remboursement était subordonné - l'achat de
l'établissement -
n'est pas réalisée. En effet, il est établi que le demandeur a
volontairement
mis fin au contrat de gérance de manière prématurée. Au demeurant, la
prétention litigieuse ne saurait se fonder sur une autre cause
juridique
(dispositions relatives au droit du bail, principe de l'accession,
enrichissement illégitime et gestion d'affaires). Le demandeur
voudrait que
le prix de vente de l'établissement lui soit alloué. Il fonde cette
prétention sur le fait qu'il se serait constitué une clientèle et sur
le
pacte de préemption stipulé dans le contrat de gérance. Le premier
argument
ne correspond pas à la situation de fait, puisqu'il résulte des
preuves
administrées que l'exploitation du café-restaurant s'est soldée par
un échec.
S'agissant du second, la violation du pacte de préemption par le
défendeur
est certes avérée. Cependant, il n'existe pas de lien de causalité
adéquate
entre cette violation et le dommage invoqué, lequel n'est que la
conséquence
de la résiliation anticipée et de la restitution volontaire du fonds
de
commerce par le demandeur. Enfin, celui-ci n'apporte aucune preuve du
manque
à gagner qu'il dit avoir subi en raison de sa prétendue éviction de
l'établissement. Les seules pièces qu'il a fournies démontrent, au
contraire,
que la gestion du café-restaurant était largement déficitaire.

C.
Parallèlement à un recours de droit public, qui a été rejeté par
arrêt séparé
de ce jour, le demandeur a déposé un recours en réforme dans lequel il
conclut à ce que le défendeur soit condamné à lui verser 114'204 fr.
55
(67'409 fr. pour le coût des travaux et 46'795 fr. 55 pour le prix de
vente
de l'établissement).

Le défendeur propose le rejet du recours.

Par décision du 8 septembre 2003, la Ire Cour civile a admis, pour
les deux
procédures de recours, la demande d'assistance judiciaire présentée
par le
recourant et elle a désigné Me Philippe Girod comme avocat d'office de
l'intéressé.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions
condamnatoires et
dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale
par un
tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile
dont la
valeur litigieuse atteint le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ), le
présent
recours est recevable; en outre, il a été déposé en temps utile (art.
54 al.
1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ).

2.
A l'appui de son recours en réforme, le demandeur invoque la
violation de
l'art. 97 CO. Il fait grief à la Cour de justice d'avoir nié à tort
l'existence d'un lien de causalité adéquate entre la violation par le
défendeur du droit de préemption et le dommage subi par lui. Le
demandeur
rappelle, à cet égard, que le droit de préemption lui conférait la
faculté
d'acquérir le fonds de commerce au même prix que celui proposé aux
époux
C.________, soit 60'000 fr., et que le contrat de gérance libre
l'autorisait
à imputer le coût des travaux réalisés par lui - 67'409 fr. selon ses
dires -
sur le prix d'achat. Ainsi, en omettant de l'informer de la
conclusion du
contrat de vente avec les époux C.________, le défendeur l'aurait
privé de la
possibilité de se porter lui-même acquéreur et, partant, de récupérer
le
montant de ses investissements ou, en tout cas, de négocier les
conditions de
son départ. Par conséquent, le demandeur réclame des dommages-intérêts
correspondant au coût des travaux réalisés par lui (67'409 fr.) ainsi
qu'au
montant du prix de vente versé par les époux C.________ (46'795 fr.
55), ce
qui donne le total de 114'204 fr. 55 formant l'objet de ses
conclusions.

3.
3.1Le vendeur doit informer le titulaire du droit de préemption de la
conclusion du contrat de vente et de son contenu (cf. art. 216d al. 1
CO,
art. 681a al. 1 CC). S'il ne donne pas à temps un avis suffisamment
détaillé
et prive ainsi le titulaire du droit de préemption de la possibilité
d'exercer son droit, il doit des dommages-intérêts au sens de l'art.
97 CO
(Paul-Henri Steinauer, Les droits réels, tome II, 3e éd., n. 1734 et
1742;
Hans Giger, Commentaire bernois, n. 14-16 ad art. 216d CO; Arthur
Meier-Hayoz, Commentaire bernois, n. 203 ad art. 681 CC; Hans Peter
Schmid,
Das Vorkaufsrecht, thèse Bâle 1934, p. 87 ss; Doris Binz-Gehring, Das
gesetzliche Vorkaufsrecht im schweizerischen Recht, thèse Berne 1975,
p. 160
ss).

3.2 En l'occurrence, le défendeur s'était obligé, dans le contrat de
gérance
signé le 28 mai 1998, à communiquer à l'exploitant son intention de
vendre,
par lettre recommandée, en lui donnant un délai de 15 jours pour
faire usage
de son droit de préemption et payer un montant égal à l'offre ferme et
sérieuse d'un tiers. Par convention du 9 mai 1999, alors que le
contrat de
gérance était toujours en vigueur, il a vendu l'établissement aux
époux
C.________ sans en informer le demandeur. Cette omission, volontaire
ou non,
qui a privé le demandeur de la possibilité d'exercer son droit de
préemption
en temps utile, constituait une inexécution du contrat de gérance et
engageait la responsabilité du défendeur, comme l'ont admis les deux
juridictions cantonales. Pour en juger autrement, il faudrait
considérer,
soit que la convention passée le 27 juillet 1998 entre les parties
avait
rendu caduc le droit de préemption concédé dans le contrat de gérance
libre
(ce que personne ne soutient), soit que le demandeur avait renoncé
implicitement à l'exercice du droit d'emption, avec l'accord du
défendeur, en
faisant part à celui-ci, lors de leur entrevue du 4 mai 1999, de son
intention de mettre prématurément fin à leurs rapports contractuels
et de
quitter l'établissement le 29 mai 1999 (ce qu'il est difficile de
retenir au
regard de la jurisprudence
stricte relative à l'art. 115 CO), voire
enfin
qu'il commet un abus de droit en se prévalant du droit de préemption
alors
qu'il n'entend pas poursuivre l'exploitation du café-restaurant
(thèse qui
n'est guère soutenable, attendu que le demandeur, comme on le
démontrera plus
loin, pouvait avoir de bonnes raisons d'exercer le droit de
préemption même
s'il ne souhaitait pas poursuivre lui-même l'exploitation de
l'établissement).

II faut donc retenir, à l'instar des juridictions cantonales, que le
défendeur a violé l'une de ses obligations contractuelles, sans
pouvoir se
disculper, et qu'il est tenu, en vertu de l'art. 97 al. 1 CO, de
réparer le
dommage que cette violation a causé au demandeur.

4.
4.1Le dommage juridiquement reconnu, qui constitue une notion de droit
fédéral (ATF 128 III 22 consid. 2a, 180 consid. 2d p. 184; 127 III 73
consid.
3c, 543 consid. 2b), réside dans la diminution involontaire de la
fortune
nette; il correspond à la différence entre le montant actuel du
patrimoine du
lésé et le montant qu'aurait ce même patrimoine si l'événement
dommageable ne
s'était pas produit; le dommage peut se présenter sous la forme d'une
diminution de l'actif, d'une augmentation du passif, d'une
non-augmentation
de l'actif ou d'une non-diminution du passif (ATF 128 III 22 consid.
2e/aa,
180 consid. 2d p. 184; 127 III 543 consid. 2b).

Pour calculer le dommage résultant de l'inexécution du pacte de
préemption,
on peut prendre pour base l'intérêt positif du créancier à
l'exécution du
contrat et déterminer en conséquence quelle eût été la situation de
fortune
du créancier si le contrat avait été exécuté (voir l'arrêt du Tribunal
cantonal des Grisons du 22 janvier 1960 publié in RNRF 42/1961 p. 356
ss n°
58 ).

Sauf clause contraire du pacte de préemption, le titulaire du droit de
préemption peut acquérir la chose vendue aux conditions dont le
vendeur est
convenu avec le tiers (cf. art. 216d al. 3 CO; Steinauer, op. cit.,
n. 1723).
Le vendeur ne peut donc pas se prévaloir d'une valeur plus élevée à
l'égard
du préempteur (ATF 102 II 243 consid. 4). Au demeurant, s'agissant des
modalités d'exercice du droit de préemption, il est admis que, si la
compensation n'est pas exclue par le contrat de vente (cf. art. 126
CO), le
titulaire du droit de préemption qui exerce son droit peut également
compenser le prix de vente avec des contre-créances (art. 120 CO; ATF
117 II
30 consid. 2b).

4.2 En l'espèce, si le défendeur avait respecté son obligation
d'avis, le
demandeur aurait pu faire valoir son droit de préemption et acquérir
l'établissement aux conditions fixées dans le contrat de remise de
commerce
conclu le 9 mai 1999 entre le premier nommé et les époux C.________
(sur la
nature juridique du contrat de remise de commerce, cf. l'ATF 129 III
18).
Bien que ces derniers n'aient apparemment versé à ce jour, en mains de
l'agent d'affaires H.________, que la somme de 46'795 fr. 55, le prix
déterminant n'en reste pas moins celui stipulé à l'art. 2 du contrat
de
remise de commerce, soit 60'000 fr. Par ailleurs, du moment que ledit
contrat
n'excluait pas la compensation, il eût été loisible au demandeur
d'éteindre
la créance du défendeur en lui opposant sa propre créance en
remboursement du
coût des transformations effectuées par lui dans l'établissement
lorsqu'il en
avait pris possession en juin 1998. Cette contre-créance avait pour
fondement
l'art. 6 du contrat de gérance libre, lequel soumettait ce
remboursement à la
condition suspensive de l'achat du commerce par le demandeur,
condition qui
se serait précisément accomplie si ce dernier avait fait usage de son
droit
de préemption. Ainsi, à supposer que le demandeur ait pu opposer au
défendeur
une contre-créance de 60'000 fr. au minimum, il aurait pu acquérir le
commerce sans bourse délier. Le demandeur chiffre à 67'409 fr. le
total des
sommes investies pour l'aménagement des locaux. Les juridictions
cantonales
n'ont pas posé de constatations définitives à ce sujet, le Tribunal de
première instance, dont la Cour de justice a repris à son compte les
constatations de fait, s'étant contenté d'additionner les montants des
diverses factures produites par le demandeur pour obtenir un total de
56'559
fr. 50. Il conviendra donc de retourner le dossier à la cour
cantonale pour
qu'elle éclaircisse ce point et détermine avec précision le montant
de la
contre-créance qui aurait pu être opposée en compensation par le
préempteur à
la créance du défendeur en paiement du prix de vente du commerce
(art. 64 al.
1 OJ).

La cour cantonale constate que le demandeur a volontairement mis fin
au
contrat de gérance de manière prématurée. Selon elle, cette
constatation, qui
lie la juridiction fédérale de réforme (art. 63 al. 2 OJ), permet
d'exclure
l'existence d'un lien de causalité adéquate entre la violation du
droit de
préemption et le dommage invoqué par le demandeur. Tel n'est pas le
cas. En
effet, s'il est constant que le demandeur n'entendait plus exploiter
lui-même
le café-restaurant dès la fin du mois de mai 1999, on peut
raisonnablement
admettre, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la
vie, que,
s'il avait été informé de la vente de l'établissement aux époux
C.________,
il se serait empressé d'exercer (gratuitement, i.e. par compensation
de
créances) son droit de préemption pour revendre immédiatement le
commerce à
ce couple ou à d'autres repreneurs et encaisser lui-même le prix de
vente. Au
demeurant, on ne voit pas pourquoi les époux C.________ auraient
refusé une
offre de vente émanant de lui et faite aux mêmes conditions,
notamment de
prix, que celles figurant dans le contrat de remise de commerce qu'ils
venaient de passer avec le défendeur. Dans cette hypothèse, qui n'a
rien
d'invraisemblable, le dommage subi par le demandeur consisterait dans
le
manque à gagner (non-augmentation de l'actif) qu'il éprouve pour
n'avoir pas
pu revendre le commerce à un tiers après s'en être porté acquéreur par
l'exercice du droit de préemption. Concrètement, il correspond à la
différence entre le prix que le demandeur aurait pu obtenir en
revendant
immédiatement le commerce et le solde du prix d'achat qu'il aurait dû
verser
au défendeur lors de l'exercice du droit de préemption au cas où sa
contre-créance eût été inférieure à ce prix. Si l'on admet, pour les
besoins
de la démonstration, d'une part, que cette contre-créance correspond
au total
des factures versées au dossier et comptabilisées par le premier
juge, soit
un montant de 56'559 fr. 50, et, d'autre part, que le demandeur
aurait pu
revendre le commerce au prix versé par les époux C.________ (46'795
fr. 55),
le manque à gagner pourrait être calculé de la manière suivante:

- Prix de revente: 46'795 fr. 55
- s/déduction du prix d'achat
(60'000 fr. ./. 56'559 fr. 50): 3'440 fr. 50
- Bénéfice manqué: 43'355 fr. 05

Pour le surplus, il n'est pas possible de nier l'existence d'une
relation de
causalité adéquate entre ce dommage et la violation contractuelle
imputée au
défendeur. Aussi bien, le fait générateur de la responsabilité - in
casu,
l'omission du vendeur d'aviser le titulaire du droit de préemption -
était
propre, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la
vie, à
entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit (ATF 123
III 110
consid. 3a p. 112; 122 IV 17 consid. 2c/bb p. 23), c'est-à-dire à
priver le
demandeur du bénéfice qu'il aurait fait en exerçant le droit de
préemption,
puis en revendant le commerce à un tiers. Quoi qu'en pense le
défendeur, la
constatation relative à l'intention du demandeur de mettre
volontairement fin
au contrat de gérance de manière prématurée porte sur un fait qui
n'est pas
juridiquement pertinent pour décider de l'existence du lien de
causalité
adéquate entre la violation contractuelle imputable au défendeur et le
dommage invoqué par le demandeur.

Partant, sur le principe, le recours en réforme s'avère juridiquement
fondé.

S'agissant, en revanche, de la somme réclamée au titre des
dommages-intérêts,
le demandeur n'explique pas comment il justifie sa prétention visant
au
paiement d'un montant correspondant non seulement au prix de revente
du
commerce (46'795 fr. 55), mais encore au coût des travaux réalisés
par lui
(67'409 fr.). En exigeant le paiement de ces deux montants, le
demandeur se
place, à tort, dans la situation où il aurait pu acquérir le commerce
du
défendeur sans devoir en payer le prix de vente, fût-ce par
compensation de
créances. Dans le meilleur des cas, il ne pourrait donc obtenir que
la moitié
de la somme formant l'objet de ses conclusions devant le Tribunal
fédéral
(114'204 fr. 55). On a ainsi affaire à une plus petitio manifeste de
sa part.
Cela étant, il y a lieu d'admettre partiellement le recours en réforme
interjeté par le demandeur, d'annuler en conséquence l'arrêt attaqué
et de
renvoyer la cause à la cour cantonale pour qu'elle complète ses
constatations
dans le sens sus-indiqué (cf. consid. 4.2, 1er § in fine) et rende une
nouvelle décision.

5.
Le demandeur obtient gain de cause sur le principe, mais le montant
auquel il
pourrait finalement avoir droit ne dépassera en tout cas pas la
moitié de la
somme formant l'objet de ses conclusions au fond. Il se justifie, dès
lors,
de mettre les frais de la procédure fédérale pour moitié à la charge
de
chacune des parties (art. 156 al. 3 OJ). Quant aux dépens, il y a
lieu de les
compenser (art. 159 al. 3 OJ). Etant donné que l'intéressé s'est vu
octroyer
le bénéfice de l'assistance judiciaire, la part des frais mise à la
charge du
demandeur sera supportée par la Caisse du Tribunal fédéral (art. 152
al. 1
OJ), laquelle prendra également en charge les honoraires de l'avocat
d'office
du demandeur (art. 152 al. 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est partiellement admis, l'arrêt attaqué est annulé et la
cause
est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens
des
considérants.

2.
Un émolument judiciaire de 4'000 fr. est mis pour moitié à la charge
de
chacune des parties. La part de cet émolument mise à la charge du
demandeur
sera supportée par la Caisse du Tribunal fédéral.

3.
Les dépens sont compensés.

4.
La Caisse du Tribunal fédéral versera à Me Philippe Girod un montant
de 5'000
fr. à titre d'honoraires.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 6 novembre 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.194/2003
Date de la décision : 06/11/2003
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-11-06;4c.194.2003 ?
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