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30/10/2003 | SUISSE | N°1A.181/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 30 octobre 2003, 1A.181/2003


{T 0/2}
1A.181/2003 /col

Arrêt du 30 octobre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Reeb et Catenazzi.
Greffier: M. Kurz.

La société I.________,
recourante, représentée par Me Bernard Cron, avocat, rue de Bourg 1,
case
postale 2367, 1002 Lausanne,

contre

Juge d'instruction du canton de Vaud, rue du Valentin 34, 1014
Lausanne,
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud, route
du Signal

8, 1014 Lausanne.

entraide judiciaire internationale en matière pénale à la France,

recours de droit administr...

{T 0/2}
1A.181/2003 /col

Arrêt du 30 octobre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Reeb et Catenazzi.
Greffier: M. Kurz.

La société I.________,
recourante, représentée par Me Bernard Cron, avocat, rue de Bourg 1,
case
postale 2367, 1002 Lausanne,

contre

Juge d'instruction du canton de Vaud, rue du Valentin 34, 1014
Lausanne,
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud, route
du Signal
8, 1014 Lausanne.

entraide judiciaire internationale en matière pénale à la France,

recours de droit administratif contre l'arrêt du Tribunal
d'accusation du
Tribunal cantonal du canton de Vaud
du 30 juillet 2003.

Faits:

A.
Le 9 octobre 2002, un Juge d'instruction au Tribunal de Grande
Instance de
Paris a adressé au Juge d'instruction du canton de Vaud une commission
rogatoire formée pour les besoins d'une information contre inconnu,
sur
plainte de l'Institut National de Propriété Industrielle (ci-après:
INPI),
pour escroquerie. Selon la plainte, il est reproché à la société
I.________,
d'avoir tenté de créer un "parallèle" avec l'INPI et le Registre du
commerce
et des sociétés afin d'obtenir les inscriptions d'entreprises sur une
base de
données dépourvue de caractère juridique. Afin de revêtir une
apparence
officielle, le bulletin d'inscription, assorti du drapeau tricolore,
comportait l'intitulé "Registre de données de base du commerce, des
affaires
et de l'industrie" et la mention "Made in France", ainsi qu'un délai
impératif d'inscription et un numéro de contrôle. Certaines
entreprises
avaient fait la confusion avec le registre légal tenu par l'INPI.
L'autorité
requérante désire obtenir tous renseignements sur la société
I.________
(objet, comptes, vie sociale) et sur sa clientèle (dossiers clients,
signification des numéros de série figurant sur les formulaires, bases
informatiques, comptabilité), ainsi que sur les éventuels procès
auxquels la
société I.________ aurait participé. Par demande complémentaire du 31
octobre
2002, le juge d'instruction parisien a requis l'interrogatoire des
dirigeants
de la société I.________, et demandé à pouvoir assister aux actes
d'exécution.
Le Juge d'instruction du canton de Vaud est entré en matière le 19
novembre
2002 et a ordonné le séquestre de pièces en mains de la société
I.________.
Une perquisition a eu lieu le 7 janvier 2003. Par arrêt du 29 janvier
2003,
le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal vaudois a confirmé la
décision
de séquestre: les documents et fichiers saisis ne concernaient que les
clients français et n'empêchaient pas l'exploitation de la banque de
données.

B.
Par ordonnance de clôture partielle du 9 mai 2003, le juge
d'instruction a
décidé de transmettre à l'autorité requérante un procès-verbal
d'audition du
directeur de la société I.________, du 30 avril 2003, l'ordonnance de
séquestre du 19 novembre 2002 avec deux lots de fichiers
informatiques,
l'extrait du registre du commerce, un CD-Rom contenant le fichier
clients
saisi le 7 janvier 2003, des exemplaires de documents, de nombreux
dossiers
numérotés, en originaux et en copies, ainsi que le rapport de police
du 14
janvier 2003. Il s'agissait d'une première expédition de documents
sélectionnés. Les autres documents saisis demeuraient sous séquestre,
"le
temps d'une analyse de la situation en France".
Par arrêt du 30 juillet 2003, le Tribunal d'accusation a rejeté le
recours de
la société I.________ et confirmé la décision de clôture. La
condition de la
double incrimination était satisfaite, car l'usage de dénominations
officielles, pour obtenir l'inscription de clients sur la base de
données,
pouvait prima facie constituer une escroquerie.

C.
La société I.________ forme un recours de droit administratif contre
ce
dernier arrêt. Elle en demande principalement l'annulation et,
subsidiairement, le refus de transmettre les documents mentionnés
sous point
II de l'ordonnance de clôture, ainsi que la levée du séquestre pénal.
Plus
subsidiairement, elle demande le renvoi de la cause au Tribunal
d'accusation
pour nouvel arrêt dans le sens des considérants.
L'effet suspensif, accordé ex lege en tant qu'il porte sur la
transmission, a
été refusé en tant qu'il tendait à la levée du séquestre, par
ordonnance du
12 septembre 2003.
Le Tribunal d'accusation se réfère aux considérants de son arrêt. Le
juge
d'instruction a renoncé à se déterminer, et l'Office fédéral de la
justice se
rallie aux considérants de l'arrêt attaqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Interjeté dans le délai et les formes utiles contre une décision de
clôture
partielle confirmée en dernière instance cantonale, le recours de
droit
administratif est recevable (art. 80e let. a et 80f al. 1 de la loi
fédérale
sur l'entraide internationale en matière pénale - EIMP, RS 351.1).
1.1 La recourante est personnellement et directement touchée par les
actes
d'entraide, et a qualité pour recourir contre la transmission du
procès-verbal d'audition de son directeur et de divers documents et
dossiers
saisis lors de la perquisition dont elle a fait l'objet (art. 80h
let. b EIMP
et 9a let. b OEIMP). En tant qu'il confirme le maintien du séquestre
des
pièces non transmises, l'arrêt attaqué est certes incident; il
confirme
toutefois la décision initiale de séquestre et, dans cette mesure,
peut être
attaqué avec la décision de clôture (art. 80f al. 1 EIMP),
indépendamment des
conditions restrictives de l'art. 80e let. b EIMP (art. 80f al. 2
EIMP) et du
délai raccourci de l'art. 80k EIMP.

1.2 L'entraide judiciaire entre la République française et la
Confédération
est régie par la Convention européenne conclue dans ce domaine (CEEJ;
RS
0.351.1) ainsi que par l'accord bilatéral complémentaire (RS
0.351.934.92).
Les dispositions de ces traités l'emportent sur le droit autonome se
rapportant à la matière. Celui-ci reste applicable aux questions non
réglées
par le droit conventionnel, et lorsqu'il se révèle plus favorable à
l'entraide que le droit conventionnel (ATF 123 II 134 consid. 1a p.
136; 122
II 140 consid. 2 p. 142; 120 Ib 120 consid. 1a p.122/123, et les
arrêts
cités). Est réservé le respect des droits fondamentaux (ATF 123 II 595
consid. 7c p. 617).

2.
La recourante invoque les art. 5 CEEJ et 28 EIMP, et se plaint d'une
constatation inexacte des faits pertinents. La demande se
contenterait de
reprendre les soupçons exposés dans la plainte de l'INPI. L'autorité
suisse
d'entraide devait se fonder sur les seuls faits exposés,
indépendamment des
appréciations juridiques de l'autorité requérante. La recourante
conteste
pour sa part que les cinq éléments du formulaire incriminé puissent
être
constitutifs d'escroquerie: la dénomination "Made in France"
appartiendrait
au domaine public, et sa signification, sans connotation officielle,
serait
notoire; l'usage des couleurs nationales serait purement décoratif et
distinctif; l'intitulé se distinguerait lui aussi du registre
officiel; la
fixation d'un délai d'inscription et l'utilisation d'un numéro de
contrôle
seraient des usages commerciaux courants.

2.1
Selon l'art. 14 CEEJ, la demande d'entraide doit notamment indiquer
son objet
et son but (ch. 1 let. b), ainsi que l'inculpation et un exposé
sommaire des
faits (ch. 2). Ces indications doivent permettre à l'autorité requise
de
s'assurer que l'acte pour lequel l'entraide est demandée est
punissable selon
le droit des Parties requérante et requise (art. 5 ch. 1 let. a
CEEJ), qu'il
ne constitue pas un délit politique ou fiscal (art. 2 al. 1 let. a
CEEJ), que
l'exécution de la demande n'est pas de nature à porter atteinte à la
souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres intérêts
essentiels du pays (art. 2 let. b CEEJ), et que le principe de la
proportionnalité est respecté (ATF 118 Ib 111 consid. 4b et les arrêts
cités). Le droit interne (art. 28 EIMP) pose des exigences
équivalentes, que
l'OEIMP précise en exigeant l'indication du lieu, de la date et du
mode de
commission des infractions (art. 10 OEIMP).

2.2 Dans son exposé des faits, l'autorité requérante reprend
largement les
termes de la plainte pénale déposée le 12 juin 2002 par l'INPI. Elle
expose,
sans les faire siens, les soupçons soulevés par cet institut. Il est
reproché
à la recourante d'avoir utilisé un formulaire d'inscription ayant une
apparence officielle pour obtenir des inscriptions d'entreprises sur
sa base
de données privée. Contrairement à ce que soutient la recourante, il
n'y a
rien d'inadmissible à faire ainsi référence à une plainte pénale:
saisie
d'une telle plainte, dirigée comme en l'espèce contre une société
suisse, le
juge d'instruction n'a d'autres possibilités que d'effectuer ses
premières
recherches à l'étranger, et doit, à ce stade, se contenter des
soupçons qui
lui sont soumis. En l'occurrence, certaines entreprises se seraient
déjà
plaintes d'avoir souscrit un abonnement en croyant s'inscrire au
registre
officiel. L'argumentation à décharge présentée par la recourante n'a
pas sa
place dans le cadre de la procédure d'entraide judiciaire. Sous
l'angle des
art. 5 CEEJ et 28 EIMP, il suffit que l'on comprenne les raisons de
l'entraide requise, ce qui est manifestement le cas en l'occurrence.
Le grief
doit par conséquent être écarté.

3.
Sous l'angle de la double incrimination, la recourante soutient en
substance
qu'il n'y aurait pas astuce au sens de l'art. 146 CP, car le
formulaire
d'inscription n'aurait rien de trompeur quant au caractère privé de
l'offre
faite aux clients potentiels. Ces derniers seraient des entreprises
commerciales rompues aux affaires. L'INPI ne subirait aucun dommage,
et
l'intention dolosive ferait également défaut. Il n'y aurait pas non
plus de
violation de l'art. 11 de la loi fédérale pour la protection des
armoiries
publics et autres signes publics (LPAP; RS 232.21).

3.1 A nouveau, la recourante argumente selon sa propre représentation
des
événements, alors que la question de la double incrimination doit
s'examiner
sur la seule base des soupçons dont il est fait état dans la demande
d'entraide.

3.2 En l'occurrence, il y aurait astuce, selon le droit suisse, si la
recourante avait délibérément provoqué ou entretenu une confusion de
la part
de certaines entreprises, afin d'obtenir leur adhésion à la banque de
données. Or, tel est précisément le soupçon élevé par l'autorité
requérante,
à la suite de la plaignante. Selon cette dernière, certaines
confusions se
seraient déjà produites (affirmation que l'autorité requérante n'a
pas à
prouver, ni l'autorité requise à vérifier) entre la base de données
de la
recourante et le registre officiel tenu par l'INPI, et il reste à
savoir si
cela procède d'une volonté délibérée; l'entraide paraît précisément
requise
dans ce but. Même si l'INPI ne subit aucun dommage, il est évident
que les
infractions d'escroquerie ont été commises au préjudice de sociétés
qui se
sont inscrites par erreur. Dans ce cas, le dommage peut résider dans
le
rapport défavorable entre prestation et contre-prestation, si les
entreprises
croyaient s'inscrire à un registre officiel, et non à une banque de
données
privée. Cela suffit pour admettre que la condition de la double
incrimination
est réalisée, sans qu'il y ait à s'interroger sur une application de
la LPAP,
voire de la loi fédérale contre la concurrence déloyale (LCD; RS 241).

4.
La recourante invoque enfin le principe de la proportionnalité. La
plainte
visait uniquement le formulaire d'inscription, de sorte qu'il aurait
été
suffisant de produire un exemplaire de ce document, avec une enveloppe
d'envoi et une enveloppe-réponse. La production des dossiers des
clients
français, en copies et en originaux, serait disproportionnée. La mise
sous
scellés des objets saisis le 7 janvier 2003 irait au-delà des besoins
de
l'enquête, et causerait un dommage irrémédiable à la recourante,
celle-ci se
trouvant dans l'impossibilité de suivre les dossiers de ses clients
français.
Il pourrait en résulter une perte de clientèle irréparable.

4.1 Le principe de la proportionnalité empêche d'une part l'autorité
requérante de demander des mesures inutiles à son enquête et, d'autre
part,
l'autorité d'exécution d'aller au-delà de la mission qui lui est
confiée (ATF
121 II 241 consid. 3a). L'autorité suisse requise s'impose une grande
retenue
lorsqu'elle examine le respect de ce principe, faute de moyens qui lui
permettraient de se prononcer sur l'opportunité de l'administration
des
preuves. Le juge de l'entraide doit lui aussi se borner à examiner si
les
renseignements à transmettre présentent, prima facie, un rapport avec
les
faits motivant la demande d'entraide. Il ne doit exclure de la
transmission
que les documents n'ayant manifestement aucune utilité possible pour
les
enquêteurs étrangers (examen limité à l'utilité "potentielle", ATF
122 II 367
consid. 2c p. 371).

4.2 La mission décrite dans la demande ne se limite pas au formulaire
d'inscription. Des copies de trois formulaires et de deux enveloppes
sont
d'ailleurs déjà en main du juge d'instruction parisien, et produites
en
annexes à la demande. Le magistrat requérant désire une information
complète
sur la société recourante, soit son objet, ses comptes, sa vie
sociale, ainsi
que sur sa clientèle,
dont les dossiers doivent être saisis. Ces
éléments
paraissent, prima facie, utiles à l'enquête ouverte en France. Dans
ces
conditions, l'autorité suisse d'exécution ne pouvait, sans faillir à
sa
mission, limiter les actes d'entraide dans le sens voulu par la
recourante.
Le juge d'instruction a décidé de procéder à une première
transmission de
documents sélectionnés et a maintenu le blocage des autres documents
"le
temps d'une analyse de la situation en France". Ce mode de procéder
n'est pas
critiquable. Il permet de limiter la transmission dans un premier
temps et de
la compléter éventuellement par la suite, si l'autorité requise ne
peut se
satisfaire des seuls renseignements transmis. La recourante ne
critique
d'ailleurs pas ce mode de faire, pas plus d'ailleurs que le premier
choix
opéré par le juge d'instruction.

4.3 Quant à la décision de maintenir le séquestre sur les pièces qui
ne sont
pas transmises, elle correspond au sens de l'art. 18 EIMP qui permet
de
prendre les mesures provisoires nécessaires au maintien de la
situation
existante, et de reconduire ces mesures jusqu'à la clôture définitive
de la
procédure d'entraide. La recourante se trouve certes entravée dans la
poursuite de ses affaires avec ses clients français. Toutefois, comme
l'avait
relevé le Tribunal d'accusation dans son arrêt du 29 janvier 2003, la
saisie
de dossiers et de données informatiques n'empêche pas la recourante
d'exploiter la banque de données "Made in France". L'empêchement de
procéder
à la facturation, et les éventuels défauts de mise à jour durant une
certaine
période, ne constituent que des inconvénients passagers, qui ne
justifieraient pas une restitution immédiate des dossiers saisis. La
recourante se plaint enfin de ce que la saisie concerne tant les
originaux
que des copies des contrats. La cour cantonale ne s'est certes pas
prononcée
sur cet argument, et on ignore pour quelle raison les documents
auraient été
saisis à double. Cela étant, le juge d'instruction a rappelé à la
recourante,
le 5 mars 2003, qu'il lui était loisible de venir lever une copie de
la
documentation saisie. Dans ces conditions, le grief apparaît sans
objet.

5.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit administratif doit
être
rejeté. Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument judiciaire
est mis à
la charge de la recourante, qui succombe.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 3000 fr. est mis à la charge de la
recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la
recourante, au
Juge d'instruction et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal
du canton
de Vaud ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice (B 137 157 GDB).

Lausanne, le 30 octobre 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.181/2003
Date de la décision : 30/10/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-10-30;1a.181.2003 ?
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