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30/10/2003 | SUISSE | N°4P.158/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 30 octobre 2003, 4P.158/2003


{T 0/2}
4P.158/2003 /ech

Arrêt du 30 octobre 2003
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Klett et Favre.
Greffière: Mme Charif Feller.

X. ________ SA,
recourante, représentée par Me Horace Gautier,

contre

Y.________,
intimée, représentée par Me Philippe Houman,
Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève, case
postale 3108, 1211 Genève 3.

art. 9, 26, 29 al. 1 + 2 Cst. (appréciation arbitraire des preuves en
procédure civile; droit d'être

entendu),

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre d'appel en
matière de
baux et loyers du canton de...

{T 0/2}
4P.158/2003 /ech

Arrêt du 30 octobre 2003
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Klett et Favre.
Greffière: Mme Charif Feller.

X. ________ SA,
recourante, représentée par Me Horace Gautier,

contre

Y.________,
intimée, représentée par Me Philippe Houman,
Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève, case
postale 3108, 1211 Genève 3.

art. 9, 26, 29 al. 1 + 2 Cst. (appréciation arbitraire des preuves en
procédure civile; droit d'être entendu),

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre d'appel en
matière de
baux et loyers du canton de Genève du 26 mai 2003.

Faits:

A.
En 1998, X.________ SA (précédemment A.________, ci-après:
X.________) a
envisagé de poser quatre antennes sur quatre mâts, avec des armoires
techniques, sur le toit d'un bâtiment, propriété de Y.________. Le 29
juillet
1998, le département de l'aménagement, de l'équipement et du logement
(DAEL)
a indiqué à X.________ que les installations projetées ne
nécessitaient pas
d'autorisation de construire préalable. Les 31 juillet et 12 août
1998,
X.________ et Y.________ ont passé un contrat de bail à loyer d'une
durée de
cinq ans dès le commencement des travaux d'installation, avec une
clause
unilatérale de reconduction en faveur de la locataire, et une
limitation du
droit de résilier à la charge de la bailleresse. Le site a été mis en
place
en septembre 1998; les antennes sont opérationnelles depuis fin
décembre
1998.

Les chiffres 3 et 6 du contrat de bail ont la teneur suivante:
"3. Conditions:

Cette convention entre en vigueur à la triple condition (a) que
A.________
obtienne toute concession d'utilisation nécessaire, (b) que toutes les
conditions techniques requises pour l'installation et l'exploitation
soient
remplies (y compris la qualité prévue pour la diffusion des ondes) et
(c) que
A.________ obtienne toutes les autres autorisations requises pour
l'installation et l'utilisation des équipements"

"6. Cessation anticipée:

La présente convention prend fin automatiquement lorsque l'une au
moins des
conditions prévues au chiffre 3 n'est plus remplie"
Dès le printemps 1999, des locataires des bâtiments voisins, tous
propriétés
de Y.________, se sont plaints des risques pour la santé provenant
des champs
électromagnétiques dégagés par les antennes, et de la gêne causée par
les
lumières de balisage.

Le 25 juin 1999, Y.________ a résilié le contrat de bail avec effet
immédiat.
Le 5 juillet 1999, X.________ a contesté cette résiliation en
l'absence de
justes motifs légaux et en considération de la première échéance
possible,
fixée au 31 juillet 2013. Des pourparlers ont eu lieu. X.________
s'est
engagée, le 15 octobre 1999, à démanteler son installation d'ici au
30 juin
2000, selon un courrier signé par deux de ses employés, sans pouvoir
de
représentation; X.________ a invalidé cette déclaration
ultérieurement, lors
de l'audience du Tribunal des baux et loyers du 14 juin 2001, pour
erreur
essentielle et dol.

Le 2 mai 2000, X.________ a fait savoir à Y.________ qu'elle ne
pouvait pas
enlever ces antennes pour fin juin 2000, sans avoir de site de
remplacement.

Le 22 mai 2000, le DAEL a envoyé à X.________ la lettre suivante:
"Pour faire suite à votre demande de maintien du site visé en titre,
nous
vous informons que conformément aux termes du procès-verbal des
séances de
coordination 18 et 19, cette démarche devra faire l'objet d'une
autorisation
de construire par procédure accélérée.

En effet, compte tenu des circonstances, nous estimons que la simple
validation du calcul des valeurs du rayonnement non ionisant (RNI) ne
suffit
pas à justifier le maintien d'un site que vous vous êtres engagé à
démonter
d'ici à fin juin.

Par ailleurs, pour requérir une autorisation de construire, il
convient de
vous assurer de l'accord du propriétaire de l'immeuble.

(...)".
Le même jour, le conseiller d'Etat responsable du DAEL a communiqué
une copie
de ce courrier à la gérance immobilière de Y.________, en précisant:
"s'agissant d'un site qui n'a pas fait l'objet d'une procédure
d'autorisation
de construire et qui devait être démonté d'ici fin juin, j'estime que
sa
présence ne peut plus être cautionnée par le département en l'absence
d'une
autorisation régulière".

B.
Le 11 juillet 2000, Y.________ a saisi la commission de conciliation
en
matière de baux et loyers d'une requête en évacuation tendant à mettre
hors-service les installations de téléphonie litigieuses. Faute de
conciliation, la cause a été portée devant le Tribunal des baux et
loyers le
5 octobre 2000. Cette juridiction a fait droit à la requête en
évacuation, et
X.________ a déféré cette décision devant la Chambre d'appel en
matière de
baux et loyers de la Cour de justice de Genève, le 4 juillet 2002.

Par arrêt du 26 mai 2003, la cour cantonale a confirmé ce jugement.
Elle a
estimé que la lettre du 15 octobre 1999 de X.________ à la bailleresse
pouvait être "aisément" comprise comme une lettre de congé, mais
donnée par
un représentant sans pouvoir. Elle a laissé ouverte la question de
savoir si
le courrier du 2 mai 2000, signé par le directeur de X.________ à
l'époque,
pouvait être considéré comme une ratification valable. Elle a enfin
retenu
que, comme X.________ n'avait pas sollicité et à plus forte raison
pas obtenu
une autorisation de construire pour l'installation litigieuse, le
contrat
avait pris fin "dès le moment où l'autorisation n'a pas été obtenue
et en
tout cas à ce jour", de sorte que X.________ devait restituer la
chose louée
à la bailleresse.

C.
Agissant le 27 juin 2003 par la voie du recours de droit public,
X.________
demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Chambre d'appel en
matière de baux et loyers du canton de Genève avec suite de frais et
dépens.
Elle se plaint d'une appréciation arbitraire des preuves en ce qui
concerne
la lettre du 22 mai 2000. La juridiction cantonale aurait
arbitrairement
appliqué les art. 129 et 130 de la loi sur les constructions et les
installations diverses en admettant implicitement le retrait d'une
autorisation de construire, portant ainsi atteinte à la garantie de la
propriété. Enfin, le droit d'être entendu et le droit à la preuve de
la
recourante seraient violés, parce que des enquêtes n'avaient pas été
ordonnées sur ce que la Chambre d'appel avait considéré comme un
retrait de
l'autorisation de construire accordée en 1998.

L'intimée conclut à la confirmation de l'arrêt entrepris. La Chambre
d'appel
se réfère aux considérants de sa décision.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Le recours de droit public au Tribunal fédéral est ouvert contre
une
décision cantonale pour violation des droits constitutionnels des
citoyens
(art. 84 al. 1 let. a OJ).

Le jugement attaqué est final dans la mesure où la cour cantonale a
statué
comme dernière instance cantonale, de sorte qu'il n'est susceptible
d'aucun
autre moyen de droit sur le plan fédéral ou cantonal, s'agissant du
grief de
violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 84 al. 2
et 86 al.
1 OJ).

La recourante est personnellement touchée par la décision entreprise,
qui la
déboute entièrement de ses conclusions en annulation du congé. Elle a
ainsi
un intérêt personnel, actuel et juridiquement protégé à ce que cette
décision
n'ait pas été adoptée en violation de ses droits constitutionnels; en
conséquence la qualité pour recourir (art. 88 OJ) doit lui être
reconnue.

Interjeté en temps utile (art. 89 al. 1 OJ), dans la forme prévue par
la loi
(art. 90 al. 1 OJ), le présent recours est à cet égard recevable.

1.2 Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine
que les
griefs d'ordre constitutionnel, invoqués et suffisamment motivés dans
l'acte
de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 129 I 113 consid. 2.1, p.
120; 128
III 50 consid. 1c et les arrêts cités).

2.
2.1Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est
manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un
principe
juridique clair et indiscuté, ou encore heurte de manière choquante le
sentiment de la justice et de l'équité. Il ne suffit pas que sa
motivation
soit insoutenable; encore faut-il que la décision apparaisse
arbitraire dans
son résultat. A cet égard, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la
solution
retenue que si celle-ci est insoutenable, en contradiction manifeste
avec la
situation effective, adoptée sans motif objectif et en violation d'un
droit
certain. Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre solution
paraît
également concevable, voire même préférable (ATF 129 I 8 consid. 2.1;
128 I
81 consid. 2 p. 86, 177 consid. 2.1 p. 182, 273 consid. 2.1 p. 275;
128 II
259 consid. 5 p. 280).

En matière d'appréciation des preuves, il y a arbitraire lorsque
l'autorité
ne prend pas en compte, sans raison sérieuse, un élément de preuve
propre à
modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur le sens
et la
portée d'un tel élément, ou encore lorsqu'elle tire des constatations
insoutenables des éléments recueillis (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41;
124 I
208 consid. 4a).

2.2 Le 29 juillet 1998, le DAEL a informé la recourante que les
antennes de
téléphonie mobile pouvaient "être mises en place sans autorisation de
construire préalable, vu le caractère modeste et leur impact mineur
sur le
site". Ultérieurement, le DAEL a, selon la lettre du 22 mai 2000
adressée à
la recourante et dont la teneur est rappelée ci-dessus, avisé cette
dernière
que le maintien de l'installation devrait faire l'objet d'une
autorisation de
construire, requise, et éventuellement octroyée, en procédure
accélérée. A
cet égard, la recourante reproche à la cour cantonale d'avoir déduit
de cette
seule pièce "au contenu peu clair et à la motivation juridique
inexistante"
le retrait de l'autorisation de construire dont elle bénéficiait,
alors
qu'une telle conclusion ne pouvait être tirée de ce document, en
raison du
contexte général rappelé dans la correspondance, et de raisons
juridiques de
forme et de fond.

2.3 L'argumentation de la recourante porte toutefois à faux. Il
ressort du
courrier du 29 juillet 1998 du DAEL à la recourante que l'érection des
antennes sur le toit du bâtiment de l'intimée n'était, en 1998, pas
soumise à
autorisation de construire, de sorte que l'installation a pu être
placée en
septembre 1998 avant d'être mise en service au mois de décembre de la
même
année.

Par la suite cependant, la situation juridique s'est modifiée en ce
sens que
le Conseil fédéral a adopté le 23 décembre 1999 l'ordonnance sur la
protection contre le rayonnement non ionisant (ORNI; RS 814.710),
entrée en
vigueur le 1er février 2000. Cette situation a pu entraîner le DAEL à
modifier sa pratique, pour qu'elle soit désormais plus conforme à la
volonté
du législateur et de l'auteur des textes réglementaires, ainsi que
pour mieux
garantir le but poursuivi par la législation (cf. ATF 127 V 268
consid. 4b p.
273/274; 126 I 122 consid. 5 p. 129 et les arrêts cités).

Or, il apparaît manifestement que les antennes ont été dressées sur la
toiture sans autorisation, alors que l'ORNI implique un contrôle des
limitations des émissions de rayonnement non ionisant, précisant en
cela la
loi fédérale sur la protection de l'environnement, et supposant une
autorisation de police des constructions assurant le contrôle
préventif et
vérifiant qu'aucun obstacle juridique relevant de la police des
constructions
ou de l'aménagement du territoire ne s'oppose à la réalisation du
projet
envisagé (Walter Haller/Peter Karlen, Raumplanungs-, Bau- und
Umweltrecht, 3e
éd., Zurich 1999, vol. 1, p. 143 n. 508; Nicolas Michel, Droit public
de la
construction, 2e éd., Fribourg 1997, p. 282 n. 1393).

Ainsi, contrairement à ce qu'a estimé la recourante, le DAEL n'a pas
retiré
ou révoqué une autorisation de construire antérieure, mais a modifié
sa
pratique récente en l'invitant à soumettre ses installations à une
procédure
d'autorisation de construire régulière, pour suivre une
interprétation plus
correcte de la loi et de son ordonnance (ATF 129 V 226 consid. 5.2 p.
234;
127 I 49 consid. 3c i.f. p. 52), soit en l'occurrence de la LPE et de
l'ORNI.
En retenant que le DAEL exigeait depuis le 22 mai 2000 une
autorisation de
construire, et en constatant qu'aucune n'avait été délivrée
jusqu'alors, la
cour cantonale n'a pas apprécié arbitrairement la lettre adressée le
22 mai
2000 par le DAEL à la recourante. De même, elle n'est pas tombée dans
l'arbitraire en observant que la recourante n'avait pas requis
d'autorisation
de construire à partir du moment où elle avait été mise en demeure de
le
faire; dans ces conditions, il est manifeste que, n'ayant pas
sollicité un
permis de construire, la recourante ne pouvait pas l'avoir obtenu. La
cour
cantonale a ainsi établi à bon droit qu'aucune autorisation de
construire
n'avait été requise et obtenue pour l'installation du site de
téléphonie
mobile litigieux.

Il s'ensuit qu'il n'est pas nécessaire d'examiner si la lettre du 22
mai 2000
remplit les conditions matérielles et formelles d'une décision -
notamment
quant à la personne du signataire - dans la mesure où il n'est pas
insoutenable de retenir que la
lettre précitée ne constitue qu'un
renseignement, ou des informations, sur la procédure à suivre pour
obtenir
une autorisation de construire, le cas échéant pour se voir opposer
un refus
ultérieur, susceptible de recours, si les conditions à l'octroi du
permis de
construire n'étaient par hypothèse pas remplies, du point de vue de
l'administration (ATF 121 II 473 consid. 2c p. 479 et les références;
pour la
notion de décision en droit administratif genevois, cf. art. 4 de la
loi sur
la procédure administrative du 12 septembre 1985).

Comme la Chambre d'appel n'est pas tombée dans l'arbitraire en
appréciant la
lettre du 22 mai 2000 et sa portée, et qu'elle a estimé, au terme
d'une
appréciation anticipée des preuves non arbitraire, qu'elle était en
possession de tous les éléments de fait nécessaires à statuer, la
recourante
ne peut pas davantage se plaindre d'une violation de son droit d'être
entendue (ATF 122 II 464 consid. 4a in fine et les arrêts cités).

Ces considérations conduisent au rejet du recours.

3.
Vu l'issue du litige, un émolument sera mis à la charge de la
recourante qui
succombe (art. 156 al. 1 OJ). Elle sera également condamnée à payer
une
indemnité à titre de dépens en faveur de l'intimée (art. 159 al. 2
OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit public est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la
recourante.

3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 2'500 fr. à titre
de
dépens

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève.

Lausanne, le 30 octobre 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.158/2003
Date de la décision : 30/10/2003
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-10-30;4p.158.2003 ?
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