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23/09/2003 | SUISSE | N°4C.65/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 23 septembre 2003, 4C.65/2003


{T 0/2}
4C.65/2003 /ech

Séance du 23 septembre 2003
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Walter, Klett, Nyffeler et
Favre.
Greffière: Mme Godat Zimmermann.

A. ________,
B.________,
demanderesses et recourantes,
toutes les deux représentées par Me Pierre Daudin, avocat, rue du
Stand 51,
case Stand, 1211 Genève 11,

contre

C.________,
défenderesse et intimée, représentée par Me Eric Hess, avocat, rue de
Beaumont 3, 1206 Genève.

demeure du locataire

; congé contrevenant aux règles de la bonne foi

(recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre d'appel en matière
de b...

{T 0/2}
4C.65/2003 /ech

Séance du 23 septembre 2003
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Walter, Klett, Nyffeler et
Favre.
Greffière: Mme Godat Zimmermann.

A. ________,
B.________,
demanderesses et recourantes,
toutes les deux représentées par Me Pierre Daudin, avocat, rue du
Stand 51,
case Stand, 1211 Genève 11,

contre

C.________,
défenderesse et intimée, représentée par Me Eric Hess, avocat, rue de
Beaumont 3, 1206 Genève.

demeure du locataire; congé contrevenant aux règles de la bonne foi

(recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre d'appel en matière
de baux
et loyers du canton de Genève du 13 janvier 2003)

Faits:

A.
Par contrat du 27 septembre 1979, C.________ a pris à bail un
appartement de
huit pièces au rez-de-chaussée de l'immeuble sis ..., à Genève; cet
immeuble
est la propriété de A.________ et B.________, représentées dans le
rapport
contractuel par la régie X.________. En 2000, le loyer mensuel
s'élevait à
4'166 fr., auxquels s'ajoutait une provision pour charges de 400 fr.

Le 13 décembre 2000, le jacuzzi situé dans l'appartement du premier
étage a
débordé. L'inondation qui s'en est suivie a causé des dégâts dans la
chambre
à coucher, deux salons, un fumoir et la salle à manger de
l'appartement loué
par C.________. Une moquette et des meubles anciens appartenant à la
locataire ont également été endommagés.

Par lettre du 29 décembre 2000, le conseil défendant à l'époque les
intérêts
de C.________ a dénoncé la situation à la régie X.________, précisant
que sa
mandante ne pouvait pas utiliser la chambre à coucher et l'un des
salons; il
a annoncé l'intention de sa cliente de réclamer une réduction de
loyer à
partir du 13 décembre 2000.

Dans sa réponse du 5 janvier 2001, la régie a rappelé à la locataire
que l'un
de ses collaborateurs s'était rendu immédiatement sur place, qu'elle
avait
informé son assureur du sinistre, qu'elle avait demandé des devis
pour les
travaux de remise en état et qu'elle avait fait installer des
déshumidificateurs; en outre, C.________ était invitée à annoncer le
cas de
sa moquette endommagée à son assurance-ménage.

Le 12 février 2001, l'architecte mandaté par l'assureur des
propriétaires,
les entreprises de peinture/papiers-peints et de parqueterie ainsi
que la
locataire se sont retrouvés dans l'appartement du rez-de-chaussée. A
cette
occasion, l'architecte a admis que le prix des travaux de peinture et
papiers-peints consécutifs au sinistre s'élevait à 11'000 fr., sur un
devis
total de 18'714 fr.; par ailleurs, la remise en état du parquet du
salon a
été acceptée, celle du sol de la chambre à coucher devant faire
l'objet d'un
constat ultérieur. A la même époque, C.________ a fait établir deux
devis
estimant la remise en état des tableaux et du mobilier endommagés par
l'inondation à 51'174 fr.55, respectivement 19'482 fr.

Le 21 mars 2001, la locataire, sous la plume de son conseil, a fait
savoir à
la régie qu'elle réclamait une réduction de loyer de 50% jusqu'à la
fin des
travaux. Par lettre du 5 avril 2001, X.________ a attiré l'attention
de la
locataire sur le fait que les travaux de tapisserie ne pouvaient être
entrepris en raison de son opposition; le courrier ne contient rien
au sujet
de la demande de réduction de loyer.

Par avis comminatoire du 12 avril 2001, la régie a informé C.________
que les
loyers de mars et avril 2001 étaient impayés; en conséquence, elle lui
impartissait un délai de trente jours pour le règlement de l'arriéré
s'élevant à 9'132 fr. et l'avertissait qu'en cas de non-paiement
intégral à
l'échéance, le bail pourrait être résilié en application de l'art.
257d al. 2
CO.

La locataire a protesté par lettre de son mandataire du 9 mai 2001;
elle a
annoncé en outre son intention de consigner le 50% des loyers échus à
partir
de mars 2001, à moins d'un accord des parties sur la quotité de la
réduction
de loyer.

Les travaux de remise en état de l'appartement se sont achevés à la
fin mai
ou au début juin 2001.

Par avis officiel du 14 juin 2001, la régie a résilié le bail pour le
31
juillet 2001, invoquant le non-paiement de l'arriéré de loyer malgré
la mise
en demeure du 12 avril 2001.

B.
B.aUne semaine plus tard, C.________ a consigné la moitié des loyers
échus
depuis mars 2001. Le 17 décembre 2001, la Commission de conciliation
en
matière de baux et loyers du canton de Genève a rejeté la requête en
validation déposée par la locataire, car la consignation était
intervenue
postérieurement à l'exécution des travaux.

B.b Le 13 juillet 2001, C.________ a ouvert action en annulation du
congé,
tenu pour contraire aux règles de la bonne foi au sens de l'art. 271
al. 1
CO.

De leur côté, A.________ et B.________ ont saisi la Commission de
conciliation, puis le Tribunal des baux et loyers du canton de Genève
d'une
requête en évacuation de l'appartement occupé par C.________.

Par jugement du 27 mars 2002, le Tribunal des baux et loyers a admis
la
validité de la résiliation du bail pour cause de demeure de la
locataire et a
condamné C.________ à évacuer l'appartement.

Statuant le 13 janvier 2003 sur appel de la locataire, la Chambre
d'appel en
matière de baux et loyers a mis à néant le jugement de première
instance,
puis elle a annulé la résiliation du bail et débouté les bailleresses
de leur
requête en évacuation.

C.
A.________ et B.________ (les demanderesses) interjettent un recours
en
réforme. Elles demandent au Tribunal fédéral de constater la validité
du
congé signifié à la locataire et de condamner cette dernière à évacuer
immédiatement l'appartement qu'elle occupe.

C. ________ (la défenderesse) propose le rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Interjeté par les parties qui ont succombé dans leurs conclusions,
tendant en particulier à faire constater la validité de la
résiliation du
bail pour défaut de paiement du loyer, et dirigé contre un jugement
final
rendu en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art.
48 al. 1
OJ) sur une contestation civile dont la valeur litigieuse dépasse le
seuil de
8'000 fr. (art. 46 OJ; cf. ATF 119 II 147 consid. 1; 111 II 384
consid. 1),
le recours en réforme est en principe recevable, puisqu'il a été
déposé en
temps utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55
OJ).

1.2 Saisi d'un tel recours, le Tribunal fédéral doit conduire son
raisonnement sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à
moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été
violées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations reposant
sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter
les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu
compte
de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis
(art. 64
OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a).

Au surplus, la juridiction de réforme ne peut aller au-delà des
conclusions
des parties, mais elle n'est pas liée par les motifs invoqués dans les
écritures (art. 63 al. 1 OJ), ni par l'argumentation juridique
retenue par la
cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 128 III 22 consid. 2e/cc; 127
III 248
consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a).

2. En premier lieu, les demanderesses font valoir que l'arrêt attaqué
est
entaché de plusieurs inadvertances manifestes.

2.1 La jurisprudence n'admet l'existence d'une inadvertance manifeste,
susceptible d'être rectifiée par le Tribunal fédéral en application
de l'art.
63 al. 2 OJ, que lorsque l'autorité cantonale a omis de prendre en
considération une pièce déterminée, versée au dossier, ou l'a mal lue,
s'écartant par mégarde de sa teneur exacte, en particulier de son
vrai sens
littéral (ATF 115 II 399 consid. 2a; 109 II 159 consid. 2b; cf.
également ATF
121 IV 104 consid. 2b). Tel est notamment le cas lorsque l'examen
d'une pièce
du dossier, qui n'a pas été prise en considération, révèle une erreur
de fait
évidente, qui ne peut s'expliquer que par l'inattention (Bernard
Corboz, Le
recours en réforme au Tribunal fédéral, in SJ 2000 II, p. 66). Par
ailleurs,
l'inadvertance invoquée doit porter sur une constatation propre à
influer sur
le sort du recours (cf. ATF 95 II 503 consid. 2a p. 507; Poudret, COJ
II, n.
1.6.2 in fine ad art. 55 et n. 5.1. ad art. 63; Messmer/Imboden, Die
eidgenössischen Rechtsmittel in Zivilsachen, p. 138).

2.2 Le montant exact de l'arriéré de loyers au moment de la requête
d'expulsion n'apparaît pas pertinent pour juger du caractère abusif
ou non de
la résiliation du bail. Peu importe dès lors que la somme impayée
s'élevât
alors à 22'830 fr. plutôt qu'à 16'664 fr., comme indiqué par la cour
cantonale. De même, pour juger de l'annulabilité du congé au sens de
l'art.
271 CO, il n'est pas déterminant que, de septembre 2000 à février
2001, la
locataire ait réglé son loyer avec un mois de retard.

En revanche, la cour cantonale a effectivement retenu à tort que les
bailleresses ne s'étaient pas prononcées sur les demandes en
réduction de
loyer de la locataire. En effet, dans son courrier du 28 mai 2001, la
régie
soumet à la défenderesse une proposition de son assureur, tendant à
la prise
en charge de la perte de revenu locatif à raison de 50% pendant un
mois et
demi. De plus, dans une lettre du 12 juin 2001, la régie écrit à la
locataire
le passage suivant: «Pour notre part, nous estimons que la Compagnie
d'assurances doit prendre en charge la réduction de loyer de 50%, au
moins
jusqu'à la fin du mois de mars.» Le fait que la régie ait gardé le
silence
sur les demandes de réduction de loyer formulées par la défenderesse
a été
l'un des éléments qui ont amené la cour cantonale à admettre le
caractère
abusif du congé signifié en date du 14 juin 2001. Il convient dès
lors de
modifier l'état de fait de l'arrêt attaqué, en ce sens que la régie a
bel et
bien répondu à la réclamation de la défenderesse, renvoyant cette
dernière à
la proposition de son assureur et admettant que celui-ci devait
assumer une
réduction de loyer de 50% au moins jusqu'à fin mars 2001. L'incidence
de
cette rectification sur le sort du litige sera examinée ci-après.

3.
3.1Dans un premier temps, la cour cantonale a admis que le congé
notifié le
14 juin 2001 remplissait les conditions de l'art. 257d CO, puis elle
l'a
annulé sur la base de l'art. 271 CO, le considérant comme contraire
aux
règles de la bonne foi.

3.2 A teneur de l'art. 257d al. 1 CO, lorsque, après réception de
l'objet
loué, le locataire a du retard pour s'acquitter d'un terme ou de frais
accessoires échus, le bailleur peut lui fixer par écrit un délai de
paiement
et lui signifier qu'à défaut de règlement dans ce délai, il résiliera
le
bail. Le délai doit être d'au moins trente jours pour les locaux
d'habitation. L'art. 257d al. 2 CO spécifie que, faute de paiement
dans le
délai fixé, les baux d'habitations peuvent être résiliés moyennant un
délai
de congé de trente jours pour la fin d'un mois.

En principe, le locataire en retard dans le paiement de son loyer est
en
demeure, ce qui justifie l'application de la procédure prévue à
l'art. 257d
CO (cf. ATF 119 II 232 consid. 3; Higi, Zürcher Kommentar, n. 12 ad
art. 257d
CO). Tel n'est toutefois pas le cas lorsque le bailleur est lui-même
en
demeure (art. 91 CO), par exemple parce qu'il n'a pas indiqué le
numéro
correct du compte sur lequel le paiement doit intervenir, ou lorsque
le
locataire a invoqué la compensation à temps (cf. art. 124 al. 1 CO;
ATF 119
II 241 consid. 6b p. 247/248) ou encore lorsqu'il a valablement
consigné le
loyer (Higi, op. cit., n. 13-16 ad art. 257d CO; Lachat, Le bail à
loyer, p.
210).

Selon Higi, un des moyens d'éviter la demeure consiste, pour le
locataire
confronté à un défaut de la chose louée, à déclarer clairement au
bailleur
qu'il réduit le loyer dans une mesure appropriée en raison dudit
défaut; une
telle déclaration consisterait en l'exercice d'un droit formateur
dont les
effets remonteraient au moment où le bailleur a eu ou aurait pu avoir
connaissance du défaut (op. cit., n. 15 et 17 ad art. 257d CO, n.
21-28 ad
art. 259d CO; cf. également Weber, Basler Kommentar, n. 3 ad art.
257d CO, n.
4 ad art 259d CO, pour lequel il suffirait même au locataire
d'opposer son
droit à une réduction de loyer fondée sur l'art. 259d CO à la
prétention du
bailleur qui entend résilier le bail pour cause de demeure). Pour
Lachat, le
locataire peut théoriquement invoquer en compensation la créance
qu'il estime
avoir en réduction de loyer, mais il court le risque de voir son bail
résilié
en application de l'art. 257d al. 2 CO s'il n'était pas fondé à le
faire dans
cette mesure (op. cit., p. 182 et p. 207).

3.3 Il est incontesté que la défenderesse n'a pas payé, dans le délai
comminatoire, les loyers de mars et avril 2001, réclamés dans l'avis
du 12
avril 2001. Quant à la consignation à laquelle la locataire s'est
finalement
résolue, elle était manifestement tardive.

Tout en admettant que les conditions d'une résiliation pour cause de
demeure
étaient réalisées, la cour cantonale a pourtant considéré, en se
référant à
Higi, que la prétention en réduction de loyer de la défenderesse
avait été
«exercée sous la forme d'un droit formateur pour les
loyers à venir
et d'une
compensation pour ceux déjà acquittés, relatifs aux mensualités de
décembre
2000 à février 2001».

La nature juridique de la prétention en réduction de loyer pour cause
de
défaut peut demeurer indécise en l'espèce. En effet, même si l'on
entre par
hypothèse dans les vues de Higi, les conditions d'une résiliation du
bail sur
la base de l'art. 257d CO sont réunies en l'occurrence pour les motifs
suivants.

Premièrement, les déclarations de réduction de loyer des 21 mars et 9
mai
2001 ne pouvaient, en tout état de cause, empêcher la demeure de la
locataire. En effet, la défenderesse a fait valoir une réduction de
50% du
loyer jusqu'à la fin des travaux; or, pour les mois de mars et
d'avril 2001,
elle n'a rien versé du tout, de sorte qu'elle était, dans tous les
cas, en
demeure pour la moitié de chacun des deux loyers réclamés.

Par ailleurs, la compensation n'a lieu qu'autant que le débiteur fait
connaître au créancier son intention de l'invoquer (art. 124 al. 1
CO). Il
s'agit là d'une déclaration de volonté formatrice, qui doit faire
connaître
de manière claire et non équivoque la volonté de son auteur (Engel,
Traité
des obligations en droit suisse, 2e éd., p. 675 et les références).
Or, dans
le cas particulier, force est de constater qu'aucune déclaration de
compensation ne ressort des faits établis par la cour cantonale; dans
son
courrier du 21 mars 2001, le mandataire de la défenderesse réclame
uniquement
une réduction de loyer de 50% jusqu'à la fin des travaux et sollicite
une
réponse rapide; dans sa lettre du 9 mai 2001, le même proteste contre
l'avis
comminatoire et annonce sa volonté de consigner le 50% des loyers
échus
depuis mars 2001. Rien n'indique que la défenderesse aurait, dans le
délai de
paiement imparti, invoqué la compensation avec ce qu'elle estimait
avoir payé
en trop. La dette de la locataire ne saurait donc avoir été éteinte
par
compensation, à supposer que celle-ci soit possible dans les
circonstances de
l'espèce.

4.
Selon l'arrêt attaqué, la résiliation pour non-paiement du loyer
signifiée
par les demanderesses est contraire à la bonne foi et doit être
annulée en
application de l'art. 271 CO. La cour cantonale a retenu tout d'abord
que la
prétention en réduction de loyer de la défenderesse jusqu'à la fin des
travaux reposait sur des considérations légitimes dans l'ensemble. A
partir
de là, elle a estimé que les bailleresses auraient dû se prononcer
sur les
réclamations présentées par la locataire et ne pas exécuter la menace
contenue dans l'avis du 12 avril 2001, sachant qu'une partie non
négligeable
de leurs prétentions étaient mal fondées. Les juges précédents ont
rappelé
par ailleurs que la locataire occupait l'appartement en question
depuis plus
de vingt ans, qu'elle y hébergeait une parente âgée et qu'elle s'était
trouvée exposée à un préjudice important qui résultait d'une
inondation, dont
elle ne portait aucune responsabilité.

4.1 Les demanderesses reprochent à la cour cantonale d'avoir méconnu
l'art.
259g CO, qui consacre la possibilité pour le locataire de consigner
le loyer
si le défaut n'est pas réparé dans un certain délai.

A cet égard, le grief développé dans le recours est difficilement
compréhensible. En effet, la cour cantonale n'a tiré aucune
conséquence
juridique de l'annonce de consignation contenue dans le courrier du 9
mai
2001 du mandataire de la locataire. Elle a simplement constaté que,
tant dans
cette lettre que dans le courrier du 21 mars 2001, la défenderesse
avait fait
valoir une réduction de loyer de 50% de décembre 2000 jusqu'à la fin
des
travaux. Le moyen fondé sur la violation de l'art. 259g CO tombe dès
lors à
faux.

4.2 Les demanderesses se plaignent également d'une violation de
l'art. 271
al. 1 CO.

4.2.1 A côté d'une liste d'exemples où une résiliation émanant du
bailleur
est annulable (art. 271a al. 1 CO), la loi prévoit, de manière
générale, que
le congé, donné par l'une ou l'autre partie, est annulable lorsqu'il
contrevient aux règles de la bonne foi (art. 271 al. 1 CO).

Selon la jurisprudence, la protection accordée par l'art. 271 al. 1 CO
procède à la fois du principe de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC) et de
l'interdiction de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC), tant il est vrai
qu'une
distinction rigoureuse ne se justifie pas en cette matière (cf. ATF
120 II 31
consid. 4a, 105 consid. 3 p. 108).

Les cas typiques d'abus de droit (absence d'intérêt à l'exercice d'un
droit,
utilisation d'une institution juridique contrairement à son but,
disproportion grossière des intérêts en présence, exercice d'un droit
sans
ménagement, attitude contradictoire) justifient l'annulation du
congé; à cet
égard, il n'est toutefois pas nécessaire que l'attitude de l'auteur
du congé
puisse être qualifiée d'abus de droit « manifeste » au sens de l'art.
2 al. 2
CC (ATF 120 II 105 consid. 3 p. 108).

Ainsi, le congé doit être considéré comme abusif s'il ne répond à
aucun
intérêt objectif, sérieux et digne de protection (arrêt 4C.267/2002
du 18
novembre 2002, consid. 2.2; arrêt 4C.305/1995 du 15 février 1996,
consid.
4a). Est abusif le congé purement chicanier dont le motif n'est
manifestement
qu'un prétexte (ATF 120 II 31 consid. 4a p. 32). En revanche, le
congé donné
par le bailleur en vue d'obtenir d'un nouveau locataire un loyer plus
élevé,
mais non abusif, ne saurait, en règle générale, constituer un abus de
droit
(ATF 120 II 105 consid. 3b).

L'art. 271 al. 1 CO s'applique également lorsque la résiliation du
bail a
pour cause la demeure du locataire au sens de l'art. 257d CO. Le
droit du
bailleur de résilier le bail s'oppose alors à celui du locataire
d'être
protégé contre une résiliation abusive. Le juge ne peut annuler le
congé
litigieux que si celui-ci est inadmissible au regard de la
jurisprudence
relative à l'abus de droit et à la bonne foi; il faut des
circonstances
particulières pour que le congé soit annulé (ATF 120 II 31 consid. 4a
p. 33).
Tel sera le cas, par exemple, lorsque le bailleur, lors de la
fixation du
délai comminatoire, réclame au locataire une somme largement
supérieure à
celle en souffrance, sans être certain du montant effectivement dû
(ATF 120
II 31 consid. 4b p. 33/34). Le congé sera également tenu pour
contraire aux
règles de la bonne foi si le montant impayé est insignifiant (ATF 120
II 31
consid. 4b p. 33), si l'arriéré a été réglé très peu de temps après
l'expiration du délai alors que le locataire s'était jusqu'ici
toujours
acquitté à temps du loyer ou si le bailleur résilie le contrat
longtemps
après l'expiration du délai comminatoire (Lachat, op. cit., p. 213;
Wessner,
L'obligation du locataire de payer le loyer et les frais accessoires,
in 9ème
Séminaire sur le droit du bail, Neuchâtel 1996, p. 24).

4.2.2 En l'espèce, la locataire a fait valoir pour la première fois
une
réduction de loyer chiffrée en date du 21 mars 2001. La régie, dont le
comportement est opposable aux demanderesses, n'a pris position sur
cette
prétention que deux mois plus tard, alors qu'elle avait déjà envoyé
l'avis
comminatoire et que les travaux de réparation étaient en voie
d'achèvement.
Dans sa réponse du 28 mai 2001, elle s'est limitée à renvoyer la
locataire à
la proposition de son assureur, soit une réduction de loyer de moitié
pendant
un mois et demi. Dans sa lettre du 12 juin 2001, la gérance est plus
précise
puisqu'elle affirme que l'assureur devrait prendre en charge une
réduction de
loyer de 50% jusqu'à fin mars 2001 au moins; ce faisant, elle
reconnaît
qu'une baisse de 50% jusqu'à fin mars 2001 en tout cas est justifiée.

C'est le lieu de rappeler que la prétention en réduction de loyer
devait être
exercée à l'endroit des bailleresses, la relation entre celles-ci et
l'entreprise assurant la perte de revenu locatif étant une res inter
alios
acta pour la défenderesse.

En outre, la date à laquelle la réduction de loyer prenait effet ne
pouvait
correspondre qu'à la mi-décembre 2000, la régie reconnaissant
elle-même avoir
dépêché un collaborateur sur place immédiatement (cf. art. 259d CO).

Cela étant, lors de l'envoi de l'avis comminatoire du 12 avril 2001,
la
locataire avait payé en totalité les loyers de décembre 2000, janvier
et
février 2001, mais n'avait rien versé sur les loyers de mars et avril
2001.
Pour leur part, les bailleresses, par l'intermédiaire de la régie,
admettaient que leur prétention se limitait aux trois quarts du loyer
de
décembre 2000 et à la moitié des loyers de janvier, février et mars
2001; en
outre, la gérance n'excluait pas une réduction au-delà de mars 2001.
A cet
égard, il convient de souligner que les travaux de réparation n'ont
été
achevés au plus tôt qu'à fin mai 2001. Or, conformément à l'art. 259d
CO, le
locataire d'une chose affectée d'un défaut entravant ou restreignant
son
usage a droit à une réduction du loyer jusqu'à l'élimination du
défaut.
Certes, la régie reprochait à la locataire d'être à l'origine d'une
partie du
retard dans l'exécution des travaux de réparation. Il n'en demeure
pas moins
que la situation était loin d'être claire et qu'il n'était nullement
exclu
que la locataire puisse prétendre en définitive à une réduction de
loyer de
50% de mi-décembre 2000 à fin mai 2001.

C'est dire qu'à mi-avril 2001, selon les propres déclarations de la
gérance,
la locataire devait tout au plus un quart de loyer mensuel (un loyer
et demi
[somme due pour mars et avril 2001] moins un loyer un quart [trop
perçu en
décembre 2000, janvier et février 2001]), soit nettement moins que
les deux
loyers réclamés dans l'avis comminatoire. Par ailleurs, il était tout
à fait
possible - la régie le reconnaissant elle-même en utilisant
l'expression «au
moins jusqu'à la fin du mois de mars» - que le loyer d'avril 2001 soit
également réduit de moitié, auquel cas la locataire aurait encore eu,
au
moment de l'envoi de l'avis comminatoire, un solde positif d'un quart
de
loyer mensuel (un loyer un quart [trop perçu en décembre 2000,
janvier et
février 2001] moins un loyer [deux demi-loyers dus pour mars et avril
2001]).

En résumé, alors que les parties étaient en relation permanente
supposant une
certaine loyauté, la régie a pris position tardivement et de manière
indirecte sur la prétention en réduction de loyer de la locataire,
dont le
logement était pourtant affecté de défauts importants; elle s'est
alors
bornée à renvoyer la défenderesse à la proposition de l'assureur,
envers
lequel la locataire ne disposait d'aucune prétention. En revanche, la
gérance
s'est montrée beaucoup plus expéditive lorsqu'il s'est agi d'avertir,
puis de
résilier le bail de la défenderesse. Or, le congé est intervenu bien
que, du
propre aveu de la représentante des bailleresses, la locataire ne
dût, dans
l'hypothèse la plus défavorable pour elle, qu'un quart de loyer au
moment de
l'avis comminatoire, c'est-à-dire nettement moins que la somme
réclamée; de
surcroît, la situation était loin d'être claire à cet égard, les
travaux
ayant été finalement achevés à fin mai ou début juin 2001 et la régie
réservant elle-même une réduction au-delà du 31 mars 2001.

L'attitude de la représentante des bailleresses apparaît ainsi
déloyale, de
sorte que, dans les circonstances particulières de l'espèce, la
résiliation
du bail pour cause de demeure de la locataire contrevient aux règles
de la
bonne foi. C'est donc à bon droit que la cour cantonale a annulé le
congé
signifié le 14 juin 2001. L'arrêt attaqué sera confirmé dans son
résultat si
ce n'est dans sa motivation.

5.
Comme leur recours est rejeté, les demanderesses prendront à leur
charge les
frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ) et verseront à la défenderesse
une
indemnité à titre de dépens (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis solidairement à la
charge des
demanderesses.

3.
Les demanderesses, débitrices solidaires, verseront à la défenderesse
une
indemnité de 3'500 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève.

Lausanne, le 23 septembre 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: La Greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.65/2003
Date de la décision : 23/09/2003
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-09-23;4c.65.2003 ?
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