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06/11/2003 | SUISSE | N°1P.501/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 06 novembre 2003, 1P.501/2003


{T 0/2}
1P.501/2003/col

Arrêt du 6 novembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Nay, Vice-président du Tribunal fédéral, et Fonjallaz.
Greffier: M. Parmelin.

A. ________,
recourant, représenté par Me Nicolas Jeandin, avocat, rue du Rhône
84, case
postale 3200, 1211 Genève 3,

contre

B.________,
intimée, représentée par Me Lorella Bertani, avocate, boulevard
Georges-Favon
14, case postale 5129,

1211 Genève 11,
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale
3565, 1211 Genève 3,
Cour...

{T 0/2}
1P.501/2003/col

Arrêt du 6 novembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Nay, Vice-président du Tribunal fédéral, et Fonjallaz.
Greffier: M. Parmelin.

A. ________,
recourant, représenté par Me Nicolas Jeandin, avocat, rue du Rhône
84, case
postale 3200, 1211 Genève 3,

contre

B.________,
intimée, représentée par Me Lorella Bertani, avocate, boulevard
Georges-Favon
14, case postale 5129,
1211 Genève 11,
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale
3565, 1211 Genève 3,
Cour de cassation du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale
3108, 1211 Genève 3.

procédure pénale; droit d'être entendu; obligation de motiver,

recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de cassation du
canton de
Genève du 27 juin 2003.

Faits:

A.
Par arrêt du 11 novembre 2002, la Cour correctionnelle avec jury du
canton de
Genève (ci-après: la Cour correctionnelle) a condamné A.________ à
trois ans
de réclusion et à dix ans d'expulsion du territoire suisse pour viol
et
rupture de ban. Elle a retenu en substance que l'accusé avait
contraint son
ex-amie B.________ à entretenir des relations sexuelles avec lui dans
la
soirée du 13 novembre 2001, après l'avoir frappée et forcée à ingérer
de la
méthadone.
Le 14 novembre 2002, A.________ s'est pourvu en cassation auprès de
la Cour
de cassation du canton de Genève (ci-après: la Cour de cassation ou
la cour
cantonale) contre cet arrêt en tant qu'il porte sur sa condamnation
pour
viol. Il reprochait notamment au jury d'avoir failli à son devoir de
motiver
ses décisions en ne se prononçant pas sur l'état psychologique de
B.________
avant les faits, tel qu'il ressortait du témoignage de C.________, et
sur la
lettre qu'il lui avait adressée le lendemain, alors qu'il s'agissait
d'éléments décisifs pour apprécier le déroulement des faits.
Par arrêt du 27 juin 2003, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi.
Elle a
écarté le grief tiré d'une violation du droit d'être entendu au motif
que
A.________ n'avançait que très lapidairement une insuffisance de
motivation
et ne tentait pas de démontrer sur quels points précis la motivation
retenue
ne permettrait pas de comprendre la décision prise.

B.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt, qui consacrerait une atteinte
inadmissible à son droit d'être entendu garanti à l'art. 29 al. 2
Cst., et de
renvoyer la cause à la Cour de cassation afin qu'elle statue à
nouveau. Il
requiert l'assistance judiciaire.
La Cour de cassation se réfère à son arrêt. Le Procureur général du
canton de
Genève conclut au rejet du recours, dans la mesure où il est
recevable.
L'intimée propose également de le rejeter et sollicite l'assistance
judiciaire.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Seul le recours de droit public est ouvert pour invoquer la violation
directe
d'un droit constitutionnel, tel que le droit d'être entendu garanti à
l'art.
29 al. 2 Cst. (art. 84 al. 1 let. a OJ et 269 PPF; ATF 127 IV 215
consid. 2d
p. 218). Le recourant est personnellement et directement touché par
l'arrêt
attaqué qui confirme sa condamnation pénale à trois ans de réclusion
et à son
expulsion du territoire suisse pour une durée de dix ans; il a
qualité pour
agir selon l'art. 88 OJ. Les conclusions qui vont au-delà de la seule
annulation de l'arrêt attaqué sont irrecevables, dès lors qu'aucune
des
exceptions à la nature cassatoire du recours de droit public ne sont
réunies
(ATF 129 I 129 consid. 1.2.1 p. 131/132, 173 consid. 1.5 p. 176);
sous cette
réserve, il y a lieu d'entrer en matière sur le recours qui répond aux
conditions des art. 86 al. 1, 89 al. 1 et 90 al. 1 let. b OJ.

2.
Le recourant voit une violation de son droit d'être entendu garanti à
l'art.
29 al. 2 Cst., sous la forme du droit à une décision motivée, dans le
fait
que la cour cantonale a rejeté ce grief sans expliquer les raisons
pour
lesquelles elle tenait les moyens de preuve invoqués pour dénués de
toute
pertinence.

2.1 La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu le droit
d'obtenir une
décision motivée. L'autorité n'est cependant pas tenue de discuter de
manière
détaillée tous les arguments soulevés par les parties; elle n'est pas
davantage astreinte à statuer séparément sur chacune des conclusions
qui lui
sont présentées. Elle peut au contraire se limiter à l'examen des
questions
décisives pour l'issue du litige; il suffit que le justiciable puisse
apprécier correctement la portée de la décision et l'attaquer à bon
escient
(ATF 129 I 232 consid. 3.2 p. 236 et les références citées). Ces
principes
s'appliquent également aux arrêts rendus par le jury, appelé à
répondre par
oui ou par non aux questions qui lui sont posées. S'agissant plus
particulièrement de la culpabilité de l'accusé, la décision dans son
ensemble, avec les questions et les réponses, doit permettre de
comprendre
quels étaient les faits retenus, les dispositions légales appliquées,
les
réquisitions de l'accusation ou les dénégations de la défense qui ont
été
écartées faute d'avoir été prouvées ou faute de pertinence ainsi que
les
motifs qui ont dicté les choix du jury (ATF 117 Ia 1 consid. 2 p. 3;
115 IV
167 consid. 4c p. 172; arrêt 6P.88/1988 du 22 novembre 1988, consid.
2b
reproduit à la SJ 1989 p. 190). Rien ne s'oppose à une motivation
relativement sommaire, pour autant qu'elle permette de discerner sans
équivoque comment s'est fondée la volonté du jury (arrêt 1P.763/1990
du 17
décembre 1991, consid. 4c/bb paru à la SJ 1992 p. 232).

2.2 En l'occurrence, le jury a clairement expliqué les motifs qui
l'ont amené
à reconnaître le recourant coupable de viol sur la personne de
l'intimée,
dans la soirée du 13 novembre 2001, en exposant les éléments de
preuve qu'il
tenait pour décisifs. Sa motivation était donc suffisante pour que le
recourant puisse comprendre de quelle manière les premiers juges ont
forgé
leur conviction et attaquer leur arrêt en conséquence. De ce point de
vue, la
cour correctionnelle a respecté son devoir de motiver ses jugements,
tel
qu'il découle de l'art. 29 al. 2 Cst. Il est vrai que le jury n'a pas
expressément indiqué les raisons pour lesquelles elle déniait toute
pertinence au témoignage de C.________ et à la lettre écrite par
l'accusé à
l'attention de l'intimée le lendemain des faits. La cour cantonale a
considéré que cette omission ne suffisait pas encore pour conclure à
une
violation du droit d'être entendu, car le recourant n'avançait que
très
lapidairement une insuffisance de motivation. Or, dans son pourvoi en
cassation, celui-ci avait pourtant clairement souligné l'importance
des
moyens de preuve précités en tant qu'ils permettaient de cerner l'état
psychique de la victime le soir des faits et d'apprécier les
accusations de
viol portées contre lui en conséquence. Si la Cour de cassation les
tenait
pour non pertinents, elle devait le dire, en motivant sa décision sur
ce
point, mais elle ne pouvait pas écarter le grief sous prétexte qu'il
n'était
pas allégué de manière suffisante. Il ne s'ensuit pas pour autant que
le
recours doive être admis; le vice affectant l'arrêt attaqué n'est en
effet
pas d'une gravité telle qu'il ne puisse être réparé devant le Tribunal
fédéral, lequel dispose du même pouvoir d'examen que la Cour de
cassation sur
le point litigieux (ATF 126 I 68 consid. 2 p. 72; 124 II 132 consid.
2d p.
138).

2.3 C.________, qui exploite un salon de jeux, à Genève, a déclaré
devant le
Juge d'instruction que l'intimée était venue dans son établissement
pour
boire un verre dans la soirée du 13 novembre 2001 et qu'elle avait
l'air
triste et assez bouleversée, restant seule dans un coin, sans parler;
elle a
ajouté que la jeune femme était restée beaucoup plus longtemps que
d'ordinaire, sans toutefois être en mesure de donner une heure
exacte. Elle a
confirmé sa déclaration à l'audience de jugement. Ce témoignage ne
contredit
nullement la version des faits de la plaignante qui déclare s'être
rendue au
salon de jeux vers 20h00 pour revenir à son domicile à 21h30. Le fait
que la
jeune femme était triste, voire même bouleversée, et soit restée plus
longtemps qu'à l'accoutumée dans l'établissement public exploité par
le
témoin, avant de rentrer chez elle, peut s'expliquer par les mots
qu'elle
avait échangés avec le recourant juste avant de quitter son domicile.
Elle ne
traduit pas nécessairement le signe d'un désespoir profond antérieur
aux
faits incriminés, qui l'aurait amenée à accuser sciemment le
recourant d'un
viol qu'il n'aurait pas commis, comme ce dernier le soutient. Au
demeurant,
le jury a retenu, dans son verdict de culpabilité, que la partie
civile
apparaissait comme une personnalité très fragile et relativement
solitaire et
qu'elle se trouvait, dès l'été 2001, dans un conflit entre rupture et
reprise
de la relation avec l'accusé; il relevait en outre que la jeune femme
se
trouvait dans un état de confusion d'autant plus grand qu'elle avait
subi
plusieurs épisodes de violence, partiellement admis par l'accusé, ce
qui
pouvait expliquer l'état de tristesse constaté par le témoin le soir
des
faits.
Quant à la lettre que le recourant a écrite le lendemain des faits à
la
plaignante, elle ne fait que confirmer que le couple connaissait des
dysfonctionnements de longue date et que l'intimée se trouvait depuis
l'été
2001 déjà dans un état de confusion au sujet de leur relation,
conformément à
ce que le jury a retenu. Elle ne fournit pour le reste aucune
indication
utile quant au déroulement des événements de la veille et ne
corrobore en
particulier nullement la version des faits du recourant d'une relation
sexuelle librement consentie. Le fait que cette lettre ne donne pas
l'impression d'avoir été rédigée par une personne qui se serait rendue
coupable d'un viol n'a rien d'étonnant, dès lors que le recourant ne
partage
pas la même appréciation sur la nature de la relation sexuelle
entretenue la
veille avec l'intimée.

2.4 En définitive, les moyens de preuve dont le jury aurait omis à
tort de
prendre en considération n'apportent aucun élément susceptible de
remettre en
cause la motivation retenue par la cour correctionnelle. Celle-ci n'a
par
conséquent pas fait preuve d'arbitraire ni violé le droit d'être
entendu du
recourant en considérant que ces moyens de preuve n'étaient pas
pertinents,
sans en indiquer expressément les raisons.

3.
Le recours doit par conséquent être rejeté, dans la mesure où il est
recevable. Les conditions de l'art. 152 al. 1 OJ étant réunies, il
convient
de faire droit à la demande d'assistance judiciaire présentée par le
recourant et de statuer sans frais. Me Nicolas Jeandin est désigné
comme
avocat d'office pour la présente procédure et une indemnité lui sera
versée à
titre d'honoraires, à la charge de la caisse du Tribunal fédéral
(art. 152
al. 2 OJ). L'octroi de l'assistance judiciaire ne dispense nullement
celui-ci
de verser une indemnité de dépens à l'intimée, qui obtient gain de
cause avec
l'assistance d'un avocat (art. 159 al. 1 OJ). Par ailleurs, les
conditions
posées à la prise en charge subsidiaire des dépens par le Tribunal
fédéral
sont réunies, de sorte qu'il convient de désigner Me Lorella Bertani
comme
avocate d'office de l'intimée et de réserver la prise en charge de ses
honoraires par la Caisse du Tribunal fédéral pour le cas où les
dépens ne
pourraient être recouvrés (art. 152 al. 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.

2.
Le recourant est mis au bénéfice de l'assistance judiciaire. Me
Nicolas
Jeandin est désigné comme avocat d'office et une indemnité de 1'200
fr. lui
est allouée à titre d'honoraires, à payer par la Caisse du Tribunal
fédéral.

3.
Il n'est pas prélevé d'émolument judiciaire.

4.
Une indemnité de 1'500 fr. est allouée à l'intimée à titre de dépens,
à la
charge du recourant.

5.
La requête d'assistance judiciaire de l'intimée est admise, dans la
mesure où
elle n'est pas sans objet. Me Lorella Bertani est désignée comme
avocate
d'office et une indemnité de 1'200 fr. lui est allouée à titre
d'honoraires
d'avocat d'office, à payer par la Caisse du Tribunal fédéral, au cas
où les
dépens ne pourraient être recouvrés.

6.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties,
ainsi
qu'au Procureur général et à la Cour de cassation du canton de Genève.

Lausanne, le 6 novembre 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.501/2003
Date de la décision : 06/11/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-11-06;1p.501.2003 ?
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