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27/10/2003 | SUISSE | N°1A.131/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 27 octobre 2003, 1A.131/2003


{T 0/2}
1A.131/2003 /col

Arrêt du 27 octobre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Aeschlimann, Reeb, Féraud et Catenazzi.
Greffier: M. Kurz.

République fédérale démocratique d'Ethiopie, agissant par son
Ministère de la
justice,
p.o. Box 1370, Addis Abeba,
recourante, représentée par Me Guy Fontanet, avocat, rue du Rhône 84,
1204
Genève,

contre

Office fédéral de la justice, Division des affaires i

nternationales,
Section
de l'entraide judiciaire internationale, Bundesrain 20, 3003 Berne,

C.________,
représentée ...

{T 0/2}
1A.131/2003 /col

Arrêt du 27 octobre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Aeschlimann, Reeb, Féraud et Catenazzi.
Greffier: M. Kurz.

République fédérale démocratique d'Ethiopie, agissant par son
Ministère de la
justice,
p.o. Box 1370, Addis Abeba,
recourante, représentée par Me Guy Fontanet, avocat, rue du Rhône 84,
1204
Genève,

contre

Office fédéral de la justice, Division des affaires internationales,
Section
de l'entraide judiciaire internationale, Bundesrain 20, 3003 Berne,

C.________,
représentée par Me Marc Bonnant, avocat, rue de Saint-Victor 12, case
postale
473, 1211 Genève 12,
A.________,
représenté par Me Daniel Peregrina, avocat, Baker et McKenzie, chemin
des
Vergers 4, 1208 Genève.

entraide judiciaire internationale en matière pénale avec l'Ethiopie,
art.
74a EIMP,

recours de droit administratif contre la décision de l'Office fédéral
de la
justice du 13 mai 2003.
Faits:

A.
Le 27 novembre 1997, le Ministère de la justice de la République
fédérale
démocratique d'Ethiopie (ci-après: la RFDE) a adressé à l'Office
fédéral de
la police (ci-après: OFP) une demande d'entraide judiciaire pour les
besoins
d'une procédure ouverte notamment contre L.________, ancien Ministre,
et
C.________. A la demande était joint un acte d'accusation établi le 30
juillet 1997 par le Procureur général de la Cour suprême d'Ethiopie,
document
qui fait état d'infractions d'abus d'autorité, selon trois chefs
d'accusation. Selon le premier, L.________, membre du gouvernement de
transition de juin 1991 à août 1995, aurait arbitré un litige
opposant la
RFDE à la société E.________, en faveur de celle-ci. Pour payer la
première
moitié du montant dû, L.________ aurait convaincu un tiers,
A.________, de
prêter à la RFDE un montant de 16'000'000 US$, à verser sur un compte
ouvert
au nom de E.________ auprès d'une banque londonienne, en promettant à
A.________ un remboursement sous forme de livraisons de café et
d'autres
matières premières. L.________ aurait détourné à son profit une
partie du
prêt, pour un montant de 9'000'000 US$, dont il aurait fait virer un
montant
de 500'000 US$ sur un compte ouvert auprès d'une banque de Genève
(ci-après:
la banque) au nom de G.________, et un montant de 6'000'000 US$ sur
un compte
ouvert auprès de la même banque par C.________. Selon le deuxième chef
d'accusation, L.________ aurait fait exporter illégalement 1'000
tonnes de
café et aurait détourné à son profit une partie du produit de la
vente. Selon
le troisième chef d'accusation, L.________ aurait abusé de sa
position pour
attribuer à la société S.________ un marché public portant sur la
remise en
état d'une route nationale, alors que l'offre de cette société
n'était pas la
plus favorable. La demande tendait notamment à la remise des fonds
qui se
trouvaient sur les comptes ouverts auprès de la banque, et de la
documentation y relative.
Le 5 décembre 1997, l'OFP est entré en matière, ordonnant le blocage
des
comptes visés dans la demande. Le 9 février 1998, la banque a remis
au Juge
d'instruction genevois, chargé de l'exécution de la demande, les
documents
relatifs notamment aux comptes n° xxx, présentant un solde de 559'990
US$
(compte n° 1), et n° yyy, présentant un solde de 7'671'540 US$
(compte n° 2),
tous deux détenus par C.________.
Le 31 mars 1998, l'OFP a clos la procédure et ordonné la remise à la
RFDE des
fonds déposés sur les comptes nos 1 et 2, et de la documentation y
relative.
Par arrêt du 27 juillet 1998 (cause 1A.102/1998), le Tribunal fédéral
a admis
partiellement le recours de droit administratif formé par C.________
et
G.________ contre cette décision. Il a subordonné l'octroi de
l'entraide à
des conditions et sursis à la remise des avoirs jusqu'à présentation,
par la
RFDE, d'une nouvelle demande d'entraide accompagnée d'une copie d'une
décision judiciaire, définitive et exécutoire, ordonnant la
confiscation ou
la restitution de ces avoirs aux ayants droit; le blocage provisoire
des
fonds a été maintenu.
Le 29 septembre 1998, le Ministère de la justice de la RFDE a donné
les
garanties requises. Le 29 octobre 1998, l'OFP a considéré ces
assurances
comme suffisantes. Par arrêt du 11 décembre 1998, le Tribunal fédéral
a
rejeté, dans la mesure où il était recevable, le recours formé par
C.________
contre cette décision (cause 1A.228/1998).

B.
Le 14 mars 2000, la Cour suprême d'Ethiopie a reconnu L.________
coupable des
trois chefs d'accusation portés contre lui et l'a condamné à la peine
de
dix-huit ans de réclusion et à une amende. Il a reconnu C.________
coupable
de participation aux trois chefs d'accusation et l'a condamnée à la
peine de
quinze ans et demi de réclusion et à une amende. La Cour suprême a
reconnu
que A.________ était le légitime propriétaire du montant de
16'000'000 US$
qu'il avait prêté, et qu'il était en droit d'exiger de C.________ la
restitution du montant de 9'000'000 US$ acheminé sur les comptes n° 1
et 2.
Parallèlement, la RFDE était en droit d'exiger de C.________
4'200'000 US$
correspondant au produit de la vente illégale de café, 900'000 US$
correspondant au produit de l'infraction commise en relation avec
l'attribution de travaux publics à S.________, ainsi que 6'226,88 US$
correspondant au montant de l'amende infligée. La Cour a jugé les
créances de
l'Etat prioritaires, en ce sens que ce n'était qu'une fois celui-ci
dédommagé
que A.________ pourrait faire valoir ses propres prétentions envers
C.________.
Le Procureur général a fait appel de ce jugement auprès de la Cour de
cassation éthiopienne, en soutenant que les fonds saisis en Suisse
devaient
être confisqués en faveur de l'Etat exclusivement. Par arrêt du 12
juin 2001,
la Cour de cassation a rejeté cet appel.

C.
A.________ a pour sa part obtenu du Tribunal de première instance du
canton
de Genève, le 5 juillet 2001, le séquestre civil, à hauteur de
16'000'000
US$, des fonds saisis auprès de la banque. Le séquestre a été validé
par une
poursuite à laquelle C.________ ne s'est pas opposée. Une saisie
définitive a
été prononcée le 19 mai 2002 en faveur de A.________.

D.
Les 12 juillet et 14 novembre 2002, se fondant sur l'arrêt du 14 mars
2000,
la RFDE a demandé à l'OFP la remise des fonds saisis sur les comptes
n° 1 et
2, à concurrence d'un montant total de 5'106'226,88 US$. A.________
s'est
opposé à cette requête, en faisant valoir ses droits préférables.
Parallèlement, le Ministère public de la Confédération (ci-après:
MPC) a
ouvert une procédure pour blanchiment d'argent contre L.________ et
C.________, en relation avec les fonds saisis.
Le 13 mai 2003, l'Office fédéral de la justice (ci après: OFJ, devenu
entre-temps compétent) a rejeté la demande de remise. Les fonds saisis
provenaient exclusivement du montant prêté par A.________, de sorte
qu'il n'y
avait aucune connexité entre les infractions pour lesquelles la
restitution
était requise et les valeurs saisies en Suisse. Ces dernières
devaient être
restituées à A.________, dont le prêt avait été détourné. Le jugement
du 14
mars 2000, accordant un droit prioritaire à la RFDE, ne pouvait être
exécuté
en Suisse au regard de l'art. 74a de la loi fédérale du 20 mars 1981
sur
l'entraide internationale en matière pénale (EIMP; RS 351.1). L'OFJ a
toutefois maintenu le blocage des fonds pour une période de deux mois
à
compter de l'entrée en force de sa décision, afin de permettre soit à
la RFDE
d'agir sur le plan civil, soit au MPC de procéder à un séquestre
pénal.

E.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, la République
fédérale démocratique d'Ethiopie demande au Tribunal fédéral
d'annuler la
décision du 13 mai 2003 et d'ordonner que lui soient remis les fonds
saisis à
concurrence d'un montant total de 5'106'226,88 US$, plus intérêt à 5%
dès le
14 mars 2000 (soit 4'200'000 US$ correspondant au produit de la vente
illégale de café, 900'000 US$ correspondant au produit de l'infraction
commise en relation avec l'attribution du marché public et 6'226,88
US$,
correspondant à l'amende infligée à C.________). Elle requiert l'effet
suspensif, lequel a été accordé par ordonnance présidentielle du 16
juillet
2003.

L'OFJ conclut principalement à l'irrecevabilité du recours,
subsidiairement à
son rejet. A.________ est intervenu dans la procédure, en prenant les
mêmes
conclusions et en demandant, à titre plus subsidiaire, que les fonds
saisis
lui soient remis directement. C.________ n'a pas répondu au recours.
Le 21 août 2003, la recourante a fait état d'une décision rendue le 9
juillet
2003 par la Cour suprême d'Ethiopie, selon laquelle l'arrêt du 14
mars 2000
donne à l'Etat priorité sur les droits de A.________, et vaut titre
exécutoire. L'OFJ a renoncé à se déterminer à ce sujet. A.________ a
produit
des observations. C.________ n'a pas pris position.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
La Confédération Suisse et la République fédérale d'Ethiopie ne sont
pas
liées par un traité régissant l'entraide judiciaire pénale. Cette
matière est
dès lors régie par le droit interne applicable (cf. ATF 113 Ib 257
consid. 2
p. 264; 111 Ib 138 consid. 2 p. 141; 110 Ib 173 consid. 2 p. 176, et
les
arrêts cités), soit en l'occurrence la loi fédérale sur l'entraide
internationale en matière pénale (EIMP; RS 351.1) et son ordonnance
d'exécution (OEIMP; RS 351.11).

2.
Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la
recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 129 I 173 consid. 1
p. 174,
185 consid. 1 p. 188; 129 II 225 consid. 1 p. 227).

2.1 Dans sa demande initiale du 27 novembre 1997, l'Etat requérant a
demandé
la remise des fonds se trouvant sur les comptes n° 1 et 2, alors que
la
procédure pénale en était à son commencement. Dans son arrêt
1A.102/1998 du
27 juillet 1998, le Tribunal fédéral a jugé qu'une remise immédiate,
exceptionnelle au regard de l'art. 74a al. 3 EIMP, n'entrait pas en
ligne de
compte. Il a fait surseoir à la remise jusqu'au prononcé d'une
décision
définitive et exécutoire (arrêt précité, consid. 7c), en précisant
qu'il
incomberait alors à l'Etat requérant de présenter une nouvelle demande
d'entraide (consid. 8). C'est précisément ce qu'a fait la RFDE les 12
juillet
et 14 novembre 2002. Cette nouvelle demande s'inscrit dans le sillage
de la
précédente, même si, dans l'intervalle, la procédure pénale dans
l'Etat
requérant est terminée. Elle doit ainsi être examinée au regard de
l'art. 74a
EIMP.

2.2 A qualité pour recourir quiconque est personnellement et
directement
touché par une mesure d'entraide et a un intérêt digne de protection
à ce
qu'elle soit annulée ou modifiée (art. 103 let. a OJ et 80h let. b
EIMP).

2.2.1 En principe, l'Etat requérant n'est pas partie à la procédure
d'entraide ou d'extradition (ATF 119 Ib 64 consid. 3b p. 70; 115 Ib
193; 113
Ib 257 consid. 5b p. 272). Pour qu'il en aille différemment, l'Etat
requérant
doit démontrer qu'il est lésé au sens de l'art. 21 al. 2 EIMP. Cela
suppose
la preuve que ses autorités lui ont reconnu cette qualité dans la
procédure
pénale. Sur cette base, la République des Philippines a été admise à
participer aux procédures concernant la remise des avoirs de feu
Ferdinand
Marcos (décision du 29 juin 1990; cf. ATF 119 Ib 56; arrêt
1A.103/1997 du 7
janvier 1998), ainsi que les Etats-Unis d'Amérique dans la procédure
relative
à l'"Irangate" (ATF 119 Ib 64). A un stade antérieur de la présente
affaire,
la qualité de partie a été déniée à la recourante, faute pour elle
d'avoir
démontré que les dispositions de son droit interne lui
reconnaissaient la
qualité de partie lésée dans la procédure devant la Cour suprême
(arrêt
1A.102/1998 du 5 juin 1998, consid. 1c).
Par lésé, au sens de la procédure pénale, il faut entendre la
personne qui
prétend être atteinte, immédiatement et personnellement, dans ses
droits
protégés par la loi, par la commission d'une infraction (ATF 126 IV 42
consid. 2a p. 43-44; 117 Ia 135 consid. 2a p. 136). Celui dont
l'atteinte
n'est qu'indirecte, soit en particulier le créancier de la victime, le
cessionnaire ou la personne subrogée, n'a pas la qualité de lésé
(Piquerez,
Procédure pénale suisse, Zurich 2000, p. 293).

2.2.2 Bien qu'elle connaisse les exigences jurisprudentielles en la
matière,
la RFDE se contente de relever qu'elle subit un préjudice résultant
de la
vente illégale de café, et que, selon l'arrêt du Tribunal fédéral du
27
juillet 1998 concernant la clôture de la procédure d'entraide
judiciaire,
l'opération relative au prêt détourné "aurait causé à l'Etat
requérant un
préjudice illicite résultant de la différence entre la valeur des
livraisons
effectuées en contrepartie du prêt consenti par A.________ et le
montant
effectivement remis à la société E.________" (consid. 4b). La
recourante se
dit en outre lésée par les infractions ayant donné lieu à l'entraide
judiciaire. Elle ne fait en revanche valoir aucune disposition de son
droit,
ni aucune décision judiciaire qui permettrait d'admettre que son
statut de
lésée a été reconnu dans la procédure pénale étrangère.
Il apparaît que l'Etat requérant subit un préjudice en relation avec
l'exportation illégale de café (deuxième chef d'accusation), ainsi
qu'avec
l'attribution d'un marché public à
une entreprise dont l'offre
n'était pas la
plus avantageuse (troisième chef d'accusation). En revanche, le
détournement
du prêt accordé par A.________ ne cause pas un préjudice direct à cet
Etat:
tant l'auteur du prêt que le destinataire des fonds sont des personnes
tierces, et l'Etat requérant ne prétend pas avoir commencé à
rembourser le
prêt d'une quelconque manière, contrairement à ce qui est supposé dans
l'arrêt du 27 juillet 1998. La recourante ne saurait tirer argument
des
considérations émises à cette occasion par le Tribunal fédéral, car
celles-ci
ont trait au respect du principe de la double incrimination, examiné
prima
facie sur la base des seuls faits présentés à l'appui de la requête.
Ainsi,
l'absence d'indications quant à l'existence d'une véritable
contrepartie au
prêt accordé (sous la forme d'une livraison de café) ne faisait pas
obstacle
à l'entraide. En outre, l'octroi de l'entraide était indépendant de
l'intervention de l'Etat, en qualité de partie lésée, dans le
jugement au
fond. Il en va différemment lorsque la restitution des fonds est
demandée sur
la base d'un jugement rendu dans l'Etat requérant. L'examen des
différents
jugements rendus dans cet Etat ne permet pas de reconnaître à ce
dernier la
qualité de lésé. L'arrêt du 14 mars 2000 mentionne, comme parties à la
procédure, le Procureur général et les accusés, mais pas l'Etat en
tant que
lésé. La procédure pénale a d'ailleurs été mise en oeuvre sur plainte
de
A.________, et non de l'Etat éthiopien.
La recourante ne fait par conséquent valoir aucun élément concret qui
permettrait de lui reconnaître, à titre exceptionnel, le droit de
participer
à la procédure, et partant de recourir (cf. ATF 127 II 104). La
question peut
toutefois demeurer indécise car, pour des motifs voisins de ceux qui
touchent
à la recevabilité, le recours doit de toute façon être rejeté.

2.2.3 A.________ est intervenu dans la procédure, en concluant non
seulement
à l'irrecevabilité ou au rejet du recours de la RFDE, mais aussi, plus
subsidiairement, à ce que les fonds saisis auprès de la banque lui
soient
remis directement. En dépit du large pouvoir de décision dont dispose
le
Tribunal fédéral dans le domaine de l'entraide judiciaire (art. 25
al. 6
EIMP), cette dernière conclusion sort du cadre de la contestation,
lequel est
défini par la demande de remise à l'Etat requérant. L'intimé n'a
d'ailleurs
pas recouru contre la décision attaquée pour en demander la
modification. Sa
conclusion subsidiaire est par conséquent irrecevable.

3.
A teneur de l'art. 74a EIMP, sur demande de l'autorité étrangère
compétente,
les objets ou valeurs saisis à titre conservatoire peuvent lui être
remis au
terme de la procédure d'entraide, en vue de confiscation ou de
restitution à
l'ayant droit (al. 1). Selon l'al. 2 de cette disposition, les objets
ou
valeurs comprennent les instruments ayant servi à commettre
l'infraction
(let. a); le produit ou le résultat de l'infraction, la valeur de
remplacement et l'avantage illicite (let. b); les dons ou autres
avantages
ayant servi (ou qui devaient servir) à décider ou à récompenser
l'auteur de
l'infraction, ainsi que la valeur de remplacement (let. d). La remise
peut
intervenir à tous les stades de la procédure étrangère, en règle
générale sur
décision définitive et exécutoire de l'Etat requérant (al. 3). Selon
l'al. 4,
les objets ou valeurs peuvent néanmoins être retenus en Suisse si le
lésé
réside habituellement en Suisse et qu'ils doivent lui être remis
(let. a); si
une autorité fait valoir des droits sur eux (let. b); si une personne
étrangère à l'infraction et dont les prétentions ne sont pas
garanties par
l'Etat requérant rend vraisemblable qu'elle a acquis de bonne foi en
Suisse
des droits sur ces objets ou valeurs ou, si résidant habituellement en
Suisse, elle rend vraisemblable qu'elle a acquis de bonne foi des
droits sur
eux à l'étranger (let. c), ou si les objets ou valeurs sont
nécessaires à une
procédure pénale pendante en Suisse ou sont susceptibles d'être
confisqués en
Suisse (let. d).

3.1 Pour la recourante, l'autorité d'exécution saisie d'une demande de
restitution n'aurait pas à contrôler le contenu de la décision
étrangère; la
question de savoir si les valeurs proviennent de l'infraction devrait
être
considérée comme définitivement tranchée, sous réserve du respect des
garanties de procédure. Il s'agirait d'une application du principe de
non-ingérence. L'OFJ, après avoir considéré, dans une première
décision du 31
mars 1998, que la remise pouvait avoir lieu sans attendre une
décision au
fond, n'avait dès lors pas à rechercher si le privilège accordé à la
RFDE
reposait sur un motif juridique suffisant. En cas de doute, il
suffisait
d'interpeller l'Etat requérant, lequel aurait pu expliquer
l'existence d'un
privilège de l'Etat lorsque sa créance découle d'actes criminels. Il
n'y
aurait aucune contrariété avec l'ordre public suisse.

3.2 Lorsque l'Etat requérant produit une décision définitive et
exécutoire,
la Suisse, en tant qu'Etat requis, n'a en principe pas à juger du
bien-fondé
de cette décision. La procédure instituée à l'art. 74a EIMP n'est en
effet
pas une procédure d'exequatur, et les exceptions prévues notamment
aux art.
95 et 96 EIMP ne sont pas opposables. Cela n'empêche pas la Suisse de
se
livrer à certaines vérifications. Ainsi, l'autorité requise peut
s'assurer
que les valeurs dont la restitution est demandée correspondent bien
aux
objets décrits à l'art. 74 al. 2 let. a à c EIMP, c'est-à-dire qu'il
s'agit
bien de l'instrument ou du produit de l'infraction, voire de la
récompense
attribuée à son auteur. La procédure étrangère doit en outre
satisfaire aux
garanties générales découlant de la CEDH ou du Pacte ONU II. En
outre, les
prétentions du lésé, d'une autorité ou des tiers acquéreurs de bonne
foi,
ainsi que les nécessités d'une procédure pénale en Suisse doivent
être prises
en compte en vertu de l'art. 74a al. 4 EIMP. L'art. 74a EIMP est en
définitive - comme l'indique le libellé de son premier alinéa - une
norme
potestative qui confère à l'autorité d'exécution un large pouvoir
d'appréciation (ATF 123 II 595 consid. 4 p. 600 ss; 123 II 134
consid. 7a p.
143, 268 consid. 4a p. 274). Si ce pouvoir ne lui permet pas de
remettre en
cause - sous réserve d'une violation de l'ordre public - le contenu
de la
décision étrangère, l'autorité d'exécution est tenue d'examiner si la
collaboration requise reste dans le cadre autorisé par l'art. 74a
EIMP.

4.
La demande des 12 juillet et 14 novembre 2002 a été présentée pour
l'exécution du jugement du 14 mars 2000. Celui-ci ne tranche pas de la
manière la plus limpide le sort des fonds saisis en Suisse, sans que
l'on
sache si ce défaut affecte l'original en amharique ou sa traduction,
en
particulier la version française produite par la recourante. A la
lecture de
ce dernier document, il apparaît toutefois clairement que les comptes
n° 1 et
2 ont été exclusivement alimentés par des fonds provenant du prêt
alloué par
A.________ et détourné par L.________.
Selon le jugement étranger, le montant des amendes infligées devait
être
prélevé sur les comptes bancaires des prévenus, ou perçu par voie de
saisie.
Par ailleurs, les 4'200'000 US$ représentant le produit de la vente
illicite
de café devaient être restitués au gouvernement, de même que les
900'000 US$
versés en relation avec l'attribution du marché public. En revanche,
les
16'000'000 US$ provenant du prêt n'ont pas été considérés comme
revenant à
l'Etat, mais à A.________, auquel ils devaient être restitués.
Toutefois,
sans motiver cette appréciation, les juges considèrent que "le
gouvernement
Ethiopien devra d'abord récupérer l'argent que Mme [C.________] doit à
[A.________] avant de le restituer à ce dernier". Enfin, le jugement
autorise
le gouvernement à prélever, sur le même compte, 4'200'000 US$ et
900'000 US$,
ainsi que l'amende infligée à C.________ puis, en cas de solde
disponible,
l'invite à remettre à son légitime propriétaire la somme de 9'000'000
US$. Le
jugement affirme à de nombreuses reprises que A.________ doit être
considéré
comme le propriétaire des fonds parvenus sur le compte séquestré.
Saisie
d'une demande d'interprétation, la Cour suprême fédérale a confirmé le
caractère définitif de ce jugement, ainsi que le fait que l'Etat
éthiopien
doit être désintéressé en priorité, relevant qu'il n'y avait aucune
contradiction entre le jugement et la demande de restitution
présentée à la
Suisse.

4.1 La remise prévue par l'art. 74a EIMP est destinée soit à la
confiscation,
soit à la restitution à l'ayant droit. Le système mis en place par
cette
disposition reprend à cet égard celui du code pénal suisse (FF 1995
III 1 ss,
p. 52). Ainsi, l'art. 74a EIMP définit l'objet de la mesure de
confiscation
ou de restitution, de manière semblable aux art. 58 et 59 ch. 1 CP. La
protection des tiers acquéreurs est aménagée dans des mesures
correspondantes.
S'agissant du produit du crime, tant l'art. 74a al. 2 let. b EIMP que
l'art.
59 ch. 1 CP nécessitent un rapport de connexité entre l'infraction
commise,
d'une part, et les objets ou valeurs saisis d'autre part. Le rapport
de
connexité entre l'infraction et les valeurs patrimoniales est établi
lorsque
celle-là est la cause essentielle et adéquate de celles-ci. Il doit
exister
entre l'infraction et l'obtention des valeurs patrimoniales un lien de
causalité tel que la seconde apparaisse comme la conséquence directe
et
immédiate de la première. Tel est le cas lorsque le produit original
de
l'infraction peut être identifié de façon certaine et documentée, à
savoir
aussi longtemps que sa "trace documentaire" ("Papierspur", "paper
trail")
peut être reconstituée de manière à établir son lien avec
l'infraction.
Ainsi, lorsque le produit original formé de valeurs destinées à
circuler
(billets de banque, effets de change, chèques, etc.) a été transformé
à une
ou plusieurs reprises en de telles valeurs, il reste confiscable aussi
longtemps que son mouvement peut être reconstitué de manière à
établir son
lien avec l'infraction (ATF 126 I 97 consid. 3c/bb p. 105; arrêt
6S.667/2000
du 19 février 2001, consid. 3a, publié in SJ 2001 I p. 330; cf. aussi
Madeleine Vouilloz, La confiscation en droit pénal - art. 58 ss CP,
in PJA
2001 p. 1391; Dominique Poncet/Alain Macaluso, Confiscation,
restitution et
allocation de valeurs patrimoniales: quelques considérations de
procédure
pénale, in SJ 2001 II p. 223).

4.2 En l'occurrence, le jugement rendu dans l'Etat requérant expose
sans
ambiguïté que les fonds saisis en Suisse proviennent exclusivement du
prêt
détourné par L.________. Il n'y a aucune contestation à ce propos, la
juridiction de l'Etat requérant ayant été à même de retracer le
cheminement
des fonds. Il est aussi admis que la demande de restitution a pour
but de
permettre le désintéressement de l'Etat requérant à raison des
créances
résultant des deux autres infractions, qui n'avaient pas donné lieu à
l'entraide judiciaire. Par conséquent, outre que le privilège ainsi
accordé à
l'Etat éthiopien n'est guère compréhensible, il n'y a manifestement
aucune
connexité entre les fonds bloqués et les infractions pour lesquelles
la
restitution est demandée. La démarche de l'Etat va au-delà de ce qui
est
autorisé en droit suisse en matière de confiscation, tant en matière
de
procédure pénale interne qu'au titre de l'entraide judiciaire.
En outre, selon l'art. 59 ch. 1 in fine CP, la restitution au lésé en
rétablissement de ses droits constitue un obstacle à la confiscation.
En
matière d'entraide judiciaire, la protection du lésé ou des tiers de
bonne
foi est en principe limitée aux cas mentionnés à l'art. 74a al. 4
let. c
EIMP: le lésé doit notamment avoir sa résidence en Suisse. Toutefois,
compte
tenu du parallélisme entre les dispositions du code pénal et de
l'EIMP sur ce
point, l'autorité d'entraide ne peut faire totalement abstraction des
droits
du lésé, lorsqu'il apparaît que celui-ci dispose, en vertu du jugement
étranger, d'une prétention sur les avoirs bloqués. Or, tel est
manifestement
le cas en l'espèce: le jugement du 14 mars 2000 affirme à plusieurs
reprises
que les fonds saisis en Suisse doivent finalement être versés à
A.________ en
rétablissement de ses droits. Dans ces conditions, le refus opposé
par l'OFJ
ne procède pas d'un abus de son pouvoir d'appréciation.

5.
Sur le vu de ce qui précède, la décision attaquée ne viole pas le
droit
fédéral et doit être confirmée. Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un
émolument judiciaire est mis à la charge de la recourante, dont les
conclusions sont écartées. L'intimé A.________, qui a été admis à
intervenir
dans la procédure, obtient partiellement gain de cause. Une indemnité
de
dépens doit par conséquent lui être allouée, à la charge de la
recourante.
C.________ n'a pas procédé et n'a pas droit à des dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 10'000 fr. est mis à la charge de la
recourante.

3.
Une indemnité de dépens de 5000 fr. est allouée à l'intimé
A.________, à la
charge de la recourante.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires de la
recourante, de
C.________ et de A.________, à l'Office fédéral de la justice, ainsi
qu'au
Ministère
public de la Confédération, pour son information.

Lausanne, le 27 octobre 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.131/2003
Date de la décision : 27/10/2003
1re cour de droit public

Analyses

Art. 74a et 80h let. b EIMP; demande de remise fondée sur un jugement étranger. Les fonds proviennent du détournement d'un prêt convenu entre particuliers. Le jugement étranger donne à l'Etat requérant un droit préférentiel sur ces avoirs (afin de récupérer le produit d'autres infractions), tout en reconnaissant qu'ils doivent revenir au prêteur. La recevabilité du recours est douteuse, l'Etat requérant ne démontrant pas sa qualité de lésé (consid. 2). Il n'y a pas de connexité entre les valeurs saisies et les infractions motivant la demande de restitution; le prêteur dispose par ailleurs d'une prétention sur ces avoirs. L'art. 74a EIMP ne permet donc pas la restitution (consid. 3 et 4).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-10-27;1a.131.2003 ?
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