La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/10/2003 | SUISSE | N°1A.156/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 29 octobre 2003, 1A.156/2003


{T 1/2}
1A.156/2003 /col

Séance du 29 octobre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Nay, Vice-président du Tribunal fédéral, Reeb, Féraud et
Catenazzi.
Greffier: M. Zimmermann.

Patricia Paulina Castañon Rios Zertuche de Salinas, Mexique,
Dozar Separate Property Trust,
recourantes,
toutes deux représentées par Me Georg Friedli, avocat, Bahnhofplatz
5, case
postale 6233, 3001 Berne,

contre

Juge d'instruc

tion du canton de Genève,
case postale 3344, 1211 Genève 3,
Chambre d'accusation du canton de Genève, place du Bourg-d...

{T 1/2}
1A.156/2003 /col

Séance du 29 octobre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Nay, Vice-président du Tribunal fédéral, Reeb, Féraud et
Catenazzi.
Greffier: M. Zimmermann.

Patricia Paulina Castañon Rios Zertuche de Salinas, Mexique,
Dozar Separate Property Trust,
recourantes,
toutes deux représentées par Me Georg Friedli, avocat, Bahnhofplatz
5, case
postale 6233, 3001 Berne,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève,
case postale 3344, 1211 Genève 3,
Chambre d'accusation du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1,
case
postale 3108, 1211 Genève 3.

entraide judiciaire internationale en matière pénale au Mexique,

recours de droit administratif contre l'ordonnance de la Chambre
d'accusation
du canton de Genève du 6 juin 2003.

Faits:

A.
Raúl Salinas de Gortari est détenu au Mexique pour l'exécution d'une
peine
prononcée contre lui pour homicide. Son frère, Carlos Salinas, a
occupé la
fonction de Président des Etats-Unis du Mexique de 1988 à 1994.
En 1995, les autorités mexicaines ont ouvert une procédure pénale
contre
Salinas de Gortari et son épouse, Patricia Paulina Castañon Rios
Zertuche de
Salinas, poursuivis des chefs de trafic de drogue, blanchiment
d'argent,
détournements de fonds publics, enrichissement illégitime, faux dans
les
titres et faux témoignage. Les prévenus auraient transféré notamment
en
Suisse des montants très importants qui proviendraient du trafic de la
drogue.
Dans ce cadre, le Procureur général des Etats-Unis du Mexique a
présenté à la
Suisse une demande d'entraide judiciaire tendant à la remise de la
documentation relative aux comptes détenus en Suisse par Salinas de
Gortari,
Castañon et leurs complices, ainsi qu'à la saisie de ces comptes.
Le 10 octobre 1996, le Ministère public de la Confédération, auquel

l'exécution de la demande d'entraide avait été déléguée, a rendu une
décision
de clôture partielle ordonnant la transmission aux autorités
mexicaines de la
documentation réclamée.
Par arrêt du 30 septembre 1997, le Tribunal fédéral a admis
partiellement les
recours formés par Salinas de Gortari et Castañon contre la décision
du 10
octobre 1996, qu'il a annulée en invitant le Ministère public à faire
présenter par le Mexique une nouvelle demande d'entraide comprenant
un état
de fait plus complet (procédure 1A.357/359/ 1996).

B.
Parallèlement, le Ministère public a, le 3 novembre 1995, ouvert une
enquête
préliminaire notamment contre Salinas de Gortari et Castañon,
soupçonnés de
trafic de stupéfiants et de blanchiment d'argent. Dans le cadre de
cette
procédure, dix-sept comptes ont été saisis auprès de divers
établissements
bancaires, pour un montant total d'environ 118'500'000 USD.
Le 19 octobre 1998, le Ministère public a classé la procédure (ch. 1
du
dispositif) et confisqué les fonds saisis, relatifs à dix comptes
(ch. 2),
les autorités compétentes pouvant disposer de ces fonds après
l'entrée en
force de la décision de confiscation (ch. 3). La saisie des autres
comptes a
été maintenue jusqu'à nouvelle décision.
Le Tribunal fédéral a admis partiellement les recours formés
notamment par
Salinas de Gortari et Castañon contre cette décision, et annulé les
ch. 2 et
3 du dispositif de la décision du 19 octobre 1998 (arrêt du 2 juillet
1999
rendu dans les causes 8G.74/75/81/1998), au motif que la confiscation
litigieuse relevait de la compétence des autorités cantonales.
A la suite de cet arrêt, le Ministère public a transmis l'affaire au
Procureur général du canton de Genève, comme objet de sa compétence.
Le Juge d'instruction du canton de Genève, auquel le Procureur
général avait
confié l'affaire, a joint celle-ci à la procédure cantonale (désignée
sous la
rubrique P/9130/1994) ouverte contre le ressortissant mexicain Carlos
Efrain
Cabal Peniche. Il a inculpé Salinas de Gortari et Castañon
d'infraction à la
LStup et de blanchiment d'argent. Il a confirmé le séquestre des
comptes
ordonné par le Ministère public.
Le 30 avril 2002, le Juge d'instruction a, en application de l'art.
185 al. 1
CPP/GE, communiqué au Procureur général la procédure P/9130/94 en
proposant
que la poursuite soit déléguée aux autorités mexicaines et les
séquestres
maintenus en vue d'une confiscation ultérieure éventuelle.
Par arrêt du 10 septembre 2002, le Tribunal fédéral a déclaré
irrecevable le
recours de droit administratif formé notamment par Salinas de Gortari,
Castañon et Dozar Separate Property Trust (ci-après: Dozar) contre la
délégation de la procédure P/9130/94, dont la reprise avait été
acceptée par
les autorités mexicaines (cause 1A.153/2002).
Le 6 juin 2003, la Chambre d'accusation du canton de Genève a déclaré
irrecevable le recours formé notamment par Salinas de Gortari,
Castañon et
Dozar contre la décision du 30 avril 2002, qu'elle a confirmée. Elle a
considéré, en bref, que les recourants n'étaient pas recevables à
contester
la délégation de la poursuite aux autorités mexicaines. S'ils avaient
qualité
pour demander la levée des séquestres visant les comptes dont ils
étaient les
titulaires, cette mesure devait toutefois être maintenue afin de
préserver
les intérêts de la procédure étrangère. Pour le surplus, les autorités
cantonales, dessaisies, n'étaient plus compétentes pour décider du
sort des
comptes séquestrés.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, Patricia Paulina
Castañon
Rios Zertuche de Salinas, ainsi que Dozar Separate Property Trust,
demandent
au Tribunal fédéral d'annuler la décision du 6 juin 2003 et de
renvoyer la
cause à la Chambre d'accusation. Elles invoquent les art. 9, 26 et 29
Cst.,
ainsi que l'art. 6 CEDH.
La Chambre d'accusation se réfère à sa décision. Le Juge
d'instruction a
renoncé à se déterminer. L'Office fédéral de la justice (ci-après:
l'Office
fédéral) propose le rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la
recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 129 I 173 consid. 1
p. 174,
185 consid. 1 p. 188; 129 II 225 consid. 1 p. 227, et les arrêts
cités).

2.
Le recours de droit public n'est recevable que si la prétendue
violation ne
peut pas être soumise par une action ou par un autre moyen de droit
quelconque au Tribunal fédéral ou à une autre autorité fédérale (art.
84 al.
2 OJ). La délégation de la poursuite est une des formes de l'entraide
judiciaire régie par la loi fédérale du 20 mars 1981 sur l'entraide
internationale en matière pénale (EIMP; RS 351.1), spécialement la
quatrième
partie de cette loi (art. 1 al. 1 let. c et art. 85 ss EIMP). Les
décisions
rendues dans cette matière par les autorités fédérales de première
instance
et les autorités cantonales de dernière instance sont attaquables par
la voie
du recours de droit administratif par les personnes qui résident
habituellement en Suisse (art. 25 al. 2 EIMP).
En l'occurrence, les séquestres litigieux ont été ordonnés pour les
besoins
de la procédure pénale nationale ouverte par le Ministère public, puis
reprise par le juge d'instruction genevois et enfin déléguée aux
autorités
mexicaines. On ne se trouve ainsi pas dans un cas d'application
directe des
art. 74 ou 74a EIMP, où le séquestre est ordonné pour l'exécution
d'une
demande d'entraide étrangère. Les recourantes ne contestent plus la
décision
de délégation. Sur le fond, elles réclament la levée des séquestres
en se
prévalant du droit de propriété (art. 26 Cst.). Ce litige ne relève à
proprement parler ni de la procédure pénale nationale terminée, ni de
l'entraide, ni de la délégation de la poursuite. Il porte sur une
mesure de
contrainte dont les effets se prolongent au-delà de la délégation à
l'étranger de la procédure pour laquelle elle a été ordonnée. Or, les
art. 88
ss EIMP qui régissent la délégation de la poursuite n'en disent rien.
La loi
ne détermine ni l'autorité compétente, ni la procédure. En
particulier, elle
n'indique pas de voie de droit.

2.1 Dès l'entrée en force de la décision de délégation, les autorités
chargées de la poursuite pénale s'en trouvent dessaisies, au profit
des
autorités de l'Etat requis. Toute mesure d'instruction est suspendue
en
Suisse, du moins aussi longtemps que l'Etat requis n'a pas fait
savoir que
ses autorités se trouvent dans l'impossibilité de mener la procédure
à chef
(art. 89 al. 1 let. a EIMP), ou que l'autorité de jugement de saisie
au fond
a rendu une décision d'acquittement ou de non-lieu (art. 89 al. 1
let. b, mis
en relation avec l'art. 5 al. 1 let. a ch. 1 EIMP), qu'elle a renoncé
à
infliger une sanction ou s'est abstenue provisoirement de la
prononcer (art.
89 al. 1 let. b, mis en relation avec l'art. 5 al. 1 let. a ch. 2
EIMP),
voire encore que la sanction infligée a été exécutée ou ne peut plus
l'être
(art. 89 al. 1 let. b, mis en relation avec l'art. 5 al. 1 let. b
EIMP). Dans
l'intervalle, l'autorité suisse de poursuite ne peut prendre aucune
mesure
jusqu'à la fin de la procédure étrangère. En particulier, il ne lui
appartient pas de décider du sort des séquestres ordonnés à titre
conservatoire. En l'occurrence, faute de décision à prendre par le
Juge
d'instruction à ce propos, aucune voie de recours cantonale n'était
ouverte.
En déclarant le recours irrecevable pour ce motif, la Chambre
d'accusation a
statué sous l'angle exclusif de l'EIMP, comme elle devait le faire.
Il suit
de là que le recours de droit public est irrecevable.

2.2 Celui-ci peut cependant être traité comme recours de droit
administratif,
comme les recourantes le proposent à titre subsidiaire, pour autant
que les
conditions de forme soient remplies (ATF 128 II 259 consid. 1.5 p.
264/265;
127 II 198 consid. 2a p. 203, et les arrêts cités).

2.3 Le sort des séquestres litigieux est étroitement lié à la
procédure de
délégation au sens des art. 88 ss EIMP. Si l'Etat requis mène
l'action pénale
à son terme, il aura la faculté de demander ultérieurement la remise
des
objets et valeurs séquestrés pour l'exécution d'une décision de
confiscation
définitive, soit au titre de l'entraide selon l'art. 74a al. 3 EIMP
(cf. ATF
123 II 134, 268 et 595), soit au titre de l'exécution des décisions
étrangères selon les art. 94 ss EIMP (cf. ATF 116 Ib 452; 115 Ib
517). Si au
contraire, pour l'une des raisons évoquées à l'art. 89 al. 1 let. a
et b
EIMP, l'action pénale à l'étranger ne devait pas aboutir, se poserait
la
question d'une éventuelle reprise de la procédure en Suisse, pour
autant que
les conditions de la poursuite demeurent réunies. Dans l'intervalle,
l'EIMP
ne prévoit pas la possibilité pour le détenteur d'objets ou de
valeurs saisis
de demander la levée du séquestre à l'autorité suisse qui l'a
ordonné. On
pourrait soutenir que la délégation porte sur l'ensemble de la
procédure, y
compris le séquestre. Le sort de celui-ci relèverait désormais du juge
étranger, auquel il conviendrait de renvoyer le détenteur. Une telle
solution
se heurterait à des obstacles insurmontables. Qu'une autorité
étrangère
dispose à son gré d'un séquestre peut porter atteinte à la
souveraineté de la
Suisse. Il n'est en outre pas sûr que le droit de l'Etat requis
institue des
voies de droit pour contester les séquestres ordonnés en Suisse, ni,
même à
supposer que tel soit le cas, que le détenteur soit recevable à
recourir. Or,
il serait incompatible avec le droit de propriété (art. 26 al. 1 Cst.,
invoqué par les recourantes) de laisser le détenteur entièrement
démuni de la
faculté de saisir le juge d'une demande de levée du séquestre. Au
demeurant,
l'EIMP offre une protection juridique étendue à celui dont les biens
sont
saisis pour les besoins de l'entraide demandée par un Etat étranger,
notamment le droit de recourir (art. 74 et 74a EIMP; cf. par exemple
ATF 126
II 462). Il serait inconséquent de ne pas accorder des garanties
identiques à
celui qui entend s'opposer à un séquestre ordonné dans le cadre d'une
procédure ultérieurement déléguée à un Etat étranger selon les art.
88 ss
EIMP. De surcroît, si aucune voie de droit n'était ouverte en pareille
circonstance, pourrait surgir le risque de voir le séquestre se
prolonger au
gré des aléas de la procédure étrangère, parfois pendant des années,
sans
aucun moyen de remédier, le cas échéant, à une éventuelle violation du
principe de la proportionnalité sous cet aspect (cf. art. 36 al. 3
Cst.).
2.4 La situation où comme en l'espèce, ni l'autorité de poursuite, ni
l'autorité de recours ne peut se prononcer sur le séquestre, est
inconstitutionnelle. Pour résoudre cette difficulté qui provient
d'une lacune
qui affecte le système de protection juridique institué par l'EIMP,
la tâche
de décider du maintien ou de la levée du séquestre pendant la durée
de la
délégation de la poursuite à l'étranger doit être assumée par l'Office
fédéral. Cette compétence constitue le corollaire de l'art. 30 al. 2
EIMP qui
lui confie le soin de présenter à l'étranger la demande de délégation
de la
procédure pénale suisse. Saisi d'une demande de levée du séquestre,
l'Office
fédéral est à même, dans ce cadre, d'obtenir de l'Etat délégataire
toutes les
informations nécessaires pour trancher en connaissance de cause,
s'agissant
notamment des développements de la procédure étrangère. Contre sa
décision
est ouverte la voie du recours de droit administratif selon l'art.
25
al. 1
EIMP.

2.5 C'est à raison que la Chambre d'accusation a déclaré irrecevable
le
recours formé devant elle, faute de compétence pour en connaître.
Compte
tenu du fait que l'organisation des voies de recours, telle qu'elle
vient
d'être décrite, lui était inconnue, on ne saurait reprocher à
l'autorité
cantonale de n'avoir pas transmis la cause à l'Office fédéral, comme
objet de
sa compétence (cf. art. 7 à 9 PA, applicables par renvoi de l'art. 12
al. 1
EIMP). Il n'y a pas lieu en l'occurrence de traiter le recours comme
une
demande de levée du séquestre, à transmettre à l'Office fédéral, que
les
recourantes sont libres de saisir en tout temps.

3.
Le recours doit ainsi être rejeté. Eu égard aux particularités de la
cause,
il se justifie de statuer sans frais (art. 156 OJ). Il n'y a pas lieu
d'allouer des dépens (art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Traité comme recours de droit administratif, le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire, ni alloué de dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des
recourantes, au
Juge d'instruction et à la Chambre d'accusation du canton de Genève
ainsi
qu'à l'Office fédéral de la justice (B 100 666/7 Gop).

Lausanne, le 29 octobre 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.156/2003
Date de la décision : 29/10/2003
1re cour de droit public

Analyses

Art. 30 et 85 ss EIMP; sort du séquestre pénal après la délégation de la poursuite pénale à l'étranger. Lorsque la procédure pénale est déléguée à l'étranger et les autorités suisses de poursuite pénale dessaisies, il incombe à l'Office fédéral de la justice de se prononcer sur la demande de levée des séquestres ordonnés en Suisse et maintenus dans l'intérêt de la procédure déléguée à l'étranger (consid. 2).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-10-29;1a.156.2003 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award