La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/11/2003 | SUISSE | N°4C.207/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 03 novembre 2003, 4C.207/2003


{T 0/2}
4C.207/2003 /ech

Arrêt du 3 novembre 2003
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, Président, Walter et Favre.
Greffier: M. Carruzzo.

A.________ Ltd,
demanderesse et recourante, représentée par
Me Camille Froidevaux, avocat, case postale 166,
1211 Genève 12,

contre

B.________ SA,
défenderesse et intimée, représentée par Me Alain Bruno Lévy, avocat,
rue
Toepffer 17, 1206 Genève.

contrat de prêt; conversion monétaire,

recours en réforme contre l'arrêt de l

a Chambre civile de la Cour de
justice
du canton de Genève du 16 mai 2003.

Faits:

A.
A.a A.________ Ltd (ci-après: ...

{T 0/2}
4C.207/2003 /ech

Arrêt du 3 novembre 2003
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, Président, Walter et Favre.
Greffier: M. Carruzzo.

A.________ Ltd,
demanderesse et recourante, représentée par
Me Camille Froidevaux, avocat, case postale 166,
1211 Genève 12,

contre

B.________ SA,
défenderesse et intimée, représentée par Me Alain Bruno Lévy, avocat,
rue
Toepffer 17, 1206 Genève.

contrat de prêt; conversion monétaire,

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de
justice
du canton de Genève du 16 mai 2003.

Faits:

A.
A.a A.________ Ltd (ci-après: A.________), dont le siège est à
Londres, est
une société anglaise active dans le domaine immobilier. La livre
sterling
(GBP) est sa monnaie de référence, mais elle a pour habitude
d'emprunter de
l'argent dans d'autres devises lorsque cette manière de faire lui
paraît plus
avantageuse.

Le 24 août 1990, A.________ et la Compagnie D.________ SA
(actuellement:
B.________ SA; ci-après: la Banque), ayant son siège en Suisse, ont
conclu un
contrat de prêt portant sur un capital maximum de 9'200'000 GBP ou la
contre-valeur de ce montant dans n'importe quelle autre monnaie
disponible
auprès de la Banque. Le prêt était garanti par des sûretés réelles et
personnelles. Le capital prêté devait être remboursé lors du cinquième
anniversaire de la date de son retrait. Le contrat prévoyait
l'application du
droit suisse et fixait le for à Genève, entre autres lieux.

En date du 22 octobre 1990, A.________ a utilisé le crédit accordé.
Une année
plus tard, l'ensemble du prêt, tiré en diverses monnaies, a été
converti, sur
ses instructions, en yens (JPY) afin qu'elle puisse bénéficier des
taux
d'intérêts réduits sur cette devise.

A partir de septembre 1992, ce choix a posé des problèmes de limite
et de
couverture du crédit en raison de la baisse de la valeur de la livre
sterling
par rapport à celle du yen. A la demande de la Banque, A.________, qui
souhaitait continuer à bénéficier d'un prêt en yens, lui a remis
successivement en nantissement les sommes de 500'000 GBP et 300'000
GBP.

Au printemps 1993, puis à diverses reprises, la Banque a exprimé sa
volonté
de ne pas renouveler le prêt à son échéance et elle a invité
A.________ à
prendre les dispositions nécessaires en vue du remboursement final du
prêt,
le 23 octobre 1995.

A cette dernière date, A.________ a payé les intérêts dus, mais elle
n'a pas
remboursé le capital de 2'000'000'000 JPY correspondant, à ce
moment-là, à
12'680'000 GBP.

A.b Au début novembre 1995, A.________ a assigné la Banque devant les
tribunaux genevois afin de faire constater judiciairement que le
contrat de
prêt avait été renouvelé et d'empêcher la réalisation des gages
garantissant
le remboursement du prêt. La cause a été suspendue, le 2 mai 1996,
d'entente
entre les parties. Celles-ci ont engagé des pourparlers qui n'ont pas
abouti
à la conclusion d'un accord.

Le 23 mai 1997, alors que la valeur de la livre sterling avait
recommencé à
baisser par rapport à celle du yen, la Banque a converti un peu moins
de la
moitié du capital dû, soit 937'622'289 JPY en livres sterling au taux
de
186,16 JPY pour 1 GBP. A.________ l'a sommée en vain d'annuler cette
opération.

Le 15 mai 1998, la Banque, donnant suite à une demande de A.________,
a
converti le solde du prêt encore libellé en yens en livres sterling
au cours
de 218,15 JPY pour 1 GBP.

La dette résultant du contrat de prêt, désormais libellée en livres
sterling,
a été remboursée en deux fois, les 2 février 1999 et 23 janvier 2001.

B.
Le 9 juillet 1999, A.________ a ouvert une seconde action à
l'encontre de la
Banque, concluant à ce que la défenderesse soit condamnée à lui payer
la
somme de 736'616,67 GBP, plus intérêts à 5% dès le 15 mai 1998, à
titre de
dommages-intérêts pour mauvaise gestion d'affaires. Selon la
demanderesse, la
conversion des yens en livres sterling, opérée par la Banque le 23
mai 1997,
sans son accord et à un moment inopportun, plutôt que le 15 juin
1998, date à
laquelle elle l'avait invitée à y procéder, avait entraîné une
augmentation
de sa dette à concurrence de la somme réclamée.

La défenderesse a conclu au rejet des deux demandes. Les causes ont
été
jointes après reprise de l'instruction de la cause suspendue.

Par jugement du 30 mai 2002, le Tribunal de première instance du
canton de
Genève a déclaré irrecevable la demande visant à faire constater le
renouvellement du prêt. En revanche, il a admis partiellement la
seconde
demande et condamné la défenderesse à payer à la demanderesse la
somme de
462'899,94 GBP avec intérêts à 5% dès le 15 mai 1998. Ce montant
résulte de
la différence entre le cours du yen et de la livre sterling au jour
de la
conversion effectuée unilatéralement par la banque (186,16 JPY pour 1
GBP),
d'une part, et le cours auquel A.________ avait proposé elle-même à
la Banque
de convertir sa dette peu de temps avant la conversion litigieuse
(205 JPY
pour 1 GBP).

La défenderesse a appelé de ce jugement, concluant à sa libération
totale des
fins de la demande. Par la voie de l'appel incident, la demanderesse
a conclu
derechef à ce que la défenderesse soit condamnée à lui payer
736'616,67 GBP,
plus intérêts à 5% dès le 15 mai 1998. A titre subsidiaire, elle a
conclu à
ce que le point de départ de l'intérêt moratoire sur les 462'899,94
GBP
alloués par les premiers juges soit fixé au 27 mai 1997. La
demanderesse n'a,
en revanche, pas attaqué le jugement de première instance dans la
mesure où
il avait déclaré irrecevable sa conclusion constatatoire
susmentionnée.

Statuant par arrêt du 16 mai 2003, la Cour de justice du canton de
Genève a
admis l'appel de la défenderesse et annulé la condamnation pécuniaire
prononcée à l'encontre de celle-ci par le Tribunal de première
instance.

C.
La demanderesse interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral.
Elle y
reprend la conclusion condamnatoire déjà soumise aux juges d'appel et
requiert, subsidiairement, le renvoi de la cause à la cour cantonale
pour
nouveau jugement dans le sens des considérants.

La défenderesse conclut au rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des
recours
qui lui sont soumis (ATF 129 II 225 consid. 1; 128 II 13 consid. 1a
p. 16, 46
consid. 2a p. 47, 56 consid. 1 p. 58, 66 consid. 1 p. 67; 128 IV 137
consid.
2 p. 139).

Lorsque la décision attaquée se fonde sur plusieurs motivations
indépendantes, alternatives ou subsidiaires, toutes suffisantes,
chacune
doit, sous peine d'irrecevabilité, être attaquée avec le moyen de
droit
approprié (ATF 115 II 300 consid. 2a p. 302; 111 II 397 consid. 2b,
398
consid. 2b; cf. également ATF 122 III 488 consid. 2; 117 II 432
consid. 2a p.
441). Le cas échéant, le recourant devra attaquer l'une des deux
motivations
par la voie du recours en réforme, en démontrant qu'elle viole le
droit
fédéral, et l'autre par celle du recours de droit public, en faisant
valoir
qu'elle porte atteinte à ses droits constitutionnels (ATF 115 II 300
consid.
2a p. 302; 111 II 398 consid. 2b; cf. également ATF 121 III 46
consid. 2; 121
IV 94 consid. 1b). Ces exigences sont posées à peine d'irrecevabilité
pour
chacun des moyens de droit concernés (ATF 116 II 721 consid. 6a p.
730), sous
réserve d'exceptions non pertinentes en l'espèce (arrêt 4C.292/2000
du 21
décembre 2000, consid. 2d in fine).

2.
2.1L'argumentation principale, sur laquelle repose l'arrêt attaqué,
peut être
résumée de la manière suivante: l'emprunteuse étant en demeure de
rembourser
le capital depuis le 23 octobre 1995, il incombait à la Banque
créancière de
prendre toutes les dispositions utiles que l'on pouvait exiger d'elle
pour
réduire son dommage résultant de l'inaction de sa débitrice (art. 106
al. 1
CO), conformément à l'art. 44 al. 1 CO applicable en vertu du renvoi
de
l'art. 99 al. 3 CO. Elle avait donc "l'incombance" et, partant, le
droit de
convertir la dette découlant du prêt en livres sterling si la valeur
de cette
monnaie commençait à baisser par rapport à celle du yen. C'est ce
qu'elle a
fait en procédant à la conversion monétaire, le 23 mai 1997, alors
que la
valeur de la livre sterling avait effectivement amorcé une certaine
tendance
à la baisse et avant deux nouvelles baisses ponctuelles plus
importantes. De
fait, une nouvelle tendance globale à la hausse n'a été enregistrée
qu'à la
fin de l'année 1997. La défenderesse a ainsi agi avec diligence en
procédant
à la conversion litigieuse. Ce faisant, elle a pris les dispositions
que l'on
pouvait raisonnablement exiger d'elle pour diminuer la perte de
change de sa
cliente et, partant, sa propre perte prévisible. La responsabilité de
la
défenderesse envers la demanderesse n'est dès lors pas engagée.

La cour cantonale a ensuite envisagé le cas sous l'angle proposé par
la
demanderesse. Cette dernière soutenait que la conversion monétaire
décidée
par la défenderesse constituait une gestion d'affaires sans mandat,
qui
s'était révélée préjudiciable à ses intérêts en raison de la
négligence dont
avait fait preuve la gérante. A cet égard, les juges d'appel ont
considéré
que les règles sur la gestion d'affaires n'entraient pas en ligne de
compte
en l'occurrence pour la raison déjà, entre autres motifs, que l'art.
44 CO,
appliqué par analogie, permettait à la défenderesse de procéder à la
conversion monétaire contestée. Et la juridiction d'appel de
poursuivre en
ces termes (consid. 7d de l'arrêt attaqué):
"La Cour relève à titre superfétatoire que la solution serait
identique s'il
s'était agi d'une affaire appartenant objectivement à A.________ et si
l'application analogique de l'art. 44 CO n'avait pas permis à la
Banque
d'intervenir. En effet, la Banque en tant que gérant sans mandat
aurait alors
simplement dû procéder conformément aux intérêts et intentions
présumables de
A.________ (art. 419 CO), sa responsabilité devant être appréciée
avec une
rigueur réduite, dans la mesure où la Banque aurait alors agi pour
prévenir
un dommage de change dont A.________ était menacée (art. 420 al. 2
CO).

Or, la Banque ayant procédé à la conversion monétaire, le 23 mai
1997, alors
que la valeur de la Livre avait effectivement amorcé une certaine
tendance à
la baisse, il y a lieu d'admettre, ici aussi, qu'elle a agi avec la
diligence
que l'on pouvait exiger d'elle, même si elle n'a pas choisi le
meilleur
moment possible pour la conversion monétaire, étant rappelé que la
fluctuation du taux de change était constante, rendant ainsi
impossible le
choix du meilleur moment.

La Banque n'aurait donc pas mal géré une affaire de A.________,
causant par
là un dommage à A.________."
2.2Dans son recours en réforme, la demanderesse s'emploie uniquement à
démontrer que la Cour de justice aurait violé le droit fédéral - plus
précisément les art. 1er, 2 et 19 CO ainsi que les art. 2 et 8 CC - en
appliquant les art. 44, 99 et 106 CO. En revanche, elle laisse intacte
l'argumentation subsidiaire reproduite ci-dessus, qu'elle ne
mentionne même
pas. Faute de tout grief dûment motivé, la juridiction fédérale ne
peut pas
se prononcer sur la pertinence de cette argumentation (art. 55 al. 1
let. c
OJ) et elle est de surcroît liée par les constatations de fait
relatives à la
fluctuation du taux de change qui la sous-tendent (art. 63 al. 2 OJ).
Or,
ladite argumentation, qu'elle soit conforme ou non au droit fédéral,
suffit à
justifier la solution retenue par les juges d'appel, c'est-à-dire la
libération de la défenderesse des fins de la demande. En effet, elle
revient
à dire que, même si l'on excluait l'applicabilité des dispositions
retenues
par la cour cantonale - les art. 44, 99 et 106 CO - et que l'on
considérât le
cas sous l'angle juridique voulu par la demanderesse, à savoir la
gestion
d'affaires (art. 419 ss CO), le sort du litige ne s'en trouverait pas
modifié.

Il suit de là que le présent recours est irrecevable, conformément à
la
jurisprudence rappelée plus haut.

3.
La demanderesse, qui succombe, devra payer l'émolument judiciaire
afférent à
la procédure fédérale (art. 156 al. 1 OJ) et verser des dépens à la
défenderesse (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Un émolument judiciaire de 15'000 fr. est mis à la charge de la
recourante.

3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 17'000 fr. à titre
de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 3 novembre 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.207/2003
Date de la décision : 03/11/2003
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-11-03;4c.207.2003 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award